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INTRODUCTION
Léon Trotsky, 29 juillet 1924.
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À Christian Georgevitch RAKOVSKY. Au combattant, à l’homme, à l’ami. Je dédie ce livre.
La situation de l’art peut être définie par les considérations générales suivantes.
Si le prolétariat russe, après la prise du pouvoir, n’avait pas créé sa propre armée, l’État ouvrier
aurait cessé de vivre il y a longtemps, et nous ne penserions pas maintenant aux problèmes
économiques, encore moins aux problèmes de la culture et de l’esprit.
Si la dictature du prolétariat se montrait incapable, au cours des prochaines années, d’organiser
l’économie et d’assurer à la population, ne serait-ce qu’un minimum vital de biens matériels, le régime
prolétarien serait alors véritablement condamné à disparaître. L’économie est à présent le problème
des problèmes.
Cependant, même si les problèmes élémentaires de la nourriture, du vêtement, de l’abri et aussi
de l’éducation primaire étaient résolus, cela ne signifierait encore en aucune façon la victoire totale
du nouveau principe historique, c’est-à-dire du socialisme. Seuls un progrès de la pensée scientifique
sur une échelle nationale et le développement d’un art nouveau signifieraient que la semence
historique n’a pas seulement grandi pour donner une plante, mais a aussi fleuri. En ce sens, le
développement de l’art est le test le plus élevé de la vitalité et de la signification de toute époque.
La culture vit de la sève de l’économie, mais il faut plus que le strict nécessaire pour que la culture
puisse naître, se développer et devenir raffinée. Notre bourgeoisie s’est asservi la littérature très
rapidement à l’époque où elle se fortifiait et s’enrichissait. Le prolétariat sera capable de préparer la
formation d’une culture et d’une littérature nouvelles, c’est-à-dire socialistes, non par des méthodes
de laboratoire, sur la base de notre pauvreté, de notre besoin, de notre ignorance d’aujourd’hui, mais
à partir de vastes moyens sociaux, économiques et culturels. L’art a besoin de bien-être, d’abondance
même. Les journées doivent être plus chaudes, les roues tourner plus rapidement, les navettes courir
plus vite, les écoles travailler mieux.
Notre vieille littérature et notre vieille culture russes étaient l’expression de la noblesse et de la
bureaucratie, et reposaient sur le paysan. Le noble imbu de lui-même, tout comme le noble « repenti »
mirent leur sceau sur la période la plus importante de la littérature russe. Plus tard apparut l’intellectuel
roturier, appuyé sur le paysan et le bourgeois, et lui aussi écrivit son chapitre dans l’histoire de la