OCEANOLOGICA ACTA 1980- VOL. 3 - No 3 ~ - - - - - i . - Succession écologique de communautés bactériennes ' 1u t lOn • au cours d e 1' evo Phytoplancton Bactéries Structure des communautés Activité hétérotrophe Phytoplankton Communitys~~~:~~~ d'un écosystème phytoplanctoniqùëtrophi""''''' marin expérimentai Y. P. Martin Fondation océanographique Ricard, Ile des Embiez, Le Brusc, 83140 Six-Fours-les-Plages, France et Laboratoire de Biologie marine, Faculté des Sciences, Saint-Jérôme, 13013 Marseille, France. Reçu le 18/1/80, révisé le 7/3/80, accepté le 12/3/80. RÉSUMÉ L'évolution comparée des populations phytoplanctoniques et bactériennes a été étudiée lors de productions continues de phytoplancton marin, réalisées en bassin extérieur de grand volume. Les communautés bactériennes hétérotrophes ont été définies à la fois en termes de structure (numérations, appartenance taxonomique et diversité des écotypes) et de fonction (physiologie; potentialités métaboliques, activité hétérotrophe). Cette analyse a permis de délimiter trois systèmes bactériens différents, selon que le phytoplancton est en bon état physiologique et exerce un effet simplement stimulant sur les bactéries, ou est au contraire sénescent, ce qui se traduit par une forte sélection de certains types bactériens. Les caractéristiques de la communauté bactérienne, associées au déclin du phytoplancton, semblent indiquer que son apparition correspond au premier stade de la succession des bactéries hétérotrophes qui diffère ainsi de celle survenant dans le phytoplancton, débutant bien plus précocement dès l'apport de sels nutritifs. Ces données permettent de penser que les peuplements bactériens suivent dans l'ensemble une évolution conforme à celle des autres groupements d'êtres vivants, des stades pionniers faiblement structurés et fortement actifs, vers des états plus organisés d'activité plus réduite. Oceanol. Acta, 1980, 3, 3, 293-300. ABSTRACT Ecological succession of bacterial communities during the development of an experimental marine phytoplankton ecosystem The comparative development of natural phytoplankton and associated heterotrophic bacteria was studied during the continuous experimental production of marine phytoplankton in an outdoor tank of very large capacity. Heterotrophic bacterial communities were defined in terms of both structure (bacterial counts, taxonomie analysis, diversity ofbacterial eco types) and function (physiology, catabolic potentialities, heterotrophic activity). This analysis bas permitted the delimitation of three different bacterial systems, depending on whether the phytoplankton is in a good physiological state, and thus exercises a simple stimulative effect on the bacteria, or on the contrary senescent which leads to a strong selection of certain bacterial types. Judging from its characteristics, the bacterial community, which makes its appearance at the time of phytoplanktonic decline, occurs at the beginning of the succession of heterotrophic bacteria in this experimental ecosystem. In this respect, the heterotrophic bacterial succession differs from that of the more precocious phytoplankton community, which appears as soon as nu trient salts are added. Our data make it reasonable to suppose that the dynamic pattern of bacterial communities is identical with that of other groups of organisms, and reflects an evolution from poorly diversified but highly active pioneer stages to more organized states in which activity is reduced. Oceanol. Acta, 1980, 3, 3, 293-300. 3-1784/1980/293($ 5.00/ C> Gauthier-Villars 293 Y. P. MARTIN communautés bactériennes au sein de cet écosystème phytoplanctonique expérimental, schéma que nous présentons dans cet article. INTRODUCTION L'analyse de l'évolution des communautés planctoniques a montré l'existence de successions de populations orientées, l'évolution s'effectuant selon plusieurs stades qui correspondent à une structuration croissante du système considéré (Margalef, 1958). Cet accroissement de maturité va de pair avec une organisation plus poussée des peuplements dans l'espace qu'ils occupent, permettant ainsi une meilleure gestion du flux d'énergie. Ces concepts écologiques d'une portée générale ont été établis à partir de l'étude quantitative et qualitative des composants biologiques de l'écosystème planctonique (phytoplancton et éventuellement zooplancton). Bien que de nombreux travaux aient révélé l'importance quantitative des populations bactériennes associées au phytoplancton, il existe peu d'informations concernant à la fois la structure de ces communautés bactériennes et les fonctions métaboliques qu'elles exercent au sein de ces biocénoses. Des informations de cette nature sont encore plus rares d'un point de vue dynamique. Si le phénomène de structuration progressive de l'écosystème phytoplanctonique est bien établi, on ne sait ce qu'il en est dans le cas de l'évolution des communautés bactériennes qui lui sont associées. Ce manque d'informations est dû à des causes diverses. Un premier obstacle réside dans les difficultés inhérentes à l'observation d'un phénomène dynamique dans le temps, en milieu naturel et particulièrement en mer (mélange des masses d'eau, conditions météorologiques et état de la mer. .. ). Le second obstacle est d'ordre méthodologique :l'étude de la structure et de la fonction des communautés bactériennes pose un certain nombre de problèmes qui rendent son approche délicate. C'est en particulier le cas pour l'identification des bactéries rencontrées, et la délimitation de différentes communautés n'est pas aisée dans la mesure où celle-ci est généralement réalisée en tenant compte de la composition spécifique des peuplements. MATÉRIEL ET MÉTHODES Le dispositif expérimental utilisé a été décrit par ailleurs (Riva, Vicente, 1978). Il se compose d'un bassin d'un volume efficace de 35 m 3 , dans lequel un flux continu d'eau de mer naturelle oligotrophe, pompée dans une lagune proche (lagune du Brusc, Var, France), est enrichi également en continu par un apport de sels nutritifs (nitrate d'ammonium, silicates, phosphates), permettant ainsi le développement du phytoplancton présent. Le taux de dilution du bassin et le débit des sels nutritifs peuvent être ajustés selon les besoins des expériences. L'introduction des nutriments conduit à une augmentation de la biomasse phytoplanctonique, et à la mise en place d'un peuplement paucispécifique faiblement structuré avec une exubérance particulière des espèces opportunistes des eaux méditerranéennes (Skeletonema costatum, divers Chaetoceros), ce qui correspond, selon Margalef, à l'installation d'un stade 1 de développement phytoplanctonique (Travers, 1971). Ce système de faible maturité persiste pendant 8 à 10 jours avec un plateau de la biomasse phytoplanctonique, puis on assiste à un déclin du peuplement en place avec une chute des paramètres indicateurs de biomasse. Les dinotlagellés et le zooplancton prennent une importance plus grande, et ce système mieux structuré se maintient au-delà avec des oscillations quantitatives plus ou moins accusées (Nival et al., 1978). L'étude de l'évolution des communautés bactériennes a été réalisée essentiellement pendant la période qui suit l'impulsion initiale donnée au système par l'apport de sels nutritifs, c'est-à-dire pendant la croissance, la phase stationnaire et le déclin du peuplement planctonique initial. Cette période correspond à celle du développement du premier stade d'une succession phytoplanctonique. Les dillërentes expériences de suivi continu ont duré environ 1 mois. Nous avons tenté d'aborder ce problème d'une façon expérimentale, grâce à l'utilisation d'un dispositif de production continue de phytoplancton, en grand volume, soumis aux conditions climatiques extérieures et à l'élaboration d'une méthodologie permettant d'analyser simultanément la structure, la physiologie et l'activité des communautés bactériennes qui lui sont associées. L'estimation de ces caractéristiques autorise alors la délimitation de di!Térentes communautés, qui seront définies à la fois à partir de leurs propriétés structurales (composition taxonomique, diversité des écotypes) et métaboliques globales (physiologie, activité). Cette étude a été réalisée au cours de plusieurs campagnes dans le cadre d'un programme national de recherche du Centre National pour l'Exploitation des Océans (Programme Ecotron). La diversité des analyses effectuées et la relative simplicité du système, dont l'évolution peut être suivie régulièrement, ont donné lieu à de nombreuses observations et analyses qui ont fait l'objet de différentes publications. La méthodologie d'étude des populations bactériennes et de leur activité a également été décrite par Bianchi et Martin (1978), Cahet et Martin (1978), Martin et Bianchi (1980). L'analyse des communautés bactériennes hétérotrophes a été abordée à la fois par l'étude des caractéristiques des bactéries isolées du dispositif (isolement au hasard d'échantillons de souches représentatifs des populations selon un plan statistique pré-établi) et, selon un aspect plus global, par appréciation des réponses des communautés bactériennes hétérotrophes à des tests réalisés sur des échantillons d'eau de volume plus ou moins importants in situ. Cette stratégie permet de décrire les communautés et d'en délïnir l'évolution de deux façons complémentaires : - en termes de structure, par estimation des paramètres considérés comme caractéristiques des communautés : abondance des individus, distribution des souches au sein de groupes taxonomiques conventionnels, richesse et La synthèse des données obtenues au cours de ce travail permet d'ébaucher un schéma de la succession des 294 SUCCESSION DE COMMUNAUTËS BACTËRIENNES diversité des écotypes bactériens déterminés au moyen de programmes de classification automatique (indice de Shannon; dominance); - en termes de fonction, selon deux aspects. D'une part, par des études de laboratoire réalisées sur les souches isolées, pures, permettant l'appréciation in vitro des principales caractéristiques physiologiques pouvant intervenir dans la régulation de l'activité des différentes souches bactériennes qui constituent chaque communauté : estimation des différentes potentialités cataboliques de ces souches (indice moyen d'utilisation des composés carbonés: IMU; équipement moyen en exoenzymes : 1ME); d'autre part, par des mesures d'activité hétérotrophe in situ avec l'assimilation et la reminéralisation de composés carbonés marqués ( 14 C), qui permettent d'aborder les relations existant entre l'activité hétérotrophe et la production primaire particulaire et dissoute analysée selon une méthodologie analogue, ainsi que le taux de régénération de l'azote ammoniacal par dosages chimiques directs. RÉSULTATS Structure et physiologie des communautés bactériennes Les observations faites lors de deux expériences de production planctonique continue (printemps et automne 1977) nous ont permis de mettre en évidence des successions de populations en relation avec l'évolution du phytoplancton (Bianchi, Martin, 1978; Martin, Bianchi, 1980). Les données recueillies nous ont conduit à considérer l'existence de deux communautés bactériennes différentes qui semblent prédominer selon que le phytoplancton est en bon état physiologique ou au contraire sénescent (Martin, Bianchi, 1980) : - la première communauté est associée à la phase de croissance exponentielle du phytoplancton et au début du plateau de chlorophylle. Elle est caractérisée par un peuplement bactérien dominé par des souches apparentées au genre Pseudomonas, et la diversité des écotypes est élevée. L'équipement en exoenzymes des bactéries est identique à celui des conditions initiales. L'indice moyen d'utilisation des composés carbonés est plus important; - la seconde se met en place lors du déclin du phytoplancton, et présente des caractéristiques différentes qui se manifestent par une dominance des vibrions halophiles, une faible diversité, la diminution de l'indice d'utilisation des composés carbonés, la forte augmentation de l'équipement en exoenzymes des souches, ainsi qu'une plus forte proportion d'espèces auxotrophes (Martin, 1979). La figure 1 résume les différents aspects de cette méthodologie. Numération des bactéries viables (milieu 2216 E. autres milfeux) 1 A. Échantillonnage Isolements au hasard 20-25 souches par prélèvement l l Ce schéma paraît également justifié sur le plan de l'activité hétérotrophe, dont l'intensité peut être reliée à l'excrétion phytoplanctonique de vivo ou à la lyse des cellules lors du déclin du phytoplancton (Cabet, Martin, 1978). Purification . Etude des caractères et de la physiologie des souches B. Analyse des individus l Au cours de ces expériences, l'étude de la structure et de la physiologie des communautés bactériennes a été réalisée à partir des informations obtenues par l'analyse d'échantillons de souches isolées sur milieu 2216 E (Oppenheimer, Zobell, 1952). Dans certains cas, nous avons utilisé d'autres milieux de numération, chimiquement définis non peptonés, dont la composition a été décrite par ailleurs (Martin, 1979). Dans le bassin expérimental, ces milieux ont parfois montré une abondance de bactéries nettement plus élevée que celle estimée sur milieu 2216 E, notamment en périodes de très fortes floraisons phytoplanctoniques. Par contre, cela ne fut jamais le cas pour le flux d'eau entrant provenant de la lagune. Comparaison des souches; dendrogrammcs Structure et physioloLe des communautés C. Analyse des communauté~ ~d" . h esse et . . des • R 1c 1vers1te écotypes; dominance. • Genres ou groupes taxonomiques prépondérants. • Dimension des communautés : effectifs (cf A) . 1"Ites • . b o1"1ques • p otentla meta moyennes. • Renseignements d'ordre nutritionnel-spécialisation des populations: - IMU; IME; Prototrophie1 Auxotrophie Nous avons analysé la structure des communautés bactériennes à partir des souches isolées de ces différents milieux dans ces conditions particulières (milieu 2216 E : peptone et extrait de levure; trois milieux chimiquement définis, de composition de base identique mais différents entre eux par la source d'azote). L'échantillon de souches isolées sur milieu 2216 E se différencie nettement de ceux prélevés sur milieux chimiquement définis, par ses propriétés physiologiques (capacité de production d'exoenzymes et d'ammonification plus importante pour l'échantillon 2216 E; proportion de souches auxotrophes D. Activité -------·------Activité des communautés • Assimilation des composés carbonés. • Régénération Je l'azote ammoniacal. Figure 1 \1i·r lwdol<>!!Îe d'étude des communautés bactériennes. Structure et activité. Metlwdology usedfor the study of bacterial commirnities. Structure and activity. 295 Y. P. MARTIN Tableau 1 Structure des populations bactériennes estimée à partir d'échantillons de souches prélevées sur différents milieux de numération. Structure of the bacteria/ populations estimated from samples of strains iso/ated on different counting media. Milieux chimiquement défmis 2216E (peptone et extrait de levure) D (azote ammoniacal et aminé) 23 19 4,14 24 7 1,93 23 4 0,92 24 7 1,99 13 21,8 54,2 79,2 82,6 91,3 45.8 79,2 Appartenance taxonomique (fréquences exprimées en pourcentage) 8,3 0,0 21,7 34,8 0,0 0,0 8,7 4,2 0.0 8,7 0,0 0,0 13,0 4,2 0,0 8,7 0,0 0,0 83,3 100,0 0,0 4.4 0.0 0.0 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0 100,0 0.0 Milieux d'isolement Nombre de souches étudiées Nombre d'écotypes différents indice de Shannon H Dominance, pour-cent de fréquence de : l'écotype dominant d 1 les deux écotypes les plus abondants d 2 Pseudomonas Flavobacterium Vibrio Bactéries bourgeonnantes Spirilles Microcyc/us Beijerinckia 1Derxia Indéterminé B (azote ammoniacal) A (dépourvu d'azote) que sur le milieu 2216 E. Ces données permettent d'envisager l'existence d'une troisième communauté bactérienne particulière dans certains cas. plus faible) et surtout structurales (tableau 1). La composition taxonomique des échantillons met en évidence l'importance des azotobactériacées dans ces écosystèmes phytoplanctoniques à effectifs très élevés (teneur en chlorophylle a de 70 mg/m 3 dans le cas étudié ici). Lors de cette analyse, le nombre de bactéries obtenu sur milieux chimiquement définis était sept fois plus élevé Succession écologique, activité hétérotrophe et facteurs de sélection des différentes communautés Nous avons pu suivre la succession de ces différentes communautés bactériennes au cours d'une expérience de production phytoplanctonique (printemps 1978), et analyser l'activité hétérotrophe ainsi que les relations de ces communautés avec le phytoplancton (Martin, 1979). Quelques ré,sultats de cette expérience sont présentés sur la figure 2 (A, B, C). log bact./ml A L'examen de ces figures permet de délimiter grossièrement trois périodes, correspondant à l'apparition des trois communautés bactériennes distinctes : - du 2 au 5 avril :période d'installation du peuplement· phytoplanctonique avec des organismes en bon état physiologique. chl.l mo; Figure 2 Évolution des communautés phytoplanctoniques et bactériennes au cours d'une production printanière continue de phytoplancton. A. Numérations bactériennes : milieu 2216 E (OZ); milieu chimiquement défini dépourvu d'azote (A); bactéries protéolytiques sur milieu gélose-gélatine (G); vibrions halophiles sur milieu TCBS (Yb). B. Activité hétérotrophe estimée à partir de l'assimilation de différents composés marqués au 14C (glucose, Gu; serine, Se; glutamate, Gt; pyruvate, Py et glycolate, Gy), exprimée par le log. du nombre de désintégration par minute des organismes (log DPM). C. Biomasse et activité du phytoplancton :.__.,chlorophylle a; x · · · • · x, potentiel photosynthétique ( 14C-bicarbonate); •- -•. production primaire excrétée. ~dpm Development of phytoplankton and bacterial communities during a continuous production of phytoplankton, in spring. A. Bacterial counts: 2216 E medium (OZ); nitrogen free medium (A); proteolytic bacteria on gelatin-agar medium (G); halophilic vibrios on TCBS-agar (Vb). B. Heterotrophic activity jrom the assimilation of different /abe/led substrates (' 4 C-glucose, Gu; 14 C-serine, Se; 14 C-glutamate, Gt; 14 C-pyruvate, Py; 14 C-glycolate, Gy), estimated by the log. of desintegration number per minute from the organisms (log DPM). c so so C. Biomass and activity of phytoplankton: e--e chlorophyl/ a; x , • · · · x, photosynthetic potential (14 C-bicarbonate); •- -•. extracellular release. 10 3<>/3 1/4 10 15 20 296 SUCCESSION DE COMMUNAUTÉS BACTÉRIENNES cette période que peuvent être observés les plus forts taux de régénération d'ammoniac à partir des substances azotées (Martin, 1979). Le nombre de bactéries estimé sur milieu 2216 E est en équilibre avec l'excrétion du phytoplancton, de même que l'activité hétérotrophe qui est cependant modérée. Les composés organiques excrétés par le phytoplancton sont responsables de la stimulation des bactéries, dont l'indice moyen d'utilisation des composés carbonés présente un accroissement durant cette période (Martin, Bianchi, 1980); DISCUSSION A partir de ces différentes observations, on peut tenter d'appréhender les caractéristiques essentielles des communautés bactériennes associées aux divers stades d'évolution de l'écosystème phytoplanctonique expérimental, afiri d'analyser la succession de ces communautés. - du 15 au 21 avril : apparition des communautés bactériennes associées aux écosystèmes phytoplanctoniques à fortes concentrations cellulaires avec des effectifs bactériens très élevés sur milieu A, dépourvu d'azote. L'apparition de ces bactéries coïncide avec les plus forts taux d'excrétion du phytoplancton avec, en particulier, l'excrétion de matériel constitué de 90 à 93 %d'hydrates de carbone (G. Cahet, comm. pers.). C'est probablement là un facteur essentiel de la sélection de ces souches; Caractéristiques des différentes communautés : hypothèse sur les stratégies adaptatives des composants On peut délimiter trois ensembles selon que le phytoplancton est : - en bon état physiologique au début du plateau de chlorophylle, ce qui correspond à un système de production à dominante primaire (système P); - sénescent, il s'agit alors d'un système de régénération (système R); - très dense sur le plan des effectifs cellulaires, ce qui semble constituer un cas particulier, notamment lorsque les taux d'excrétion phytoplanctonique sont très élevés (système FC). Les caractéristiques de ces différentes communautés sont résumées dans le tableau 2. On peut remarquer une nette différence entre les populations du système de production primaire, nutritionnellement versatiles, d'effectif élevé et d'activité réduite, et les représentants caractéristiques du système de régénération, vibrions bien équipés en exoenzymes, dont les effectifs sont réduits mais dont l'activité métabolique paraît très importante. Ces observations rejoignent les conceptions déjà anciennes de Winogradsky (1949) sur la proportion d'espèces « zymogènes >> ou « autochtones » dans les communautés bactériennes des sols, reprises plus récemment en - à partir du 24 avril, on note une forte augmentation des souches protéolytiques et des vibrions halophiles, le dernier jour du plateau de chlorophylle. Cette exubérance de souches bien équipées en exoenzymes, donc susceptibles d'hydrolyser les polymères organiques, ne survient comme dans les expériences antérieures (Martin, Bianchi, 1980) que lors de la disparition de tout ou partie des composants des communautés phytoplanctoniques, et elle est probablement consécutive à la lyse des cadavres, de même qu'à une importante libération de substances complexes dans le milieu. La proportion de souches auxotrophes est élevée dans ces communautés. Cette augmentation du nombre de protéolytiques et de vibrions est accompagnée d'une forte activité hétérotrophe qui atteint alors son maximum dans cette expérienct. Bell et Mitchell (1972) et Herbland (1975) ont insisté sur cette importante activité hétérotrophe à la mort du phytoplancton. On peut remarquer que cette activité paraît indépendante de la microflore bactérienne «totale», qui montre ici une diminution. Diverses expériences nous ont montré que c'est également durant Tableau 2 Caractéristiques des communautés bactériennes associées aux différents stades d'évolution de l'écosystème phytoplanctonique. Characteristics of the bacterial communities, associated to the differents stages of deve/opment of the phytoplankton ecosystem. Structure Physiologie Activité hétérotrophe Facteurs de sélection Système P Système F.E. Système R Peuplements phytoplanctoniques immatures en bon état physiologique (stade 1). Peuplements taxonomiquement diversifiés : Pseudomonas et genres apparentés dominants. Diversité des écotypes élevée. Équipement en exoenzymes moyen. analogue à celui des conditions initiales, oligotrophes. Souches nutritionnellement versatiles. ProtoLrophes. Proportionnelle au matériel organique excrété. Peuplements paucispècif1ques en état de stress physiologique, taux d'excrétion très importants. Faible diversité; sélection d'un petit nombre d'espèces. Azotobactériacés dominants. Période de mortalité des composants des populations. Apparition de dinoflagellé zooplancton. Faible diversité: sélection d'un petit nombre d'espèces. Vibrions dominants. Souches peu équipées en exoenzymes; indice d'u'tilisation des composés carbonés élevé. Équipement en exoenzymes important. · Sélectivité nutritionnelle marquée. Auxotrophes. Auxotrophes. Proportionnelle au matériel organique Proportionnelle au matériel organique excrété · issu de la lyse des cellules; très forte activité. Stimulation des espèces autochtones Sélection de certaines espèces .Sélection d'espèces ((zymogènes» par par l'excrétion du phytoplancton. consécutive aux taux d'excrétion la richesse du milieu en matériel élevés (hydrates de carbones en organique complexe. particulier). 297 Y. P. MARTIN microbiologie aquatique par Jannasch (1967, 1974) et Ishida et Kadota (1974). Winogradsky qualifie de « zymogènes » les espèces à taux de croissance élevé manifestant une préférence marquée pour les milieux très riches en matières organiques et ne montrant que peu de croissance dans les conditions normales, ce qui les distingue des espèces « autochtones », responsables des processus de dégradations constants des milieux naturels, à des vitesses faibles en présence de faibles · concentrations de substrats. Les observations de Jannasch (1974) s'accordent avec cette hypothèse, et ' l'auteur ne manque pas de faire la relation entre ces facteurs sélectifs et les conceptions classiques des stratégies adaptatives des espèces animales ou végétales au cours de l'évolution d'un écosystème : K et r sélection (Odum, 1969, 1973). Nous retrouvons des phénomènes analogues dans ces communautés bactériennes naturelles, où les espèces associées au déclin du phytoplancton manifestant une très forte activité hétérotrophe en milieu riche et bien équipées en exoenzymes, s'apparentent bien au groupe des « zymogènes » de Winogradsky, r (ou J.l max) sélectionnées de Jannasch. Les espèces rencontrées au début du plateau de chlorophylle comme d'ailleurs dans les conditions oligotrophes initiales, pourraient correspondre aux espèces « autochtones » ou K sélectionnées. Les espèces associées aux fortes excrétions phytoplanctoniques sont plus difficiles à caractériser. Ces espèces, qui ne se développent bien que dans certaines conditions particulières de milieux très riches, pourraient être assimilées à des stratèges r de par leur possibilité de croissance en présence de fortes concentrations en substrat. Certaines données obtenues dans des cultures d'algues de laboratoire (Martin, 1979) nous conduisent à penser que l'apparition de ces populations bactériennes correspond en fait à une étape de transition vers le système de régénération. D'ailleurs, les taux d'excrétion phytoplanctonique très élevés qui permettent la sélection de ces souches bactériennes semblent caractéristiques de conditions de stress (Berman, Holm-Hansen, 1974), et témoignent probablement d'un important déséquilibre physiologique des populations phytoplanctoniques, voire d'une lyse cellulaire affectant certains composants de ces populations. Ces observations étayent les convictions de Benecke et Keutner (1903), Keutner (1905), Pshenin (1963) et Niewolak (1971), qui sourçonnaient que les cadavres phytoplanctoniques ou les produits de lyse cellulaire des phytoplanctontes constituaient une importante ressource alimentaire pour les Azotobactériacées du milieu marin. Par ailleurs, on peut également rappeler le faible indice de diversité de ces populations bactériennes (indice de Shannon proche de 1). Une telle valeur de la diversité des écotypes bactériens est bien plus proche de celle rencontrée en système de régénération, fortement sélectif, qu'en système de production primaire où la diversité est élevée. Il est évident que des données plus précises sur les paramètres de croissance des différents groupes d'organismes ici délimités devront être recherchées. Les informations apportées semblent néanmoins montrer que les hypothèses concernant les stratégies de ces différents types bactériens ne sont pas sans fondements. Évolution de l'écosystème phytoplanctonique et successions des communautés bactériennes On peut tenter de rassembler les différentes informations apportées par le système expérimental dans un schéma synthétique montrant l'évolution de l'écosystème phytoplanctonique (fig. 3). Nous avions déjà remarqué l'indépendance des indices de diversité des populations phytoplanctoniques et bactériennes (Martin, Bianchi, 1980). La prise en compte de ces indices de diversité, des facteurs de sélection des différents composants des communautés bactériennes et de leur activité métabolique, semble indiquer que les successions écologiques phytoplanctoniques et bactériennes, considérées du point de vue de l'évolution de l'organisation des systèmes concernés, ne débutent pas en même temps. Dans les conditions initiales, oligotrophes, le peuplement bactérien est diversifié (Pseudomonades dominantes, indice de Shannon de l'ordre de 4). Les potentialités métaboliques sont moyennes et variées. Les souches bactériennes sont prototrophes et l'activité hétérotrophe est réduite. Alors que la succession typique des populations phytoplanctoniques commence dès l'introduction des sels nutritifs et conduit très rapidement à la mise en place des populations paucispécifiques immatures, ces stades jeunes faiblement structurés ne s'accompagnent que d'une stimulation des populations bactériennes autochtones existant à ce moment-là. La diversité de ces populations bactériennes est élevée, à l'opposé de celle du phytoplancton. Cet état des populations bactériennes est peu différent de celui des conditions oligotrophes (activité hétérotrophe en équilibre avec les excrétats phytoplanctoniques dont les taux sont relativement peu élevés dans . ces populations en bon état physiologique). Ce n'est que lorsque du matériel organique en quantité importante apparaît dans le milieu, que l'on note un bouleversement de ces populations bactériennes, qui montrent alors un peuplement très peu diversifié mais fortement actif, caractéristique des stades pionniers. A la mort des populations phytoplanctoniques dominantes, la mise en place de ce peuplement (stratèges r) correspond au premier stade de la dégradation des cadavres et des molécules organiques complexes des processus de régénération (hydrolyse préalable des macromolécules : Khai1ov, Finenko, 1968), et par conséquent au premier stade des successions des communautés bactériennes dans ces écosystèmes, alors que le peuplement planctonique se diversifie dans le · même temps (autres diatomées, dinollagellés, zooplancton). Ces conditions de faible diversité bactérienne sont transitoires et de courte durée. On note ultérieurement une réorganisation de la communauté bactérienne, avec apparition d'un peuplement taxonomiquement et physiologiquement moins spécialisé, capable d'utiliser les produits organiques issus de la dégradation des macromolécules (nouvelle augmentation de l'indice d'utilisation des substrats carbonés, diminution de l'équipement en exoenzymes des souches). 298 SUCCESSION DE COMMUNAUTÉS BACTÉRIENNES Stade I Stress physiologique Conditions oligotrophes PHYTOPLANCTON Diversité élevé!) biomasse faible stratèges K · Peuplements paucispéciftques Mort des composants immatures en bon état du stade I physiologique 1--------~~ augmentation de la diversité faible diversité apparition du zooplancton forte biomasse stratèges r Excrftion Taux d'excrétion max. Lyse cellulaire Système P Système FE Système R Effectifs importants azotobactériacées diversité faible IME faible; IMU élevé auxotrophes activité élevée BACTÉRIES Pseudomonades diversité élevée IME stable; IMU plus élevé prototrophes activité en équilibre avec excrétion stratèges K Pseudomonades diversité élevée potentialités cataboliques moyennes (IMU =IME) prototrophes activité réduite stratèges K 1----------i STIMULATION SÉLECTION Figure 3 Schéma synthétique de J'évolution de l'écosystème phytoplanctonique expérimental et de la succession des communautés bactériennes associées. Vibrions diversité faible IME élevé, peu versatile auxotrophe très forte activité stratèges r RÉORGANISATION Synthet'ic pattern showing the development of the experimental phytoplanktonic ecosystem and the succession of associated bacteria. La succession évolue dans le sens d'une diversification des niches écologiques, avec une meilleure aptitude à la dégradation de substrats variés au fur et à mesure de la diminution de la richesse organique du milieu. Les « stratèges de type K »reprennent alors de l'importance avec un opportunisme nutritionnel plus marqué (exploitation de ressources énergétiques diverses, prototrophes), et le système s'achemine vers une plus grande stabilité, jusqu'à atteindre une sorte de « climax » bactérien caractéristique des conditions oligotrophes avec des peuplements de diversité élevée, peu spécialisés et faiblement actifs. La communauté bactérienne est alors de nouveau proche de celle des conditions initiales, antérieures au développement du phytoplancton. d'entités physiologiques différentes, sélectionnées par les conditions du biotope, et dont les activités vont retentir sur les autres éléments de l'écosystème, en l'absence dans bien des cas de modifications notables de la dimension de ce compartiment. L'extrême sensibilité des popula. tions bactériennes aux fluctuatipns du milieu apparaît bien à travers les expériences réalisées, et les évolutions observées montrent les relations étroites entre les çommunautés autotrophes et hétérotrophes. En dépit de quelques hypothèses simplificatrices qui sont difficilement évitables en écologie, il semble que la dynamique de ces communautés bactériennes suive les grandes règles classiques de l'évolution des peuplements au sein de l'écosystème, avec des successions de populations différentes de par leur structure et leur fonction, des stades pionniers faiblement structurés et fortement actifs vers des états plus organisés d'activité plus réduite. Cette évolution paraît cependant se réaliser selon une échelle de temps plus courte que celle que l'on peut généralement observer pour ,les autres groupes biologiques, par suite du taux de croissance élevé des bactéries. CONCLUSION La présente étude peut être considérée comme un essai d'approche de la structure et de la succession écologique ·des communautés bactériennes hétérotrophes associées au phytoplancton. Au sein de cet écosystème expérimental, il est clair que l'on ne peut pas considérer le compartiment « bactéries » comme unique et simple. Il est formé de populations diverses qui sont autant S'il est évident que des confirmations expérimentales devront être recherchées pour vérifier le bien-fondé de certaines hypothèses, les diverses analyses utilisées pour 299 Y. P. MARTIN Remerciements cette étude autorisent l'évaluation de faits que des estimations uniquement quantitatives n'auraient pas permis de soupçonner. Ce travail a été réalisé avec l'aide financière du Centre National pour l'Exploitation des Océans dans le cadre d'une étude multidisciplinaire, et nous tenons à remercier tous les membres qui y ont participé, particulièrement M. Bianchi et G. Cabet qui ont largement contribué à sa réalisation. Une telle méthodologie pourrait contribuer à une meilleure connaissance de l'écologie microbienne dans l'écosystème planctonique marin et des mécanismes régulateurs intervenant dans la dynamique des communautés bactériennes qui lui sont associées: ~ÉFÉRENCES Margalef R., 1958. Temporal succession and spatial heterogenity in phytoplankton, in: Perspectives in marine bio/ogy., edited by A. A. Buzzati-Traverso, Uni v. California Press, 323-349. Martin Y. P., 1979. Dynamique, structure et fonction des communautés bactériennes hétérotrophes aérobies associées à des cultures conti~ues en grand volume de phytoplancton marin naturel., Thèse Doct. Etat Sei. nat., Univ. Aix-Marseille III, 162 p. Bell W., Mitchell R., 1972. Chemotactic and growth responses of marine bacteria to algal extracellular products, Biol. Bull., 143, 2, . 265-277. Benecke W., Keutner J., 1903. Uber stickstoffbindende Bakterien aus der Ostsee, Ber Dtsch. Bot. Ges., 21, 333-345. 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