politique;commedanslasociologiedeBourdieu,soitqueledésenchantementdelapolitiques’yidentifieàla
preuvedescientificité,commedanslerévisionnismehistorien.
Danstouslescaslemilitantismedelasciencesociale–commescienceetcomme“sociale”–lametdansun
rapport difficile avec la subjectivité démocratique. L’histoiresavante s’est massivement consacréeauxtemps
prédémocratiques parceque la manière dont les mots et lesagencementsdiscursifs circulent dans l’univers
démocratiqueneseprêtepasàsesopérationsdeterritorialisationdusens.Ladémocratieesttisséedemotset
de figures quine constituent jamais une territorialisation. Non que ladémocratie soit l’errance absolue. Mais
elle est l’absence de fondement de la communauté, l’absence de corps qui installe la communauté dans sa
propre chair. Ses sujets sont toujours provisoires et locaux, ses formes de subjectivation ne sont pas des
incarnationsoudes identifications,elles sontbienplutôt des intervallesentreplusieurscorps,entre plusieurs
identités.Ladémocratien’apparaîtjamaisavecunvisage“propre”.Ellealasingularitéd’unêtreensemblesans
corps,investidansdesactesetdesfidélitéshistoriques.Cesonttoujoursdesnomsetdesactessinguliersqui
fontconsistercetêtreensembledansunesortedepolémiqueinterminableaveclesformesd’incorporation.
C’est ce qui rend difficile d’écrire une histoire sociale ou une histoire ouvrière comme histoire des temps
démocratiques. Cette histoire a affaire à des mots et à des énoncés voyageurs (ouvriers, prolétaires,
mouvementouvrier,émancipation...)quinerenvoientpasàdescorpssociauxobjectivables,àdespropriétés
etàdesactesdecescorps.Elleaaffaireàdesdésignationsquieffectuentdesmodesdesubjectivationaulieu
dedésignerdescorps,àdesclassesquinesontpasdesclasses.Onnepeutpasyappliquercesprocéduresde
territorialisationquivontchercherunlieudelaparoleducôtédegrandesétenduesmontagnardesoumarines,
quitte àlesretrouvertisséesdemots commela Méditerrannée deBraudel qui estcelled’Homère.Lessujets
démocratiquesparlenttrop,enfont tropparrapportàleurpeud’être.D’oùl’impossibilitédeterritorialiserle
lieu de leur parole et l’usage de ces résidus herméneutiques que sont les “sociabilités” ouvrières ou les
“cultures”ouvrièresoupopulaires.Cesontdeseffortsdésespérésetvainspourdonnerunechairauxmotsde
la démocratie. Il ya un défi de la démocratie à l’égard de l’écriture de l’histoire, d’où des procédures
d’évitement qui se redoublent aujourd’hui par l’effet de ces procédures politiques qui constituent ce qu’on
appellelelibéralismeconsensuel.
Démocratieetconsensus
Les événements de la démocratie ont généralement pris la figure d’une contestation de la démocratie. La
traditiondumouvementouvrier,desgrèvesdemasse,toutecettetraditionquiaétérejouéeen1968acette
particularité très étrange etqu’ilfautprendre ausérieux : ily ade ladémocratie dans la contestation de la
démocratie. Le mode d’être de la démocratie est un mode d’être en torsion à l’égard de luimême. On peut
annuler cette torsion de deux manières opposées : il y a eu l’opposition démocratie formelle / démocratie
réelle,réduisantlapremièreaustatutd’apparence,denonvéritéàsupprimerpourquelasecondeexiste,ilya
aujourd’hui laréductioninverse qui identifieladémocratieà l’Etatdedroit,lesDroitsdel’Homme,le régime
parlementaire et, au bout de la chaîne, le consensus. Pour moi la vraie démocratie, c’est précisément ce
combatdesdémocraties,ladémocratiesecontestantellemême,s’exposantàsaproprelimite.C’estpourquoi
laruinedelacontestationdeladémocratieestunechoseterriblepourladémocratie.Lorsqueladémocratie
n’estplusengagéedanslaconfrontationdesformesdesubjectivationauxmodesd’identification,brutalement
onsetrouvedevantlaquestiondecequ’elleestensonprincipe:singularitéouconsensus.
Levoyagecommeexpériencepolitique
Ilyaplusieursmanièresdevoyager.Ilyaplusieursmanièresderevenirdevoyage.Danslevoyagegauchiste,
jepensequ’ilyaeuquelquechosedefortquiaconsistéàdire:touscesmotslà,ouvriers,usine,prolétariat,
etc...doiventvouloirdirequelquechose.Ilyaunlieuoùl’ondoitvérifiercequecelaveutdire,enquelcorps
celaconsiste.Levoyageaétéimportantpourdéfairelesincarnations.Aunomd’autresincarnationsd’abord,
mais,danslamesureoùcellesciontétédécevantesetquelàoùildevaityavoirlevraicorps,iln’yavaitpas
levraicorps,l’expériencepouvaitêtreprofitable.Letoutétaitdesavoircequ’onenfaisait.Onpouvaitfairele
bilan surle moded’unempirismeraisonnable, onpouvait enfairel’armed’une dénonciation politique, disant
quetouscescorpsdesubjectivationsontfauxetqu’ilfautenrevenirauseulvraicorpspolitique,oubienau
vraicorpsdelascience. Onintégraitl’expériencedansunegrandeOdysséeaurabaisdel’expérience.Cequi
m’a intéressé a été la tentative d’inventer des formes du savoir qui gardent la mémoire du voyage comme
voyage,enparticulierdecemomentdepassageoùl’incorporationestdéniéeetoùl’onenchercheuneautre.
Ontientsurlefaitque“prolétariat”estunmotquiasonpoidsdevéritémêmesisoncorpsnesetrouvenulle
part.Lavéritédumotestd’êtreunintervalleentreplusieurscorps,unetraverséesingulièredesdésignationset
des savoirs, des multiples manières dont des mots se tissent à des choses et des savoirs, des multiples
manièresdontdesmotssetissentàdeschosesetàdesactes.
Ilyadeuxleçonstraditionnellesduvoyage:ontrouvelevraicorps(lecorpsdel’autrecommelemêmeque
luimême)etonleramène;oubienonneletrouvepasetl’onditquetoutestvanitéetqu’ilnefallaitpas
partir. J’ai essayé de faire autre chose, de conserver dans la pratique de la recherche et de l’écriture la
mémoireduvoyage,lefaitquelevoyagen’aéténiladécouvertedumêmenilarévélationdufaux.C’estun
autre voyage que j’ai entrepris vers 72/73, au moment de la retombée de l’espérance politique. Mon idée
première était quelevraicorps n’avaitpasététrouvépolitiquementen raisond’un malentenduetjevoulais
remonter par l’histoire à l’origine de ce malentendu : à l’écart entre la détermination marxienne de l’être
ouvrier et sa réalité propre. Pendant longtemps j’ai cherché un “propre” ouvrier du côté de ces formes de
territorialisationaurabaisdontjeparlaistoutàl’heure:ducôtédescorporationsdemétiers/descultures/des
formes d’enracinement originaires. Cela ne marchait pas. Impossible de voir la parole ouvrière se produire à
partir d’uncorps propresurgissant deson lieupropre.Ce quise manifestait àlaplacec’étaituneparolequi
essayaitdes’arracheràcesincarnations,deneplusparlerouvriermaisdesesubjectiversouslenomd’ouvrier
dansl’espacedelalanguecommune.J’airencontrécesexistencessuspenduesàl’impossibledevivreplusieurs
vies et la manière dont leurs singularités se rencontraient, inventaient pour le sujet “commun” ouvrier ou