Faire grimacer Deleuze
Soufiane Mezzourh
Septembre 2013
Abréviations
AO
L’anti-Œdipe (avec Félix Guattari), Paris, Minuit, 1972.
B
Le bergsonisme, Paris, PUF, 1966.
CC
Critique et clinique, Paris, Minuit, 1993.
IM
Cinéma I, L’image-mouvement, Paris, Minuit, 1983.
IT
Cinéma II, L’image-temps, Paris, Minuit, 1985.
D
Dialogues, (avec Claire Parnet), Paris, Flammarion, 1996.
DR
Différence et répétition, Paris, PUF, 1968.
DRF
Deux régimes de fous et autres textes, (édité par David Lapoujade),
Paris, PUF, 2003.
ES
Empirisme et subjectivité. Essai sur la nature humaine selon Hume,
Paris, PUF, 1953.
FB
Francis Bacon, Logique de la sensation, Paris, La Différence, 1981,
réédition Seuil, 2002.
ID
L’île déserte et autres textes, (édité par David Lapoujade), Paris,
Minuit, 2002.
LP
Le pli, Leibniz et le baroque, Paris, Minuit, 1988.
LS
Logique du sens, Paris, Minuit, 1969.
MP
Mille Plateaux (avec Félix Guattari), Paris, Minuit, 1980.
NGD
Nietzsche par Gilles Deleuze, Paris, PUF, 1965.
Pp
Pourparlers, Paris, Minuit, 1990.
PS
Proust et la signes, Paris, PUF, 1964, édition augmentée, 1970.
PV
Périclès et Verdi. La philosophie de François Châtelet, Paris, Minuit,
1988.
QPh
Qu’est-ce que la philosophie (avec Félix Guattari), Paris, Minuit,
1991.
SPP
Spinoza, Philosophie pratique, Paris, Minuit, 1970, édition
augmentée, 2003.
SPE
Spinoza et le problème de l’expression, Paris, Minuit, 1968.
Abc
Abécédaire [vidéo]. Montparnasse éditions, posthume [1988].
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Gilles Deleuze avait comme on sait une très profonde
aversion pour la transcendance. Si bien que toute sa
philosophie peut être considérée sans réserve comme un
combat acharné contre les « mouvements d’ascension », et
ce, jusqu’à son dernier souffle : « Une vie est l’immanence
de l’immanence, l’immanence absolue : elle est puissance,
béatitude complètes » 1. Une vie pourtant que l’illusion de
transcendance ne cesse de guetter depuis toujours et de
toutes parts (QPh, 50 sq.).
La religion, forme de transcendance la plus ancienne2, sera
donc dénoncée par Deleuze dans quasiment toutes ses
œuvres majeures, tantôt comme « ennemi de la raison »
(Empirisme et subjectivité), tantôt comme « ennemi du désir »
(Anti-Œdipe et Mille Plateaux), tantôt comme « ennemi de
la création » (Qu’est-ce que la philosophie ?). Aussi de la
religion Deleuze semble-t-il rejeter à peu près tout pour
une raison singulière, qui, au-delà d’une première (fausse)
impression, n’a pas grand-chose à voir avec les
oppositions traditionnelles de type « religion vs areligion »,
« croyance vs athéisme », « homme vs Dieu », etc. Si
Deleuze s’oppose à la religion, pour peu qu’on y prête
attention, c’est moins parce qu’il est un philosophe athée
que parce qu’il est un philosophe de la création.
L’Intéressant, le Remarquable et l’Important (QPh, 80 sq.),
voilà des questions, dira Deleuze, de bon goût
philosophique. Y’a-t-il « création » ou « destruction » ?
Telle est la question fondamentale qui opère à chaque fois
comme un « rasoir de Deleuze » pour séparer l’Intéressant
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1 G. Deleuze, « L’immanence : une vie… », Philosophie, n° 47, septembre
1995, p. 3-7. Texte repris dans G. Deleuze, Deux régimes de fous et autres
textes, Paris, PUF, 2003, p. 360.
2 « il n’y a jamais eu de société sans religion », H. Bergson (1932), Les
deux sources de la morale et de la religion, rééd. Paris, PUF, 2008, p. 105.
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de l’Inintéressant, le Nécessaire de l’Adventice, l’Élégant
du Grossier. L’Acte de création ou comment dégager les
conditions de la création en vue d’une philosophie de
l’immanence, donc une philosophie de la vie.
Lorsque Claire Parnet interroge Deleuze sur le terme
« question » dans l’Abécédaire, il répond : « Dans les médias,
ou dans la conversation courante, il n’y a pas de questions,
il n’y a pas de problèmes, il y a des interrogations (…)
‘‘Qu’est-ce que vous pensez de ceci ?’’, c’est pas un
problème, c’est une interrogation : ‘‘quelle est votre
opinion ?’’ » (Abc, « Question »). Deleuze, on le sait, et ce
depuis son premier livre Empirisme et subjectivité, a tracé une
ligne de faîte entre le questionnement philosophique et
l’interrogation (ES, 118 sq.). Dans le pire des cas, nous dit
Deleuze, l’interrogation est construite « conformément
aux réponses qu’elle veut susciter, c'est-à-dire aux
propositions dont elle veut nous convaincre » ; sinon, elle
se contente de véhiculer le « cadre d’une communauté »
(DR, 203).
Deleuze a un exemple favori pour expliquer la différence
entre interrogation et question : le pari de Pascal. Le pari
de Pascal est un fragment des Pensées Pascal évalue,
grâce aux balbutiements des probabilités, s’il vaut mieux
parier sur l’existence ou sur l’inexistence de Dieu. Deleuze
nous explique3 : on aurait tort de voir dans ce passage une
réponse à l’interrogation « Est-ce que Dieu existe ? ». En
ne voyant pas autre chose dans ce fragment, on calque sur
le texte les soucis de l’opinion « est-ce que tu crois en
Dieu, toi ? » , on s’intéresse à l’opinion de Pascal sur ce
point. Mais rien n’est moins intéressant pour Deleuze. On
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
3 L’exemple du pari de Pascal est repris par Deleuze à différents
endroits (IM, 160-161 ; IT, 230 ; Abc, « Question »).
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se fiche de savoir ce que Pascal croyait. Si on lit bien le
fragment des Pensées, on comprend que la ritable
question que pose Pascal est celle-ci : « Faut-il croire en
Dieu ? ». Le véritable sens de cette question dirige
l’attention vers une autre donnée du problème : le
problème ne concerne pas Dieu en tant que transcendance
mais l’existence immanente des hommes. Le problème est
donc en fait : « Quel est le meilleur mode d’existence : le
mode de celui qui croit que Dieu existe ou le mode
d’existence de celui qui croit que Dieu n’existe pas ? ».
Pascal s’intéresse non pas à l’existence de Dieu mais à
l’existence de celui qui croit que Dieu existe et à l’existence
de celui qui croit que Dieu n’existe pas. Au cours de la
problématisation ainsi amorcée on rencontrera d’autres
problèmes : « Va-t-on être jugé après sa mort ? ». C’est un
véritable problème car cette question établit un rapport
problématique entre Dieu et l’instance du jugement : « est-
ce que Dieu est un juge ? », etc. (Abc, « Question »). Ici, on
voit bien la différence entre, d’un côté, l’interrogation qui
suscite une opinion et s’arrête aussitôt cette opinion
énoncée, et de l’autre, la question qui amorce un problème
et conduit de proche en proche vers d’autres problèmes
toujours plus féconds.
Aussi la question « Que peut une religion ? » qui est la
nôtre entend-elle amorcer ce type de problèmes : est-ce
que la religion est créatrice ? Si oui, de quoi elle est
créatrice ? Selon quel plan et mobilisant quel(s) type(s) de
personnage(s) ? C’est le problème de la « création
religieuse », au même titre que la « création
philosophique » au ur de Qu’est-ce que la philosophie ?
Ainsi à la question « Que peut la philosophie ? » (ou
« Qu’est-ce que la philosophie ? », cela revient au même),
Deleuze répond : la philosophie crée des concepts.
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