Estimation semi-paramétrique de la convergence des régions européennes Théophile T. Azomahou(*) Jalal El Ouardighi(*) Phu Nguyen Van(**) Thi Kim Cuong Pham(***) L’hypothèse de convergence selon laquelle les économies pauvres ont tendance à rattraper les économies riches est considérée comme une manière de distinguer deux types de modèles de croissance : les modèles de croissance exogènes et les modèles de croissance endogène. Les modèles de croissance exogène énoncent que la persistance de la croissance est le résultat d’un processus technologique exogène et que l’accumulation du capital est la source de la convergence. Les modèles de croissance endogène mettent l’accent sur le rôle du capital physique et du capital humain comme moteurs de la croissance et soulignent que les différences de technologie entre pays sont la source de la convergence ou de la divergence. Ainsi, l’acceptation de l’hypothèse de convergence conduit généralement à soutenir la théorie de la croissance exogène. De nombreuses études théoriques soulignent le rôle crucial de l’hétérogénéité, de la non-linéarité et de la stratification dans le processus de convergence des économies. Cette question se réfère à la notion des équilibres multiples selon laquelle les économies ayant des conditions initiales différentes convergent vers des états stationnaires différents. Ce phénomène a été mis en évidence par les études empiriques principalement sur des données nationales. L’objectif de cette étude est de fournir une analyse empirique du processus de convergence du PIB par habitant au niveau régional en mettant l’accent sur les phénomènes d’hétérogénéité et de non-linéarité. Cette convergence, dite conditionnelle, indique que la vitesse de convergence dépend des conditions initiales des régions. L’analyse de la convergence des régions européennes est prometteuse car la question de l’intégration économique des pays de l’Union européenne est d’actualité. En effet, l’intégration économique de ces pays est traditionnellement supposée être bénéfique pour ses régions à la fois en termes d’efficacité d’allocation des ressources et de forte compétitivité. Toutefois, elle peut être suivie d’une augmentation des inégalités entre régions. Dans ce contexte, l’analyse de la convergence des régions peut apporter des indications importantes quant aux politiques de développement régional. Les résultats dans la littérature ont montré que le rattrapage des régions riches par les régions pauvres de l’Union européenne est très lent. En effet, la croissance du revenu étant (*) BETA-Theme, Université Louis Pasteur, Strasbourg 1 (**) THEMA, CNRS, Université Cergy-Pontoise (***) CERDI, CNRS et Université d’Auvergne E-mail : [email protected] Nous remercions François Laisney, les participants aux Journées de l’AFSE, Lille, 26-27 mai 2003, ainsi que les participants aux séminaires du BETA pour leurs précieux commentaires. Nous remercions également les deux rapporteurs anonymes de la revue Économie et Prévision dont les commentaires et suggestions ont permis une amélioration notable de cette étude. Nous demeurons seuls responsables des imperfections pouvant subsister. Économie et Prévision n°173 2006-2 97 approximativement de l’ordre de 2% par an, il faudrait 35 ans pour réduire environ de moitié seulement les inégalités initiales du revenu par habitant. Selon Neven et Gouyette (1995), un processus de divergence serait même en cours entre les régions européennes. Il s’avère que dans les pays moins prospères, seules les régions les plus riches bénéficient du processus de convergence avec les pays riches. De ce fait, la question de l’intégration économique va de pair avec les politiques de convergence régionale, ce qui est au cœur du débat actuel concernant les politiques de développement et l’élargissement de l’Union européenne. Nous proposons un modèle semi-paramétrique partiellement linéaire pour estimer la relation entre le taux de croissance moyen durant la période 1990-2000 et le PIB par habitant initial (en 1990). Cette spécification permet de prendre en compte d’éventuelles non-linéarités de la relation estimée. La méthode d’estimation combine à la fois l’approche de Robinson (1988) et l’estimateur du noyau local linéaire. L’intérêt de cet estimateur réside dans ses “bonnes propriétés statistiques”. En effet, comme l’a démontré Fan (1992), l’estimateur du noyau local est le meilleur parmi tous les estimateurs non-paramétriques linéaires et demeure peu affecté par les observations extrêmes. De plus, il fournit une estimation de la dérivée première de la fonction non-paramétrique exprimant l’effet marginal du PIB par habitant initial sur le taux de croissance. Cette spécification nous permet aussi d’évaluer la contribution de chaque région au processus de convergence. Afin de prendre en compte le phénomène d’hétérogénéité au niveau des régions, nous introduisons dans notre modèle des variables indicatrices de pays. Ces dernières captent les déterminants économiques ou les autres facteurs non observés (législation, subvention au développement régional, etc.) communs à un groupe de régions d’un même pays. L’introduction des indicatrices de pays permet de capter d’éventuelles différences d’états stationnaires vers lesquels convergent les différentes régions (convergence conditionnelle). Par souci de comparaison, nous estimons également le modèle paramétrique généralement retenu dans la littérature. Ce dernier est rejeté contre le modèle semi-paramétrique. Ainsi, les résultats de tests indiquent que la spécification semi-paramétrique fournit une meilleure approximation des données. Le deuxième résultat indique qu’il existe des non-linéarités et de l’hétérogénéité dans le processus de convergence. Par rapport à d’autres études qui ont montré un processus de convergence entre des régions européennes, notre analyse montre un phénomène de convergence uniquement pour les régions ayant un faible PIB par habitant en 1990. Seulement 19 régions sur 223 ont montré un processus de convergence pendant la période d’étude. De plus, la convergence n’est pas uniforme car ces régions convergent à des vitesses différentes. Il y a ainsi un risque de trappe de pauvreté pour les régions les moins prospères. Il serait donc souhaitable que les politiques régionales intègrent un tel risque si elles visent à améliorer les conditions de l’intégration économique au sein de l’Union européenne. 98