Le Misanthrope – 5
RÉ P O N S E S A U X Q U E S T I O N S
B i l a n d e p r e m i è r e l e c t u r e ( p . 1 6 4 )
!L’enjeu de cette dispute inaugurale est multiple. C’est d’abord un reproche qu’adresse Alceste à son
ami, qui, selon lui, s’abaisse «jusqu’à trahir son âme» en traitant tout le monde (hommes de bien ou
«fats») de la même façon. Ce cas particulier permet aux deux personnages d’exposer leurs
divergences à propos des mœurs de leurs contemporains et des relations humaines en général. Alceste
prône une sincérité absolue, sans nuance. À ses yeux, ce qui s’écarte de cette règle est de l’ordre du
mensonge et de l’hypocrisie. Philinte est plus mesuré et estime que les conséquences d’un tel
comportement social sont plus néfastes que n’est mauvais le fait de «rendre [au monde] quelques dehors
civils que l’usage demande» (v.65-66). De cette différence de point de vue, Alceste déduit que Philinte
n’est pas digne d’être son ami. Cette dispute permet aussi de mettre en lumière la contradiction
interne d’Alceste qui se veut en «courroux contre les mœurs du temps» (v.107) tout en aimant Célimène
qui les incarne le mieux. L’enjeu de cette conversation est donc aussi de poser d’emblée la question de
la possibilité de l’amour entre Alceste et Célimène, qui animera l’ensemble de la pièce.
"Philinte est avant tout l’ami d’Alceste. Même si ce dernier ne l’estime plus digne d’«être de [ses] gens»
à cause de son comportement en société qu’il juge hypocrite et conforme aux mœurs du temps. Dans
une moindre mesure, Alceste et Philinte sont aussi rivaux puisque Éliante, qui «voit [Alceste] d’un œil
fort doux», a «tous les soupirs» de Philinte: celui-ci n’en fait pas mystère. Cette rivalité n’altère pas
l’amitié qu’il éprouve pour son ami. Il veut éviter les querelles et recherche le compromis
systématiquement. Il incarne la raison et la tempérance et possède nombre de qualités sociales propres à
«l’honnête homme»: modestie, délicatesse, finesse, conversation, brio, culture. Tous ces traits de
caractère l’opposent à Alceste. Les deux personnages ont souvent été perçus comme deux faces de leur
auteur: Alceste, qui représentait la mélancolie et la tristesse d’un Molière épuisé par les différentes
cabales dont il fut la victime; Philinte, le côté philosophe et désabusé d’un homme qui connaissait fort
bien le cœur humain à force de l’observer. Le personnage de Philinte est très proche de celui d’Éliante,
qui se caractérise par sa discrétion, sa sincérité et son goût de la mesure: elle ne prend jamais ombrage
du peu d’intérêt qu’Alceste lui porte ni du succès de Célimène. Elle demeure «à sa place», comme
Philinte. Ces deux personnages sont les seuls dont la fin est véritablement heureuse.
# et $Outre l’intrigue principale que constitue la relation entre Alceste et Célimène, toutes les autres
intrigues s’articulent principalement autour de ces deux personnages. Célimène est courtisée par Alceste,
Oronte, Acaste et Clitandre. Ceux-ci seuls apparaissent mais d’autres sont évoqués (notamment «notre
grand flandrin de vicomte», dans la scène finale). Seul Philinte échappe à ses charmes. Alceste, quant à lui,
est aimé de tous les personnages féminins de la pièce que sont Célimène, Arsinoé et Éliante. Toutefois,
cette dernière paraît s’accommoder avec un certain bonheur d’un mariage à venir avec Philinte.
%L’apparition d’Oronte est inattendue puisque celui-ci arrive sans être annoncé comme le seront,
plus tard, les deux marquis. Il met un terme prématuré à la conversation entre Philinte et Alceste qui
prenait un tour plus apaisé. Ceux-ci évoquaient le chapitre douloureux de l’amour d’Alceste pour
Célimène et ce dernier était en train d’en confesser le caractère contradictoire. L’entrée en scène
d’Oronte est donc de l’ordre de l’intrusion. Par ailleurs, son attitude prévenante (v.252: «comme l’on
m’a dit que vous étiez ici») et flatteuse (v.267-268: «L’État n’a rien qui ne soit au-dessous du mérite
éclatant que l’on découvre en vous») vient déranger un Alceste qui n’aspire qu’à attendre son amante afin
de s’expliquer avec elle. Il s’apparente au type du «fâcheux» lorsqu’il cherche à imposer son amitié à
Alceste et veut exiger de lui qu’il fasse l’éloge de ses talents d’auteur. Ce personnage est à rapprocher
du Suffenus que raille Catulle (Poésies, 22). Il semble odieux aux yeux du misanthrope qui finit par ne
plus contrôler son exaspération.
&Les conséquences de l’altercation entre Alceste et Oronte sont d’ordre judiciaire. Ce dernier,
s’estimant insulté, le fait convoquer par «Messieurs les Maréchaux» (II, 6). Si ce procès se termine bien,
il vient s’ajouter aux autres démêlés qu’a Alceste avec la justice et qui le contraignent injustement à
payer la somme, colossale pour l’époque, de vingt mille francs. Enfin, c’est Oronte encore qui
«appuie l’imposture» faisant d’Alceste l’auteur d’un «livre abominable». Cette altercation contribue
donc largement à marginaliser Alceste.