© Hatier 2002-2003
dit, le sujet conscient n’est pas seulement ouverture sur un objet mais aussi retour sur lui-
même : toute conscience est conscience de soi. Cette réflexivité de l’expérience de la
conscience est une structure que le sujet découvre en lui, qu’il peut décrire mais qu’il ne peut
produire.
C. La conscience, trouble fonctionnel ?
On peut s’interroger sur l’origine de cet état de dédoublement réflexif du sujet qui définit,
comme nous venons de le voir, la conscience. Si l’homme se distingue par sa capacité à
prendre conscience du monde et non pas seulement à répondre aux sollicitations sensorielles
de l’environnement, c’est peut-être au prix de la perte d’une certaine cohésion intérieure.
L’être conscient adhère-t-il en effet encore à lui-même ? Peut-il encore être spontané s’il fait
toujours retour sur lui-même ? Réflexions, doutes, hésitations, débats intérieurs… semblent
témoigner d’une véritable incapacité à être, à s’affirmer, à accepter la vie dans ce qu’elle a
d’immédiat et de changeant. L’homme conscient, ne se confondant pas avec ce qu’il ressent
immédiatement, paraît être un animal malade de lui-même.
Qu’elle soit conçue comme normale ou comme pathologique, la conscience semble être,
d’après ce qui précède, une condition que l’homme subit, qu’il trouve en lui comme son
horizon naturel. Or ne se pourrait-il pas que l’homme ne soit pas spontanément conscient mais
le devienne en participant à la communauté humaine ?
2. La conscience comme effet culturel
A. Le rôle du langage dans la conscience
Nous avons souligné plus haut que la conscience consistait non pas en une simple réceptivité
sensorielle mais surtout en un dédoublement réflexif. Or n’est-ce pas le langage qui nous
permet de prendre ce recul par rapport à ce que nous ressentons ? Percevoir, avons-nous dit,
consiste toujours à reconnaître un objet. Mais qu’est-ce que reconnaître si ce n’est être en
mesure de nommer ou d’articuler verbalement ce qui est perçu ? Prenons l’exemple d’un état
intérieur. Lorsque je m’aperçois que j’ai chaud, que je m’ennuie ou que je suis amoureux, la
prise de conscience n’est pas l’effet de la présence en moi de la seule sensation ou du simple
sentiment. Quelques secondes avant de m’apercevoir de la chaleur ambiante, mon corps avait
déjà chaud. La prise de conscience à proprement parler n’a lieu qu’à partir du moment où je
me dis : « Il fait chaud ! » Sans les mots, nous serions la proie de nos sensations sans être
capables d’y distinguer quoi que ce soit ; nous subirions l’existence et nous ne serions
conscients de rien ; nous réagirions instinctivement sans jamais rien comprendre. Bref,
« nous », en tant que sujets conscients, n’existerions même pas.
B. Le monde est construit
C’est donc une illusion de croire que le monde dont nous avons conscience existe par lui-
même et se révèle seulement à nous par l’intermédiaire de nos sens. Tous les objets de ce
monde, tout ce qui le compose, les événements, les personnes, les choses, etc., sont construits
par le langage. Le verbe n’est pas miroir, il est créateur. Une fleur, par exemple, n’est pas un
objet en soi, existant par elle-même, indépendamment du regard qui se pose sur elle et que la
vue ne ferait que découvrir. Deux individus ayant les mêmes yeux verront deux fleurs
différentes : si l’un est botaniste, il y distinguera une richesse de détails qui n’existeront pas
pour l’autre qui n’y verra peut-être qu’une composition de couleurs et un mélange d’odeurs.
L’idée d’une fleur absolue, qui existerait en elle-même au-delà de ce que les sens et
l’intelligence des hommes peuvent en saisir, n’est qu’une fiction. Si cette fleur absolue devait
exister pour un point de vue divin, elle resterait irrémédiablement étrangère au monde