Comment réguler la finance devenue folle…
Tsunami financier, plus grave crise depuis 1929, événement totalement imprévisible,
épisode de folie collective, fin d’une époque, telles sont quelques-unes des expressions
employées pour tenter de décrire – et de circonscrire peut-être ! – un phénomène absolument
nouveau : une crise « systémique », donc « globale », qui touche l’ensemble du système
financier mondial. De surcroît, la récession qui l’accompagne et qu’elle aggrave aussi, n’est
pas notre futur, elle est d’ores et déjà notre présent. Les apôtres du « tout au marché », jusqu’il
y peu d’une arrogance sans bornes, ont, pour les plus malins d’entre eux, senti que le vent
tournait : ils n’ont désormais plus à la bouche que les mots « régulation » et « moralisation du
capitalisme ». Face à ce déluge de « communication », tentons simplement de comprendre et
puis de proposer…
Qu’est-ce qu’une banque ?
Inutile de remonter loin dans le passé pour répondre à la question. Il est suffisant de se
reporter à ce que disait le législateur en 1993 : « Sont définies comme établissements de
crédit, les entreprises belges ou étrangères dont l’activité consiste à recevoir du public des
dépôts d’argent ou d’autres fonds remboursables et octroyer des crédits pour leur propre
compte ». En termes plus techniques, une banque est un intermédiaire financier qui récolte
l’argent sous forme de dépôts et qui transforment ces dépôts en crédits. C’est cette possibilité
de recevoir des dépôts qui différencient les banques commerciales des banques d’affaires ou
d’investissement (ces dernières sont encore appelées holdings).
Le dépôt peut prendre différentes formes : dépôt à vue, dépôt d’épargne, dépôt à
terme. Les différents types de dépôts sont rémunérés par un taux d’intérêt déterminé, variable
en fonction de la liquidité du dépôt, i.e. la facilité avec laquelle il peut être transformé en
monnaie : ainsi, les dépôts à vue ne sont presque pas rémunérés ; les dépôts d’épargne, qui
sont des actifs « quasi-liquides », le sont davantage et ceux à terme le sont encore plus. (En
principe, plus le terme est lointain et plus l’intérêt est élevé.) Voici un tableau qui donne la
répartition des dépôts en Belgique selon chacune des formes distinguées et selon également
l’origine de ces dépôts.
Tableau 1. Répartition et origine des dépôts (millions d’euros)
2002 Dépôts à vue Dépôts d’épargne Dépôts à terme Total
Particuliers et
indépendants 26.335 107.412 16.143 149.890
Entreprises non
financières 20.194 3.119 20.253 43.566
Entreprises
financières 7.583 183 20.229 27.995
Administrations
publiques 3.970 132 2.265 6.367
Total des dépôts
de la clientèle 58.082 110.846 58.890 227.818
Source : ABB (Association Belge des Banques)
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Plusieurs enseignements peuvent être tirés de la lecture de ce tableau :
(i) les dépôts à vue sont le fait des particuliers et dans une moindre mesure, des
entreprises ; il en va de même des dépôts d’épargne, qui sont constitués de manière
écrasante par ces mêmes particuliers ;
(ii) les dépôts à terme, par contre, ont la faveur des entreprises (financières et non
financières), les particuliers n’y recourant que dans une moindre mesure ;
(iii) si l’on compare le total des dépôts, soit 227.218 millions d’euros, au Produit
Intérieur Brut (au prix du marché), qui est égal à 260.744 millions d’euros, on
s’aperçoit de l’importance quantitative de ces dépôts.
Il faut cependant préciser que les banques ont beaucoup évolué lors de cette dernière
décennie, qu’elles se sont internationalisées et ont entrepris de multiples fusions et
regroupements, que la distinction entre les établissements de crédit et les holdings a eu
tendance à s’estomper au fil du temps et qu’enfin, elles se sont tournées également vers le
secteur de l’assurance. Dans ces conditions, les banques belges se sont transformées en
véritables groupes de « bancassurrance ». Ajoutons que, sur le marché belge, ces groupes
étaient (le passé est de rigueur, la crise financière étant passée par là !) au nombre de cinq, à
savoir dans l’ordre alphabétique :
Axa-Royale Belge (Anhyp+Ippa) ;
Dexia (Dexia Banque ou Crédit Communal, Artesia, Bacob, Crédit agricole, Eural,
Parfibank) ;
Fortis (Générale de Banque + CGER + SNCI, Banque de la Poste, Belgolaise) ;
KBC (Kredietbank + CERA, Centea, Crédit général, Antwerpse Diamantbank,
Krefima) ;
ING (ING Belgique-BBL, Caisse privée Banque, Dipo, Banque d’épargne Patriotique,
Record Bank).
Les déposants – particuliers, entreprises, etc. – prêtent à une banque leur argent. Celui-ci
va être utilisé par cette dernière pour octroyer des crédits destinés à d’autres personnes ou
sociétés. Bien entendu, la banque va verser à ces déposants un intérêt (nul ou peu s’en faut, on
l’a vu, pour les dépôts à vue ; nettement plus important pour l’épargne ou les comptes à
terme). Le taux d’intérêt payé par la banque aux déposants est appelé taux d’intérêt
créditeur ; celui réclamé par la banque à ceux à qui elle prête de l’argent est dit taux
d’intérêt débiteur. La marge bancaire – plus prosaïquement le profit des banques – est la
différence entre taux d’intérêt créditeur et taux d’intérêt débiteur. C’est cette marge qui
permet aux banques de couvrir leurs coûts et de réaliser en plus un excédent, un profit. Il
s’ensuit – remarque extrêmement importante – que plus une banque octroie des prêts et plus
elle est susceptible d’accroître ses profits. Or, plus cette banque accorde des crédits et plus
elle doit créer de la monnaie…
La création de monnaie par les banques
La monnaie a d’abord été, historiquement un bien matériel, une marchandise telle que l’or
ou l’argent. Progressivement et selon un processus qu’il n’est pas nécessaire de retracer ici, le
métal a fait place à de simples signes de valeur, les billets de banque. La monnaie s’est ainsi
dématérialisée. Lorsque le billet de banque a perdu tout lien avec l’or, sa valeur en vint à
dépendre exclusivement de la confiance qu’on lui accordait d’où le nom de monnaie
fiducaire (fides = confiance en latin) utilisé pour désigner l’ensemble des billets de banque, y
compris bien sûr les pièces de monnaie. A noter que cet ensemble est également appelé base
monétaire.
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Cependant, de nos jours et depuis au moins un siècle et demi, la monnaie fiduciaire a été
complétée par une autre forme de monnaie, appelée scripturale. (Cette dénomination
s’explique par le fait que la monnaie en question résulte d’un simple jeu d’écritures tenues par
les banques commerciales.) On la qualifie également de monnaie de crédit, pour des raisons
que l’on va à présent expliciter.
Les banques commerciales créent en effet de la monnaie en octroyant des crédits. Pour
bien le comprendre, considérons une économie simplifiée qui comporte une banque centrale
(par exemple, la Banque Nationale de Belgique, la Banque de France, la Banque Centrale
européenne, etc.) disposant du privilège de l’émission des billets et des pièces, et d’une seule
banque commerciale, pour la commodité notée X, ainsi qu’un secteur non bancaire constitué
de particuliers et d’entreprises.
Supposons alors qu’un particulier, du nom de Dupond, dispose de 10.000 euros. qu’il
décide, après mûre réflexion, d’en déposer la totalité à la banque X. Supposons aussi que cette
dernière conserve 10% de tous ses dépôts sous forme de réserves pour honorer d’éventuelles
demandes de remboursement. (Le taux de 10% est appelé coefficient de réserve.)Par
conséquent, notre banque peut donc, en bonne logique, prêter 9.000 euros à un certain
particulier – appelons-le Ducon. Ce dernier décide illico de déposer ces 9.000 euros sur le
compte à vue dont il dispose à la banque X. Celle-ci en conserve le dixième comme réserve
destinée à faire face à tout remboursement et accorde un prêt à un de ses clients, nommé
Durand, pour un montant de 8.100 euros. Notre Durand, client de X, redépose immédiatement
la somme dans sa chère banque, qui va à nouveau en conserver un dixième et prêter le solde à
un particulier ou une entreprise. Ce dernier ou cette dernière décide ensuite de déposer ce
montant à un guichet de X qui le prête à raison de 90% à un de ses autres clients, etc., etc.
Au total, le dépôt initial effectué par Dupond auprès de la banque X (soit 10.000 euros)
s’est accru par vagues successives :
10.000 9.000 8.900 100.000.+++="
En d’autres mots, la somme de 10.000 euros est devenue, au terme du processus, 100.000
euros, ce qui signifie qu’elle a été multipliée par 10. (On trouve le nombre de 100.000
simplement en appliquant la formule suivante : le montant final des dépôts – 100.000 euros –
est égal au produit du dépôt initial – 10.000 euros – par l’inverse du coefficient de réserve, i.e.
) Le nombre 10 est dit être le multiplicateur des dépôts.
1/ 0,1 10.=
On peut décrire ce processus de multiplication sous un angle légèrement différent. En
effet, la banque X a au départ octroyé un prêt de 9.000 euros à son client Ducon, qui a déposé
cette somme chez son banquier X. Ce dernier octroie un nouveau prêt à Durand pour un
montant de 8.100 euros, montant qui après avoir été déposé servira à accorder un nouveau
prêt de 7.290 euros et ainsi de suite. Le crédit initial de 9.000 euros devient ainsi :
9.000 8.100 7.290 90.000.+++="
Au total, la somme de 9.000 a été multipliée par 10, qui représente ainsi le multiplicateur des
crédits. (Comme auparavant cette valeur de 10 est égale à l’inverse du coefficient de réserve,
i.e. 1/ ) 0,1.
Cet exemple, quoique très simplifié, suffit cependant à montrer comment les banques
commerciales créent de la monnaie de crédit, de la monnaie scripturale. Un tel phénomène
est possible, parce que les banques en question ne conservent qu’une fraction de leurs dépôts
sous forme de billets – c’est leur encaisse, dit-on – et prête le solde à leurs clients, particuliers
ou entreprises.
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Toujours est-il donc qu’à côté des billets et espèces, il existe une autre monnaie, dite de
crédit, créée par les banques, et dont le montant est exactement égal à la différence entre le
total des dépôts qu’elles ont reçu et la fraction de ces dépôts qu’elles conservent comme
encaisse. Aujourd’hui, la monnaie de crédit représente – et de très loin – la principale forme
de monnaie, ainsi que l’indique le tableau 2.
Tableau 2. Monnaie fiduciaire et dépôts dans la zone euro (milliards d’euros)
2006 2007 2008 (août)
Monnaie fiduciaire 578,4 625,8 653,7
Dépôts à vue 3107,0 3206,9 3191,0
Source : Banque Centrale européenne
Le contrôle prudentiel des banques
La création de monnaie de crédit est permise dans la mesure où les banquiers ne
conservent pas la totalité des sommes déposées dans les comptes, qui sont au contraire, pour
la plus grande partie, prêtées à leurs clients. Cette manière de procéder s’est imposée
historiquement : les banquiers se sont en effet aperçus qu’il fallait détenir une encaisse en
billets juste suffisante pour faire face aux demandes de retraits des clients. Un problème peut
toutefois surgir lorsque les retraits sont trop nombreux ou trop importants : la banque se
trouve alors dans l’incapacité de rembourser les sommes déposées et c’est la faillite avec
toutes ses conséquences à la fois pour la banque et ses déposants. Une telle issue fatale n’est
possible que parce que l’encaisse de la banque est inférieure aux crédits distribués. Cela, en
principe, tout le monde le sait, en particulier dans les milieux bancaires et financiers. Pour
preuve, cette déclaration à L’Echo (samedi 18/10 au lundi 20/10) de Jean Peterbroeck, un
ancien président de la Bourse de Bruxelles : « Si une banque a des dépôts plus importants que
les crédits qu’elle octroie, elle ne connaît pas de soucis majeurs. »
Mais il y a pire encore, car si toutes les banques qui composent une économie sont
incapables de rembourser leurs clients – par exemple, parce qu’il y a une « ruée bancaire –,
alors c’est tout le système bancaire qui risque de tomber en faillite et de s’écrouler en
entraînant l’économie réelle dans sa chute. C’est ce que l’on appelle le risque systémique,
c’est-à-dire le risque de dislocation du système bancaire et financier et donc de l’ensemble des
paiements. Sans aller jusqu’à cette extrémité, une crise financière, même partielle, affecte de
toute façon négativement l’économie réelle.
C’est pour éviter de tels risques – spécialement le risque systémique – que tous les pays
ont les uns après les autres institué une banque centrale. Celle-ci a en premier lieu acquis le
monopole de l’émission des pièces et billets. Elle a ensuite appris à contrôler, du moins dans
certaines limites, la création de monnaie scripturale par les banques. Un des moyens afin d’y
parvenir est simple : rendre obligatoire une valeur déterminée pour le coefficient de réserve,
par exemple 10% ; on a en effet vu que plus ce coefficient est élevé et plus faible est la
monnaie créée par crédit bancaire. La banque centrale peut également freiner la création de
monnaie de crédit en imposant aux banques commerciales de constituer des réserves
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obligatoires déposées sur un compte central. De telles mesures relèvent de ce que l’on pourrait
appeler la régulation macro-prudentielle. (Notons qu’une banque centrale influence aussi la
quantité de monnaie en circulation par sa politique monétaire, notamment en faisant varier le
taux d’intérêt de référence.)
A côté de cette régulation macro-prudentielle, il en existe une autre de caractère
microéconomique. Depuis 2004, la Commission bancaire, financière et des assurances
(CBFA) est en Belgique chargée du contrôle micro-prudentiel des banques. Son objectif
général consiste en ce que les banques, qui disposent de fonds provenant du public, soient en
mesure de remplir leurs obligations vis-à-vis de leur clientèle. Du point de vue qui nous
intéresse ici, cet objectif se traduit essentiellement par la surveillance du niveau de solvabilité
des banques. De ce point de vue, il existe des normes recommandées par le Comité de Bâle
(Banque des Règlements internationaux), en particulier ce que l’on nomme le ratio Cooke
établi en 1988. En gros, l’idée est que le rapport entre les fonds propres d’une banque et ses
dettes (figurant au bilan ou hors bilan) ne doit pas être inférieur à 8%. (Le ratio Cooke relevait
des accords de Bâle, dits Bâle I ; actuellement, Bâle II s’y est substitué et a mis au centre de
son dispositif prudentiel une nouvelle version du ratio, plus sévère, connue sous le nom de
ratio McDonough.)
Pour une réforme bancaire
Dans les cercles dirigeants, le mot d’ordre est actuellement de réguler le capitalisme
financier. Ce que ces dirigeants entendent par là – mis à part quelques mesures de
nationalisation partielle ou de prises de participation décidées dans la hâte – est finalement
assez nébuleux et des plus limité. En réalité, le fonctionnement d’une banque, qu’elle soit
nationalisée ou pas, est vicié à la base. Deux éléments explicatifs sont à prendre en
considération de ce point de vue :
1. La source du profit d’une banque réside, on l’a vu, dans la différence entre les intérêts
débiteurs qu’elle fait payer sur les crédits de toute maturité qu’elle accorde et les taux
d’intérêt créditeurs, nuls en ce qui concerne les dépôts à vue. Il s’ensuit très logiquement
que plus une banque octroie de prêts et plus ses profits croîtront en conséquence. Une
banque est donc amenée à prêter toujours davantage pour maximiser sa marge
bénéficiaire.
2. Toute crise bancaire est une crise de liquidité dans la mesure où les banques concernées
se trouvent incapables de faire face à leurs engagements par suite d’une couverture
seulement très partielle de leurs dépôts à vue par la monnaie fiduciaire qui a cours légal
(l’euro en l’occurrence) ; dans un tel système, les crises de liquidité sont potentiellement
inévitables et générées en quelque sorte de manière endogène.
Ajoutons à ces deux facteurs fondamentaux que la banque moderne, c’est-à-dire celle qui
s’est mise en place durant ces vingt-cinq dernières années, fait bien d’autres choses
qu’emprunter, prêter et gérer les système de paiements ; en particulier, elle a multiplié les
opérations telles que :
la bancassurance ;
la gestion de patrimoine (le « private banking », très rentable en général !) ;
les transactions sur devises et sur produits dérivés (parfois très rentables mais aussi très
risquées !), etc.
La caractéristique de ces différentes opérations est qu’elles ne sont pas reprises dans les bilans
comptables des banques ; elles relèvent de ce que l’on pourrait appeler le « hors bilan ». Elles
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