La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. IV - juin 2000 153
de la communication et des troubles cognitifs éventuellement
associés, et le comparer aux données antérieures. Les tests
standardisés et reproductibles : la version française du Boston
Diagnostic Aphasia Examination (6),le protocole Montréal-
Toulouse (7),le protocole de dénomination de Bachy-Lange-
dock (8) sont très utiles dans cette démarche. L’important est
de ne pas donner – ou de ne pas entretenir – de faux espoirs,
qui ne seraient pas confirmés par l’évolution, avec le risque de
déception et de dépression secondaire, tout en restant constructif.
On va donc, en fonction des résultats du bilan et en tenant
compte des besoins et du contexte de communication propre à
chaque patient, essayer de fixer des objectifs réalistes : si la
désintégration phonétique ou le manque du mot reste total, ou
l’aphasie globale, après un an d’évolution, il est peu probable
qu’une reprise ou une poursuite de rééducation transforme
radicalement la situation. En revanche, il est presque toujours
possible d’améliorer, ou au moins d’apprendre au patient
à exploiter au maximum ses capacités restantes en vue d’opti-
miser sa communication.
De façon schématique, en référence à la classification interna-
tionale des déficiences, incapacités et handicaps (CIDIH),
on va intervenir, chaque fois que c’est encore possible sur les
déficiences aphasiques et, simultanément, sur les incapacités de
communication qui en résultent ; dans le cas contraire, le tra-
vail fonctionnel sur la communication, l’aide à l’adaptation
sociale et le support psychologique représenteront l’essentiel
de la thérapie. C’est en ces termes, sous la forme d’un contrat
moral d’objectifs, que les propositions thérapeutiques devront
être formulées et expliquées au patient et à sa famille. Dans
certains cas, il est impossible de déterminer à l’avance si telle
ou telle déficience, tel ou tel symptôme, est encore accessible à
une rééducation spécifique. On est alors amené à proposer une
période probatoire de quelques mois, trois en général, de préfé-
rence à un rythme intensif, ou au moins soutenu, pour juger de
la réponse à la thérapie.
Rééducation centrée sur les déficiences résiduelles
Elle est difficile, car elle fait appel à des méthodes classiques
que le patient a déjà expérimentées longuement et dont il est
souvent lassé. L’art de l’orthophoniste consiste donc à varier
les tâches de langage proposées, en faisant aussi souvent que
possible appel à des techniques nouvelles pour remotiver
le patient, tout en gardant la rigueur d’une démarche scienti-
fique inspirée de la neuropsychologie cognitive : à partir des
connaissances sur l’organisation modulaire du langage chez
l’homme sain, on formule des hypothèses sur les processus
cognitifs encore capables de produire une activité neurolinguis-
tique et sur la façon de les mettre en jeu pour suppléer ceux qui
ne sont plus opérants. La rééducation de la production phono-
logique privilégie la thérapie mélodique et rythmée (9) et la
PACE (Promoting Aphasia Communication Effectiveness) (10),
qui améliore souvent l’incitation verbale et la dynamique de
l’expression en même temps qu’elle améliore la communica-
tion globale. Le contrôle des paraphasies et le traitement du
manque du mot nécessitent une analyse soigneuse du niveau où
se situe le trouble : déficit d’accès aux stocks lexicaux ou atteinte
directe de ces stocks ? Trouble de la sélection des unités phoné-
miques, défaut de leur insertion dans la matrice lexico-syn-
taxique en cours d’élaboration ou trouble “de sortie”, par
défaut de correspondance entre le programme sélectionné et les
capacités de production phonologique encore disponibles ?
L’absence de production d’un mot ou d’un son est-elle la
conséquence d’une atteinte directe des processus de production
ou d’une action d’autocensure d’un projet de production jugé
inadéquat ? Certains troubles de compréhension orale peuvent
retirer bénéfice de thérapies centrées sur la discrimination
phonémique (écoute de cassettes audio filtrées sur certaines
plages de fréquence) (11),alors que d’autres se montrent fran-
chement dépendants du contexte sémantique. Quant aux
troubles du langage écrit, ils représentent le domaine d’élection
des thérapies de réorganisation dérivées de la neuropsychologie
cognitive. Dans tous les cas, la même démarche doit être
suivie : se fixer des objectifs réalistes, axer la thérapie sur peu
de symptômes bien ciblés et bien analysés et préférer des
rythmes de thérapie intensifs sur des plages de temps relative-
ment brèves ; si possible, informer auparavant le médecin
conseil de la caisse d’assurance maladie du patient du programme
qu’on se propose d’entreprendre et des résultats attendus. Nous
pratiquons ainsi dans notre service des stages de réinduction
intensive de rééducation de l’aphasie pour des sujets soigneuse-
ment sélectionnés. Les stages durent en général trois semaines
et comportent au moins deux heures par jour d’orthophonie
individuelle et une heure de communication de groupe, ou trois
heures de thérapie individuelle. Ces stages sont ou non renou-
velés en fonction des résultats objectivement atteints,
et leur effet est prolongé par quelques mois de thérapie ortho-
phonique libérale, deux fois par semaine.
Rééducation centrée sur les incapacités
de communication (réadaptation)
et la réduction du désavantage psychosocial
Chez tous les aphasiques, le travail sur la communication dans
la vie sociale est indissociable de la rééducation orthophonique.
Le courant pragmatique s’est développé à partir de la constata-
tion déjà ancienne que “l’aphasique communique mieux qu’il
ne parle”. Des bilans de la communication de l’aphasie com-
mencent à être disponibles et aident à fixer les objectifs de la
rééducation. La PACE, précédemment évoquée, est la tech-
nique la plus classique : l’aphasique et le thérapeute doivent à
tour de rôle deviner une image cachée à partir des indications
que l’autre donne, par tous les modes de communication dispo-
nibles. L’aphasique est ainsi entraîné à développer son langage
écrit, ses mimiques et surtout son langage gestuel. Des situa-
tions de jeux de rôle, si possible par groupe de trois ou quatre
personnes, permettent aussi de recréer les conditions d’un
échange de la vie quotidienne et de travailler les postures,
les prises de parole, les gestes d’accompagnement, les renfor-
cements ou les ruptures. Le téléphone, dont l’usage est redou-