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aux-privileges-des-tunisiens-residents-a-letranger,519,56178,3
Interview de Mehdi Mahjoub : Comment la Tunisie peut profiter
du régime FCR sans toucher aux privilèges des Tunisiens
résidents à l’étranger
Mehdi Mahjoub, directeur général de City Cars, concessionnaire de Kia Motors en Tunisie, et porte-
parole de la Chambre syndicale des concessionnaires automobiles, nous a reçu dans son bureau au
showroom de Kia à l’avenue de Carthage au cœur de Tunis, un lundi 25 mai 2015, pour revenir sur un
sujet qui touche tous les concessionnaires : le marché parallèle et le régime FCR. En effet, après 4 ans de
lutte pour préserver ce secteur et alors qu’ils croyaient voir la fin du tunnel et le début d’une nouvelle ère,
la nouvelle décision du chef du gouvernement, Habib Essid, de faire bénéficier les familles tunisiennes,
lors de leur retour définitif outre d’un premier véhicule RS (sans droit de douane), d’un second véhicule
avec droit de douane réduit à 25%. Cette nouvelle est tombée comme une foudre sur les acteurs de ce
secteur…
Business News : Pouvez-vous nous faire un topo sur le secteur automobile en Tunisie ?
Mehdi Mahjoub : Le marché automobile en Tunisie est soumis à un ensemble d’autorisations (cahier de
charge, agrément concessionnaire délivré par le ministère du Commerce) alors qu’il devrait être un
marché ouvert comme n’importe quel secteur économique en Tunisie. L’ouverture du marché ne peut
qu’améliorer la concurrence, l’investissement et les impôts collectés. Aujourd’hui, le marché est toujours
soumis au système des quotas, qui est illégal. Ceci dit, la chambre a convenu avec le ministère du
Commerce d’augmenter graduellement les quotas donnés aux importateurs jusqu‘à l’ouverture du marché.
Pour cette année, les deux parties se sont mises d’accord sur l’augmentation des quotas de 45.000 à
60.000 véhicules afin de limiter la pression du marché parallèle sur le marché officiel. Un marché qui ne
cesse de prospérer représentant jusqu’à fin avril 38% du marché automobile global alors qu’il était de
20% en 2010 : donc la part du marché parallèle a doublé en quatre ans. Contre partie, quand on dit marché
parallèle, cela veut dire pas de TVA, pas d’impôts, pas d’emplois et pas d’investissements outre le fait
qu’on ignore la provenance du véhicule et l’origine des transactions.
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En tant que Chambre, nous avons trouvé une oreille attentive de la part du ministère du Commerce et une
écoute des professionnels et de leurs problèmes, d’où la décision de créer une commission qui intégrerait
outre les opérateurs, les services du ministère du Commerce ainsi que des représentants des ministères de
l’Industrie et du Transport, de la Douane et de tous les services concernés. L’objectif étant de faire une
série de rencontres pour trouver les mécanismes pour réformer ce secteur, de telle sorte que tout le monde
soit satisfait (consommateurs, Etat et opérateurs) outre le fait de trouver une solution pour que les
opérateurs du circuit informel intègrent le circuit formel.
Ainsi, quelque soit la provenance du véhicule (parallèle ou formel), la taille du marché est de 75.000
véhicules : le problème est que le marché parallèle est en train de bouffer des parts du marché officiel à
cause du système des quotas et des restrictions imposées aux importateurs. Sous ces conditions, les
concessionnaires sont incapables de développer leurs services et les réseaux comme il faut.
Autre point, le seul moyen transparent et équitable par rapport à la distribution des véhicules entre les
concessionnaires, c’est l’ouverture du marché. C’est ce que réclame la chambre : l’application de la loi !
Les 75.000 véhicules du marché automobile provenant du marché parallèle et du marché officiel sont tous
intégrés dans la balance commerciale du pays : les quatre dernières années ont démontré que les quotas
supprimés aux concessionnaires sont fournis par le marché parallèle, avec des entrées fiscales en moins
pour l’Etat et la dégradation de l’état de la balance commerciale du pays.
Sachant que les importations de véhicules ne représentent que 2,5% des importations totales de la Tunisie
alors que les exportations du secteur automobile, à travers les PME créées grâce aux concessionnaires
automobiles, représentent 41% des exportations totales du pays en 2014, soit 4 fois le montant
d’importation des véhicules. Donc, le secteur automobile s’autofinance largement.
Malgré cela, les concessionnaires subissent une pression inexpliquée. En 2012, le marché des camions a
été ouvert, sans encombre : le marché s’étant régulé avec des importations qui ont baissé, un meilleur
service et un meilleur rapport qualité prix, encourageant les concessionnaires à fournir de meilleurs
services, à étendre leurs réseaux, à créer de l’emploi et donc à développer l’économie.
Quel est l’apport du secteur officiel dans l’emploi et l’impôt ?
Tous les concessionnaires réunis sont responsables au moins de 10.000 emplois directs alors que les
emplois indirects sont inestimables (leasing, location de voitures, annonceurs, investissements
publicitaires, sponsoring, mécénat, fournisseurs d’outillages, réseaux de garagistes, électriciens,
revendeurs de pièces de rechange, experts automobiles, assureurs, etc.). Le secteur automobile est un
secteur très dynamique qui crée de l’emploi, on ne peut pas calculer les emplois indirects.
En termes de TVA et d’impôt, le secteur automobile fournit aux caisses de l’Etat au moins 100 millions
de dinars par an avec sa taille actuelle. Si on réussit à intégrer le secteur parallèle dans l’officiel, cela
permettra de doubler facilement les recettes de l’Etat en provenance de ce secteur, d’encourager
l’investissement notamment dans les régions et la création d’emplois.
La notion de marché parallèle dans le secteur automobile n’est pas claire pour certains. Pouvez-
vous expliquer ce concept ?
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Le marché parallèle n’est pas le marché noir : ce sont des véhicules qui se vendent au vu de tous. Ce
marché provient du commerce du privilège du régime FCR accordé au Tunisiens résidents à l’étranger
lors de leur retour définitif en ne payant que 25% des droits de consommation imposés sur les véhicules
pour qu’ils puissent la vendre. Le marché des FCR s’est développé rapidement depuis la révolution à
cause des restrictions à l’importation imposées aux concessionnaires. Ainsi, une grande partie des
Tunisiens résidents à l’étranger au lieu de bénéficier eux même de ce privilège fourni par l’Etat, ils
vendent ce droit à des intermédiaires qui ramènent les véhicules en Tunisie puis les vendent sur le marché
parallèle. Ces véhicules ne sont pas soumis ni à une homologation technique, ni agrément
concessionnaire alors que les fournisseurs ne créent pas d’emploi, ne fournissent pas de service après
vente ou de garantie. Ainsi, le consommateur tunisien se trouve finalement lésé en cas de pépin
(problèmes techniques, véhicules volés et maquillés, trafics de compteur, etc.). Ainsi et pour prévenir
toute arnaque et défendre le consommateur final, la chambre propose deux solutions : Soit les véhicules
sont importés à travers les concessionnaires, soit le véhicule ne peut être vendu qu’au bout de trois ans de
la date d’import.
Nous, comme Chambre, ne sommes pas contre les Tunisiens résidents à l’étranger, bien au contraire nous
voulons les encourager à revenir au pays et à faire entrer la devise au pays, mais nous sommes contre le
commerce de ce droit, comme c’est le cas pour tous ceux qui ont des privilèges et qui n’ont pas le droit le
vendre : les bénéficiaires de la voiture populaire, les propriétaires de taxi, les agences de location de
voiture, etc. Pourquoi permettre aux Tunisiens résidents à l’étranger de vendre ce privilège, tout en faisant
proliférer un circuit de vente de véhicules sans contrôle ? Pourquoi le simple citoyen tunisien n’a aucun
privilège ? Les gens croient que les voitures sont chères parce que les concessionnaires sont en train de
s’en mettre plein les poches, mais les véhicules sont chers car un impôt (droit de consommation et TVA)
de 40% qui peut atteindre 100% doit être payé pour chaque véhicule à l’importation. Pourquoi ne pas
permettre au citoyen tunisien ou à la famille tunisienne de bénéficier, une fois dans sa vie ou une fois tous
les dix ans, d’un véhicule sans droits et taxes ? Cette mesure pourrait concerner les plus démunis ou ceux
qui n’ont jamais acheté de véhicules. Ceci ne peut que développer l’économie tunisienne et encourager
les citoyens tunisiens à mieux servir le pays.
Qu’en est-il de la promesse du ministre du Commerce, Ridha Lahouel, d’augmenter les quotas accordés
aux concessionnaires de 45.000 véhicules accordés en 2014 à 60.000 véhicules en 2015 ?
Le ministère s’est engagé à nous accorder un quota global de 60.000 véhicules et d’organiser nos
programmes d’importation sur la base de cette nouvelle donne. Le bureau exécutif de la chambre s’est
réunit et a mis en place un projet de distribution, comme convenu avec la Chambre syndicale des
concessionnaires automobiles qui s’est engagée de répartir à sa manière les parts entre les différents
intervenants. Ce projet a été voté à l’unanimité et a été signé par tous les concessionnaires lors d’une
Assemblée générale des concessionnaires tenue mardi 28 avril. Un programme qui n’est pas fixe dans
l’année, mais qui évolue selon les performances de chaque concessionnaire. Jusqu’à aujourd’hui alors
qu’on est pratiquement à la moitié de l’année, nous n’avons pas eu de feedback du ministère du
Commerce et nous attendons son accord final, sachant que le ministre a donné son accord de principe.
Donc, aucune vision pour nos importations alors qu’il faut trois à quatre mois pour planifier la production
des véhicules.
En contre partie, nous sentons qu’il y a des blocages pour quelques concessionnaires parce qu’il n’y a eu
aucune information de la part du ministère informant les parties concernées sur la révision des quotas.
Sachant que les quotas de 45.000 ou même de 60.000 sont illégaux, car selon les accords avec l’OMC, le
marché de l’automobile est libre et ouvert.
Alors que nous bataillons toujours pour obtenir une augmentation de quotas, nous venons d’entendre la
décision de la présidence du gouvernement, en espérant qu’il ne s’agisse pas déjà d’une loi, de faire
bénéficier les familles tunisiennes lors de leur retour définitif, d’un second véhicule avec droit de douane
réduit à 25%, outre un premier véhicule RS sans paiement de droits et taxes.
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Nous sommes étonnés par cette décision, étant donné que nous nous sommes mis d’accord avec la le
ministère pour se concerter sur tout ce qui concerne le secteur, surtout que nous avons notre propre avis et
notre propre position à ce sujet. Nous réclamons un éclaircissement avant que cette décision ne revête la
force de loi et de nous faire participer à ce genre de décision, étant au final responsable de ces véhicules
qui entrent sur le marché (SAV, pièces de rechange, réparation, entretien,…).
Rappelons que cette décision n’est pas la première du genre vu que les autorités avaient décidé
d’augmenter en 2012 l’âge des véhicules importés sous le régime FCR de 3 à 5 ans, d’où le vieillissement
du parc automobile, une consommation de carburant plus importante, qualité de carburant pas compatible
avec véhicule, etc.
Alors qu’on travaillait avec le ministère du Commerce sur les réformes à faire dans le secteur, nous avons
été surpris par cette décision. Mais est-ce que cette décision va soutenir l’économie tunisienne ou le
marché parallèle? Est-elle en faveur du marché officiel ou du marché parallèle ?
Quel est l’impact de cette nouvelle décision sur les concessionnaires et sur l’économie nationale ?
Aujourd’hui, nous ne pouvons pas parler d’impact. Il faut d’abord connaitre la teneur de cette décision. Si
l’importation de ces véhicules se faisait à travers les concessionnaires, ce serait une bonne chose pour tout
le monde : une garantie de fiabilité pour le consommateur, de la devise qui entre au pays, des impôts et
taxes versés dans les caisses de l’Etat, des devises qui restent 180 jours dans le pays car les
concessionnaires règlent leurs fournisseurs dans ces délais, … .
Mais si les véhicules sont importés librement, comme c’est le cas actuellement, et que chaque membre de
la famille aura droit à deux véhicules, ce serait une réelle catastrophe ! Au risque de me répéter, nous ne
sommes pas contre les Tunisiens résidents à l’étranger mais nous sommes contre le commerce de ce droit.
Si les Tunisiens veulent faire bénéficier le pays d’un apport en devise, il devrait acheter leur véhicule d’ici.
Pour faire entrer de la devise, le gouvernement pourrait donner une totale liberté sur les véhicules RS et
imposer que le second véhicule soit acheté en Tunisie, par exemple.
La chambre demande au gouvernement de prendre le temps avant de prendre ce genre de décision qui
peuvent impacter l’économie tunisienne et les opérateurs du pays. Elle demande également à faire
participer les gens du métier.
Nous voulons rencontrer le chef du gouvernement pour parler de ce sujet et lui démontrer les dangers de
ce genre de décision et comment nous pouvons canaliser ces achats là pour en faire bénéficier l’économie
tunisienne, les concessionnaires, les consommateurs finaux et l’Etat, sans toucher aux privilèges des
Tunisiens résidents à l’étranger.
Interview menée par Imen NOUIRA
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