Gilles Deleuze avait comme on sait une très profonde
aversion pour la transcendance. Si bien que toute sa
philosophie peut être considérée sans réserve comme un
combat acharné contre les « mouvements d’ascension », et
ce, jusqu’à son dernier souffle : « Une vie est l’immanence
de l’immanence, l’immanence absolue : elle est puissance,
béatitude complètes » 1. Une vie pourtant que l’illusion de
transcendance ne cesse de guetter depuis toujours et de
toutes parts (QPh, 50 sq.).
La religion, forme de transcendance la plus ancienne2, sera
donc dénoncée par Deleuze dans quasiment toutes ses
œuvres majeures, tantôt comme « ennemi de la raison »
(Empirisme et subjectivité), tantôt comme « ennemi du désir »
(Anti-Œdipe et Mille Plateaux), tantôt comme « ennemi de
la création » (Qu’est-ce que la philosophie ?). Aussi de la
religion Deleuze semble-t-il rejeter à peu près tout pour
une raison singulière, qui, au-delà d’une première (fausse)
impression, n’a pas grand-chose à voir avec les
oppositions traditionnelles de type « religion vs areligion »,
« croyance vs athéisme », « homme vs Dieu », etc. Si
Deleuze s’oppose à la religion, pour peu qu’on y prête
attention, c’est moins parce qu’il est un philosophe athée
que parce qu’il est un philosophe de la création.
L’Intéressant, le Remarquable et l’Important (QPh, 80 sq.),
voilà des questions, dira Deleuze, de bon goût
philosophique. Y’a-t-il « création » ou « destruction » ?
Telle est la question fondamentale qui opère à chaque fois
comme un « rasoir de Deleuze » pour séparer l’Intéressant
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1 G. Deleuze, « L’immanence : une vie… », Philosophie, n° 47, septembre
1995, p. 3-7. Texte repris dans G. Deleuze, Deux régimes de fous et autres
textes, Paris, PUF, 2003, p. 360.
2 « il n’y a jamais eu de société sans religion », H. Bergson (1932), Les
deux sources de la morale et de la religion, rééd. Paris, PUF, 2008, p. 105.