université qui est à la fois nationale et très loin de Pékin, il règne une atmosphère de discussion dont nous
avons profité pour comprendre les tenants et aboutissements des débats en cours.
Pour ce qui est de l’étude du taylorisme en France, nous appuierons sur les travaux du Groupe Lyonnais
de Sociologie Industrielle à la constitution duquel nous avons participé, sous la direction de Philippe
Bernoux. Le taylorisme a d’abord été abordé à travers des questionnaires d’opinions très utilisés par les
sociologues dans les années soixante. Mais il est apparu, que les ouvriers n’avaient pas le même langage
que les sociologues, ce qui donnait lieu à des erreurs d’interprétation. Alors l’idée fut d’utiliser les
méthodes des ethnologues, lesquels étaient aussi confrontés à des difficultés de langage. Les chercheurs
du GLYSI ont alors engagé des observations participantes, se faisant embaucher comme OS. Les
chercheurs notaient leurs observations et les discutaient avec les collègues afin de conserver un point de
vue critique sur ce que nous croyions comprendre et un fil conducteur de l’observation. Par la suite, nous
nous sommes centrés sur l’observation des tentatives organisationnelles pour sortir du taylorisme,
enquêtes qui nous ont permis de comprendre mieux encore le point de vue des ouvriers.5
Nous allons maintenant essayer de comparer les comportements d’ouvriers taylorisés français et
d’ouvriers chinois pendant des grèves qui nous semblent, dans les deux cas, caractéristiques de la
taylorisation. En France, les grèves sont un phénomène ancien et bien installé dans le paysage, les
ouvriers n’ayant pas attendu le taylorisme pour exercer ce qui y est un droit constitutionnel. Mais
certaines grèves sont apparues liées au taylorisme. Ce sont des grèves apparues autour des années 65 et
surtout présentes dans le tout début des années 70. Des ouvriers taylorisés se mettaient en grève et
souvent le faisaient sans respecter les procédures légales de l’époque, ni s’appuyer sur les syndicats
reconnus. Les employeurs étaient plus surpris encore lorsque ces grèves concernaient des ouvriers
d’origine rurale, appelés à l’époque « ouvriers - paysans ». En effet, ces ouvriers avaient été recrutés
précisément du fait d’une réputation de docilité et d’acceptation résignée des longues heures de travail
monotone. Et voilà que tout d’un coup, ils se mettaient en grève, généralement sans préavis, souvent sans
porte-parole identifié. Ces grèves étaient d’autant plus violentes que les employeurs peinaient à trouver
quoi négocier et avec qui. Nous allons voir que le phénomène que nous avons observé en Chine du sud
ressemble de façon surprenante à ce mouvement6. Mais tout d’abord, il convient de revenir sur une
théorisation de la logique de la grève.
La#logique#de#la#grève#
Mancur OLSON est célèbre pour une théorisation de l’action collective publiée en 1965. D’après lui, la
grève est d’abord le résultat d’un calcul : les ouvriers regardent ce qu’ils risquent de perdre (heures non
payées, répression) et ce qu’ils risquent de gagner (augmentation de salaires)7. Cette idée de recherche de
l’intérêt correspond bien à l’état d’esprit de nombres d’ouvriers chinois. D’après OLSON, il n’y a pas de
grève sans contrainte, car on a toujours intérêt individuellement à ce que les autres fassent grève pour
avoir une augmentation, mais pas à faire soi-même grève pour ne pas perdre de salaire. La contrainte
demande un minimum d’organisation, et cela explique pourquoi les grèves étaient si difficiles à organiser
jusqu’ici en Chine, car on sait à quel point l’Etat chinois écrase violemment tout début d’organisation
concurrente du Parti
Dans de nombreux interviews, nous entendons des ouvriers chinois de la région cantonaise dire qu’ils ont
fait grève ou qu’ils envisagent d’en faire une. Cela est pour nous une nouveauté. Pour comprendre, ce
changement d’attitude, il convient de brosser un tableau rapide des changements survenus dans la classe
ouvrière chinoise. Les ouvriers d’aujourd’hui ne ressemblent guère à ceux d’hier. Dans la Chine des
trente premières années du régime communiste, être ouvrier voulait dire avoir un certain niveau
d’instruction et le privilège de travailler pour l’Etat. C’était une fonction enviée. Les réformes ont réduit
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X%Ph. BERNOUX, J. RUFFIER 4/74.
J. RUFFIER (1976%
i%`;"?%.%Jean RUFFIER (2011
Z%OLSON (1971)%