1943 | France | Maurice Tourneur
LA MAIN DU DIABLE
UNIVERSITÉ INTER-ÂGE | CYCLE ‘’LE CINÉMA FANTASTIQUE’’ | LUNDI 28 NOVEMBRE 2016 | 9H-12H30 | CINÉMA LUX
Maurice Tourneur (1876-1961) Né Maurice Thomas à Belleville
C’est en tant que dessinateur puis décorateur-ensemblier que Maurice Tourneur débute en autodidacte sa carrière
artistique. Amené dans le cadre de cette dernière discipline à travailler pour le théâtre, il décide, dès 1900, de devenir
comédien. Il est alors engagé notamment par André Antoine qui le recrute également en tant que régisseur. Durant cette
dizaine d’années passées sur les planches, Tourneur se lie d’amitié avec deux acteurs dont l’envie de réaliser des films se
manifeste. L’un d’eux, Emile Chautard, passe derrière la caméra pour la Société Eclair et lui propose d’être son assistant.
Après plusieurs productions à ce poste, et le départ aux Etats-Unis de son ami devenu cinéaste, Tourneur passe à son tour
à la réalisation et signe ses débuts avec Le Friquet (1912), l’adaptation d’un roman à succès.
Quinze films plus tard, il se voit lui aussi envoyé sur le sol américain afin d’y poursuivre sa carrière qui y sera éblouissante.
En effet, très vite, Tourneur fait sensation en enchaînant des films faisant preuve de véritables recherches formelles
audacieuses tels Fille de pirates (1914), L’Oiseau bleu (1918), Prunella (1918) ou encore son chef-d’œuvre L’Ile au
trésor (1920). Cherchant, comme les réalisateurs suédois des années 10, à retrouver au cinéma et par tout un travail de
l’image, le sens profond de la peinture, Tourneur signe une succession de productions qui se distingue par un symbolisme
formel transitant par un jeu savant des éclairages et des cadrages, l’originalité des prises de vues, et le recours à des
décors très stylisés dont certains participent grandement à créer un climat poétique et de « réalisme féérique ». L’Oiseau
bleu, à l’esthétique inspirée de celle des cors scéniques et des ambiances des ballets russes de l’époque, incarne
notamment cette démarche constante que Tourneur a eue aux Etats-Unis : faire en sorte que les images soient chargées
de sens afin de rappeler que le cinéma n’est pas simplement affaire de montage mais aussi de composition picturale dont
les qualités plastiques peuvent mettre en valeur un contenu échappant au réel immédiat. Cette période américaine (1914-
1925), durant laquelle il sera considéré comme l’un des quatre plus grands cinéastes du pays aux côtés de D.W. Griffith,
Cecil B. De Mille et Thomas Ince, s’achève en 1926 par son départ du tournage de Mysterious Island. C’est à cette date
qu’il décide en effet de quitter Hollywood et de revenir en France. Mais son retour n’est pas apprécié par tout le monde
puisqu’il lui est reproché de ne pas avoir servi son pays lors de la guerre de 1914-1918. Face à une campagne de presse
qui interrompt le tournage de L’équipage (1928), son premier film depuis qu’il est revenu sur le sol national, Tourneur
part pour l’Allemagne en 1927 afin d’y réaliser Le Navire des hommes perdus avec Marlène Dietrich.
1
Maurice Tourneur
FILMOGRAPHIE MAURICE TOURNEUR 1912 Le Friquet Jean la Poudre Le Système du docteur Goudron et du professeur Plume
Figures de cire 1913 Le Dernier pardon Le Puits mitoyen Le Camée Soeurette Le Corso rouge Mlle 100 Millions Les
Gaîtés de l’escadron La Dame de Monsoreau 1914 M. Lecoq Le Mystère de la chambre jaune La Dernière incarnation de
Larsan Mother / Maman The Man of the Hour / La Treizième heure The Wishing Ring / Fille de pirates The Pit / Le Spéculateur
1915 Alias Jimmy Valentine / Jimmy le Mystérieux The Cub Trilby The Ivory Snuff Box / Le Code secret The Butterfly on the
Wheel / Insouciance Human Driftwood / Détresse humaine The Pawn of Fate / La Folle chimère 1916 The Hand of Peril The
Closed Road The Rail Raider The Velvet Paw / L’Amérique champion du droit A Girl’s Folly The Whip / La Casaque verte
1917 The Undying Flame / La Flamme éternelle Exile / L’Exilée The Law of the Land The Pride of the Clan / Fille d’Ecosse
The Poor Little Rich Girl / Pauvre petite riche Barbary Sheep / La Délaissée The Rise of Jenny Cushing / Les Etapes du bonheur
1918 Rose of the World / Les Yeux morts A Doll’s House / Maison de poupée The Blue Bird / L’Oiseau bleu Prunella Woman
L’Eternelle tentatrice (et Les Fées de la mer) 1919 Sporting Life / Lady Love My Lady’s Garter The White Heather / La Bruyère
blanche The Life Line / La Ligne de vie Victory/ Une victoire The Broken Butterfly / Le Papillon brisé 1920 The County Fair
The Great Redeemar / Un lâche While Paris Sleeps / Dans la ville endormie Treasure Island / L’Ile au trésor The White Circle
Le Cercle blanc Deep Waters / Au fond de l’océan 1921 The Bait / La Fange The Last of the Mohicans / Le Dernier des Mohicans
The Foolish Matrons 1922 Lorna Doone 1923 The Christian / Calvaire d’apôtre The Isle of the Lost Ships / L’Ile des navires
perdus The Brass Bottle Jealous Husbands / Les Deux gosses 1924 Torment The White Moth / La Phalène blanche 1925
Never the Twain Shall Meet / La Frontière humaine Clothes Makes the Pirate / Le Corsaire aux jambes molles 1926 Aloma of
the South Seas / Aloma The Mysterious Island (inachevé) 1927 Das Schiff der verlorene Menschen / Le Navire des hommes
perdus 1928 L’Equipage 1930 Accusée, levez-vous ! 1931 Maison de danses Partir 1932 Au nom de la loi Les Gaîtés de
l’escadron Lidoire (c.m.) 1933 Les Deux orphelines Obsession (c.m.) 1934 Le Voleur 1935 Justin de Marseille 1936
Koenigsmark Samson Avec le sourire 1938 Le Patriote Katia 1939 Volpone 1941 Péché de jeunesse Mam’zelle Bonaparte
1942 La Main du diable 1943 Le Val d’Enfer Cécile est morte 1947 Après l’amour 1948 Impasse des Deux-Anges.
Le Cinéma français sous l’Occupation [1940-1944]
Septembre 1939 - Mai 1940 : Durant les huit mois de la « drôle de guerre », le milieu du cinéma français a continué son
activité. Mais depuis la déclaration des hostilités à l’Allemagne et au fur et à mesure des évènements, une censure s’est
installée, visant pour l’essentiel à bannir des écrans les films jugés trop démoralisants : Jean Renoir et sa Règle du jeu
(1939) ainsi que Marcel Carné et son Quai des brumes (1939) furent notamment de la liste.
10 Mai -14 Juin 1940 : C’est l’heure de la déroute et la France finit par devenir territoire tenu par les forces allemandes.
Eté 1940
:
le pays est divisé en deux zones : une occupée par les armées germaniques, l’autre placée sous l’autorité d’un
pouvoir basé à Vichy et confié au Maréchal Philippe Pétain. Plus de 2 millions d’hommes sont déjà prisonniers en
Allemagne et l’activité économique française est désorganisée. Cette situation affecte le monde du cinéma : de mi-juin à
fin octobre 1940, on parle de « saison blanche » car il ne se passe quasiment rien. La production cinématographique est
arrêtée, en panne, et l’exploitation est paralysée à la fois par les opérations militaires et par l’exode des civils.
The Blue Bird (1918)
2
Maréchal Philippe Pétain
Joseph Goebbels
En cette période de début d’occupation, les salles de cinéma ne reprennent que petit à petit leur programmation et le
choix est restreint. Les films américains et anglais ne parvenant plus sur le territoire, le public doit se contenter de voir
sur les écrans : les dernières productions françaises qui ont été tournées juste avant le début des hostilités, les comédies
et films d’aventures allemands, qui reçoivent un réel succès, ou encore quelques bandes italiennes qui seront projetées
jusqu’à la fin de 1943.
Fin 1940 : une douzaine de films sont réalisés dans le Sud de la France, dont La Fille du Puisatier (1940) de Marcel
Pagnol et Venus aveugle (1940) d’Abel Gance. Mais le Régime de Vichy, qui envisage la création d’un comité
d’organisation dans chaque secteur industriel, souhaite réorganiser le système cinématographique français, avant que la
production ne reprenne plus intensément. Aussi, dans le cadre de cette réforme, un projet de restructuration déjà évoqué
dès 1935 est repris afin d’être mis en application.
De cette initiative, en novembre 1940 le COIC : le Comité d’Organisation des Industries du Cinéma. Une date dans
l’histoire du septième art français puisque, pour la première fois, le pouvoir encadre l’industrie et le commerce du film et
impose des règles administratives à la profession. Cet organisme met en place une série de décisions plutôt positives. Il
crée notamment la carte professionnelle et légifère pour l’interdiction du double programme dans les salles afin de
favoriser la production et la diffusion de courts-métrages. Il met en place un système d’aide au financement de projets -
système qui restera viable jusqu’en 1959 et qui repose sur une commission d’examen de dossiers et des avances
consenties par le Crédit National, une sociéfinancière créée par l’Etat - et participe encore à la création de l’IDHEC,
l’Institut des Hautes Etudes Cinématographiques, l’ancêtre de la FEMIS.
Si toutes ces mesures instaurées par le Régime de Vichy sont à saluer, il est à signaler aussi combien celui-ci en a appliqué
d’autres beaucoup moins honorables (leur censure bornée venant s’ajouter à celle des services allemands ; leurs lois
antisémites, dont celle, inscrite dans le statut des Juifs - que Pétain signe le 3 octobre 1940 - leur interdisant d’exercer
toutes professions en rapport avec l’industrie du film…).
1941-1944 : ces quatre années constituent l’une des périodes les plus prospères de l’histoire du cinéma français : de
l’automne 1941 à celui de 1943, les spectateurs affluent dans les salles. La grisaille de l’époque, la difficulté de pouvoir
voyager sur le territoire et au-delà de ses frontières, participent à ce phénomène, sans compter que les lieux de projections
y sont chauffés ! Par ailleurs, du fait de la disparition des écrans des films anglais et américains et donc de la concurrence
le cinéma français parvient à tirer brillamment son épingle du jeu, même si les films allemands proposés ne sont pas
boudés et rencontrent aussi un beau succès. De cette « conjoncture », Pathé et Gaumont en tirent de tels bénéfices qu’ils
peuvent largement amortir les films coûteux dans lesquels ils ont investi et mettre en chantier des productions à plus
gros budgets (Les Enfants du Paradis). Ces années d’occupation se voient en outre marquées par une vive dynamique
du milieu du cinéma et de 1941 à 1944, pas moins de 220 longs-métrages sont produits.
Durant cette période, le cinéma français est d’un autre côté « mutilé », privé de nombreux talents. Certains artistes et
techniciens sont prisonniers, d’autres en exil : les acteurs Jean Gabin, Charles Boyer, Victor Francen, la comédienne
Michèle Morgan, et les réalisateurs Jean Renoir, René Clair, Julien Duvivier, Max Ophüls sont, par exemple, partis
pour les Etats-Unis ; Louis Jouvet et le réalisateur Pierre Chenal ont pris la destination de l’Amérique latine.
Mais en dépit de cette « hémorragie », l’année 1941 permet à d’autres metteurs en scène, qui ont déjà rencontré un certain
succès juste avant-guerre, de pouvoir occuper davantage le devant de lécran, monopolisé jusqu’à présent par plusieurs
cinéastes phares dès lors absents depuis le début des hostilités. Parmi eux :
Sacha Guitry, qui reste en ces années troublées une vedette de la vie mondaine, signe trois films entre 1941 et 1944
Jean Grémillon, proche des communistes, réalise Le Ciel est à vous (1943), qui est salué par la presse de la Résistance.
Marcel Carné tourne pour la Gaumont, Les Visiteurs du Soir (1942) et Les Enfants du Paradis (1944-1945) après avoir
refusé de travailler pour la Continental, la société de production allemande installée sur le sol français. Décision qu’il lui
vaudra d’être trainé dans la boue, par la presse collaborationniste.
Louis Daquin, proche des communistes, comme Jean Grémillon, livre des films policiers : Le Voyageur de la Toussaint
(1943) d’après Georges Simenon et Madame et le Mort (1943).
Jean Delannoy, avec le concours de Jean Cocteau, signe notamment L’Eternel retour (1943).
André Cayatte adapte tour à tour à l’écran Balzac (La Fausse Maîtresse, 1942), Zola (Au Bonheur des Dames, 1943),
Maupassant (Pierre et Jean, 1943)
Jean Gabin
Jean Renoir
Michèle Morgan
Charles Boyer
Louis Jouvet
3
0
D’autres réalisateurs émergent véritablement durant cette période et parviennent à attirer l’attention. Certains se
révèlent après quelques débuts bien timides ou difficiles, d’autres signent avec brio leur premier film :
Claude Autant-Lara balaie ses quelques échecs cinématographiques antérieurs en rencontrant le succès avec Le
Mariage de Chiffon (1941), Lettres d’amour (1942) et Douce (1943)
Assistant de Jean Renoir, Jacques Becker tourne avec Dernier atout, son premier long-métrage en 1942 et enchaîne
avec Goupi Mains-Rouges (1943) et Falbalas (1944)
Après un court-métrage réalisé au début des années 30 - La Terreur des Batignolles (1931), Henri-Georges Clouzot
signe avec L’Assassin habite au 21 (1942) et Le Corbeau (1943), ses deux premiers films qui figurent d’ailleurs parmi
les productions les plus réussies de la firme allemande Continental pour laquelle ils ont été réalisés.
Après avoir passé un an dans un camp de prisonniers en Allemagne, Robert Bresson signe, avec Les Anges du péché
(1943), un premier film bien prometteur.
Sur le plan de la réalisation, on peut constater que les films tournés et sortis sous cette période éludent le temps présent,
en fait l’ablation : bien que des cinéastes comme Henri Decoin ou Jacques Becker, par exemple, tournent dans un Paris
« contemporain » occupé, le réel n’est pas montré. Exit de l’écran l’envahisseur, la guerre, les restrictions, la résistance…
Les caméras ne saisissent aucun uniforme allemand, ni les pancartes de la Wehrmacht que l’on retrouve à travers toute
la Capitale et seuls quelques signes superficiels ou neutres du présent, transitant par la mode vestimentaire ou le design
de certaines voitures, s’affichent comme indices temporels. Parti pris appuyé par le Régime de Vichy qui manifeste même
sa préférence à ce que soit privilégié et traité le passé comme un espace d’évasion, le 19e siècle ou le Moyen Âge en tête
de liste.
Sur le plan de la production, beaucoup de comédies sortent sur les écrans (Fernandel tourne 14 films entre 1940 et 1944)
ainsi que de nombreux drames ruraux et mondains. Et s’il faut noter qu’un bon nombre de mauvais titres alimentent les
écrans pour satisfaire le public toujours friand de nouveautés, une quantité assez importante de très bons films voient
aussi le jour, y compris au sein même de la Continental, la firme allemande créée par Joseph Goebbels.
En ces années d’occupation, quelques films sortis entre 1941-1944 ont posé problème car ils ont été perçus, à tort mais
parfois aussi à raison, comme œuvre de « propagande ». Pour cela, ils ont été le plus souvent censurés par le Régime de
Vichy en place, ou encore contestés et condamnés soit par les autorités allemandes, soit par les divers acteurs de la
Libération. Parmi les principaux :
La Fille du Puisatier de Marcel Pagnol et Venus aveugle d’Abel Gance, deux productions tournées fin 1940, n’ont pas
été contestées certes à la fin de la guerre. Mais l’adhésion des deux cinéastes au Régime de Vichy, s’exprime explicitement
via l’hommage que le premier rend à Pétain par le biais de la voix de ce dernier que l’on entend dans le premier film et
au regard du carton qui ouvre le récit du second par ces mots : « C’est à la France que j’aurais voulu dédier ce film, mais
puisqu’elle s’est incarnée en vous, Monsieur le Maréchal, permettez que très humblement je vous le dédie ».
Parce qu’aux yeux du Régime de Vichy, L’An 40 (1941) de Fernand Rivers ridiculise la bourgeoisie, le film est interdit
deux jours après sa sortie sur les écrans et toutes les copies sont détruites.
Semi documentaire évoquant le quotidien de quelques mousses d’un navire, Les Cadets de l’Océan (1942) de Jean
Dréville est interdit en premier lieu par les Allemands, puis censuré à la Libération pour avoir montré des Français sous
un jour trop frivole.
La Symphonie fantastique (1942) de Christian-Jaque exalte l’âme française et l’espoir de sa renaissance. Ce qui déplaît
bien évidemment au ministre de la propagande Joseph Goebbels. Très remonté contre Alfred Greven, celui qu’il a lui-
même nommé à la tête de la société Continental qui a financé le film, il écrit dans son journal : « Je suis furieux que nos
bureaux de Paris montrent aux français comment représenter le nationalisme dans leurs films. J’ai donné des directives très
claires pour que les Français ne produisent que des films légers, vides, et si possible, stupides. Je pense qu’ils s’en contenteront.
Il n’est pas besoin de développer leur nationalisme ».
L’Eternel Retour (1943) de Jean Delannoy, réalisé avec le concours de Jean Cocteau (ce dernier s’inspire ici, pour le
scénario, du mythe de Tristan et Iseult), se voit condamné par les critiques anglaises qui dénoncent son message
lourdement allemand, son « atmosphère gothique pestilentielle », assimilant le héros à une « idéalisation de la jeunesse
hitlérienne ».
4
Claude Autant-Lara
Jacques Becker
Henri-Georges Clouzot
Robert Bresson
Forces occultes (1943) de Jean Mamy est une commande du service de propagande nazie. C’est un film qui s’en prend
violemment à la franc-maçonnerie et aux Juifs et cherche à prouver l’existence d’un complot judéo-maçonnique.
Condamnés fermement à la Libération, le réalisateur ainsi que le scénariste Jean Marquès Rivière seront exécutés et le
producteur Robert Muzard, condamné à trois ans de prison.
Avec Le Corbeau (1943), Henri-Georges Clouzot a su le mieux restitué le climat de l’époque, la peur, la délation, les
lâchetés quotidiennes. Mais à la Libération, la Résistance et les communistes ne le voient pas sous cet angle et reprochent
plutôt au réalisateur d’avoir fait de ce film, une tentative de dénigrement du peuple français. Attaqué très violemment
pour sa peinture noire qu’il a faite du pays maintenant libéré – le critique George Sadoul écrit à l’époque que le film laisse
voir selon lui l’influence de Mein Kampf - Clouzot est banni de la réalisation. Mais cette décision sera annulée en 1947 et
le cinéaste reprendra le chemin des studios avec Quai des orfèvres.
La Vie de plaisir (1944) d’Albert Valentin, qui critique la noblesse et le clergé, est interdit par le Régime de Vichy, jugeant
le film nettement antisocial. Mais il est aussi condamet censuré à La Libération, pour les mêmes motifs que celui du
Corbeau, le cinéaste étant accusé pareillement de vouloir salir la France par la représentation qu’il en fait.
Il faut avouer aussi que les films de la Continental ont été sévèrement jugés par des critiques venant de la résistance et
qui, non sans quelques mauvaises fois, les ont traités en bloc et avec mépris de cinéma « vichyssois ». Ce qui n’était pas
entièrement exact. A la Libération, plusieurs réalisateurs, acteurs et comédiennes ont été sanctionnés. Henri-Georges
Clouzot a été suspendu momentanément d’activité. Sacha Guitry, Arletty, Pierre Fresnay, Viviane Romance, Ginette
Leclerc, Corinne Luchaire ou encore Albert Préjean ont été incarcérés quelques semaines. D’autres ont été condamnés
plus lourdement, à raison, tel le comédien Robert Le Vigan, collaborateur notoire et délateur.
La Continental
En Septembre 1940, en zone occupée, le Ministre à la propagande du Reich, Joseph Goebbels, missionne Alfred Greven,
un ancien militaire francophile, pour créer une puissante société de production destinée à centraliser à son bénéfice le
meilleur des ressources artistiques du cinéma français et garder ainsi la mainmise sur la production cinématographique
du pays occupé. Par la mise en œuvre de cette structure, l’objectif de Goebbels est donc bien plus d’ordre politique que
culturel et artistique et dans son journal intime du 19 mai 1942, il l’affirme d’ailleurs par ces mots : « Notre politique en
matière de cinéma doit être identique à celle des Etats-Unis envers l’Amérique du Nord et du Sud. Nous devons devenir le
pouvoir cinématographique sur le continent européen. Dans la mesure des films seront produits dans d’autres pays, ils
devront garder un caractère purement local. Nous avons pour but d’empêcher, autant que possible, la création de toute
industrie nationale du cinéma ».
La Continental, financée par des capitaux allemands, voit alors le jour. La mise sur les rails s’effectue en février 1941 avec
L’Assassinat du Père Noël de Christian-Jaque. Date à partir de laquelle, les instances allemandes autorisent de fait les
producteurs français, dont Pathé, à se remettre au travail pour reprendre la production cinématographique qui s’était
arrêtée depuis l’été 1940.
De 1941 à 1944, la Continental produit 30 films et force est de reconnaître qu’au regard de ce qui a été réalisé, Alfred
Greven s’est loin d’être plié à l’exigence de Goebbels, son supérieur, lorsque celui-ci, agacé par l’idéologie véhiculée par
La Symphonie fantastique, l’a recadré pour lui demander de bien vouloir faire en sorte que les films soient seulement
« légers, vides et, si possible, stupides ». En fait, Greven, dont l’objectif premier est de concurrencer le cinéma américain en
produisant des films français de qualité, ira plusieurs fois à l’encontre des directives de Goebbels pour parvenir à ses fins :
il n’hésitera pas à recruter, notamment, des artistes et techniciens juifs au talent rare et certain en les faisant travailler
sous un prête-nom, comme le scénariste de La Main du Diable, Jean-Paul Le Chanois.
A l’arrivée, le catalogue de la Continental se compose pour la majorité de films de grande qualité tels ceux de Henri-
Georges Clouzot (L’Assassin habite au 21, Le Corbeau) et certaines adaptations littéraires signées Maurice Tourneur (La
Main du Diable, Cécile est morte) ou encore André Cayatte (Au bonheur des Dames).
Mais à l’instar de ce dernier, les cinéastes et autres artistes ayant travaillé pour cette compagnie de production vont être
pour beaucoup jugés et sanctionnés à la Libération pour avoir, à leur façon, « collaborer » avec l’ennemi. Pour les metteurs
en scène, des interdictions d’exercer à vie leur profession seront appliquées puis levées (Clouzot, Cayatte, Albert
Valentin). Quant à plusieurs comédiens et comédiennes à l’affiche des films de la firme, ils écoperont, pour la majorité,
d’une incarcération de quelques jours à plusieurs semaines.
5
1 / 14 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !