2Apprendre à philosopher : apprendre à penser
dans le dialogue et l’intersubjectivité
Cette deuxième partie nous ramène à nos travaux de recherche privilégiés actuellement, centrés sur l’insertion de la
philosophie dans l’enseignement de la morale .
Si nous renonçons à considérer la philosophie dans la perspective traditionnelle de cet enseignement comme recours
aux textes classiques pour traiter d’un problème, si philosopher c’est avant tout questionner, douter, remettre en
question ses certitudes, exprimer clairement ses idées, invoquer « les bonnes raisons » qui permettent de les justifier
– autrement dit problématiser, conceptualiser, argumenter pour reprendre les termes utilisés par Michel Tozzi
définissant les objectifs-noyaux de la didactique de cet apprentissage qu’il a élaborée – alors il devient possible, voire
nécessaire d’y exercer les jeunes dès leur plus jeune âge pour qu’elle puisse devenir une pratique réflexive intégrée
constitutive d’une responsabilité individuelle et d’une citoyenneté engagée .
Toutes les pratiques que nous nous sommes attachés à présenter dans ce numéro s’inscrivent dans cette perspective .
Que ce soit celle de Jacques Duez qui met l’accent sur le questionnement et l’interpellation directe des élèves par le
professeur-animateur. Que ce soit celle du Programme de Philosophie pour enfants de Matthew Lipman basé sur une
méthodologie et un matériel spécifique . Que ce soit celle de Michel Tozzi développant les compétences essentielles du
philosopher par leur mise en oeuvre dans des dispositifs structurés à travers les tâches complexes de la lecture, de la
discussion et ici de l’écriture . Que ce soit celle du Groupe français d’éducation nouvelle – secteur philosophie, atten-
tive à promouvoir plus systématiquement un ancrage motivationnel préalable dans l’existentiel qu’il s’agit d’abord
d’exprimer par le recours à des techniques de narration et de créativité .
Nous avons veillé à proposer des dispositifs qui concernent en particulier toutes les formes d’enseignement : primaire,
spécial, secondaire inférieur et supérieur. Cependant leurs principes méthodologies peuvent être transférés d’une forme
d’enseignement à l’autre et revêtent de ce fait un intérêt général .
Toutes ces pratiques mettent aussi en jeu une disposition fondamentale : l’altérité, l’interpellation d’un autre ou des
autres à travers un dialogue, que ce soit un entretien singulier, un échange en groupe, une correspondance, une discus-
sion collective en communauté de recherche, voire un dialogue intérieur. Cette manière de philosopher va à l’encontre
du postulat pédagogique habituel selon lequel c’est le monologue intérieur qui génère le questionnement. « Le dialogue
est la voie royale conduisant au développement intégral de l’individu, car contrairement à l’opinion générale, c’est le
dialogue qui entraîne la réflexion et non l’inverse. En effet, quand d’une part une personne parle, un processus d’écoute
s’institue automatiquement chez cette même personne. C’est par la verbalisation que l’individu clarifie des concepts,
des opinions, des idées ou des émotions implicites, bref qu’il clarifie toute la pensée intuitive qui le caractérisait avant
la communication verbale. D’autre part, quand deux personnes discutent, il y a écoute mutuelle, concentration, com-
préhension et finalement choix et émission de réponses. Bref, le dialogue est un processus sans fin qui permet à cha-
cun – adulte et enfant – d’accéder à un niveau supérieur de réflexion, de compréhension, de connaissance» .
(M-F Daniel) 1
1. Xavier Lambiotte, Dominique Leclercq, Représentation de soi et du monde chez l’enfant, Rapport de l’INAS (Institut
d’Administration Scolaire), Université de Mons, p. 22.
Entre-vues 39-40. Deuxième partie 1