Analyse d'oeuvre d'Histoire des Arts 2015/2016 (Mme Damblé) Affiche de Barbara Kruger Titre : « If you don't controll you mind someone else will » (Si vous ne contrôlez pas votre esprit quelqu’un d’autre le fera) Artiste : Barbara Kruger, artiste conceptuelle américaine, née le 26 janvier 1945 à Newark (États-Unis) Technique : photomontage Genre : portrait photographique /art engagé Date de création : 1980 Lieu d'exposition: The Broad Art Foudation, Santa Monica, Californie, États-Unis Dimensions: Période historique: Xxème siècle • Biographie de l'artiste: Née en 1945 dans le New Jersey, aux États-Unis, Barbara Kruger a étudié à l’université de Syracuse, dans l’État de New York, puis à la Parsons School of Design de New York. Après avoir travaillé dans le milieu publicitaire en tant que graphiste de la revue new-yorkaise « Mademoiselle » , elle a commencé à exposer ses œuvres. Elle travaille sur la vidéo, le film et l’installation, mais elle est avant tout connue pour ses collages photographiques inspirés par la publicité. Partant d’images qu’elle récupère des médias de masse, comme les journaux ou la télévision, elle emprunte des slogans au langage publicitaire afin d’en critiquer les effets. Ses photomontages comportent en général des images en noir et blanc sur lesquelles Kruger superpose du texte. Ce dernier, écrit en noir ou en blanc, en caractères d'imprimerie, est généralement présenté sur fond rouge et évoque souvent les relations sociales et les structures du pouvoir. À travers ces messages, Kruger remet en question les stéréotypes, la misogynie et les modèles dépassés des rôles homme-femme relayés par les médias. Les images qu’elle réutilise sont souvent agrandies. Comme dans une campagne publicitaire, ses œuvres communiquent leur message de manière claire, concise et catégorique. Depuis plus de vingt ans l'artiste américaine Barbara Kruger explore et révèle ainsi le pouvoir du langage dans les relations humaines comme dans les médias.Les travaux de Kruger ont d’ailleurs été exposés dans des lieux publics ou sur des panneaux d’affichage. De nombreuses expositions lui ont été consacrées. En 2005, à la biennale de Venise, elle s’est vue décerner le Lion d’or pour l’ensemble de son œuvre. Utilisant ses premières expériences professionnelles de peintre et de designer dans des agences de publicité, Barbara Kruger s'approprie des messages accrocheurs et des textes percutants qu'elle inscrit sur une multitude de supports reliés à la production de masse (posters, t-shirts, sacs de provision, cartes postales) ou à la société de consommation (marquises de cinéma, murs d'affiches, encarts publicitaires sur des autobus ou dans le métro), alors qu'en galerie, elle envahit la salle de ses photomontages, en tapisse murs, plancher et plafond (ex : l'installation « Circus » sur les parois de la Schirn Kunsthalle de Francfort où l'on peut lire l'un des messages : « La violence nous fait oublier qui nous sommes »). Kruger est actuellement professeur à l'Université de Californie à Los Angeles. • Description de l'oeuvre et interprétation: Cette image représente un portrait masculin sur un fond neutre, en noir et blanc, éclairé sur le côté gauche, cadré en plan rapproché. Le visage est en partie caché, un bandeau, de format rectangulaire, sur lequel se détache un slogan en lettres blanches sur fond rouge : « Si vous ne contrôlez pas votre esprit, quelqu'un d'autre le fera » qui recouvre les yeux du personnage et son buste. On peut reconnaître le portrait d' Adolf Hitler (1889 -1945) nommé chancelier en 1933 en Allemagne, grâce à sa moustache étroite et noire mais aussi à ses cheveux coiffés avec une raie sur le côté. Barbara Kruger utilise le langage, de manière déclarative, en détournant l'image publicitaire ou en se réappropriant des images de presse, qu'elle expose agrandies en leur rajoutant par superposition un slogan écrit en caractères d'imprimerie. L'usage de la couleur est limité à 3 : blanc/noir/rouge et différents tons de gris. L'écriture est un avertissement comme un signal sonore. • Contextualisation de l'oeuvre : Cette œuvre évoque la période de l'Allemagne nazie (1933 – 1945) où Adolf Hitler va installer une dictature aux pratiques totalitaires en cherchant à endoctriner la jeunesse et en menant une politique raciste et antisémite (cf : Lois de Nuremberg 1935). La société américaine devient, dans les années 1950, une société de consommation dans laquelle les objets et l'argent prédominent. La publicité devient aussi très envahissante. • Analyse et interprétation : En montrant une figure symbolique de l'oppression totalitaire, cette œuvre cherche à nous mettre en garde contre la menace des totalitarismes qui peuvent faire régner la terreur et restreindre les libertés. Elle nous invite à contrecarrer une autre forme de propagande, celle de la société de consommation et dénonce les manipulations des médias et de la publicité. C'est une œuvre engagée. L'usage du pronom « You » prend à parti le spectateur de manière directe, les contrastes : un slogan détonant, écrit avec de grandes lettres blanches sur un bandeau rouge qui se détache et recouvre une photographie en noir et blanc qui représente le portrait d' Hitler (reconnaissance d'un signe physique celui de la moustache), le regard est caché alors que l'artiste interpelle notre propre vision. L'artiste est comme des lunettes qui nous montrent la réalité. Le slogan fait référence au pouvoir, et à la manière dont le pouvoir détermine nos vies, nos comportements, nos corps, mais ils rappellent aussi le combat, la dénonciation, l’appel à la lutte collective. Barbara Kruger reprend les techniques de la communication et de la publicité. Son œuvre est lisible de manière directe et immédiate grâce à un langage très précis, simple, sur un mode impératif, avec un graphisme au contraste saisissant, compréhensible par tous. A propos de sa démarche artistique, Barbara Kruger dit : « Provoquer des questions concernant le pouvoir et ses effets sur la condition humaine : étudier la manière dont le pouvoir est construit, utilisé et abusé ». « Non, je ne fais pas de politique à proprement parler, je questionne le langage dans toutes ses situations … J'essaie surtout d'introduire le doute dans l'esprit du spectateur, et je lutte contre les certitudes établies telles que j'ai raison et toi t'as tort, OK ?" "Je ne dis pas que mon art a de l'effet sur autrui, mais simplement tous les jours, à Los Angeles où je vis, mais aussi à Paris ou Londres, à la télévision et dans la rue, je vois des images et des mots qui heurtent les gens, qui les influencent. Des expressions et des opinions toutes faites, des lieux communs, des modes. Il faut être fou pour ne pas croire au pouvoir du langage. Nous en faisons tous l'expérience quotidienne." Conclusion : Les images choisies par Kruger représentent fréquemment le corps humain : elle envisage le fait que le corps soit aujourd'hui considéré comme une marchandise. En associant à la fois images et textes produits par la société contemporaine pour mieux les détourner, elle nous révèle à quel point les représentations faites par les médias sont liées au pouvoir qui est exercé sur nous, et vice-versa. Barbara Kruger entend « désaliéner les corps et les consciences ». C’est d’ailleurs avec ses messages qu’elle marque un écart entre son travail et une affiche publicitaire : alors que la pub tente « d’imprimer » un message dans la conscience de celui qui la lit, Barbara Kruger utilise des slogans qui le déstabilisent : le spectateur n’est pas en effet sur ses '' bases habituelles'' pour le comprendre. Il doit alors le décoder. A qui le « you » s’adresse-t-il ? A la personne représentée ? A moi, spectateur ? A la foule des anonymes ? • Ouverture et mise en relation avec d'autres œuvres ou mouvement artistique... Cette oeuvre, par son utilisation de la méthode du détournement d’images pré-existantes, peut être rapprochée des collages anti-nazis de John Heartfield, précurseur du photomontage. Originaire de Berlin, John Heartfield 1891- 1968 (qui a anglicisé son vrai nom, Helmut Herzfeld, dès 1916 en signe de protestation contre la guerre) s'impose très vite comme l'une des figures déterminantes de l'expression berlinoise du mouvement Dada dont il était un des membres les plus actifs pendant la montée du nazisme. Surnommé le « Dada-monteur », John Heartfield s'éloignera toutefois progressivement de Dada pour s'engager plus avant dans les rangs communistes. Et maintenant il se déplace… J. Heartfield Ne vous inquiétez pas, il est végétarien. Heartfield Adolf Hitler, porte un casque à cornes évoquant le diable Vétu d’une peau de bête, le monstre siège sur le globe, le glaive pointé sur l’Europe. Adolf Hitler tatoué de la croix gammée Porte un tablier brodé de ses initiales. Il s’apprète à égorger le coq coiffé du bonnet Phrygien, évoquant la république française. « Mouvement Dada» : Dada, dit aussi Dadaïsme, est un mouvement artistique, littéraire et intellectuel qui, entre 1916 et 1925, se caractérisa par une remise en cause de toutes les conventions et contraintes idéologiques, artistiques et politiques. John Heartfield, maître du photomontage : « Précédée dans la seconde moitié du XIXème siècle par une production d'images recourant à toutes sortes de trucages photographiques et de superpositions de clichés, la technique du photomontage a été mise au point par les dadaïstes berlinois entre 1916 et 1918. [ ... ] Fondée sur la notion de montage, cette technique procède de l'organisation d'une image par juxtaposition de photographies récupérées ici et là, notamment dans la presse, puis découpées et contrecollées sur un support commun. [ ... ] » Une photographie qui devient militante : « Dans la suite logique de leur engagement militant, le 31 décembre 1918, John Heartfield et son frère Wieland, ainsi que Georges Grosz et le dramaturge Erwin Piscator, s'inscrivent au KPD (parti communiste allemand), fondé la veille par Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht. Dès lors, l'artiste consacrera toute son activité à servir la cause révolutionnaire. Il s'invente un slogan - « Utilisez la photographie comme une arme! » - et mène un combat acharné contre l'ordre, le totalitarisme et la propagande nazie.» • Dans l'art contemporain d'autres artistes, tout comme Barbara Kruger, utilisent le langage dans leurs œuvres (quelques exemples) : Ben Ben, de son vrai nom Benjamin Vautier est un artiste français d'origine suisse, né à Naples en juillet 1935 et qui vit à Nice. Ses écritures: messages humoristiques ou sarcastique sont des maximes auxquelles il croit, ou des pensées qui traversent son esprit à un moment précis, et dans lesquels chacun peut se reconnaître. Son humour aide à poétiser la vie qui nous entoure et à poser un regard neuf sur elle. Ses citations sont devenues célèbres, imprimées sur des objets du quotidien : cahiers, des sacs, des affiches. L’art d’écrire partout avec un style sobre: écriture blanche sur fond noir avec des cercles à la place des points sur les « i ». Les mots se meuvent en art, envahissant le plus possible d’espace. Joseph Kosuth One and Three Chairs 1965 Chaise pliante en bois, photographie d'une chaise et agrandissement photographique de la définition du mot chaise dans le dictionnaire. Dimensions: de la chaise 82 x 38 x 53 cm, du panneau photo 91 x 61 cm, du panneau texte 61 x 62 cm MOMA, New-York La démarche de Kosuth (artiste américain né en 1945) s’est rapidement concentrée sur le rôle du langage et du sens des mots dans l’art, définissant ainsi l’art conceptuel dont il est l’un des fondateurs. Il développe ainsi une formule qui devient une véritable démarche de création : l’idée de l’art et l’art sont la même chose. Un objet d’usage courant, une chaise en bois, est montré entre sa définition issue du dictionnaire et sa photographie à l’échelle 1. L’installation expose alors trois représentations d’une même chose, trois approches distinctes de la réalité d’un même objet; l’ensemble dépasse ainsi l’objet pour approcher le concept : une chaise idéale. Bruce Nauman Une installation de néons de l’artiste sculpteur et vidéaste américain (né en 1941), présentée à la Biennale de Venise en 2015, sur le thème : « Tous les futurs du monde », comportait des mots : « life, death, love, hate, pleasure et pain » qui clignotaient en alternance et en résonance dans un dialogue sans fin circulaire. La couleur et la luminosité attrayantes ainsi que les mots inscrits sur le cercle représentent avec ironie et humour les contradictions inhérentes à la condition humaine et ses oppositions, le sexe et la violence, l’humour et l’horreur, la vie et la mort, le plaisir et la douleur. Rémy Zaugg Ses tableaux épurés, composés de mots, de phrases, remettent constamment en question les enjeux de la perception et en aucun cas n’admettent la passivité de la vision. Voir est donc un acte engagé et le regardeur toujours en activité car confronté aux tableaux où figurent des sentences et dans lesquels la couleur et la composition s’imposent jusqu’à saturation ou disparition, les choses vues comme les choses pensées tour à tour s’effacent et ressurgissent. Couleurs vives pour déclarer que l’écriture est voyante, capable de voir le regardeur. Les rôles sont inversés. Véronique Barthe Véronique Barthe (née en 1965 à Toulouse) ne joue pas simplement sur la signification et l'interprétation de mots, mais aussi sur leur forme et leur composition. Ainsi son oeuvre, malgré une apparence qui la rattache au domaine du graphisme publicitaire, détourne ce dernier et l’ouvre à une pluralité de sens et de questionnements. Ses œuvres, mélange de signes chromatiques et de jeux de mots, à la frontière de la communication visuelle et de la poésie, interroge directement le public, avec ironie, sur des sujets intimes mais aussi sur ce qui fait signe dans une oeuvre et sur notre manière de voir. • Autres œuvres de Barbara Kruger : « J'achète donc je suis » - 1987 « Vous ne pouvez pas emporter avec vous votre argent dans la tombe » - 1990 « Toute violence est l'illustration d'un stéréotype pathétique » installation à la Mary Boone Gallery (New-York) – 1991 « Circus » installation à la Schirn Kunsthalle de Francfort – 2010