12 Hors-série (novembre 2012) Revue québécoise de droit international
Certains observateurs l’auront sans doute remarqué, depuis quelques années
nous assistons à une percée des études postcoloniales dans les sciences sociales et
humaines en langue française1. Depuis leurs débuts, les études postcoloniales se sont
principalement illustrées en anglais. Mais, elles sont restées très confidentielles dans
notre langue jusqu’il y a peu2. Seules quelques œuvres phares des études
postcoloniales ont connu une diffusion notable en français. C’est le cas, par exemple,
du Orientalism d’Edward Saïd3 ou encore du Imagined Communities de Benedict
Anderson4 qui ont été traduits en français respectivement en 1980 et en 1996.
L’ouvrage de Saïd est bien assimilé depuis longue date par les études critiques en
français. Celui d’Anderson est encore quelque peu confidentiel dans la francophonie.
Mais, les œuvres d’auteurs tels Homi Bhabha, Gayatri Chakravorty Spivak, Partha
Chatterjee, Dipesh Chakrabarty ou Ashis Nandy sont encore pratiquement inconnues
du public francophone. Cependant, depuis le début des années 2000, on assiste à une
diffusion croissante de telles perspectives dans les études critiques francophones.
Certaines œuvres en études postcoloniales ont été commentées dans des ouvrages qui
ont bénéficié d’une réception critique notable5. Depuis 2005, quelques maisons
d’édition, principalement parisiennes, ont entrepris de traduire des ouvrages très
importants en études postcoloniales qui apportent ainsi un éclairage critique nouveau
sur le fait colonial. Le Location of Culture de Homi Bhabha a été traduit en 2007 chez
Payot6. Un recueil d’essais de Gayatri Chakravorty Spivak incluant « Nationalism and
the Imagination »7 a été traduit en 2011 chez le même éditeur. L’essai « Can the
Subaltern Speak? »8 de Spivak a été traduit, sous la forme d’un livre, en 2006 aux
1En France, ce champ d’études est parfois connu sous l’appellation « Postcolonial Studies » qui révèle,
sans doute, ainsi l’importance de la littérature anglophone dans ce champ mais qui dévoile également
que ce champ est encore assez peu exploré par le public francophone ou francophile. Comme nous le
noterons plus bas, il y a là un certain paradoxe car de nombreux francophones ont participé à forger les
études postcoloniales. Les raisons de cet intérêt récent sont multiples. Certains invoquent les crises des
banlieues en France qui rappellent le douloureux souvenir de la colonisation (voir Yves Lacoste, La
question postcoloniale: une analyse géopolitique, Paris, Fayard, 2010). Mais, on peut constater
également que cet intérêt participe d’une tendance plus générale dans la francophonie, et plus
particulièrement dans le milieu universitaire français à s’intéresser aux perspectives nord-américaines.
Tel qu’en témoigne l’intérêt récent pour les « Cultural Studies », « Science Studies » et « Gender
Studies » en France. Comme nous ne voyons aucune raison, autre qu’une frivolité mal placée, de ne
pas utiliser la langue française pour nommer les « Postcolonial Studies », dans cet article, nous les
appellerons « Études postcoloniales ».
2À ce titre, l’on notera que le camerounais Achille Mbembe, à cheval sur les cultures anglophones nord-
américaines et francophones africaines et européennes, est peut-être une exception.
3Edward Saïd, Orientalism, New York, Vintage, 1978.
4Benedict Anderson, Imagined communities: Reflections on the origin and spread of nationalism, New
York, Verso Books, 1983.
5Voir par ex Jean-Loup Amselle, L'Occident décroché. Enquête sur les postcolonialismes, Paris, Stock,
2008; Nicolas Bancel, Florence Bernault, Pascal Blanchard, Ahmed Boubeker, Achille Mbembe et
Françoise Vergès, dir, Ruptures postcoloniales. Les nouveaux visages de la société française, Paris, La
Découverte, 2005; Jean-François Bayart, Les études postcoloniales: un carnaval académique, Paris,
Karthala, 2010; Yves Lacoste, La question postcoloniale: une analyse géopolitique, Paris, Fayard,
2010; Laetitia Zecchini et Christine Lorre, « Le postcolonial dans ses allers-retours transatlantiques:
glissements, malentendus, réinvention » (2010) 4 : 126 Revue française d'études américaines 66.
6Homi K. Bhabha, The Location of Culture, New York, Routledge, 1994.
7Gayatri Chakravorty Spivak, « Nationalism and the Imagination » (2009) 15 Lectora 75.
8Gayatri Chakravorty Spivak « Can the subaltern speak? » dans Cary Nelson et Lawrence Grossberg,
dir, Marxism and the Interpretation of Culture, Londres, Macmillan, 1988 à la p 271 [Spivak, «Can the