Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). Banques françaises Le bilan d’une décennie (2001-2010) Avril 2011 1 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). On ne trouvera pas ici une chronique de la décennie 2001-2010. Nous ne parlerons ni de l’affaire Kerviel, ni ne commenterons particulièrement les grandes opérations de fusions et acquisition survenues ces dix dernières années. Notre objectif est seulement de laisser parler les chiffres, pour capter des tendances fortes qui, manifestes au cours de la décennie écoulée, paraissent devoir peser sur celle qui vient de commencer. Ces deux dernières années, les résultats des principales banques françaises ont été bons et même un peu heureux car très dépendant, de fait, du niveau des taux d’intérêts. Ces résultats, dès lors, ne doivent pas masquer qu’au cours de la décennie, la rentabilité des mêmes banques a finalement assez peu progressé – malgré le regroupement des centres de traitement, malgré des investissements informatiques soutenus, malgré des efforts pour accroître la part des commissions dans les résultats. Aujourd’hui, les principales banques françaises présentent des coefficients d’exploitation assez éloignés des meilleurs standards internationaux. Or, pour les principales banques françaises, toute amélioration de leur rentabilité paraît aujourd’hui suspendue à trois grandes problématiques : leur capacité à se développer effectivement selon le modèle de banque universelle qu’elles ont jusqu’ici suivi. Les contraintes d’une réglementation bancaire devenue un véritable facteur d’incertitude. La possibilité de valoriser des clientèles de masse en moyenne peu rentables et vis-àvis desquelles les économies d’échelle atteignent vite leurs limites. Alors qu’une nouvelle décennie commence, les principales banques françaises semblent à la recherche d’un nouveau souffle. A cet égard, les trois problématiques isolées ci-dessus ont ceci en commun qu’elles touchent aux fondamentaux des métiers bancaires. Si l’on y ajoute certaines innovations techniques, en cours d’apparition, tout semble réuni pour voir apparaître des évolutions majeures dans les dix ans qui viennent. 2 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). TABLE DES MATIERES METHODOLOGIE 1/ LES RESULTATS DES BANQUES Une progression considérable du PNB. La part des commissions dans les résultats des banques. Impact du coût de refinancement. Niveau des encours. 2/ LA RENTABILITE Evolution du résultat net. Evolution du ROE. Quels facteurs explicatifs peuvent être retenus pour expliquer le tassement des ROE bancaires en France, ainsi que dans d’autres pays ? Evolution du coefficient d’exploitation. Le poids des effectifs. Charges liées aux SI. Le récent développement de l’externalisation des activités des banques françaises. 3/ TROIS ENJEUX POUR LA DECENNIE QUI VIENT DE COMMENCER 3. I./ LES MODELES DE DEVELOPPEMENT Le modèle de banque universelle. Le crédit à la consommation. La BFI. La Gestion d’actifs et l’Asset Servicing. L’assurance et les produits non financiers. 3. II./ LES ENGAGEMENTS Engagements par zones géographiques. Engagements par types d’emprunteurs. De Bâle II à Bâle III. La course aux dépôts. 3. III./ LES STRATEGIES CLIENTELES Des clientèles de masse gigantesques. La rentabilité des clients. La problématique du multicanal. La problématique de la fidélisation. Les problématiques de la tarification. Quelles stratégies pour la clientèle de particuliers ? Comment les réseaux sociaux vont changer la banque. CONCLUSION 3 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). METHODOLOGIE La présente étude porte sur les cinq principaux groupes bancaires français : BNP Paribas, BPCE, Crédit Agricole SA, Groupe Crédit Mutuel et Société Générale. Nous leur avons ajouté la Banque postale. Nous avons voulu considérer BPCE comme un groupe à part entière, plutôt que de suivre séparément les Caisses d’épargne et les Banques populaires, même si cela limitait évidemment le champ d’observation, BPCE n’ayant été créé qu’en 2009. Même si nous pourrons faire référence à d’autres établissements au cours de l’étude, les données propres aux six groupes ci-dessus listés nous ont paru suffisantes pour dégager quelques tendances fortes du marché bancaire français, auxquelles d’autres établissements pourront sans doute apporter des réponses propres mais dont ils ne pourront s’affranchir. Par ailleurs, nous avons voulu utiliser un panel de banques étrangères afin de mener des comparaisons. Par commodité, il n’était guère possible d’y inclure un nombre élevé d’établissements et nous avons finalement retenu deux banques américaines, trois européennes et quatre issues de pays émergents. Quant aux Américaines et aux Européennes, nous aurions bien entendu pu choisir d’autres établissements mais on ne peut vraiment nous disputer la valeur de benchmark de Bank of America, Wells Fargo, HSBC, Santander et Deutsche Bank. Quant aux « émergentes », le choix était bien entendu plus difficile : qui retenir ? Les principales banques chinoises et indiennes sont souvent publiques et ne paraissent pas tout à fait obéir aux mêmes critères de gestion que leurs consœurs occidentales. Fallait-il prendre en considération la taille des pays ? Sans doute mais cela n’aurait pas rendu le choix plus aisé. Au total, nous avons retenu quatre établissements dont le dynamisme et la stratégie nous ont frappé au cours de la décennie passée : la brésilienne Bradesco, la marocaine Attijariwafa Bank, le groupe malaisien CIMB et la libanaise Blom Bank. Nous ne prétendrons pas que ces quatre établissements sont représentatifs du monde émergent dans son ensemble (cela d’ailleurs aurait-il un sens ?) mais qu’ils témoignent au moins de son dynamisme actuel. Toutes les données fournies nominativement ci-après, c’est-à-dire concernant un établissement nommément désigné, sont puisées à la seule source des rapports annuels et documents de référence publiés par les établissements. Les autres données sont issues de nos bases ou d’autres sources indiquées. Elles ne correspondent qu’à des moyennes. Les chiffres 2010 n’étant pas forcément disponibles pour tous les établissements lors du bouclage de la présente étude, nous indiquons parfois « 2009 ou 2010 » dans les tableaux. Il convient de souligner, de manière générale, le manque d’uniformité de beaucoup de données, d’un établissement à l’autre comme d’une année sur l’autre pour un même établissement. 4 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). 1/ LES RESULTATS DES BANQUES En 2009 et 2010, les principales banques françaises ont affiché des résultats excellents et étonnants dans le contexte d’une économie morose, à faible croissance et à peine sortie des effets d’une crise mondiale ayant mis de nombreuses banques en péril. Il convient donc de sonder ces résultats et, en premier lieu, la formation du produit net bancaire. Ce dernier, sur dix ans, a considérablement augmenté. Mais, outre les opérations de fusion et acquisition, importantes tout au long de la décennie, cela s’explique d’abord par l’évolution du coût de refinancement des banques ; lui-même très favorablement conditionné par la baisse historique des taux d’intérêt ayant suivi la crise. Cela souligne combien les principales banques demeurent dépendantes de cette variable exogène, contrairement à ce qu’on croit souvent. Une progression considérable du PNB. Sur dix ans, on constate une forte, voire une très forte progression de ce que l’on considère être le chiffre d’affaires des banques, le Produit Net Bancaire (PNB). Ceci se constate en France… PNB en milliards d'€ BNP Paribas Crédit Agricole SA Groupe Crédit Mutuel Société Générale 2001 14,4 6,3 7,9 13,8 2005 21 13,6 9,6 19,1 2009 ou 2010 43 20,1 13,6 26,4 2005 56 32,9 19,8 25,6 61,7 21,3 4,5 4,6 0,2 2009 ou 2010 120 88,6 42 28,5 80 28,3 13,3 7,6 0,4 Progression décennale 199% 219% 72% 91% … comme à l’étranger, à quelques exceptions près : PNB en milliards Bank of America (USD) Wells Fargo (USD) Santander (€) Deutsche Bank (€) HSBC (USD) Bradesco (R$) Attijariwafa Bank (MAD) CIMB Group (RM) Blom Bank (USD) 2001 34 20,1 15,5 30,3 25,8 9,4 ns 2,6 0,1 Progression décennale 253% 341% 171% -6% 210% 201% 196% 192% 300% La crise a donc finalement peu contrarié l’activité des banques. Comment l’expliquer ? * 5 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). En moyenne, selon nos analyses, cette croissance du PNB s’explique en France, comme ailleurs : par des fusions et acquisitions (47%) ; par la croissance organique, qu’il s’agisse du développement des activités à l’international (9%) ; ou du lancement de nouvelles offres et de la hausse des tarifs (12%) ; par l’évolution du coût de refinancement (32%), lequel a joué un rôle déterminant ces deux dernières années. Pour le comprendre, il faut néanmoins préciser de quoi se compose le produit net bancaire. Qu’est-ce que le produit net bancaire ? C’est un peu faussement que l’on assimile le PNB au chiffre d’affaires des banques. En fait, il correspond davantage à la marge brute des autres entreprises, sans lui être non plus tout à fait assimilable. Quoi qu’il en soit, quand le PNB est formé, tout est joué ! Il donne en effet le solde de pratiquement toute l’activité d’un établissement bancaire. Pourtant, le détail du PNB n’est fourni qu’en annexe et de ce point de vue, la comptabilité bancaire anglo-saxonne est plus explicite en distinguant au niveau du Compte de résultats le « net interest income » et le « noninterest income » (commissions). * Le PNB doit d’autant plus être regardé dans le détail qu’il agrège des cash flows (produits d’intérêts et de commissions) et des résultats non réalisés, obtenus par évaluation de certains actifs à leur valeur de marché – des résultats indépendants de l’activité bancaire réelle donc et qui ne sont que virtuels. Le PNB est en effet composé de : 1) Intérêts et produits assimilés – Intérêts et charges assimilés 2) Commissions (produits) – commissions (charges) 3) Gains ou pertes nets sur instruments financiers à la valeur de marché par résultat + Gains ou pertes nets sur actifs financiers disponibles à la vente. Ces deux éléments de marked-to-market font qu’il est possible d’avoir un PNB négatif ou bien un PNB largement positif, alors même qu’il ne s’agit pas là de cash-flows mais seulement de la valorisation d’actifs au prix du marché. 4) Produits des autres activités – charges des autres activités, qui regroupent notamment les produits des activités d’assurance et d’immobilier de placement. Parmi les différentes composantes du Produit Net Bancaire, il est d’abord intéressant d’isoler la part des commissions. 6 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). La part des commissions dans les résultats des banques. Sur dix ans, les commissions brutes des principales banques françaises ont progressé moins vivement que le PNB. Elles ont même reculé dans certains cas : Commissions brutes en milliards d'€ BNP Paribas BPCE Crédit Agricole SA Groupe Crédit Mutuel La Banque postale Société Générale 2001 6,4 ns nd 2,8 ns nd 2005 8,7 ns 5 3,2 ns 7,9 2009 ou 2010 13,8 8,7 4,8 4,4 1,9 10 Progression décennale 116% 57% - Il convient de souligner que 75% des commissions, en moyenne, sont liées aux paiements ; lesquels représentent donc en moyenne 15% du PNB des premières banques françaises. La part des commissions nettes dans le PNB a eu tendance à légèrement baisser : Part des commissions nettes dans le PNB BNP Paribas BPCE Crédit Agricole SA Groupe Crédit Mutuel La Banque postale Société Générale 2001 24% ns ns 26% ns 34% 2005 21% ns 25% 23% ns 31% 2009 ou 2010 19% 33% 26% 25% 34% 28% Même si l’on raisonne dans le seul périmètre de la banque de détail, aucun des premiers groupes bancaires français n’assure la moitié de son PNB sur des commissions de service. Pourtant, l’idée (fausse) s’est installée selon laquelle les banques tireraient l’essentiel de leurs revenus des commissions qu’elles appliquent à leurs services. De là, on a souvent parlé de l’industrialisation de l’activité bancaire. De tels discours doivent être relativisés ! En fait, le phénomène n’est vraiment manifeste que pour quelques grandes banques américaines. Pour le reste, comme notre panel de banques étrangères l’indique, les banques françaises se situent dans la moyenne : Part des commissions nettes Bank of America Wells Fargo Santander Deutsche Bank HSBC Bradesco Attijariwafa Bank CIMB Group Blom Bank 2009 60% 47% 23% 37% 22% 40% 16% 19% 25% 7 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). Le financement demeure donc le métier principal des banques et cela souligne, parmi les composantes du Produit Net Bancaire, l’impact déterminant de leur coût de refinancement (et donc de la marge que les banques réalisent sur les crédits qu’elles distribuent). Impact du coût de refinancement. Ces deux dernières années, sauf pour la Banque postale, les produits bruts d’intérêt ont eu tendance à baisser chez chacune des banques que nous étudions. Produits bruts d'intérêts en milliards d'€ BNP Paribas BPCE Crédit Agricole SA Groupe Crédit Mutuel La Banque postale Société Générale 2008 58,8 ns 47,1 25,5 5 40,1 2009 46,4 46,5 35,1 22,2 5,5 30,5 2010 47,3 34,4 nd nd nd 28,2 Cependant, le ratio charges/produits d’intérêts s’est beaucoup amélioré en 2009, du fait de la forte baisse des taux d’intérêt. Il explique assez largement la hausse du PNB : Ratio charges/produits bruts d'intérêts BNP Paribas BPCE Crédit Agricole SA Groupe Crédit Mutuel La Banque postale Société Générale 2001 89% ns 94% 79% ns nd 2005 75% ns 78% 76% ns 76% 2008 78% 80% 72% 84% 54% 80% 2009 54% 63% 60% 63% 47% 61% Ces deux dernières années 2009-2010, les résultats des banques françaises ont été largement redevables d’un effet taux favorable (lequel a également joué au milieu de la décennie). Evolution de l’Eonia sur dix ans. Sur notre panel de banques étrangères, cet effet taux est moins marqué. Les établissements français semblent ainsi avoir moins répercuté la baisse des taux d’intérêts à leurs clients que leurs homologues étrangers. Fin 2010, le spread entre le taux moyen pratiqué par les banques françaises sur leurs crédits et l’Euribor 3 mois était de 180 points de base. Il était de 40 points de base fin 2008 (Bulletin de la Banque de France n° 183, 2011). 8 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). Quoi qu’il en soit, la nette amélioration de leur coût de refinancement, permettant tout à la fois de conforter les marges et de mieux absorber le coût du risque, a poussé au maintien voire à l’augmentation des encours de crédit. C’est là l’autre aspect de l’effet taux dont les banques ont bénéficié ces dernières années. Niveau des encours. Au total, sur dix ans, les encours de prêts ont été considérablement accrus, sans ralentissement notable du fait de la crise : Prêts (encours de bilan) à la clientèle retail (particuliers, pros, entreprises) 2001 214 72,6 143,6 182 En milliards d'€ BNP Paribas Crédit Agricole SA Groupe Crédit Mutuel Société Générale 2005 273 187 188 227 2009 ou 2010 633 362 304,5 371 Parallèlement, les encours de créances douteuses ont été contenus à proportion de la hausse des encours. Ainsi par exemple pour BNP Paribas : Encours douteux sur le total des prêts à la clientèle retail (particuliers, pros, entreprises) 2001 15,1 7% En milliards d'€ BNP Paribas % sur le total des prêts 2009 38 6% 2010 42 7% Loin d’avoir réduit leurs encours de prêts, les banques ont cherché à se renforcer dans le financement de l’immobilier tout au long de la décennie et sans que la crise ralentisse réellement ces efforts. Ainsi, par exemple, pour la Société Générale : Société Générale Engagements bilantiels de crédits à l'habitat en milliards d'€ 2010 2005 2001 99 55,3 32,1 La question serait en fait de savoir s’il n’y a pas une surexposition des banques françaises aujourd’hui dans l’immobilier. * 9 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). Leur sensibilité à l’évolution des taux d’intérêt profite aujourd’hui aux banques françaises. Liée à un facteur exogène, cette sensibilité n’en représente pas moins un évident facteur de fragilité si cette « aubaine » ne contribue pas à améliorer de manière structurelle leur rentabilité. La crise, une vision américaine… 10 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). 2/ LA RENTABILITE Pour les principales banques françaises, l’évolution de leur rentabilité nette n’a pas été à la hauteur de celle de leur PNB. Sur dix ans, leurs ROE ont peu progressé. Leurs coefficients d’exploitation n’ont pas connu cette réduction importante et surtout constante que l’on trouve chez plusieurs grandes banques étrangères. Les banques françaises ont vu leurs effectifs croitre considérablement, elles ont renforcé leurs fonds propres de manière soutenue et elles ont également investi dans leurs systèmes d’information. Tout ceci est en partie un effet de croissance externe pour certains établissements mais celle-ci, aussi bien, n’a que peu (ou n’a pas encore) amélioré nettement la productivité. Dans ce contexte, les banques françaises ont ouvert au cours de la décennie la problématique du sourcing ; une problématique que résume la formule « Make or Buy » et qui recouvre la question de savoir quelles activités doivent être développées en propre et sous quelle forme ? Evolution du résultat net. Sur dix ans, la rentabilité des principales banques françaises n’a pas suivi la même forte progression que leur Produit Net Bancaire. Seule BNP Paribas affiche une progression constante de son résultat net. Il convient toutefois de souligner que sans « l’effet taux », présenté ci-dessus, les résultats 2010 n’auraient pas été aussi flatteurs et pratiquement tous les établissements ci-dessous auraient présenté une rentabilité stagnante, voir en régression, sur l’ensemble de la décennie. Résultat net en milliards d'€ BNP Paribas BPCE Crédit Agricole SA Groupe Crédit Mutuel La Banque postale Société Générale 2001 4 ns 1,5 0,9 ns 2,3 2005 5,8 ns 4,2 2,3 ns 4,9 2009 5,8 0,5 1,4 1,8 0,58 1,1 2010 7,8 3,6 4 nd 0,65 4,3 Ces chiffres infirment l’image d’un marché bancaire français peu concurrentiel, voire cartellisé. De fait, sur un marché où il est rare que l’un des principaux acteurs atteigne 30% de part de marché dans l’un ou l’autre segment d’activité, l’offre bancaire en France paraît à la fois concentrée (il n’y a plus d’acteur indépendant de petite et moyenne taille) et assez concurrentielle – particulièrement sur certains types de crédits, gérés comme de véritables produits d’appel, comme le crédit à l’habitat. Il convient de rappeler qu’en 1995 le « seuil Trichet » est venu encadrer les pratiques bancaires en France et surveiller les taux de crédit « anormalement bas » pour empêcher les ventes à perte. Une telle disposition n’aurait guère de sens dans un marché cartellisé. * Si l’on se réfère à notre panel de banques étrangères, les évolutions de leur résultat net sont parfois mitigées mais certains établissements (Wells Fargo, Santander, les quatre émergentes) atteignent des taux de progression que leurs homologues françaises n’ont pas connu au cours de la décennie : 11 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). Résultat net en milliards Bank of America (USD) Wells Fargo (USD) Santander (€) Deutsche Bank (€) HSBC (USD) Bradesco (R$) Attijariwafa Bank (MAD) CIMB Group (RM) Blom Bank (USD) 2001 8 3,4 2,4 3,3 8,8 2,1 ns ns 0,08 2005 16 7,6 6,2 3,5 20 5,5 1,6 0,8 0,1 2009 ou 2010 6,2 12,2 8,1 2,3 19 8 4,6 1,9 0,2 Pour certains établissements ci-dessus, les résultats sont donnés avant impôt. Nous ne comparons cependant pas des montants mais des évolutions Par ailleurs, si les principales banques françaises ont su défendre, sur dix ans, un niveau de rentabilité conséquent, cela ne se traduit pourtant guère dans leur ROE (Return on Equity ou rentabilité des capitaux propres). Evolution du ROE. A partir du milieu de la décennie, la profitabilité des banques françaises s’est tassée. Le ROE des premiers groupes bancaires a progressé jusqu’en 2005. Il s’est ralenti par la suite et, dans certains cas, s’est même pratiquement effondré. ROE BNP Paribas BPCE Crédit Agricole SA Groupe Crédit Mutuel Société Générale 2001 18% ns 13% 9% 16% 2005 20% ns 16% 13% 25% 2009 ou 2010 12% 8% 3% 6% 10% Dans notre panel de banques étrangères, d’autres exemples sont tout aussi patents : ROE Bank of America Wells Fargo Santander Deutsche Bank HSBC Bradesco Attijariwafa Bank CIMB Group Blom Bank 2001 16,50% 12,70% 17,50% 16% nd 22,20% ns ns ns 2005 16,50% 19,50% 19% 12,50% nd 28,40% 16,70% 8,80% 17,20% 2009 ou 2010 4,18% 9,80% 11,80% 5,50% 9,50% 19,20% 22,70% 12,30% 19% Il convient ainsi de souligner : Le niveau de rentabilité qu’atteignent désormais certaines banques dans les pays émergents. Si l’écart se maintient de ce point de vue avec les 12 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). banques de pays plus développés, les « émergentes » pourraient réaliser de belles acquisitions d’ici dix ans. Par ailleurs, depuis 10 ans, les banques, de manière générale, se sont laissées nettement distancer en termes de profitabilité (ROE) par rapport à d’autres secteurs d’activité : En % Banques Energie Industrie Santé 1995-2000 13,3 10,8 8,3 18,8 2001-2007 12,8 18,6 11,5 18,5 2008-2010 3,2 10,1 11 15,3 Source : BRI Au cours de la dernière décennie le modèle de développement des banques a-t-il atteint ses limites ? Il est très difficile de raisonner sous des termes aussi généraux. Notons toutefois que les chiffres cités ci-dessus vont largement à l’encontre de l’opinion, largement répandue au cours de la décennie, voulant que la banque soit une activité facilement rentable ; ceci ayant conduit de nouveaux acteurs, tels que les grandes surfaces ou les assureurs, à se lancer dans l’activité bancaire. Quels facteurs explicatifs peuvent être retenus pour expliquer le tassement des ROE bancaires en France, ainsi que dans d’autres pays ? La crise compte certainement parmi ces facteurs. Il est toutefois difficile d’en préciser les effets car ses impacts pour les banques ont été contrebalancés par la baisse des taux et l’aide reçue des Etats – ainsi le PNB des principaux établissements en France, nous l’avons vu, a été peu affecté. Un autre facteur explicatif – et mécanique dans le calcul du ROE – tient au renforcement des capitaux propres des banques ; lequel a été constant sur l’ensemble de la décennie, lié notamment aux évolutions prudentielles réglementaires Bâle II puis, tout récemment, Bâle III. Capitaux propres en milliards d'€ BNP Paribas BPCE Crédit Agricole SA Groupe Crédit Mutuel La Banque postale Société Générale 2001 24,6 ns 23,9 14 ns 15,8 2005 45,9 ns 30,6 20,7 ns 23,5 2009 ou 2010 85,6 47,3 45,6 29,6 4,9 46,4 Toutefois, cette augmentation soutenue et régulière des capitaux propres ne correspond pas à celles, beaucoup plus creusées, des résultats nets et des ROE ; de sorte qu’elles ne paraissent pas directement corrélées et, au total, il ne paraît pas normal que les principaux groupes bancaires français aient vu leur PNB et leurs capitaux propres plus que doubler en dix ans, tandis que leur ROE, dans le meilleur des cas, chutait de 40% ces cinq dernières 13 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). années. C’est là l’indice d’un problème structurel de rentabilité, qu’il faut d’abord référer à leur coefficient d’exploitation. Evolution du coefficient d’exploitation. Quant à leur coefficient d’exploitation (ou ratio d’efficience : charges d’exploitation/PNB), si l’on compare les deux tableaux ci-dessous, on constate que les principales banques françaises se sont laissées distancer, ces dix dernières années, par rapport aux meilleurs standards internationaux. Coefficient d'exploitation BNP Paribas BPCE Crédit Agricole SA Groupe Crédit Mutuel La Banque postale Société Générale Coefficient d'exploitation Bank of America Wells Fargo Santander Deutsche Bank HSBC Bradesco Attijariwafa Bank CIMB Group Blom Bank 2001 62,7% ns 68,9% 68,7% ns 72,8% 2005 61,2% ns 66,9% 63,5% ns 63,4% 2009 ou 2010 60,4% 68,7% 67,9% 61,6% 85,1% 62,6% 2001 55,4% 64,0% 54,0% 82,0% nd 54,3% ns ns 38,0% 2005 50,3% 57,7% 47,0% 74,7% nd 45,6% 51,6% 54,6% 34,0% 2009 ou 2010 55,1% 55,3% 43,3% 81,6% 55,2% 41,0% 40,8% 53,2% 35,5% Par rapport à notre panel de banques étrangères, les banques françaises affichent des coefficients d’exploitation non seulement élevés mais dont le rythme de réduction est souvent faible sur dix ans – alors même que ratio rapportant les charges d’exploitation au PNB, le coefficient est mécaniquement amélioré par l’augmentation de ce dernier ; or cette augmentation a été forte pour les principales banques françaises, nous l’avons vu. De fait, pour les principales banques françaises, la hausse des charges d’exploitation a été proportionnelle à celle des résultats, notamment en termes d’effectifs. Le poids des effectifs. De manière générale, les banques sont consommatrices de ressources humaines. Dans les pays développés, elles ont remplacé les industries de masse. En France, les banques sont le troisième employeur privé et elles génèrent de plus quelques 200 000 emplois dérivés. La hausse des effectifs bancaires a été significative en France ces dix dernières années. 14 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). Effectifs en milliers BNP Paribas BPCE Crédit Agricole SA Groupe Crédit Mutuel La Banque postale Société Générale 2001 85 ns 29,4 50 ns 86,5 2005 109 ns 62,1 57 ns 103 2009 ou 2010 205 125 89,1 72,4 27,3 155 Progression décennale 141% ns 203% 45% ns 79% C’est là toutefois un phénomène général, qu’ont également connu (quoique dans des proportions moindres) les banques étrangères de notre panel : Effectifs en milliers Bank of America Wells Fargo Santander Deutsche Bank HSBC Bradesco Attijariwafa Bank CIMB Group Blom Bank 2001 143 119 nd 96 nd 74 ns ns ns 2005 203 153 129 63 nd 73 4,6 24,2 1,4 2009 ou 2010 284 267 178,8 102 307 85 6 32 3,5 Progression décennale 99% 124% 39% 6% ns 15% 30% 32% 150% En moyenne, selon nos analyses, les effectifs des banques se répartissent de la manière suivante : Direction et services fonctionnels : 5% Front Office/commerciaux : 40% Back Office : 49% Informatique : 5% (mais ce chiffre n’inclut pas les prestataires extérieurs). Au cours des dix dernières années, les recrutements les plus importants ont concerné les postes fonctionnels et surtout commerciaux – dont l’accroissement (au point de presque rivaliser avec les effectifs de back office) a marqué la décennie. En somme, les gains de productivité enregistrés dans les back offices ont été plus que compensés par les charges administratives et l’extension du dispositif commercial. Cela s’est traduit par le renforcement d’une caractéristique que partagent plusieurs grands groupes bancaires français : le fait d’employer une majorité de cadres, de coût salarial plus élevé. Proportion de cadres BNP Paribas Crédit Agricole SA Groupe Crédit Mutuel Société Générale 2005 42,2% 41,0% nd 38,0% 2009 ou 2010 51,1% 52,4% 36,0% 52,5% Cette forte proportion des personnels d’encadrement – à comparer à la moyenne de 16% de cadres pour l’ensemble de l’économie nationale - ne s’explique pas par un vieillissement des effectifs sur dix ans. En 2010, chez BNP Paribas, par exemple, 42% des personnels avaient moins de 35 ans et 57% moins de 40 ans. Le renforcement de l’encadrement a par ailleurs accompagné la féminisation accentuée des métiers bancaires. Chez Crédit Agricole SA, on 15 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). comptait en 2005 56% de femmes, dont 16% de cadres, pour 22% de cadres chez les hommes. En 2009, les femmes étaient 57%, dont 22% de cadres, pour 28% de cadres chez les hommes. * Par ailleurs, sur dix ans, au sein des principales banques françaises, une forte embauche (ou l’intégration de personnels issus d’acquisitions) s’est conjuguée avec un important recours à des prestataires extérieurs. Ainsi, nouvelle entrante sur le marché bancaire français, la Banque postale a dépensé en 2009 129 millions d’€ de salaires (+15% par rapport à 2008) et 3,3 milliards d’€ de frais de sous-traitance générale (dont 3,1 milliards reversés à La Poste) et 404 millions d’€ de services extérieurs divers. Au total, sur dix ans, les banques françaises ont cumulé des charges fixes de personnel élevées et des charges variables d’achat de prestations extérieures également élevées – ceci tenant notamment au développement de leurs systèmes d’information (SI). Charges liées aux SI. Le budget des Directions informatiques des principaux groupes bancaires représente en moyenne entre 1 et 3 milliards d’€, soit, en moyenne également, la moitié du budget de leur banque de détail France, les deux tiers du budget de leur BFI et un budget souvent supérieur à ceux des Services financiers spécialisés ou de la Gestion d’actifs. Les coûts informatiques et télécom représentent en moyenne de 7% à 10% des charges d’une Banque de détail et de 10% à 15% des charges d’une BFI (banque de financement et d’investissement). Le développement des SI a nécessité un rythme d’investissement soutenu tout au long de la décennie. Ainsi, par exemple, pour BNP Paribas : 2010 2009 2008 2005 2002 BNP Paribas 4,5 4,2 2,9 1,9 1,2 2001 0,2 Logiciels acquis et produits en milliards d'€ valeur brute comptable Ainsi, les principales banques françaises ont au cours de la décennie passée tout à la fois embauché de manière importante et investi massivement dans leurs SI. Or ceci, au moins pour le moment, n’a que peu renforcé leur productivité, comme les indicateurs de rentabilité cités ci-dessus l’indiquent. * Les banques appréhendent encore assez mal leur propre productivité et la rentabilité de leurs investissements. Les banques anglo-saxonnes à cet égard – beaucoup moins les Françaises - suivent leur ROA (Return on asset), lequel est certes un indicateur très large, susceptible de plusieurs interprétations mais un indicateur témoignant néanmoins que la course à la taille, les acquisitions et les investissements ne sont pas forcément synonymes de rentabilité : dans le tableau ci-dessous, les deux banques américaines, ainsi que Santander, 16 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). ayant réalisé d’importantes acquisitions depuis 2005, ont vu leur ROA diminuer, à la différence des deux émergentes, ayant davantage compté sur la croissance organique : ROA Bank of America Wells Fargo Santander HSBC Bradesco CIMB Group 2005 1,30% 1,72% 0,78% nd nd 0,73% 2010 0,26% 0,97% 0,76% 0,57% 1,66% 0,94% NB : le « temps de latence » nécessaire avant de commencer à profiter d’une opération d’acquisition ou d’investissement est en moyenne de trois ans pour les banques ; de sorte que ce délai joue encore en partie pour les trois premiers établissements dans le tableau ci-dessus. Les principales banques françaises offrent aujourd’hui moins de visibilité sur leur productivité que plusieurs grands groupes étrangers. Cela ne signifie pas néanmoins que cette question ne les préoccupe pas : la décennie écoulée aura été marquée par la mise en perspective des stratégies de développement sous la problématique de l’externalisation. * Le récent développement du sourcing des activités des banques françaises. Par sourcing, il faut entendre gestion des ressources et moyens plus qu’externalisation, terme sous lequel on entend souvent uniquement outsourcing ou même délocalisation. Il convient donc de souligner que le sourcing recouvre des problématiques assez différentes, parmi lesquelles : la sous-traitance, c’est-à-dire l’achat extérieur plutôt que la réalisation de prestations jugées hors du « cœur métier » ; la filialisation interne ou le regroupement au sein d’une entité nouvelle (captive) de moyens ou tâches jusque là réparties entre plusieurs entités ou disséminées au sein des différents métiers ; l’infogérance (ITO) qui concerne les moyens informatiques et qui peut s’accompagner d’un transfert de moyens et de personnels à une société tierce ou à un joint-venture. Si ces transferts concernent les activités de banque proprement dites, de front comme de back office, on parle de BPO (Business Process Outsourcing) ; les partenariats, qui souvent passent par la constitution d’une filiale commune avec un autre établissement, bancaire ou non (exemple : assurance). L’externalisation ne doit donc pas être confondue avec la délocalisation d’activités, qui peut l’accompagner mais qui ne s’impose pas et qui n’implique pas forcément le recours à un tiers. En général, une délocalisation est une externalisation (au moins sous forme de filiale captive) mais toute externalisation ne s’accompagne pas d’une délocalisation. Par ailleurs, contrairement à ce qu’on admet souvent trop rapidement, le sourcing ne concerne pas que les activités jugées non stratégiques ou insuffisamment rentables car n’atteignant pas la taille critique. Il peut correspondre tout au contraire au souhait d’un renforcement stratégique. Autant dire que le sourcing ne répond pas au seul objectif d’une réduction/variabilisation des coûts mais, bien plus largement, à des objectifs de productivité 17 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). et de renforcement des offres – externaliser une activité, en ce sens, revient à internaliser des savoir faire. * Pour ce qui concerne la sous-traitance, les banques françaises y ont depuis longtemps recours pour des services tels que le transport de fonds ou la paie et la décennie, de ce point de vue, n’a pas apporté de bouleversements. La filialisation de moyens a essentiellement concerné l’informatique (regroupement de data centres notamment), souvent sous forme de GIE. Certaines migrations des SI sur une plateforme unique sont toujours en cours (Crédit Agricole, Société Générale). Au-delà, au cours de la décennie, le principe d’une facturation à l’unité d’œuvre s’est beaucoup développé au sein des établissements bancaires (facturation interne) Les banques externalisent environ 20% de leurs coûts informatiques. L’infogérance s’est beaucoup développée au cours de la décennie : 80% des banques françaises y ont désormais recours mais aucune sous la forme d’un service informatique global – la tentative de BNP Paribas lancée à cet égard en 2003 avec IBM, n’a pas été poursuivie. Le BPO, lui, se limite toujours à quelques segments d’activité dans la gestion des ressources humaines et la comptabilité - toutefois, le traitement des chèques est désormais externalisé par 70% des banques françaises et d’autres activités de traitement sont peu à peu gagnées (titres, monétique, avec la plateforme commune de BNP Paribas et Natixis Partecis par exemple, correspondant banking) et parfois remplies par un établissement au profit d’autres sous marque blanche. Pour le reste, les activités de support clients (dont les centres d’appels) n’ont pas fait l’objet d’une externalisation générale, ni même d’une délocalisation systématique (les dernières années de la décennie ayant même fait assister à une vague « d’inshorisation »). Le traitement des crédits, lui, est encore assez peu concentré, même au sein des groupes bancaires eux-mêmes. Les dernières années de la décennie, enfin, ont vu se nouer des partenariats d’envergure, modifiant sensiblement la manière dont les banques appréhendent désormais leur propre développement. Quatre établissements, de ce point de vue, se sont particulièrement distingués : en 2010, Crédit Agricole SA a repris les activités de gestion d’actifs de la Société Générale au sein d’une filiale commune (détenue à 75% par Crédit Agricole SA) : Amundi. Dans les activités complémentaires d’Asset servicing, Crédit Agricole SA s’est renforcé dans CACEIS (dont Natixis détient 15%) et a repris les activités de dépositaire d’HSBC France en 2010. Dans deux domaines d’activité dont la rentabilité s’est dégradée et dont les parts de marché sont désormais mondiales, Crédit Agricole SA joue ainsi la carte de la taille et de l’industrialisation. Nouvelle entrante sur le marché bancaire français, la Banque postale a recours à des partenariats pour se développer : dans le crédit à la consommation (LBP Financement, détenue à 65%), l’assurance dommage (LBP Assurance IARD, avec Groupama), l’assurance santé (Efprimo avec la Mutuelle générale) – sachant que la Banque postale disposait déjà d’un partenariat historique avec CNP Assurances dans l’assurance vie. Avec la Société Générale, LBP dispose également d’une plateforme 18 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). commune de monétique (Transactis). La Banque postale déploie ainsi un modèle de développement que d’autres banques postales ont retenu - aux Etats-Unis, par exemple, la Poste confie ses cartes de crédits et ses paiements à Bank of America, ses chèques, son service de coffres et d’autres paiements à une autre banque et la gestion des espèces en zones rurales à 22 banques différentes. Un dernier établissement enfin est sa banque pivot (compensation, reporting dépôts, emprunts, change, …). Un tel modèle, toutefois, est nouveau en France : proposer à ses clients, à travers des partenariats choisis, une offre large et complète, plutôt que de la développer par ses propres moyens. Il est donc intéressant de constater que l’une des plus anciennes banques françaises, la Société Générale, a commencé également à suivre un tel modèle. En 2002, la Société Générale s’alliait à Axa (50%-50%) sur l’épargne salariale à travers ESE. En 2009, la Société Générale s’est engagée dans un partenariat avec la Banque postale pour le crédit à la consommation, en même temps qu’elle cédait ses activités de gestion d’actifs européennes et asiatiques (mais seulement 20% de ses activités américaines, portées par TCW) à Amundi, dont elle ne détient que 25%. Avec Crédit Agricole CIB, la Société Générale a également monté un joint-venture (50%-50%) dans le courtage de produits dérivés (Newedge). Enfin, selon un schéma original, dont la crise a précipité la réalisation, les deux groupes des Banques populaires et des Caisses d’Epargne se sont rapprochés à travers la coacquisition d’une filiale commune de banque de financement et d’investissement, Natixis, pour former finalement le groupe BPCE. Si elles se prolongent, de telles approches bouleverseront l’économie bancaire française au cours de la prochaine décennie, amenant à distinguer nettement la production d’offres et de services et leur distribution, pour inscrire ces deux volets sous des contraintes renforcées de rentabilité. Entre ces deux volets, la question de la gestion des marques devient essentielle. Au cours de la décennie, un modèle d’open finance (distribution de produits d’autres établissement sous leur marque propre) est apparu en Grande-Bretagne ou en Belgique. Mais en France, ces dernières années, la tendance a été plutôt au renforcement des marques – ainsi de l’harmonisation graphique des marques du Crédit Agricole et le recours à cette unique appellation (Calyon ainsi est devenu Crédit Agricole CIB en février 2010). C’est dans ce contexte que se dessinent les grands enjeux de la décennie qui vient de commencer. 19 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). III/ TROIS ENJEUX POUR LA DECENNIE QUI VIENT DE COMMENCER La décennie écoulée a été marquée par de nombreux événements pour les banques françaises : une crise mondiale, d’importantes fusions d’établissements. Ce sont toutefois moins ces événements qui nous intéressent dans la présente étude que les principales tendances qui, apparues au cours des dix dernières années, paraissent à même d’influencer notablement les années à venir. Trois d’entre elles nous retiendront particulièrement : la mise en question du modèle de banque universelle ; les dispositifs réglementaires ; les stratégies vis-à-vis de la clientèle. Les principales banques françaises continueront-elles à se déployer sur l’ensemble de leurs métiers actuels ? Le modèle bancaire français, que la décennie écoulée a commencé à ébranler, est mis en question aujourd’hui. Les années 2000 auront été celles de Bâle II, marquées par la mise en place d’une réglementation très exigeante, difficilement appréhendable dans le détail sous ses différents aspects et requérant des banques la mise en œuvre de moyens considérables. La crise allait pourtant souligner… l’insuffisante réglementation des activités bancaires ! Aujourd’hui, ainsi, Bâle III se dessine et ses conséquences, pour les banques, pourraient être déterminantes. Enfin, pour la banque de détail, la décennie 2000 aura également été celle du marketing, voyant les banques déployer successivement plusieurs stratégies clientèles. Et en ce domaine, crucial, beaucoup reste à jouer. Nous envisageons ces trois tendances de fond ci-après. * 20 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). 3. I./ LES MODELES DE DEVELOPPEMENT Quand on parle de « banque », on parle en fait de métiers fort distincts, soulevant inévitablement la question de savoir s’ils forment un tout. Au cours de la décennie passée, cette question a plutôt été évitée et la crise passe pour avoir confirmé la pertinence du modèle multi-métiers de banque universelle généralement suivi en France. Ce modèle est-il vraiment tenable cependant ? N’a-t-il pas commencé à se fissurer ? Les marchés de l’un et l’autre métiers ne sont pas à la même échelle et la position acquise sur l’un a de moins en moins d’effet sur celle défendue sur un autre. Entre les métiers, les synergies manquent. Tandis qu’au sein des métiers, la concentration des activités et des moyens – les « usines », dont on aura beaucoup parlé au cours de la décennie écoulée – ne procurent pas forcément les effets attendus. Le modèle de banque universelle. En France, prévaut le modèle dit de « banque universelle » qui agrège des métiers distincts, sous des appellations et recoupements divers d’un établissement à l’autre mais que l’on peut facilement regrouper en 5 grands pôles : la banque de détail (particuliers, professionnels, PME) et l’assurance ; la banque de détail à l’international ; les services financiers spécialisés (crédit à la consommation, crédit-bail, affacturage, location longue durée, …) ; la Banque de financement et d’investissement (BFI) ; la gestion d’actifs et la conservation. Aux USA, la tendance est de souhaiter la séparation des activités de banque de détail et de banque de marché ou, plus précisément, d’obliger les banques à loger ces dernières dans des filiales dotées d’un capital propre (Règle Volker). En France, en revanche, un consensus s’est généralement développé en France ces dernières années pour louer les vertus de ce modèle, dont la crise aurait démontré le bien fondé, en permettant notamment à la BFI de voir ses pertes compensées par les résultats, plus stables, de la banque de détail. Pourtant, ces dernières années, le modèle de banque universelle français a commencé à se fissurer et aujourd’hui, seule BNP Paribas, parmi les principales banques françaises, présente véritablement le profil d’une banque universelle, ayant tout à la fois hissé le marché de sa banque de détail à une dimension européenne et porté sa BFI à un niveau international (> 10 Mds € de PNB) : 21 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). PNB de la BFI en milliards d'€ BNP Paribas Crédit Agricole SA Groupe Crédit Mutuel Société Générale 2001 6,1 nd nd 5 2005 6,4 5,7 nd 5,7 2009 ou 2010 11,9 5,6 1,8 7,8 La Société Générale semblait suivre le même parcours mais, en 2009, la banque a pris la décision stratégique de se délester de sa gestion d’actifs européenne et asiatique au profit d’Amundi, une filiale du Crédit Agricole dont la Société Générale ne détient que 25%. Au même moment, le Crédit Agricole affichait sa volonté de se recentrer sur la banque de proximité. Un modèle sous lequel la Banque postale s’inscrit totalement et dont le Groupe Crédit Mutuel ne s’est jamais véritablement écarté. Quant à BPCE, le Groupe doit hisser sa filiale Natixis à la hauteur requise pour compter désormais sur le marché de la BFI. Il est donc difficile de dire que le modèle de banque universelle est pleinement réalisé en France. Sachant qu’aucun grand groupe bancaire français n’affiche une orientation privilégiant nettement la BFI, comme Deutsche Bank par exemple, désireuse de s’affranchir de « l’inertie de son marché domestique », les principales banques françaises restent solidement campées sur leur marché domestique. * La contribution propre des 5 pôles aux résultats des principales banques françaises est très variable : d’un côté, chez BNP Paribas, la Banque de détail faisait 56% du PNB en 2010 et 35% du résultat net et la BFI 27% du PNB mais 40% du résultat net. D’un autre côté, le Groupe Crédit mutuel réalisait en 2009 82% de son PNB et 89% de son résultat net avec la seule banque de détail. Les groupes mutualistes conservent une forte vocation de banques de détail, quand BNP Paribas et la Société Générale équilibrent davantage leurs activités sur deux piliers. Cela ne doit pas masquer cependant que, pour ces deux derniers établissements, la contribution de leur BFI a baissé sur dix ans quant au PNB (BNPP : de 35% à 27% ; Société Générale : de 36% à 30%) et même, pour BNP Paribas, quant au résultat net (de 45% à 40%). Pour la Société Générale, la contribution de la BFI au résultat net est passée au contraire de 26% à 44% mais c’est en fait la banque de détail qui s’est la plus développée sur dix ans (de 56% à 60% de contribution au PNB), si sa rentabilité en revanche a décru (de 52% à 48% de contribution au résultat net). A partir de là, qu’entend-on exactement lorsque l’on parle du rôle compensateur ou amortisseur des différents métiers les uns par rapport aux autres ? Si les résultats de la BFI sont compromis, la crise l’a montré, ceux de la Banque de détail ne les compensent pas mais atténuent seulement les pertes au niveau consolidé. Les différents métiers ne sont pas véritablement contra-cycliques, au sens où l’un serait à même de s’épanouir quand un autre se replie (ce qui serait une stratégie de consortium). Ils ne sont simplement pas soumis aux mêmes à-coups, de sorte que la dégradation de l’un peut être moins ressentie au niveau 22 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). d’un autre, ce qui est l’effet attendu d’une stratégie classique de diversification ; une stratégie rendue difficile toutefois si un métier doit financer l’autre. Or, pour les principales banques françaises, tout rayonne à partir de la banque de détail domestique et l’autonomie des différents métiers est couteuse. C’est particulièrement ce que la décennie a montré pour le crédit à la consommation, dès lors que sa production a été ralentie ces dernières années (+9% en 2005/-13,3% en 2009). Le crédit à la consommation. Le marché du crédit à la consommation est assez étroit : un tiers de la population au maximum (il faut rappeler que la moitié des ménages français n’ont pas de crédit) et 4,5% de la dette des ménages en volume. Or il a rapidement compté beaucoup d’acteurs, dont un certain nombre extérieurs au monde bancaire (grandes surfaces), attirés par des marges singulièrement plus élevées que celles pratiquées sur leurs crédits par les banques mais négligeant sans doute que ces rendements devaient compenser : des risques importants, l’absence de garantie en cas de défaillance et un recouvrement difficile, un coût de refinancement élevé (pas de dépôts), des réseaux de prescripteurs (commerces) intéressés à augmenter la production quelle que soit la sinistralité - à quoi est venu s’ajouter l’encadrement légal du surendettement. Compte tenu de telles contraintes, si l’on peut tout à fait comprendre que Carrefour ou Renault en soient venus à considérer que l’offre de crédit était un maillon essentiel de leur offre, dont ils ne pouvaient que souhaiter maîtriser la distribution, il est moins immédiat d’admettre qu’il leur fallait pour cela se doter de banques de plein exercice. Dans le contexte français où un prêteur ne peut connaître la situation réelle d’endettement des emprunteurs particuliers (absence de fichier positif des engagements), les sociétés de crédit à la consommation sont vite apparues comme des dispensateurs de crédits chers mais faciles, les réserves de trésorerie étant dès lors utilisées non pour acquérir des biens mais pour faire face à des paiements urgents. Les sociétés de crédit à la consommation ont été en ce sens accusées de pousser au surendettement, notamment à travers les crédits revolving (ou « réserves ») plus rémunérateurs. Pourtant, le crédit revolving ne fut pas le type de crédit auquel toutes les sociétés de crédit à la consommation eurent majoritairement recours : en 2007, les encours amortissables représentaient 70% des engagements de Cetelem comme de Sofinco. Cette image, néanmoins, a non seulement nui aux sociétés de crédit à la consommation mais a surtout masqué le caractère fragile de leur modèle de développement. La crise allait cependant souligner l’autonomie précaire des sociétés spécialisées par rapport à leur actionnaire. De là leur rapatriement chez ce dernier (Crédit Agricole SA) pour profiter de ses structures (back offices, gestion des risques) ou la constitution de partenariats, comme entre BNP Paribas et BPCE pour la réalisation d’une plateforme commune de traitement à l’horizon 2013 (et la recherche de partenaires étrangers). De toute manière, les banques – le Crédit Agricole en tête avec 29% de parts de 23 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). marché – demeurent les premiers distributeurs de crédits à la consommation. Dans ces conditions, l’autonomie, relative, des sociétés spécialisées était trop onéreuse. Dans leur cas néanmoins, leur marché étant le même que celui de la banque de détail, des synergies peuvent être trouvées avec cette dernière ; ce n’est guère le cas, en revanche, avec la BFI. * La BFI. Le modèle de banque universelle agrège des métiers ni vraiment autonomes, ni tout à fait associés dont les tailles et perspectives de marché, surtout, divergent fortement. Le marché de la banque de financement et d’investissement est mondial. Les investissements (recrutements, implantations, moyens) doivent être pensés et surtout rentabilisés à cette échelle. Or les places y sont comptées, même sur les produits de niche (comme les dérivés actions pour la Société Générale, leader mondial dès 2004). Le marché est en fait concentré entre une vingtaine d’acteurs – cinq banques contrôlent ainsi mondialement la moitié du marché des changes ; une vingtaine animent les Dark Pools de cotation de blocs d’actions apparus en marge de la MIF en croisant leurs réseaux. Par ailleurs, entre les différentes activités d’une BFI, la volatilité des résultats est forte et très dépendante des variables extérieures de marché (le fixed income seul a fait la moitié des résultats de la BFI de BNP Paribas en 2010). De sorte que le coefficient d’exploitation peut fortement varier d’une année à l’autre, d’un établissement à l’autre et atteindre des pourcentages élevés. Pour BNP Paribas, le coefficient d’exploitation de la BFI était de 59.3% en 2001 et de 63.6% en 2002 ; de 46% en 2009 et de 54% en 2010 – la même année, il atteignait 69% pour Crédit Agricole SA. Il était de 58.3% en 2005 à la Société Générale et de 60% en 2010. Hormis pour quelques banques de taille internationale, la BFI ne peut guère durablement financer les investissements qu’elle requiert à l’échelle mondiale de son marché. Ces investissements devront alors être financés par les résultats de l’activité domestique – c’est une évidente limite du modèle. Car si la BFI présente un ROE plus favorable que celui de la banque de détail quand tout va bien, cela ne va cependant pas sans risques ni incertitudes, qui compromettent la visibilité du Groupe en bourse et nuisent finalement à sa valorisation. Enfin, une BFI réunit des métiers – des compétences – très spécialisées, parfois nettement individualisées, qu’il est difficile de concentrer ; à la différence des métiers de la Gestion d’actifs et des Titres. * La Gestion d’actifs et l’Asset Servicing. 24 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). Pour une banque tirant une large partie de ses résultats de la banque de détail sur son marché domestique, la Gestion d’actifs et l’Asset Servicing (fonction dépositaire, conservation, opérations sur titres) sont-ils des activités obligées ? La question mérite d’être posée dans la mesure où ces deux activités entrent peu en synergie avec les autres métiers et supportent des coûts fixes élevés. Cela est devenu sensible avec la baisse des volumes de transactions ces dernières années. A la Société Générale, par exemple, la contribution de la Gestion d’actifs au PNB consolidé du Groupe s’est affaissée tout au long de la décennie écoulée : de 7% en 2001, à 5% en 2005 puis 2% en 2009. Parallèlement, le coefficient d’exploitation bondissait de 62.5% en 2005 à 69% en 2009. Chez BNP Paribas, les encours gérés ont pratiquement doublé en dix ans. La contribution de la Gestion d’actifs au PNB Groupe est passée de 6% à 8%. Mais le coefficient d’exploitation s’est dégradé de 63.4% en 2001 à 70.2% en 2005 puis 73% en 2010. En regard, Crédit Agricole SA, qui réalise le plus fort PNB en montant dans la Gestion d’actifs parmi les principales banques françaises (4.9 milliards d’€ en 2010 ; pour 3.3 milliards d’€ chez BNP Paribas) ne dépassait pas 53% de coefficient d’exploitation – un ratio qu’il entend conserver et améliorer au sein d’Amundi. Pour l’Asset Servicing, la situation est sur bien des points comparable et le phénomène est général : en 2009, le n° 1 mondial BNY Mellon a vu ses revenus baisser de 18%, du fait notamment de la chute des gains issus du placement des liquidités des investisseurs (qui représentent de 10% à 30% des revenus de l’Asset Servicing). Sur un marché de plus en plus international, la forte concurrence des principaux acteurs pousse les tarifs à la baisse. Ainsi, pour la Société Générale, alors que les encours en conservation ont régulièrement cru au cours de la décennie écoulée, passant de 805 milliards d’€ en 2001 à 1 418 mds en 2005 puis 3 362 mds en 2010, le coefficient d’exploitation atteignait 91% en 2010. Pour BNP Paribas, il est passé de 59.7% en 2001 à 80% en 2005 puis 86% en 2010. La dégradation des coefficients d’exploitation est étonnante dans un domaine, les Titres, qui a été l’un des premiers à être doté « d’usines » de traitement et qui a connu au cours de la décennie écoulée le lancement d’un certain nombre de partenariats de moyens : Gestitres en 2000 (LCL 34%/Caisse d’épargne 66%) ; Eurosecurities Partners en 2002 (BNP Paribas 50%/ Crédit Agricole SA 50%) ; CACEIS (Caisses d’Epargne 50% à l’origine ; aujourd’hui Crédit Agricole SA 80%), ayant fait baisser son coefficient d’exploitation à 71.2% en 2009. Malgré ces efforts, la rentabilité des métiers Titres n’a cessé de se dégradée au cours de la décennie écoulée et l’on peut imaginer de futurs rapprochement avec la décennie qui vient de commencer, notamment entre les trois principaux Asset Servicers français, qui présentent aujourd’hui les profils suivants : 25 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). 2010 BP2S SG 2S CACEIS Actifs conservés (Mds €) Actifs administrés (Mds €) Effectifs en milliers Rang mondial 4021 3 073 2 330 728 450 1 060 6,3 4 3,5 5° 6° 9° La Gestion d’actifs a elle aussi connu des regroupements au cours de la décennie écoulée, avec des effets assez incertains sur sa rentabilité. Il semble notamment que la concentration des équipes de gestion génère des comportements plus moutonniers. La multiplication des strates hiérarchiques, contraignant les décisions, peut provoquer des phénomènes de renoncement (moins d’informations directement collectées auprès des entreprises notamment) et se traduit par une diminution de 48% de la concentration (plus difficile à justifier devant les instances hiérarchiques) des portefeuilles par rapport aux sociétés de gestion indépendantes dotées d’une seule ligne hiérarchique, celle formée par les gérants associés au capital. Au total, la concentration ne s’est pas traduite par une véritable domination puisque, selon l’AMF, les dix principales sociétés de gestion en France (sur 297) ne tiennent que 63,9% du marché – ce qui est plus faible que la moyenne mondiale (54% du marché tenu par les 5 premiers gérants par pays). La croissance des activités bancaires passe-t-elle nécessairement par leur concentration ? Sur certains métiers, les banques ne devraient-elle pas apprendre à fonctionner en petites unités ; un peu comme les grands laboratoires pharmaceutiques ont appris à gérer leur recherche à travers la création de spin-off ? Quant aux traitements d’opérations, leur regroupement en usines est-il forcément synonyme de rentabilité ? Sans doute ces questions ne pourront-elles être contournée au cours de la décennie qui vient de commencer car, de fait, depuis dix ans les principales banques françaises poursuivent des économies d’échelle qui se font toujours attendre. * Finalement, les relais de croissance, selon un schéma de banque universelle, paraissent assez peu nombreux. Cela tient à un triple phénomène : Soit les parts de marché se disputent sur un marché global où les places sont chères (BFI) ou offrent des ouvertures limitées, ce qui est le cas de la gestion d’actifs : Part de marché des gestionnaires étrangers Allemagne Chine France Italie UK USA 19% 12% 16% 25% 44% 8% Soit les activités de banques de détail peuvent être prolongées dans d’autres pays, à condition de disposer de modèles de productivité et de gestion des risques capables de concurrencer, sur les marchés les plus intéressants, les banques locales. De ce point de vue, les principales banques françaises sont peu présentes sur les grands 26 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). marchés émergents (sauf Egypte) et ont finalement peu progressé ces dix dernières années sur les marchés où elles bénéficient d’une présence historique : au Maroc, la part de marché des principales banques françaises ne dépasse pas 25% ; 15% en Tunisie. Soit enfin les banques peuvent être tentées de valoriser leurs vitrines et leurs réseaux de distribution pour développer des offres nouvelles. Toutefois, alors que l’on attendait beaucoup à cet égard au cours de la décennie écoulée, les tentatives de diversification en banque de détail demeurent peu concluantes, sauf en assurance. L’assurance et les produits non financiers. Dès le début de la décennie, les principales banques françaises étaient bien installées comme premier distributeur national de produits d’assurance. Elles ont conservé cette position : en dix ans, le PNB Assurances de BNP Paribas a triplé, pour atteindre une contribution de 3% au PNB consolidé du Groupe (9% pour le Groupe Crédit Mutuel). PNB Assurances en milliards d'€ BNP Paribas BPCE Groupe Crédit Agricole Groupe Crédit Mutuel La Banque postale Société Générale 2009 ou 2010 1,5 0,09 1,6 1,3 nd 0,4 En France, les banques tiennent 62% du marché de la prévoyance – chiffre que seules les banques espagnoles (69%) dépassent au sein de l’UE. Au cours de la décennie, elles ont renforcé leurs positions en IARD (développé seulement en 2010 par la Banque postale) et l’on estime qu’elles pourraient tenir 25% à 30% de ce marché d’ici 2025. Porté par le couplage MRH/Financement de l’immobilier, le déploiement en IARD rencontre cependant des succès inégaux : Crédit Agricole SA équipe 22% de ses clients, la Société Générale 9%. Enfin, Bâle III devant conduire à déduire du calcul des fonds propres réglementaires leurs participations dans des compagnies d’assurance, les banques pourraient être tentées de se délester de ces dernières au cours de la prochaine décennie, pour travailler davantage sur la base de partenariats. * Pour maximiser la rentabilité de leurs imposants réseaux de distributions, les banques ont tenté au cours des cinq dernières années de développer une offre de services à la personne, avec un succès moins fort qu’attendu et un retour sur investissement reporté à 2015 en moyenne. Elles se sont également lancées dans l’immobilier (transaction et administration de biens). Le Crédit Agricole a ainsi développé un véritable réseau (Square Habitat) après l’acquisition à 75% du promoteur Monné-Decroix en 2007. BPCE, elle, possède à la fois Nexity et Foncia. Toutefois, la crise ayant affecté l’immobilier de bureau, les résultats des 27 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). filiales immobilières des principales banques ont chuté ces dernières années : BNP Paribas Real Estate (positionné à 85% sur l’immobilier d’entreprise) a vu son chiffre d’affaires passer de 666 à 554 millions d’€ de 2008 à 2009. LCL, enfin, s’est lancé récemment dans la distribution de gaz. Le Groupe Crédit Mutuel dans les forfaits mobiles, après son succès dans la télésurveillance résidentielle et professionnelle, où il a conquis 30% du marché avec 180 000 abonnés. C’est en France l’un des rares – peutêtre le seul – exemples de diversification non financière véritablement aboutie pour une banque. * Diversification des offres, développement international, valorisation des différents métiers, tous ces thèmes qui mettent en question le modèle de banque universelle renvoient à des questions de productivité que, de fait, les principales banques françaises cernent encore assez mal et vis-à-vis desquelles elles disposent de peu de benchmarks et d’indicateurs. Au cours de la décennie écoulée, les frontières traditionnelles derrière lesquelles le monde bancaire s’abritait – émettre des moyens de paiement, recevoir des dépôts, accorder des crédits – ont commencées à devenir assez poreuses. Les Directives européennes de mars 2007 et novembre 2009 sur les services de paiement ont introduit le statut d’établissement de paiement non bancaire. Au cours de la décennie, sont apparus des sites de financement direct entre particuliers et entre entreprises (Circle Lending en 2005 aux USA, puis Zopa en Grande-Bretagne, etc.). On a récemment parlé d’un fonds commun de titrisation français pour permettre le développement direct des investissements d’infrastructures. Certaines grandes entreprises, puis plusieurs collectivités locales, ont manifesté leur souhait de gérer directement leurs émissions obligataires et de monter ainsi leur propre banque. Tous ces éléments sont encore loin de représenter de vraies menaces pour les banques mais ils soulignent l’opportunité de repenser sans doute les modèles de développement bancaires ; sachant que les principales novations en ce domaine pourraient être apportées par la réglementation bancaire. * 28 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). 29 II/ LES ENGAGEMENTS Au cours de la décennie écoulée, les engagements des principales banques françaises ont été marqués par leur développement dans d’autres pays de l’UE, ainsi que par un certain recentrage sur les particuliers à travers les crédits à l’habitat, véritable fer de lance de l’activité bancaire aujourd’hui. Par ailleurs, la gestion des risques a connu de profonds bouleversements, que la réglementation bancaire a accentués et qui tendent à modifier sensiblement le rôle des banques dans l’économie. Engagements par zones géographiques. Sur dix ans, les engagements des premières banques françaises sur leurs principaux marchés ont évolué de la manière suivante : Engagements moyens par zones géographiques BNP Paribas Crédit Agricole SA Groupe Crédit Mutuel Société Générale France 2001 39% 67% 67% 67% 2010 26% 47% 92% 45% UE 2001 2010 18% 15% 13% 33% 5% 3% 13% 28% Benelux 2001 2010 16% Italie 2001 2010 12% Allemagne 2001 2010 13% 4% Europe orientale Reste du Monde & Turquie Amérique du Nord Asie & Océanie 2001 2010 2001 2010 2001 2010 2001 7% 5% 23% 12% 7% 5% 3% 7% 9% 3% 7% 5% 4% 7% 10% 3% PMO & Afrique 2001 3% 3% 2010 4% 4% 2001 2% 2% 2010 2% 3% 4% 3% 6% 2% 3% La principale évolution concerne BNP Paribas qui, à travers les acquisitions de BNL puis de Fortis, a élargi son marché domestique à une dimension proprement européenne. BNP Paribas, qui concentre désormais moins d’un tiers de ses engagements en France, se distingue nettement de ses principaux compétiteurs hexagonaux. Elle est devenue une banque proprement européenne. A contrario, le Groupe Crédit Mutuel s’est recentré sur la France au terme de la décennie. Mais il convient de souligner que le Crédit Agricole et la Société Générale ont également multiplié leurs engagements vis-à-vis de pays de l’UE – notamment à travers les prêts syndiqués aux grandes entreprises. Bien que ce marché soit en contraction depuis trois ans (40% en 2009), les entreprises ayant eu davantage recours aux marchés obligataires (+31% en 2009), BNP Paribas, la Société Générale et le Crédit Agricole y occupent respectivement les trois premières places en Europe. Quant au reste du monde, si plusieurs banques françaises ont tenté de se déployer au cours de la décennie en Europe orientale (avec l’entrée des PECO dans l’UE), la crise leur y a fait finalement réduire leurs engagements. Peu présentes chez les grands pays émergents d’Amérique du Sud et d’Asie, les principales banques françaises sont en revanche plus offensives en Russie, en Egypte et en Turquie, ainsi qu’en Afrique, où leurs engagements sont néanmoins demeurés modestes au cours de la décennie écoulée, tirés pour l’essentiel par quelques pays du Golfe (lesquels sont agrégés avec ceux d’Afrique au sein d’une même zone géographique par la plupart des établissements). * Amérique latine 2010 8% 5% Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). Engagements par types d’emprunteurs. Dans l’ensemble la structure des engagements par secteurs des principales banques françaises a été peu modifiée ces dix dernières années. Ainsi, si l’on prend par exemple la répartition des engagements par type d’emprunteurs de BNP Paribas fin 2010 : Pourcentage des expositions moyennes de risque de contrepartie BNP Paribas Admin. & Banques centrales Etablissements de crédit et sociétés d'investissement Entreprises Particuliers Titrisation Immobilisations 2010 14% 9% 40% 25% 3% 5% Deux évolutions seulement sont notables sur dix ans : Les dépôts réalisés auprès de la BCE ont, depuis trois ans, contribué à nettement augmenter le poste « Administrations & Banques centrales » (+30% de 2009 à 2010). Ce phénomène est directement lié au contexte d’incertitude de la liquidité bancaire provoqué par la crise. Les encours ont eu tendance à se reconcentrer sur les particuliers (de 20% en 2001 à 25% en 2010), ce qui est un phénomène assez général. La part des particuliers dans les engagements totaux s’est renforcée à 46% au sein du Groupe Crédit Mutuel. Elle est passée de 14% à 35% chez Crédit Agricole SA. Cela est imputable à la hausse des crédits immobiliers. Fin 2010 et pour l’ensemble des banques, la Banque de France faisait état d’une production de crédits à l’habitat sur un an de 145 milliards d’€ (contre 84 milliards d’€ un an auparavant), tandis que les crédits à la consommation accusaient une baisse de leur production (-1,1 milliard d’€), les crédits aux entreprises, eux, demeurant stables (de 231 à 234 milliards d’€ d’une année sur l’autre). Alors que la durée moyenne des crédits immobiliers était de 180 mois fin 2010, 12% de la production correspondait à des crédits à moins d’un an (prêts-relais nécessités par les délais de vente) avec un doublement de ces derniers en montant par rapport à l’année précédente. L’immobilier est le seul secteur où les encours des principales banques françaises sont véritablement concentrés. Ainsi, si l’on regarde la répartition des encours par secteurs d’activité, aucun d’entre eux ne représentait 5% ou plus des encours du Groupe Crédit Mutuel en 2010. Le Crédit Agricole en comptait deux en 2001 (Energie : 5% ; Transport : 8%) et un seul en 2010 (Energie : 8%). En 2010, comme en 2001, BNP Paribas n’en comptait qu’un seul (Commerce de gros et négoce : 6%). Seule la Société Générale a présenté une distribution plus marquée de ses encours au cours de la décennie, par type de contrepartie (les établissements de crédit et sociétés d’investissement ont capté de 13% à 19% de ses encours, de 2001 à 2010) et secteurs d’activité attirant 5% ou plus de ses encours : quatre en 2001 et 7 en 2010 (dont l’Agro-alimentaire et le Pétrole & Gaz). 30 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). On est donc loin de pouvoir parler de surexposition des banques ou de prises de risque inconsidérées. Quant à l’immobilier, ce n’est pas ici le lieu de discuter si ce marché est entré ou non dans une bulle spéculative. Il suffira de souligner que, dans un contexte de taux bas et à travers l’allongement de la durée des prêts, les crédits à l’habitat semblent avoir autant été tirés par la hausse des prix du marché qu’ils l’ont alimentée. Quoi qu’il en soit, si l’immobilier s’effondre brusquement demain en France, les banques seront certainement assez touchées. Or cela, la réglementation des risques bancaires n’est pas faite pour le prévenir ! En revanche, dans des pays où l’on ne parle que d’encourager l’innovation, la même réglementation rend assez pénalisant pour les banques le financement de la création d’entreprises. Aussi brutal le constat peut-il paraître, il faut reconnaître que pour l’ensemble de l’économie, la réglementation bancaire est devenue au cours de la décennie écoulée un facteur d’incertitude. * De Bâle II à Bâle III. Ce n’est pas ici le lieu de présenter la réglementation dite « Bâle II », que nous ne pouvons que supposée connue, au moins dans ses grandes lignes. Nous nous contenterons de souligner que la décennie écoulée aura entériné (car bien des choses avaient été lancées lors de la décennie précédente) un bouleversement profond dans la gestion des risques bancaires. D’abord, l’appréhension des risques a été unifiée, standardisée et les procédures d’octroi de crédit et d’appréciation des risques ont été largement automatisés – au cours de la décennie, sont apparus en France des formules de demandes de prêts sous blister dans les supermarchés. Ceci, porté par le développement des méthodes de scoring, a mis en avant des éléments d’appréciation fondés : sur la stabilité de situation des emprunteurs (les fonctionnaires sont ainsi surreprésentés parmi la clientèle d’emprunteurs des banques, tandis que les moins de 30 ans peuvent rencontrer de véritable difficultés d’accès au crédit) et des comportements (quoique cette approche, fondée sur le credit historic fourni par des credit bureau, n’ait pratiquement pas concernée la France, rétive à la mise en place d’un fichier positif des engagements des particuliers). Au total, à travers le crédit à la consommation, le même système peut produire du surendettement (1,5% des ménages), alors même que 30% à 40% des demandes sont rejetées. On a parlé à ce propos du « mal-endettement français » mais c’est en fait un phénomène général. Sur le calcul de la sinistralité statistique des risques, selon un modèle assurantiel. Ces deux éléments d’appréciation, pariant tous deux que l’avenir reproduit en moyenne le passé, ont été généralisés par la réglementation Bâle II, qui leur a associé un calcul de fonds propres pondérés visant à garantir la solvabilité des établissements de crédit. Pour les banques, la mise en place de Bâle II a représenté un ensemble de chantiers considérables. Pourtant, à peine cette réglementation avait-elle été mise en place qu’une disposition des nouvelles normes comptables IFRS, entrées en vigueur concomitamment, en restreignait singulièrement la portée. La logique d’une appréhension statistique des risques aurait dû en effet permettre davantage aux banques de prendre les devants face aux risques en provisionnant ceux-ci ex ante, de manière contra-cyclique, en se fondant sur leur 31 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). probabilité de défaut – une approche fut proposée en ce sens en France en 2002. Cela leur fut néanmoins interdit par de nouvelles normes comptables hostiles à tout ce qui peut limiter la rémunération des actionnaires. Puis, en 2007, la crise survint et il fallut se rendre à l’évidence : Bâle II n’avait permis ni de la prévenir, ni de l’éviter. C’est qu’une approche statistique ne conduit pas à analyser les facteurs de risques – ceux notamment liés à l’effondrement de bulles spéculatives. Tant que cet effondrement ne s’est pas produit, le présent ressemble en moyenne au passé et la situation des emprunteurs demeure en moyenne inchangée. Il n’y a donc aucune raison de s’inquiéter ! Ainsi, les fameux prêts « subprime », dont les défauts de paiement allaient précipiter la crise, étaient, pour être titrisés, regroupés en tranches dont les premières reçurent de bonnes notations. On supposait que les tranches les meilleures garantissaient les autres. On découvrit qu’une telle mutualisation des risques, en fait, ne joue pas. La défaillance de quelques lignes d’un portefeuille en dégrade l’ensemble et quelques mauvais risques difficiles à chiffrer, portés par une banque, même de manière limitée par rapport à l’ensemble de son bilan, peuvent gravement compromettre ses possibilités de refinancement auprès des autres banques. Or, face à une telle situation, la garantie de solvabilité requise par Bâle II est inopérante, puisqu’elle est fondée sur une notion de fonds propres qui est comptable et dont rien n’assure qu’elle correspond à la disposition de liquidités – lorsque Lehmann Brother s’est effondrée, son ratio de solvabilité était, à 16%, supérieur à ce qu’exige Bâle II. Le constatant, on a donc décidé… de renforcer ce ratio de solvabilité ! Ainsi se dessine le projet d’une nouvelle réglementation « Bâle III » qui, d’ici 2015, devrait obliger les banques à porter leurs fonds propres durs de 2% à 4,5% de leurs encours de prêts, puis à 7% en 2019, en incluant un coussin contra-cyclique de sécurité (max. 2,5%) devant être constitué en période de croissance (ce qui réintroduit le provisionnement ex ante supprimé par les IFRS ; le Comité de Bâle a saisi en ce sens l’International Accounting Standards Board en octobre 2009). Pourquoi ne pas avoir davantage eu recours au provisionnement ex ante ? Pourquoi ne pas l’avoir défini plus précisément par risque, à l’instar de ce qui s’impose aux compagnies d’assurance, puisque, statistique, l’approche des risques bancaires est finalement assez comparable ? Quant à vouloir s’assurer de la solvabilité des établissements bancaires, pourquoi ne pas avoir ravivé les réserves obligatoires, utilisées depuis la faillite de Law au XVIII° siècle ? Quitte à aménager ces réserves, en le calant sur celui des dépôts auprès de la BCE que les banques allaient effectivement multiplier à partir de 2008, en lui donnant une dimension de prévention par rapport au risque systémique d’illiquidité globale. A la place, deux ratios de liquidité beaucoup plus contraignants ont finalement été ajoutés au dispositif Bâle III : l’un à court terme (LCR, d’ici 2015) selon lequel les engagements à un mois doivent être couverts au moins à 100% en cas de stress par des ressources correspondantes ou des actifs très liquides ; l’autre à long terme (NSFR, d’ici 2018) obligera les banques à assoir leurs engagements à plus d’un an à 100% sur des ressources de même échéances, sachant que, parmi elles, ne compteront ni les fonds propres (qu’on considère pourtant pouvoir garantir la solvabilité), ni les ressources issues d’autres établissements financiers (pour éviter le risque de contagion systémique). Sont en revanche considérés comme des ressources longues les dépôts stables, même à vue (malgré les épisodes de retraits précipités des dépôts par les épargnants connus lors de la crise). 32 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). Dans la mesure où des ressources à vue sont considérées comme stables, on ne peut pas dire que Bâle III interdit la transformation bancaire. Mais elle la limite en restreignant la possibilité de refinancer à court terme des actifs longs dans un but de rentabilité et en mobilisant à cet effet des ressources interbancaires. Certes, les dépôts pourront toujours remplir cet emploi mais à un coût qui ne pourra que croître dans la mesure où les banques se les disputeront davantage. Or, dans le même temps, la nécessité de conforter leurs fonds propres durs limitera les possibilités de redistribution des bénéfices, accroissant d’autant les exigences de rentabilité. Au total, tout ceci ne peut que tendre à la restriction de l’offre de crédit, particulièrement à moyen-terme et à taux fixe, et l’on se peut se demander si la réglementation bancaire ne vise pas en fait à réduire au maximum l’intermédiation bancaire, au sens où les agents économiques trouvent les banques comme premiers agents de financement. Or c’est là une situation déjà pratiquement acquise pour les grandes entreprises, lesquelles en France n’ont recours aux banques que pour 15% de leurs financements (beaucoup moins encore aux USA, en Allemagne et au Royaume-Uni) ; le rôle des banques – qui est celui des grandes banques d’affaires et d’investissement – étant alors d’accompagner les entreprises sur les marchés obligataires et d’actions, en leur fournissant services et instruments de couverture. Mais comment cela se passera-t-il pour l’immense majorité des entreprises de taille plus modeste ? Certes, les banques disposent déjà de produits comme l’affacturage ou le leasing, moins consommateurs de fonds propres et qui peuvent en partie soulager les besoins de financement. Mais pour combien d’entreprises ? Comment la frontière de l’accès aux marchés de financement pourrait-elle être déplacée ? Les banques fournissent aux particuliers, professionnels et PME des crédits dont le coût du risque est intégré dans la marge et directement supporté par l’emprunteur (crédit à la consommation, escompte commercial, garanties Sofaris, assurance emprunteur, hypothèques). En toute rigueur, la marge devra également intégrer le coût de la liquidité, provoquant un surenchérissement des crédits et laissant à la puissance publique la charge accrue de soutenir le financement des projets, de l’innovation, de l’investissement. Il est assez étrange que des économies ayant reconnu la valeur déterminante de l’innovation aient, depuis dix ans, développé des réglementations bancaires et comptables dont le principal effet aura été non pas de prévenir une grave crise financière mais de limiter la fonction traditionnelle d’allocation de l’épargne vers l’investissement remplie par les banques. Certes, nous sommes encore loin en France d’une telle situation – il suffit de songer à l’implication du Crédit Mutuel, par exemple et pour ne citer que lui, auprès des entrepreneurs individuels. Mais c’est là certainement une tendance structurante… Quoi qu’il en soit, retenons pour le présent bilan de la décennie les tensions susceptibles d’être créées sur la rentabilité des banques par la réglementation, dont la première issue est une course aux dépôts d’ores et déjà enclenchée entre les banques françaises. * La course aux dépôts. La crise a particulièrement mis en avant les risques de liquidité. Depuis, les banques cherchent plus que jamais à capter l’épargne. Bâle III, nous l’avons vu, devrait les y contraindre. En fait, la course aux dépôts a commencé en France dès 2006, et, dans le 33 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). 34 tableau ci-dessous, on notera qu’avec la crise les banques françaises ont profité d’un surcroît de cette épargne non rémunérée dont les Français les font bénéficier à travers leurs comptes créditeurs. Comptes créditeurs En milliards d'€ BNP Paribas Crédit Agricole SA Groupe Crédit Mutuel Société Générale 2005 2009/10 91 241 53,3 91 43,1 64,8 89,7 149 Progression 165% 71% 50% 66% Comptes à terme 2005 2009/10 41 49 56 111 18,6 46,2 67,1 97 Progression 20% 98% 148% 45% Livrets 2005 2009/10 32,7 45,3 197 206 84,5 104,3 48,5 62 Total acquisition Progression 39% 5% 23% 28% 170,6 101,7 69,1 102,7 Pour le Groupe Crédit Agricole, les prêts bruts sont inférieurs aux dépôts (77%), ce qui est une exception – le ratio est de 112% pour la Société Générale, 115% pour BNP Paribas, 141% pour BPCE. Or, en France, l’épargne que collectent les banques est pour une large part non inscrite à leur bilan mais se place sur les OPCVM, l’assurance vie (qui draine les deux-tiers des flux d’épargne des particuliers en France) et les livrets réglementés (qui n’apparaissent qu’en partie dans les bilans). C’est là une singularité française qui pourrait assez rapidement s’atténuer : l’épargne de bilan a eu tendance à prendre le pas sur l’épargne financière (assurance vie, opcvm) dans certains groupes en 2010 : -2.1% pour la collecte d’épargne financière à la Société Générale, -2.5% aux Caisses d’épargne (mais +5,3% au Crédit Mutuel). Par ailleurs, on assiste à une décollecte sur les OPCVM (sicav monétaires) : -14 milliards d’€ chez Natixis AM, -14 milliards chez Amundi, -12.7 milliards pour BNP Paribas en 2010. * Au total, pour les banques, la question de leur rentabilité est devenue tout à fait centrale. Nous avons d’abord vu combien celle-ci demeurait en deçà de leurs résultats. Nous avons ensuite souligné que, de ce point de vue également, le modèle de banque universelle pouvait être mis en question. Les évolutions réglementaires nous ramènent à présent à leur tour à la problématique de la rentabilité ; dont la clé doit sans doute être trouvée parmi la clientèle. 104% 33% 47% 50% Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). III/ LES STRATEGIES CLIENTELES Nous l’avons vu précédemment, au terme d’une décennie, la rentabilité est plus que jamais au cœur des stratégies bancaires. Et, au cœur de cette rentabilité, il y a une caractéristique propre aux grands établissements bancaires dont le constat s’impose aujourd’hui : la nécessité de traiter des clientèles de masse gigantesques. Au cours des dix dernières années, les banques ont déployé différentes approches à cet égard. Beaucoup reste à faire néanmoins. Des clientèles de masse gigantesques. Les Français sont bancarisés à 98% (ce qui correspond a minima à la disposition d’un compte bancaire). En 2001, le droit au compte a été introduit. Il définit un service bancaire de base gratuit. 90% des Français de plus de seize ans ont ainsi aujourd’hui une carte de paiement et 87% un carnet de chèque. En France, par ailleurs, la bancarisation est de plus en plus précoce : 87% des 11/19 ans ont un compte (mais moins de 25% des plus de 65 ans disposent d’un crédit de trésorerie). La notion de « client » reste assez imprécise dans le domaine bancaire – au-delà du fait de détenir un compte à son nom. Il serait assez difficile ainsi de déterminer de combien l’on dispose en France de comptes par foyer et dans combien d’établissements différents. La Banque postale raisonne en termes de « clients actifs ». Cette notion n’est toutefois pas la même d’un groupe bancaire à l’autre, ce qui limite les comparaisons. On admet généralement que 40% des Français ont un compte dans au moins deux banques et un tiers dans plus de deux banques. Or ces estimations semblent faibles au vu du nombre de clients particuliers que revendiquent les principales banques françaises. Pour ne considérer que les six principaux groupes bancaires qui font l’objet de notre étude, en effet, le nombre de leurs clients particuliers dépasse 100 millions – ceci sans compter donc toutes les autres banques actives en France, comme HSBC par exemple. Malgré cela, chacun des cinq groupes affiche un taux annuel d’ouverture nette de 100 000 comptes en moyenne. En une décennie, dès lors et sauf à admettre que plus d’une majorité des français est client de plus d’un établissement, chacun des cinq groupes aurait bancarisé près d’un million de personnes ; ainsi BNP Paribas par exemple : 35 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). Ouvertures nettes de comptes par an (en milliers) BNP Paribas 2010 2009 2008 2005 2002 2001 190 145 170 170 104 127 Ces chiffres sont vertigineux ! A eux seuls, nos six groupes gèrent largement plus du double de clients particuliers qu’EDF ne compte d’abonnés (39 millions). Et cette clientèle de particuliers est sans commune mesure avec celle des entreprises : 22 000 entreprises clientes de BNP Paribas ; 26 000 au Crédit Agricole ; 42 000 à la Société Générale ; 700 000 au Crédit Mutuel, mais ce chiffre inclut également les professionnels. Au vu de tels chiffres, il semble qu’il faille plutôt parler de deux tiers de Français multibancarisés. Dès 2005, on comptait 145 millions de comptes à terme ou sur livret dans l’ensemble des banques françaises. Or, compte tenu d’une telle sur-bancarisation, il est frappant de constater qu’en France toutes les banques sont engagées dans des stratégies de conquête large de clientèle, plutôt que de rétention. Ainsi, au cours de la décennie, le rachat de créances a-t-il été utilisé par les banques pour gagner de nouveaux clients beaucoup plus que pour fidéliser ceux existants. Quoi qu’il en soit, aucune banque ne fait état d’une perte nette de clients. Or, compte tenu de taux de bancarisation très élevés, cela ne s’explique que si l’on considère qu’ouvrir un compte n’oblige pas forcément à en fermer un autre. En fait, aller d’une banque à l’autre sans en quitter aucune pourrait bien être devenu l’un des passe-temps favoris des Français, contrairement à la fidélité, voire à la passivité, qu’on leur prête en ce domaine. On souligne ainsi souvent la faiblesse du taux d’attrition de la clientèle des banques ou « churn ». Mais : ce taux a néanmoins singulièrement augmenté sur dix ans, passant de 4% à 11% en France ; tandis que 57% des Européens ont changé la domiciliation de leur compte courant en une décennie ; si 70% des Français n’ont encore jamais changé de banque, cela ne signifie pas qu’ils n’ont pas ouvert de comptes dans d’autres établissements. Par ailleurs, rapportés au nombre de clients déjà acquis, malgré les importantes campagnes de communication que les banques engagent à cet effet, les gains de clientèle demeurent marginaux (1% par an en moyenne) ; surtout par comparaison avec d’autres opérateurs de services : de 2008 à 2009, France Telecom a gagné 1,1 million de clients mobiles supplémentaires (+4,5%). 36 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). En France, le marché de la banque de détail est saturé et, vis-à-vis des banques, les Français sont de plus en plus volages : 35% des nouveaux clients ont moins de 25 ans. Mais à cet âge, un tiers d’entre eux a déjà été perdu. Les banques sont engagées dans des stratégies de conquête brute de clientèle dont les coûts marginaux ne peuvent qu’être très onéreux, alors même que la rentabilité par client est faible. La rentabilité des clients. Les banques françaises disposent d’assez peu d’indicateurs quant à la rentabilité unitaire des comptes et manquent encore souvent d’une vision unifiée de leurs clients entre leurs différentes activités. Toutefois, si l’on divise de manière grossière le PNB de la banque de détail par le nombre de clients, le PNB par client des principales banques en France ne dépasse pas en moyenne par an le montant du remboursement mensuel d’un prêt immobilier. 2009/2010 Rentabilité d'un client en € BNP Paribas Crédit Agricole SA Groupe Crédit Mutuel La Banque postale Société Générale 1014,9 650 1072,7 520 719,6 Industries de services de masse, les banques ne réalisent l’essentiel de leurs résultats que sur une minorité de clients. Pourtant, elles ciblent un « client moyen », qui correspond en fait à une clientèle très vaste, à laquelle elles distribuent les mêmes produits pratiquement aux mêmes tarifs. Les banques se retrouvent ainsi à investir et à recruter massivement pour développer des offres très concurrencées et des outils sous-utilisés. Comment conjuguer traitements de masse et service personnalisé ? La réponse est fournie par un réseau d’agences très étoffé (nous y reviendrons) qui ne fait pourtant vraiment ni l’un ni l’autre : quant au conseil personnalisé, il ne concerne qu’à peine un tiers de la clientèle d’une agence et quant aux traitements de masse, il a fallu compléter les agences par des automates pour soulager les guichets. 2009/2010 Nombre de clients par agence Nombre de clients par automate BNP Paribas Crédit Agricole SA Groupe Crédit Mutuel La Banque postale Société Générale 2971,18 2865,01 1886,47 588,24 3093,38 1192,17 2736,84 1482,28 1871,61 nd Au total, les coefficients d’exploitation des banques de détail sont demeurés élevés au cours de la décennie : 37 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). Coefficient d'exploitation BNP Paribas Crédit Agricole SA Société Générale 2001 2009/10 69,40% 66% 62,5 65% 70,70% 65% * Le segment vraiment rentable de la clientèle de particuliers pourrait ne pas dépasser 40%, voire même 20% dans certains cas. 70% du PNB est réalisé avec 30% des clients – 50% des comptes ouverts ont une contribution négative. Or, il convient de souligner que le « droit au compte » ne semble pas y être pour grand-chose : le même constat peut être dressé à l’égard de la clientèle des professionnels. Par ailleurs, on trouve des ordres de grandeurs strictement comparables dans des pays aux populations nettement moins bancarisées qu’en France, comme les USA ou le Royaume-Uni. Au cours de la décennie, quelques essais pour se délester de clients insuffisamment rentables (souvent déterminés par calcul de fonds propres économiques) n’ont guère été concluants et ont parfois abouti à des déboires. Par ailleurs, l’introduction de pénalités dissuasives pour orienter les comportements (facturation en cas d’utilisation des GAB d’établissements concurrents) n’a pu que rester limitée ; contrairement à d’autres pays où des pratiques ont pu se développer dont on imagine assez mal la transposition en France : au milieu des 90’s, la First Chicago Bank facturait 3$ le recours à un employé de guichet ! Dès lors, au cours des dix dernières années, les banques de détail françaises ont développé trois principales stratégies : différencier les produits et services en fonction des profils et des attentes de la clientèle : développer des services premium aussi bien que low cost. La demande est cependant souvent bien supérieure aux cibles et les coûts fixes demeurent importants, surtout en termes de commercialisation et de distribution, puisque ces offres empruntent les canaux courants. Développer les ventes croisées, les packages. Mais cela attire souvent les clients qui sont déjà les plus actifs et cela peut éroder les marges. Multiplier les canaux pour répondre aux attentes différenciées des clients. Mais seulement 26% des clients rencontrent en moyenne un chargé de compte en agence. Et 24% rencontrent un chargé de compte et sont par ailleurs utilisateurs de la banque en ligne. Ce sont donc pratiquement les mêmes ! Les canaux s’additionnent, se complètent, ils ne se remplacent pas les uns les autres en fonction des types de clients. En somme, se reproduit à l’échelle des banques ce qui est bien connu dans le domaine routier : ouvrir un nouvel axe pour en désengorger un autre n’aboutit le plus souvent qu’à créer du trafic supplémentaire, de sorte que les deux voies se retrouvent engorgées ! Ce sont là des phénomènes caractéristiques des gestions de masse. Nous allons revenir ci-après sur les deux dernières stratégies des ventes croisées et du multicanal. * La problématique du multi-canal. 38 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). On a assisté au cours de la décennie au lancement de banques en ligne offrant la possibilité de cibler une clientèle réactive et aisée, tout en économisant les deux tiers des coûts d’exploitations d’une banque normale. Aucun pure player internet n’est parvenu néanmoins à se substituer aux banques classiques et la banque en ligne s’est révélée viable, soit pour promouvoir une offre restreinte (ING Direct), soit pour devenir un canal supplémentaire à destination d’une clientèle précise. Incontestablement, la banque en ligne est utile pour servir certains segments de l’offre bancaire, dont elle permet de concentrer les clients. Alors qu’à l’échelle de la clientèle de masse des banques, chaque particulier ne passe en moyenne que deux ordres de bourse par an, les courtiers en ligne ont su rapidement capter une clientèle limitée – ainsi Boursorama (Société Générale), traitant plus de 5 millions d’ordres par an. Du même mouvement, ce marché assez étroit s’est concentré : quatre courtiers en ligne font aujourd’hui 80% du marché. Par ailleurs, la banque en ligne fournit sans doute le meilleur canal d’appoint aux agences. Elle tend ainsi à supplanter les centres d’appel, réduits eux-mêmes parfois à un canal d’appoint pour la banque en ligne (les internautes apprécient en effet de recevoir un conseil lorsqu’ils passent leurs ordres en ligne) ; ce qui se constate aussi bien dans d’autres activités de services, comme la vente à distance. Parallèlement, les groupes bancaires ont continué à ouvrir des agences, au sein desquelles ils réalisent toujours au moins 90% de leurs ventes. Les agences, pourtant, se vident de clients (de -5% par an au début de la décennie à -7%/-9% aujourd’hui), qui réalisent désormais deux fois plus d’opérations sur les automates qu’au guichet. Les banques ont été contraintes de répondre ainsi au double souci d’accompagner une clientèle de moins en moins concentrée dans les centres villes – ceci avec un succès mitigé parfois (centres commerciaux) et souvent incertain (le retour sur investissement pour une agence varie de trois à sept ans) – et d’attirer une clientèle cœur de cible (aisée) dans de nouveaux concepts d’agence (le modèle Nespresso) en rupture avec les lieux de vente traditionnels - le succès de ces nouveaux concepts d’agence restant toutefois à ce stade à confirmer. Au total, tout ceci se faisant avec peu de fermetures d’agences plus anciennes, on compte en France aujourd’hui 34 000 bureaux de tabac, 17 000 bureaux de poste (ces derniers étant disponibles pour La Banque postale), et 50 000 points de vente bancaires ! Au cœur des villes de province françaises, on trouve aujourd’hui surtout des banques, des coiffeurs et des opticiens… Nombre de points de vente BNP Paribas BPCE Groupe Crédit Agricole Groupe Crédit Mutuel La Banque postale Société Générale Total : 2001 2 200 7 500 4 900 2 800 2010 2 255 8 000 9 075 5 830 17 025 3 093 45 278 L’idée du multi-canal était d’orienter la clientèle entre les différents canaux en fonction de ses besoins pour limiter les coûts. Mais, comme les agences nouvelles s’ajoutent aux anciennes, loin de se substituer les uns aux autres les canaux se cumulent : les clients 39 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). internautes font plus de retraits au guichet que les non internautes (45%/21%), plus de virements (32%/17%) et y réclament presque autant (22%/24%) ! * La problématique de la fidélisation. Face à des clients de plus en plus nombreux et de plus en plus volages, les banques françaises ont développé au cours de la décennie passée des programmes de fidélité, non sans succès (les Smile’s des Caisses d’épargne) mais, à l’échelle de masse des clientèles des banques, ils sont forcément limités et donc peu attractifs pour les meilleurs clients. A partir du milieu de la décennie, les banques françaises se sont dotées d’importants outils de CRM (Customer Relationship Management), cela répondant d’abord pour elles à la nécessité d’appréhender la situation de chaque client quel que soit son point d’entrée en contact, dans un contexte multi-canal. Mais cela a également poussé à cribler les besoins de la clientèle en fonction des seuls éléments de comptes, pour y répondre en multipliant les offres produits – les chargés de compte doivent ainsi vendre de 50 à 70 produits et se concentrent souvent sur une dizaine. En regard, les banques ont moins investi pour sonder le Vendor Relationship Management, ne prenant en compte que très récemment, par exemple, le souhait de nombreux clients de ne pas voir les chargés de compte tourner tous les trois ans. Les banques françaises ont ainsi adopté une politique de ventes croisées, visant un taux d’équipement client de 7 familles de produits – un objectif ambitieux (l’un des leaders de marché, de ce point de vue, Wells Fargo aux USA, affiche un taux de 5,7 produits), qui n’a guère été atteint : en 2010, en France, les clients particuliers sont au mieux équipés en moyenne de 4,3 produits, s’ils possèdent un crédit immobilier et de 3,2 produits autrement. C’est là néanmoins l’un des meilleurs taux d’équipement en Europe, où la moyenne est de 3,3 produits pour les porteurs de crédit immobilier et de 2,4 produits pour les autres (en Allemagne, les taux sont respectivement de 2,2/2,1 produits et au Royaume-Uni de 2,7/2,1 produits). Augmentant le switching cost (difficulté à quitter sa banque), il était attendu que les ventes croisées retiennent les clients. Le « churn » a pourtant significativement cru au cours de la décennie, nous l’avons vu, traduisant en fait l’importance de l’offre immobilière dans le choix de sa banque principale. Par ailleurs, il convient de souligner que le taux d’équipement des ménages en crédits a baissé au cours de la décennie – seule la moitié des ménages accèdent au crédit et leur nombre s’est réduit en dix ans : ils étaient 52,9% en 2001, 52,6% en 2005 et 49,5% en 2010. Un tiers des ménages disposent d’un crédit immobilier, un tiers d’un crédit à la consommation et un tiers ont un découvert. Un ménage sur deux n’a ni assurance vie, ni épargne retraite. Au total, sans doute l’objectif de fidélisation a-t-il poussé les banques françaises à développer une offre produits qui, en termes de communication, banalise pourtant fortement leur image et peut même la desservir directement : fin 2010, dans un contexte de 40 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). marasme économique et de chômage accru, les banques françaises, engagées dans la course aux dépôts, multipliait les offres d’épargne à l’adresse de clientèles « bobo ». Par ailleurs, leurs tentatives de fidélisation ne sont pas allées jusqu’à modifier significativement leurs grilles tarifaires. Celles-ci ont parfois été aménagées au cours de la décennie (LCL) mais elles ont substantiellement peu changé. C’est que la plupart des offres de produits et services s’adressent à tous les clients. Elles sont conçues pour un client « moyen » qui n’est pas du tout le même si l’on parle besoins ou comportement et si l’on parle rentabilité, puisqu’une large majorité de clients a une rentabilité faible ou nulle. Il est difficile dès lors de réaliser des économies d’échelle ; tandis que pour gagner des clients, il faut engager de gros moyens en termes d’outils et de personnels. Sauf à accepter de travailler à perte, il est donc difficile pour les banques de gagner des parts de marché en améliorant leurs prix. * Les problématiques de la tarification. En France, il est fréquent que dans les catalogues de conditions bancaires, les opérations les plus courantes des clients apparaissent “sans frais”, tandis que les prestations accessoires (rejet de chèque, demande documentaire, …) font l’objet de commissions relativement importantes et disparates, au risque de paraître n’obéir à aucune logique économique aux yeux du public. Or, cette façon de faire singularise assez nettement la France par rapport à certains autres pays. Elle se traduit par une part très significative des opérations exceptionnelles dans les commissions perçues par la banque de détail. Un seul exemple permet d’illustrer cette situation : pour une PME, une grande banque américaine propose des frais de tenue compte packagés et réduits en fonction de l’importance du solde laissé en compte. Une grande banque française propose une commission fixe mensuelle de 20€. Toute recherche de document est facturée 5$ par la banque américaine. La banque française, elle, propose trois recherches pour 10 €, au-delà desquelles toute recherche supplémentaire est facturée 10 € et même, si elle couvre une période de plus d’un an, 24,6 €. Toute photocopie coûte par ailleurs 0,4 € en sus. Au total, la banque française a l’air de pratiquer des tarifs assez abusifs alors même que la PME cliente 41 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). déboursera en moyenne finalement moins que sa consœur américaine - la banque française invite de fait sa cliente à moins consommer ! Selon cet exemple, au total, les banques françaises : se retrouvent fréquemment à surfacturer des prestations accessoires, ce qui leur est préjudiciable en termes d’image ; accusent néanmoins ce faisant et paradoxalement, un certain manque à gagner et ne sont sans doute pas aussi rentables qu’elles pourraient l’être ; Quant au premier constat, beaucoup de clients des banques seraient d’accord sans doute pour juger certains tarifs bancaires abusifs. Alimentée par les associations de consommateurs, cette appréciation commune pousse régulièrement les pouvoirs publics français à se demander s’ils doivent réguler par voie administrative les tarifs bancaires. Le second constat va cependant tout à fait à l’encontre de l’opinion reçue selon laquelle la banque de détail serait une activité particulièrement rentable et les banquiers de faciles « profiteurs ». Beaucoup d’éléments expliquent cette situation, parmi lesquels on peut aussi bien citer le long passé administratif des banques françaises, qui a habitué leurs clients à une « gratuité » apparente des services, que la forte souplesse souvent laissée aux chargés de compte pour ajuster les tarifs aux cas particuliers et gérer ainsi les mécontentements. En termes d’image, néanmoins, une telle situation est assez désastreuse : ce qui est gratuit passe pour ne rien valoir, tandis que les frais accessoires semblent par comparaison forcément abusifs. Au total, le public n’est guère en mesure de savoir ce qu’il achète effectivement aux banques. Tandis que, pour comble, le sentiment commun que toutes les banques sont pareilles, pousse beaucoup de clients à ne pas trop comparer les offres bancaires, convaincu que toutes ne peuvent qu’offrir finalement les mêmes conditions. Pour les banques, renverser la donne signifierait : facturer au coût réel ce que les clients consomment effectivement et le plus fréquemment – ce qu’ils valorisent réellement l’ensemble devant supporter seul les coûts fixes bancaires. Tandis que les frais accessoires ne seraient facturés qu’à leur coût marginal. Ce serait l’occasion de définir et d’étendre la gamme des services bancaires : étendre notamment la notion de services low cost ainsi qu’a contrario, celle de service personnalisé, lequel n’est pas aujourd’hui pleinement facturé comme tel. La vérité des prix, de plus, rendrait possible de modifier certains comportements (l’usage des chèques notamment) et d’en faire accepter de nouveaux à une clientèle qui, suspicieuse aujourd’hui, est à même de prendre pour une dégradation toute modification de service – l’envoi des relevés par internet en représente un bon exemple, quant on sait que pour une grande banque, leur envoi postal peut représenter aujourd’hui un coût de 70 millions d’€ par an. Au total, la situation génère tout à la fois une certaine insatisfaction des clients en même temps qu’elle pose des contraintes fortes aux banques pour se développer. 42 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). Or, assez dangereuse à horizon moyen, ce n’est même pas une situation si profitable à court terme, contrairement à ce que peuvent croire les banquiers, comme leurs clients. Toutefois, des changements substantiels des modes de facturation ne pourraient intervenir que dans le cadre plus vaste de nouvelles stratégies clientèles que la décennie verra certainement émerger. * Quelles stratégies pour la clientèle de particuliers ? Mieux maîtriser la rentabilité par compte sera sans doute l’un des facteurs déterminants pour les banques au cours de la nouvelle décennie. Après avoir engagé de gros efforts en matière de CRM depuis cinq ans, les banques appréhendent mieux la rentabilité et la diversité de leurs clientèles de particuliers. Ce phénomène n’est pas propre à la France seulement et il comporte encore de larges zones d’ombre. Ainsi, sur la masse des clients particuliers des banques, il reste difficile de déterminer quelle proportion ne dégage aucun profit. Aux USA, les estimations portent sur 60% de la clientèle (dans un pays pourtant moins bancarisé que la France). Quoi qu’il en soit, quatre catégories distinctes de clients se distinguent en moyenne dans la plupart des pays et la plupart des établissements : 25% sont « actifs ». Ils sont bien équipés en produits financiers et utilisent tous les canaux de communication mis à leur disposition : ils rencontrent leur conseiller en agence et suivent leurs comptes sur internet. Ils veulent bien recevoir des SMS et ils apprécient la commodité d’un call-centre pour des opérations simples ; 25% sont « suiveurs ». Ils sont équipés de 3 à 4 produits. Ils privilégient un canal, souvent l’agence, et en utilisent parfois un autre, souvent internet, en complément (de plus en plus ce rapport tend à s’inverser) ; 25% sont « fuyants » : ils accumulent découverts et crédits ou bien ne supportent ni l’un ni l’autre mais, dans les deux cas, ils se passent très bien d’avoir des contacts avec leur banque. Quand un SMS venant de leur banque s’affiche sur l’écran de leur mobile, leur première réaction est toujours d’avoir un peu peur ! 25% des clients enfin sont « nomades » : beaucoup parmi eux sont des « actifs » mais l’établissement qui les compte en l’occurrence n’est pas leur banque principale. Ces proportions, il convient de le souligner, sont indépendantes du niveau de revenu des clients : on peut être aisé et « fuyant » ou bien avoir des revenus modestes et être « actif ». Quoi qu’il en soit, il n’est pas possible de définir une offre répondant aux quatre catégories en même temps. Soit les banques se centrent sur « actifs » et « nomades » ; soit elles font le choix des deux catégories intermédiaires de « suiveurs » et « fuyants ». Et si elles peuvent 43 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). faire les deux, cela ne semble possible qu’à travers non seulement des marques mais même des entités distinctes, dotées de moyens différents. Ce dernier point ne sera sans doute pas accepté facilement. Dans les années 80, presque chaque agence avait encore son back office. Dans les années 90, les back offices ont été regroupés à une échelle régionale, puis nationale souvent. Les systèmes informatiques ont suivi au cours de la dernière décennie. Pourtant, au terme de tous ces regroupements, si les investissements ont été conséquents, la rentabilité n’a pas été fortement améliorée. C’est que, sur un marché concurrentiel, on ne peut réaliser des économies d’échelle en traitant de manière homogène une clientèle dont la rentabilité unitaire est très disparate. Tel est ce que découvrent actuellement les plus grandes banques, en France comme à l’Etranger et ce sera sans doute un élément déterminant au cours de la décennie qui vient de commencer, dans un contexte réglementaire (Bâle III) renchérissant le coût de solvabilité et de liquidité des crédits et obligeant les banques à se battre pour attirer les dépôts. Dans ce contexte, par ailleurs, se dessinent de tous nouveaux contours pour la banque de détail : avec la dématérialisation la notion même de compte bancaire va changer, les réseaux sociaux invitent à repenser le conseil, les banques revoient leur architecture informatique en privilégiant l’accessibilité numérique – elles vont devenir à leur façon des médias. Ce n’est pas ici le lieu de développer tout ceci, qui ne relève pas d’un bilan. Il est intéressant, néanmoins, de souligner à titre d’exemple quelles mutations ces différentes avancées sont à même d’introduire. Comment les réseaux sociaux vont changer la banque. Les réseaux sociaux et communautaires se sont installés dans le paysage médiatique. Pour une frange significative et croissante de la population, ils représentent un mode de contact fondé notamment sur l’échange libre, immédiat et informel des forums qui, désormais, semble aller de soi. Face à ces nouveaux espaces d’interaction, les banques aujourd’hui s’interrogent : comment y aller ? Certes, il leur serait assez facile d’y glisser des encarts publicitaires mais cela aurait-il un réel intérêt ? Les réseaux sociaux prennent à rebrousse-poil un marketing bancaire encore largement calé sur celui de la grande distribution. Une politique de marque à travers laquelle les banques affirment leur présence en martelant des offres qui, pour l’essentiel du public, ont tendance à toutes se confondre. Ce n’est certainement pas là l’approche idoine dans un réseau communautaire, où il ne s’agit pas de capter l’attention des internautes mais de répondre à leurs questions. Où le client potentiel n’est pas passif mais en demande d’un rapport personnalisé. Or, alors même que les rapports que l’on peut avoir avec son banquier sont tout particuliers – on ne souligne pas assez que le rapport au banquier est un rapport de pouvoir très singulier dans le cadre des rapports marchands – et parfois extrêmement privilégiés, les banques n’ont jusqu’ici guère tenté de capitaliser sur cette dimension. En regard, cependant, les comportements qui 44 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). apparaissent à travers les réseaux sociaux mettent surtout en avant le souhait de mieux maîtriser leurs relations commerciales de la part des clients. Pour ses dépenses, l’internaute s’informe, discute, demande conseil, analyse et compare. Le Web 2.0 lui en offre désormais l’opportunité. Il veut avoir les moyens de négocier. Parmi les banques, ainsi, entreprises et particuliers choisiront demain d’abord celles qui les fournissent en données, en outils d’analyse permettant d’extraire, de rassembler et de comparer ces données. Celles qui sauront anticiper les besoins d’information dont leur clients souhaitent disposer concernant l’ensemble de leurs flux financiers, que leur banque concentre, et non seulement la gestion de leur compte bancaire. Toutes ces informations, toutes ses démarches, l’internaute – entreprise ou particulier - les regroupera sur une même page d’ordinateur, un même dossier, où il juxtaposera ses accès courants, utiles. Alors, la notion même de compte bancaire pourrait bien fortement évoluer. Dès lors que des documents tels que factures et contrat se transmettront de manière dématérialisée, en effet, notre compte bancaire pourrait remplacer assez largement notre adresse postale et notre IBAN notre signature. L’acte de virement, activé d’un téléphone mobile au besoin, remplacerait la plupart des autres moyens de paiement – il n’y a rien là d’utopique. En fait, cela est techniquement possible dès aujourd’hui. Enfin, face à des clients plus actifs, mieux informés et plus exigeants – continuellement reliés à beaucoup d’autres - les banques devront se distinguer par la qualité des informations de tous types qu’elles véhiculeront, par leurs capacités de réactions à des échanges informels tels que logés sur des blogs, par leur pédagogie enfin – car ce dernier aspect demeure le continent ignoré de la relation bancaire. Comment un particulier apprend-il la banque aujourd’hui en effet ? Comment découvre-t-il l’univers financiers, sous toutes ses facettes et sous toute sa complexité ? Essentiellement par le bouche-à-oreille et en se débrouillant par ses propres moyens. Au total, les banques seront sans doute invitées demain à devenir de véritables médias : véhicules d’informations générales ou ciblées (l’Open forum et le site Resoclub d’American Express sont ainsi déjà des hybrides de portail et de réseau communautaire pour les TPE), lieux d’échange immédiat (ainsi la Wells Fargo connecte-t-elle son blog corporate ouvert à ses propres employés à des blogs externes) et espace d’apprentissage et de jeu (le monde virtuel Stage Coach Island de Wells Fargo). 45 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). Pour les banques, leur présence sur les réseaux sociaux représente ainsi beaucoup plus qu’un enjeu publicitaire : c’est là où se trouvent leurs nouveaux clients, au sens fort du terme. 46 Banques françaises. Le bilan d’une décennie (2001-2010). CONCLUSION Plus que dans d’autres pays, les principales banques françaises sont solides. Elles le sont restées malgré la crise, comme en témoigne l’évolution de leur rating sur dix ans : Notation long terme Standard & Poors 2001 2010 BNP Paribas AAAA BPCE A+ Crédit Agricole SA AA AAGroupe Crédit Mutuel A+ A+ La Banque postale A+ Société Générale AAA+ Bank of America A+ A Wells Fargo AA AA Santander AA Deutsche Bank AA A+ Moody's 2001 2010 Aa2 Aa2 Aa3 Aa1 Aa1 Aa3 Aa3 Aa3 Aa2 Aa2 Aa2 Aa2 Aa2 Aa2 Aa3 Aa3 Fitch Ratings 2001 2010 AA AA A+ AA+ AAAAAAAAAA A+ AAA+ AA AA AA AA AA- Sur dix ans, malgré la crise, le rating du Groupe Crédit Mutuel et de BNP Paribas est demeuré inchangé ou pratiquement inchangé. Les principales banques françaises s’alignent sur les grands groupes étrangers. Notre conclusion consistera donc seulement à souligner que ce qui empêche les banques d’avoir une croissance organique plus forte, ainsi qu’une rentabilité plus stable tient pour l’essentiel à leur capacité à faire face à une clientèle de masse dont de larges segments ne sont pas profitables. Les banques ne pourront y répondre que par des stratégies clientes plus segmentées, appuyées sur une modification de leurs offres portée par des innovations technologiques et surtout par une industrialisation qui ne signifie pas seulement un regroupement de moyens, comme on l’a trop rapidement cru au cours de la décennie 2000, mais une vraie adaptation des traitements et des offres aux besoins. C’est là le vrai challenge de la décennie qui vient de commencer. 47