126 •Sociétal n°68
Dans le texte
de sa liberté.Qu’on parcoure l’article « Chemins de fer », de M. Michel
Chevalier 2,dans le Dictionnaire de l’économie politique 3– article,remar-
quable à bien des égards, et demeuré tel quoique écrit depuis près de
vingt-cinq ans –, on yverra discuter successivement tous les problèmes
que soulèvent ces voies de communication, sauf un seul :celui de savoir
si ce ne serait point à l’État de les construire et de les exploiter.L’auteur
ne semble pas mettre en doute un seul instant que cette tâchen’in-
combe à des compagnies privées. À un certain moment, il nous parle
de l’exploitation des chemins de fer telle qu’elle se faisait en Angleterre,
vers 1843 ;il nous apprend que quelques personnes trouvaient cette
exploitation « très peu conforme à l’intérêt public » et demandaient que
les chemins de fer anglais « fussent rachetés et exploités par l’État ».
Puis il ajoute :« Cette conclusion était forcée.Le gouvernement anglais
aurait eu tort de s’emparer des chemins de fer en les rachetant d’au-
torité. C’eût été une atteinte très sérieuse à l’espritd’association qui
est une des forces vitales de la société anglaise.C’eût été une attaque
contre la liberté de l’industriequi est un des attributs indispensables de
la société moderne.Jusque-là, dans les chemins de fer, les administra-
teurs s’étaient mépris, la liberté de l’industrie avait fait un écart. Ce
n’était pas une raison pour exercer envers les compagnies des violences
et pour entraver systématiquement la liberté de l’industrie en matière
de chemins de fer. Les associations étaient accessibles à la raison. La
liberté de l’industrie portait en elle-même,le temps aidant, le remède
à ses propres excès ». C’est le même auteur qui, à la find’une longue
lettre, dans une polémique avec M. Wolowski 4au sujet de la liberté
des banques d’émission, après avoir invité son contradicteur à prendre
un maître de philosophie comme M. Jourdain, lui disait :«Si donc
dans cette affaire, mon honoré confrère, vous avez présenté une œuvre
aussi peu convaincante,c’est que vous êtes entré en campagne en répu-
diant le principe de la liberté du travail :vous avez fait comme le marin
qui, en mettant à la voile,jetterait la boussole à la mer.La discussion
2. Michel Chevalier est un économiste français du XIXesiècle,qui a été professeur d’économie au Collège de France
de 1841 à 1871. Socialiste saint-simonien dans sa jeunesse,il est libéral. Il signe en tant que ministre de Napoléon
III,en janvier 1860, un traité de libre-échange avec l’Angleterre.
3. Livre paru en 1854, réalisé sous l’autorité de Charles Coquelin. L’idée était de faire mieux connaître l’économie
aux Français, jugés – déjà à l’époque – ignares en la matière.
4. Louis Wolowski est un économiste libéral. Né polonais, il est naturalisé français et participe abondamment au
débat économique,notamment sur les problèmes monétaires. Opposant à Napoléon III,il est sénateur inamovible
sous la IIIeRépublique.On lui doit la création de l’Inspection du travail.