. LA PRESSE MONTRÉAL LUNDI 10 AVRIL 2006 ARTS & SPECTACLES 5 lllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllll THÉÂTRE EN BREF SYLVIE ST-JACQUES Road movie à la Maison Théâtre Du désert de l’Arizona à Memphis en passant par Graceland, la pièce Au moment de sa disparition, de JeanFrédéric Messier, se décrit comme un véritable road movie théâtral. Ce spectacle, présenté pour la première fois à la Maison Théâtre en 2001, a reçu trois Masques de l’Académie québécoise du théâtre en 2003. Dans un univers multimédia qui allie le théâtre et la vidéo, les personnages de cette pièce pour les 14-17 ans entreprennent une traversée initiatique des États-Unis qui les transporte entre le passé et le présent. (Du 12 au 23 avril à la Maison Théâtre) Supplémentaires pour Bonbons assortis Décidément, le public montréalais ne se lasse pas de ce « printemps Tremblay ». Deux dernières supplémentaires, le jeudi 27 avril, à 20 h, et le dimanche 30 avril, à 16 h, s’ajoutent à celles déjà annoncées. Toutes les autres représentations sont pratiquement complètes. Dernière chance donc de voir la nouvelle création de Tremblay. Informations : 514 845-0267. PHOTO GUNTHER GAMPER, FOURNIE PAR THÉÂTRE IL VA SANS DIRE Les comédiens Caroline Tanguay, Jacques Laroche, Julie Castonguay et Vincent-Guillaume Otis, dans une scène de L’Autre Monde, une pièce unique en son genre, présentée à Espace libre jusqu’au 29 avril. L’Autre Monde Que le vrai Cyrano se lève! JEAN BEAUNOYER CRITIQUE Un vent de fraîcheur souffle sur le théâtre Espace libre, où l’on présente L’Autre Monde. La pièce, écrite et mise en scène par Antoine Laprise et Francis Monty, rendu à Savinien Cyrano de Bergerac sa liberté et ses lettres, non pas de noblesse, mais de subversion. Libre penseur, fougueux, libertin et soupçonné d’athéisme par ses contemporains, Savinien Cyrano de Bergerac n’a plus rien (ou si peu) du malheureux et naïf Cyrano au grand nez que Rostand nous a fait connaître. C’est un Cyrano libre, curieux, qui remet tout l’univers en question dans cette audacieuse pièce. Non seulement on démythifie l’oeuvre d’Edmond Rostand, mais on démythifie également le théâtre en entrant dans la salle de répétition. On assiste à la création de l’oeuvre alors que les metteurs en scène et comédiens s’interrogent sur le personnage de Cyrano, sur son époque, et qu’ils vivent devant nous le quotidien des acteurs qui ne comprennent pas toujours le sens et les mots de la pièce qu’ils interprètent. C’est une pièce dans la pièce que nous propose L’Autre soufflait des lettres d’amour à l’oreille. On assiste ensuite à la mort de Cyrano de Bergerac, terrassé par le bois d’une lourde croix. Et Cyrano accusera le Ciel et le Christ qui a fait souffrir tant d’hommes. Quelle audace ! Quel soufflet à l’oeuvre de Rostand ! Et quelle merveilleuse aventure dans le monde du théâtre et de la création ! Un feu roulant pendant deux bonnes heures, sans répit, malgré quelques longueurs au début en présence du taLibre penseur, fougueux, libertin et soupçonné bleau conçu selon les prinde la systémique théâd’athéisme par ses contemporains, Savinien Cyrano cipes trale et que les comédiens durant les premiède Bergerac n’a plus rien (ou si peu) du malheureux utilisent res répétitions. Ce tableau et naïf Cyrano au grand nez que Rostand nous a fait prétend que toute oeuvre artistique est inscrite dans connaître. les astres, mais il n’apporte rien, me semble-t-il, au déet la Lune. Qui attirait l’autre ? Vermeulen devient la Lune avec roulement du spectacle. Les coLa Terre ou la Lune ? Cyrano une ridicule auréole jaune. Dans médiens sont particulièrement croyait que la Lune était habitée une des scènes, Cyrano couche crédibles, le décor et les accessoiet que la Terre n’était pas immo- avec la Lune, un homme. Le co- res s’inscrivent tout à fait dans le bile. Discussion autour de la ta- médien qui joue Cyrano refuse propos de la pièce, franchement ble pendant que la scénographe, de participer à une relation ho- unique en son genre. Julie Castonguay, présente sa mosexuelle. On coupe la scène. .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... . . découverte venue des États- Deux marionnettes aux pénis L’AUTRE MONDE, d’après Savinien Unis : une porte de carton repré- proéminents, Cyrano et son maî- Cyrano de Bergerac. Texte et mise en sentant les portes des quartiers tre à penser venu de la Terre, scène : Antoine Laprise et Francis d’un autre siècle. Une horreur, s’exécuteront à leur place. Le Monty. Distribution : Julie Castonmetteur en scène explique que guay, Normand Daneau, Antoine Lamais qu’importe. Arrive le comédien Benoît Ver- Cyrano était gai, comme bien des prise, Jacques Laroche, Vincent-Guilmeulen, qui, comme tous les co- hommes de son époque, et qu’il laume Otis, Caroline Tanguay et médiens, garde son nom dans la était amoureux non pas de Roxa- Benoît Vermulen. Au théâtre Espace pièce. Il déclame une longue ti- ne, mais de l’homme à qui il libre jusqu’au 29 avril, à 20 h. Monde et le génie de cette entreprise a été de laisser jaillir l’humour de plein de situations et de nous faire rire d’un bout à l’autre du spectacle. Les metteurs en scène qui s’expriment entre eux dans une langue approximativement espagnole et qui reviennent au français québécois devant les comédiens, leur expliquant autour de la table que la pièce tournait autour du rapport entre la Terre rade de la pièce tout en tâtant l’affreuse porte. Les metteurs en scène le reçoivent avec de grands égards, c’est leur vedette et jamais on ne critiquera son jeu. C’est l’un des Cyrano — parce qu’ils seront plusieurs à l’interpréter. On se transporte tout à coup sur la Lune, plus grande que la Terre, habitée par des êtres plus grands que les Terriens. Cyrano devient alors une marionnette. Vaudeville au parc LaFontaine Mais n’te promène donc pas toute nue, de Georges Feydeau, est une satire de l’enfer conjugal et des pesanteurs bourgeoises, où les vices et la peur des qu’en-dira-t-on font loi. La compagnie L’Instant monte cette semaine sur la scène du Centre culturel Calixa-Lavallée du parc LaFontaine, pour présenter cette oeuvre burlesque et riche en rebondissements. André-Marie Coudou signe la mise en scène. Informations : 514 845-1059. De la danse à la Bordée Encore cette année, le Théâtre de la Bordée aura présenté quatre chorégraphies dans les décors des spectacles qui composaient sa programmation. Dernière pièce dansée au programme, Un curioso accidente (des chorégraphes Karine Ledoyen et Harold Rhéaume), clôt cette série où le mouvement remplace les dialogues. Les interprètes exploreront l’univers du théâtre italien en transposant en danse cette oeuvre de l’auteur Carlo Goldoni. (Aujourd’hui, 20 h, au Théâtre de la Bordée, à Québec.) ENTRÉE EN SCÈNE > Le Projet Andersen, au Théâtre du Nouveau Monde, du 11 avril au 13 mai > Août, au Théâtre La Licorne, du 11 avril au 27 mai > Au moment de sa disparition, à la Maison Théâtre, du 12 au 23 avril > Mais n’te promène donc pas toute nue, au Centre culturel Calixa- Lavallée, du 12 au 16 avril et du 4 au 7 mai . llllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllll Les Châteaux de la colère Pécher par excès SYLVIE ST-JACQUES CRITIQUE Tantôt épurée (Soie), tantôt d’une délirante cohérence (City), l’oeuvre d’Alessandro Baricco nous transporte dans des mondes oniriques peuplés de personnages qui rêvent d’un ailleurs fabuleux. Les Châteaux de la colère, premier roman de cet auteur turinois, est un défilé vertigineux de chercheurs d’utopies. Adapter ce récit complexe où s’entrecroisent des dizaines de protagonistes était une entreprise casse-gueule pour la metteure en scène Geneviève L. Blais, du Théâtre à corps perdus. Son audace l’honore. Malheureusement, les moments de magie de cette pièce inégale sont noyés dans l’excès. Nous sommes à Quinnipak, petite ville issue de l’imaginaire de Baricco. L’action se situe quelque part au milieu du XIXe siè- cle. En guise de décor, deux grandes malles ainsi qu’une valise carrée suggèrent la mobilité. Les couleurs projetées en arrièreplan, qui varient au gré de la pièce, teintent les atmosphères changeantes. Une quarantaine de personnages plus grands que nature sont interprétés par huit comédiens qui vont et viennent à une cadence démentielle. Beau capharnaüm ! Heureusement, on peut compter sur quelques personnages centraux pour se fixer des repères. De Jun Reihl, on sait seulement qu’elle est la belle épouse d’un énigmatique voyageur épris de fabrication de verre et de voies ferrées. M. Reihl a un fils, Mormy, un enfant au regard de chat, qui voit ce que les autres ignorent. Il y a aussi le grandiloquent Pekisch, un compositeur exigeant qui a inventé « l’humanophone », espèce d’orgue humain où chaque personne a une note désignée. Muni de gants à la Edward Scissorhands, chaque membre du choeur qu’il dirige tient dans sa main un fil relié à une extension des doigts du chef d’orchestre. Cela donne lieu à d’amusantes prestations chorales. Pekisch vit avec une veuve qui n’a jamais été mariée et Pehnt, l’enfant qu’elle a adopté. Isolé à Quinnipak, tout ce beau monde rêve de contrées fascinantes, d’immenses palais de verre, de voyages en mer, de trains qui défilent à la vitesse de l’éclair. Des éclairages habiles et des transitions rapides entre les scènes courtes nous propulsent Le premier tiers de la pièce est rythmé et efficace... Mais ça s’essouffle. Et vite, à part ça. d’une histoire à l’autre. Cette technique fonctionne pendant un moment, avant de sombrer dans la monotonie. Le premier tiers de la pièce est rythmé et efficace. En dépit de la déferlante de personnages et de la complexité des énigmes, le jeu nuancé et vigoureux des acteurs porte la pièce à bout de bras. Mais ça s’essouffle. Et vite, à part ça. Pour transformer ce récit baroque en pièce de théâtre ficelée, il aurait fallu épurer en laissant tomber des détails encom- brants. Geneviève L. Blais a péché par excès, emportée par sa volonté de rendre intacte sur scène toute la folie de l’écriture de Baricco. Le spectateur doit faire preuve de diligence pour apprécier la richesse poétique du texte. Distrait par d’inutiles fantaisies de mise en scène, on perd le fil, si bien qu’on finit par se désintéresser du sombre destin de ces rêveurs. La cadence saccadée, pourtant enivrante au début, devient étourdissante. Après plus de deux heures de cette formule, la fatigue s’installe. Il y a malgré tout quelques moments forts et une poésie saisissante dans cette pièce. Hubert Proulx, comédien à la voix chaude, transmet avec sensibilité la fougue de l’idéaliste Pekisch, dont le talent musical croupit à Quinnipak. La piquante Sharon Ibgui interprète quant à elle avec tonus la veuve sans mari. Le Théâtre à corps perdus a tout pour faire des Châteaux de la colère un spectacle intéressant. À condition de resserrer et de couper dans le gras ! .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... .... . . LES CHÂTEAUX DE LA COLÈRE, adaptation et mise en scène de Geneviève L. Blais, une production du Théâtre à corps perdus en codiffusion avec le Théâtre Denise-Pelletier. Salle Fred-Barry jusqu’au 22 avril.