LA THEORIE DES ZONES MONETAIRES
OPTIMALES SADRESSE-T-ELLE AUX PAYS EN
DEVELOPPEMENT ?
Brahim Razgallah1
RESUME :
La théorie des zones monétaires optimales avait l’avantage de présenter le choix d’un régime
de change en terme d’une analyse coûts-bénéfices. Elle s’est cantonnée à l’aspect
asymétrique des chocs tout en évacuant l’aspect structurel. Cet article se propose de
réexaminer la théorie et de démontrer l’importance du niveau de développement dans
l’adoption d’une monnaie unique. Il sera démontré que l’analyse théorique supposait
implicitement l’homogénéité structurelle des pays de la zone monétaire.
Mots clés : zones monétaires optimales, unions monétaires, taux de change réel.
Classification JEL : F32, F33.
1 C.E.R.S.E.I-3D.I. Université Panthéon-Assas (Paris II). [email protected]
1
Introduction
L’arrivée de l’Euro au 1er janvier 1999 s’est vue accompagnée la même année, par
l’attribution du prix Nobel à Robert Mundell. Ce dernier, qui se voit considéré aujourd’hui
comme le père de l’Euro, a introduit dans son célèbre article de 1961, la notion de Zone
Monétaire Optimale (ZMO). Cette théorie a souvent été associée à l’élaboration de l’Union
Monétaire Européenne. Il existe néanmoins un consensus étonnant quant à l’acception du
pouvoir explicatif de cette théorie.
L’approche des zones monétaires optimales avait l’avantage de présenter le choix d’un
régime de change en terme d’une analyse coûts-bénéfices. Elle s’est cantonnée néanmoins –
ainsi que les contributions successives–, à l’aspect asymétrique des chocs tout en évacuant
l’aspect structurel. La théorie est restée également confinée à un débat académique et n’a pas
réussit à s’imposer comme une théorie sous-jacente des unions monétaires. Dans le processus
de construction monétaire européenne, elle a ainsi été considérée d’un intérêt limité.
Cet article se propose de réexaminer la théorie et de démontrer l’importance de
l’aspect structurel dans le processus d’unification monétaire. La première section reconsidère
les critères de mobilité des facteurs, d’ouverture et de diversification. Il sera démontré que ces
critères supposaient implicitement que les pays ont des niveaux de développement
comparables. Ensuite une attention particulière sera portée sur la convergence des taux
d’inflation et la nature institutionnelle du marché de travail.
1. La théorie des Zones Monétaires Optimales
Si Mundell a été le premier à définir clairement les ZMO en terme d’un arbitrage coût-
bénéfice, cette théorie retrouve son origine dans les idées de Keynes. Ce dernier considérait
que les prix et les salaires étaient rigides et que la faible mobilité des capitaux limitait
l’efficacité des politiques économiques.
Dans la théorie traditionnelle de l’échange international, les facteurs de production
sont supposés être mobiles à l’intérieur d’un pays et immobiles à l’extérieur. Le commerce
international contribue à l’égalisation des prix des facteurs de production (Heckscher [1919],
Ohlin [1933], Samuelson [1948]).2 Cette hypothèse de mobilité des facteurs fut critiquée par
H. Williams [1947] et représenta le point de départ de la théorie des ZMO. Une région n’étant
plus identifiée par ses frontières géographiques, mais plutôt par la mobilité des travailleurs. Le
déséquilibre des balances des paiements des pays dans une union économique est ainsi corrigé
grâce à la dite mobilité.
1.1. La mobilité des facteurs
La relaxation du postulatum d’immobilité des facteurs et son application à la théorie
monétaire de l’économie internationale, permirent à Mundell [1961] de définir la notion de
ZMO en terme de la mobilité des facteurs. Cette hypothèse étend la pertinence de l’analyse
2 Cette égalisation des prix des facteurs de production fut critiquée par Balassa [1961]. Entre des pays ayant des
structures de production similaires et peu de différence dans la qualité de leurs facteurs de production, le
commerce international contribue à l’égalisation des prix des facteurs, sans que celle-ci soit totale.
2
des changes flottants, du cadre national au cadre régional ; les monnaies nationales devant être
abandonnées au profit d’une monnaie commune.
Lorsque la mobilité des facteurs est élevée entre deux pays et faible à l’extérieur, ces
pays ont alors intérêt à avoir un taux de change fixe entre leur monnaie. La dialectique entre
changes fixes et flottants se réduit alors selon Mundell, à une question empirique. Ces zones
monétaires optimales qu’il nous présente, ne sont pas dessinées sur des cartes géographiques.
La notion de frontières disparaît et cède la place à la mobilité des facteurs de production.
L’argument de stabilisation de l’inflation et du chômage de Mundell reposait
implicitement sur l’hypothèse d’homogénéité des fonctions de production [Kenen, 1969,
p.42]. Les changements de productivité se reflètent dans les termes de l’échange,3 qui
conditionnent à leur tour le mécanisme d’ajustement. Les producteurs sont supposés disposer
de technologies semblables et employer des travailleurs à compétences comparables. De plus,
ces producteurs font face à la même fonction de demande. Ce qui facilite la mobilité du travail
et contribue à une meilleure allocation de l’emploi. Dans une perspective dynamique, cette
hypothèse implique que le niveau de technologie utilisée évolue dans le même sens dans les
différentes régions. Autrement dit, Mundell exclut des divergences structurelles importantes
entre les pays.
L’analyse géographique, souvent attribuée à Mundell serait fallacieuse, puisqu’elle a
été employée uniquement dans un but pédagogique d’exposition [Kenen, op. cit. p.42]. Les
régions, se distinguent en effet, par la composition de leurs produits en dotations factorielles.
Si les biens de l’une des régions sont plus intenses en facteur travail, l’ajustement des
balances de paiement ne pourra se réaliser que partiellement. À titre d’exemple, suite à un
choc de demande en faveur de l’une des régions, la demande de travail sera excédentaire dans
celle-ci et déficitaire dans l’autre région. Dans cette dernière, le chômage ne peut être
totalement résorbé, vu que cette région produit des biens à intensité factorielle moins élevée.
Toutes choses égales par ailleurs.
“When regions are defined by their activities, not geographically or politically,
perfect interregional labor mobility requires perfect occupational mobility. And this can
only come about when labor is homogeneous or the several regions belonging to a
single currency area has always to be small.” [Kenen, op. cit. p.44].
Stricto sensu, la citation de Kenen n’implique pas que le niveau de développement doit
être le même, mais plutôt que la taille de la zone monétaire doit être limitée. Ainsi la mobilité
des facteurs sera d’autant plus importante qu’il s’agisse du même produit. Or, comme le
notent Mundell et Kenen cet argument serait dénué de sens, et le monde en serait réduit au
troc. Latu sensu, on peut avancer que cette citation signifie que les produits seraient fortement
homogènes et substituables. Plus le commerce croisé est important –plus particulièrement
celui en différentiation horizontale–, plus forte sera la mobilité des facteurs et meilleure sera
la réallocation de ces derniers.
1.2. Le degré d’ouverture
Les zones monétaires sont optimales, selon l’expression de McKinnon [1963, p.717],
lorsque les politiques monétaire et fiscale ainsi que les changes flexibles sont utilisés pour
3 Il faut rappeler que Mundell raisonne sur les prix à la production.
3
rétablir simultanément l’équilibre interne et externe. Aux objectifs de plein emploi et de
stabilité des prix, se rajoute celui de l’équilibre des paiements internationaux. Dans une petite
économie ouverte, lorsque le taux de change varie suite à un choc microéconomique, le
niveau intérieur des prix est modifié. Comme le secteur des biens échangeables est important
par rapport à celui du secteur abrité, l’objectif de stabilité des prix n’est pas respecté. De plus,
le rôle de la monnaie comme unité de compte et comme réserve de valeur se voit diminué.
L’accroissement du niveau des prix du secteur de biens échangeables, résultant de la
dépréciation du taux de change, est ainsi corrigé par une baisse des prix du secteur abrité.
Pour ce faire, la contraction de la demande intérieure est nécessaire engendrant par la même
un accroissement du niveau de chômage et un retour à l’équilibre externe. Toutes choses
égales par ailleurs, lorsque la taille du secteur abrité est importante par rapport à celle du
secteur de biens échangeables, le retour à la stabilité des prix et à l’équilibre externe requiert
un niveau de chômage moins important que le cas cité supra.
Le domaine d’une ZMO selon le critère de McKinnon est définit par le degré
d’ouverture de l’économie. Pour ce faire, l’auteur considère le rapport des biens échangeables
aux biens non-échangeables. L’originalité de cette approche tient à ce qu’elle s’articule en
terme d’une allocation optimale des ressources. La parité des pouvoirs d’achat n’est vérifiée
que pour le secteur exposé à la concurrence. Cet argument suppose élevés, les échanges entre
les petites zones monétaires. En d’autres termes, l’intégration économique est un préalable à
l’intégration monétaire.
L’examen des échanges des pays en développement dénote, une intensité commerciale
plus forte avec les pays développés. Dans une union monétaire composée uniquement de
PED, les déséquilibres des balances de paiements seront plus importants à l’intérieur de la
zone qu’avec l’extérieur. Une telle situation ne peut être soutenable en longue période.
D’autre part, les déviations du taux de change diffèrent entre les PED et s’accompagnent
souvent de mesures protectionnistes. Or, l’intégration économique qui signifierait la
suppression des barrières tarifaires, profiterait ainsi aux pays dont la monnaie est la moins
surévaluée ou la plus sous-évaluée par rapport aux autres pays de la zone. Une longue période
de transition doit s’écouler, afin de favoriser le démantèlement des barrières tarifaires.
L’hypothèse de parité des pouvoirs d’achat sur le secteur exposé peut paraître
également contestable. Au delà de l’aspect empirique qui ne semble pas donner crédit à cette
hypothèse, le niveau des prix relatifs du secteur exposé tend à s’élever avec le niveau de
développement [Lafay, 1984]. L’intensité des échanges ne suffit pas à prétendre l’unification
monétaire, puisque le niveau relativement peu élevé du taux de change permet de combler le
retard de spécialisation. Cet avantage tendra à disparaître avec l’adoption d’une monnaie
unique, vu que les prix tendront à converger à l’intérieur de la zone ; les déséquilibres de
paiements seront ainsi permanents.
La théorie des ZMO en général et l’argument de McKinnon en particulier, reposent sur
l’illusion monétaire et sur l’efficacité des taux de change à stabiliser la balance des paiements.
Les conditions de Marshall-Lerner (ML) sont supposées vérifiées. Il existe néanmoins un
grand scepticisme quant à la valeur des élasticités critiques à vérifier les conditions de ML
dans les pays en développement. Pour Goldberg [1999] la structure et la nature féodale des
entreprises dans les pays en transition ne facilitent pas l’ajustement de la production suite à
une variation des prix relatifs. Une large dévaluation est donc nécessaire pour stimuler la
balance commerciale. Pour Goldberg la théorie des ZMO est ainsi inappropriée pour les pays
en transition. Cet argument considère la variation du taux de change réel et néglige les
4
conséquences du désalignement des taux de change à long terme de leur parité d’équilibre. Or
la valeur des élasticités critiques dépend de la demande intérieure ainsi que du degré
d’ouverture. L’effet d’une dévaluation est donc ambiguë puisque le taux de change réel agit
également sur la demande interne.
1.3. Diversification des échanges
Kenen [1969] procède à une analyse éclectique de la théorie. Il souligne d’une part, les
interactions entre union fiscale et union monétaire et d’autre part, que plus le secteur exposé
est diversifié,4 moins élevée sera la variabilité du taux de change. La diversification des
termes de l’échange se substitue ainsi au taux de change comme variable d’ajustement. Un
pays aura moins recours à son taux de change, pour maintenir le niveau d’emploi à son niveau
d’équilibre lors d’un choc asymétrique, si la structure de ses échanges est assez diversifiée.
Une baisse de la demande extérieure se traduit par un accroissement d’autant plus important
du chômage que le pays est spécialisé.
Dans son modèle, Kenen exclut les biens non échangeables. Le taux de change qu’il
admet, ne peut saisir un éventuel biais de productivité entre les pays et donc des différences
de niveau de développement. Dans une maquette à deux pays, une économie complètement
spécialisée produit un bien à l’exportation et importe le bien de l’autre pays. Un pays plus
diversifié produit quant à lui, un bien à l’exportation et un bien pouvant concurrencer les
produits importés. L’absence d’un secteur abrité fait coïncider, diversification de l’économie
avec celle des exportations. L’auteur admet implicitement, une norme de change d’équilibre,
où spécialisation et concurrence ne font qu’un. De plus son modèle repose sur l’hypothèse
forte d’invariabilité des termes de l’échange.
“Products that are similar in final use are apt to have similar factor
requirements, and workers who are ideled by an export disturbance may be more
readily absorbed in other activities.” [Kenen, op. cit. p.50].
La mobilité du travail est d’autant plus aisée, que les produits sont similaires dans leur
composition. On peut soutenir que pour l’auteur, c’est plutôt l’existence d’une large part d’un
commerce croisé, en différenciation horizontale en particulier, qui se substitue –en cas de
choc asymétrique– à la flexibilité des changes. Kenen ne s’intéresse néanmoins à l’aspect de
la spécialisation que du point de vue national. Il utilise ce terme par opposition à la
diversification des exportations dans un but d’exposition. Il évacue donc la qualité de la
spécialisation entre les pays, facteur qui justifie la divergence des niveaux de prix. Ceci sous-
tend implicitement que les pays sont de structures semblables et invariables.
Il conclut que les régimes de change fixe sont plus appropriés pour les pays
développés. Les pays en développement, étant moins diversifiés, ont besoin de plus de
flexibilité dans les termes de l’échange. Ils doivent donc adhérer à des arrangements
monétaires plus flexibles.
4 Par ‘diversifié’ Kenen entend des produits compétitifs et non plusieurs catégories de biens. Son modèle repose
en fait, sur un bien à l’exportation et un bien à l’importation. En d’autres termes, tous les biens produits sont
sujets à la concurrence internationale. Kenen ne distingue pas s’il existe une différence entre son modèle et une
économie avec plusieurs biens à l’exportation [Flanders, 1969, p.104].
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