Timothy Daly, auteur et dramaturge australien, crée un
univers grotesque qui met en scène dans un ballet alterné : le
rêve et la réalité, les fantasmes et le quotidien, l’assimilation
et le retour aux origines. Kafka voit le cauchemar hilarant de
son univers quotidien qui le relègue toujours aux « utilités » se
muer en un rêve théâtral où il peut jouer enfin – en acteur
principal - son personnage, son histoire, sa vie. Les acteurs de
la Comédie sont doubles : l’entourage de Kafka se
métamorphose grâce à un appendice ou un accessoire
disproportionné (un nez, une joue, une unique papillote…) en
une famille théâtrale excessive, tonitruante, envahissante.
Hermann, Julie, Ottla et Felice deviennent les figures
emblématiques et souvent ridicules du Père (
« le patriarche
incompris qui, en bon époux juif attentionné, interprétera la
victime d’une façon qui ne manquera pas d’émouvoir tout le
monde, sauf les chrétiens et les cyniques »
), de la Mère (
« la
mère juive si calomniée, dont le destin est d’aimer trop et
dépenser trop peu mais qui en dépit de cela, demeure
excellente cuisinière et femme d’intérieur… »
), la Soeur
(
«tragiquement déchirée entre l’amour filial et la poursuite
égoïste de son propre destin »
) et la Fiancée (
« Un mariage
bourgeois connaît par-dessus tout la pression. Lorsque l'amour
est mort, seule reste la pression, souvenir d'heures plus
heureuses »
)…
Kafka reçoit des leçons de théâtre de la part d’acteurs en
quête d’auteur – la sainte famille en quête de Fils. Tous les
codes de jeu y sont démontés : du réalisme intimiste, on saute
à l’agrandissement stylisé qui n’est pas sans rappeler
l’expressionnisme et le théâtre des années vingt. On y passe
allègrement de la métaphore (l’empoisonnement : du figuré au
littéral) à la pantomime du signe – avec le pantin de Kafka.
Tout se joue autour d’une table : table de la famille, tréteau
du théâtre yiddish, table de l’écrivain…Une table étrange,
disproportionnée, bancale autour de laquelle tout danse. Car
on y danse, on s’y écorche, on y meurt dans une intimité qui
n’est pas sans rappeler « Kvetch » de Berkoff. Une comédie
jubilatoire dont on ne sort pas indemne…