Analyses bibliographiques
devenir migrante. Le processus migratoire
lui-même, appréhendé comme une aven-
ture, et la constitution d’une communauté
migrante à Delhi, dans un partage de difficul-
tés, dont celles de la langue et de la vulnéra-
bilité, occupent les deux derniers chapitres.
Les réseaux jouent un rôle crucial dans ces
trajectoires, fournissent des ressources pra-
tiques et affectives, protègent contre une
discrimination parfois violente, font circu-
ler des informations sur des opportunités
de migration plus lointaine, permettent des
mobilisations (grèves notamment). Néan-
moins, les hiérarchies et les divisions de la
profession elle-même affaiblissent la capa-
cité à se constituer en collectif.
Blandine Destremau
CNRS/LISE
DÉVELOPPEMENT
Philippe Hugon, Mémoires solidaires et
solitaires, Trajectoires d’un économiste
du développement, Paris, Karthala, 2013,
312 pages, ISBN : 978-2-8111-1039-0,
26 €
P. Hugon a eu une vie bien occupée. Il est
connu par ses livres, son enseignement et,
maintenant, par ses interventions géopoli-
tiques nombreuses (radios ou télévision), au
nom de l’IRIS, sur les questions africaines.
Mais ce livre de mémoires, très personnel,
révèle de nombreuses autres facettes de sa
personnalité et de ses activités : ses origines
(« dans une famille bourgeoise privilégiée
et dans une société demeurant fortement
structurée par les règles morales et reli-
gieuses »), l’importance de sa vie familiale
avec la place privilégiée de sa femme et de
ses nombreux enfants et petits-enfants, son
amour de la musique en tant qu’auditeur
ou chanteur, le rôle de l’amitié et de ses
relations multiples.
Il commence sa carrière comme coopérant
au Cameroun et à Madagascar comme
enseignant à l’université de Yaoundé et
de Tananarive. P. Hugon semble cependant
choisir la coopération par engagement et
aussi pour éviter d’aller en Algérie. Il se
refuse à tirer un bilan de la colonisation cin-
quante ans après. « On ne peut juger la
colonisation aujourd’hui à l’aune des réfé-
rents de l’époque et l’analyser de manière
anachronique sans prendre en compte les
contextes historiques et les représentations
dominantes. Avec le temps, la colonisation
européenne apparaît comme une strate de
civilisations s’ajoutant à d’autres... Elle appa-
raît, à de nombreux égards, comme une
parenthèse historique ».
Mais il n’en occulte pas les faces obs-
cures. Au Cameroun, « l’armée française
avait construit des camps de regroupement
sur le modèle algérien et, sur le marché
de Dschang, étaient alignées des têtes cou-
pées pour que les rebelles soient avertis
de ce qui les attendait ». À Madagascar, il
n’ignore pas que « nous vivions dans un sys-
tème post-colonial et que les événements
de 1947 (la répression) avaient fait entre
60 000 et 100 000 morts ».
D’où, cinquante ans après, P. Hugon sou-
ligne « l’ambiguïté de la coopération » et
s’interroge sur la rupture entre l’adminis-
trateur colonial et les coopérants, tout en
faisant part « d’un certain désenchantement
vis-à-vis de la libération des damnés de la
terre » et de « la nécessité de la réappro-
priation de l’histoire par les Africains ».
Au-delà de ses premières expériences, l’au-
teur décrit ses trajectoires professionnelles
d’enseignant et de chercheur dans diverses
institutions, en France et à l’étranger.
Mais il nous livre aussi ses impressions de
voyage en Afrique, Asie, Proche et Moyen-
Orient, Amérique et Europe, une manière
subjective, parfois un peu superficielle, de
rendre vivant et concret le processus de mon-
dialisation. Mais P. Hugon va plus loin dans
l’introspection et nous livre un « qui suis-
je ? » ou « ce que je crois être » (chapitre 7)
218 N°217 •janvier-mars 2014 •Revue Tiers Monde
“RTM_217” (Col. : RevueTiersMonde) — 2014/2/21 — 15:59 — page 218 — #218
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