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voire l’abandon de quelques autres. Ces efforts individuels induisent des changements
morphologiques et fonctionnels qui se transmettent à la descendance, grâce à l’hérédité des
caractères acquis. Ainsi, tout se passe comme si la volonté divine ou l’Harmonie de la nature, qui
présidait aux tableaux fixistes des espèces, se trouvait transposée dans l’effort fait par les individus
en vue de s’adapter. Cette percée géniale vers une reconstruction évolutionniste de l’histoire
naturelle doit encore beaucoup, on le voit, aux conceptions statiques antérieures. Elle apparaît
comme une projection, dans l’histoire inconsciente des espèces, des valeurs qui guident la volonté
rationnelle des hommes.
Une révolution majeure est intervenue avec Darwin puis les néodarwiniens pour qui les
changements affectant le patrimoine héréditaire des organismes sont le fruit du hasard. L’ordre de la
vie émerge de la rencontre contingente entre des mutations aléatoires et un environnement changeant.
Celui-ci intervient secondairement et d’une manière indirecte, par le jeu de la “ sélection naturelle ”
qui retient parmi ces variations celles dont la possession confère aux individus un avantage dans leur
capacité de se reproduire et donc de perpétuer ces innovations. Ainsi la sélection darwinienne se
présente comme un filtre à travers lequel ne passent et finalement ne survivent que celles des formes
produites au hasard, qui sont non seulement viables mais capables de s’adapter aux conditions du
milieu. Seules les mutations compatibles avec la survie des embryons et leur développement jusqu’au
stade adulte auront la chance d’être soumises aux forces de la sélection naturelle.
Développement et Evolution sont donc des sciences étroitement liées. Leurs interrelations
sont si grandes qu’a émergé récemment sinon une nouvelle discipline, du moins un nouveau chapitre
de la Biologie qu’avec le goût actuel pour les abréviations on appelle “ EVO-DEVO ”.
L’intrication étroite des mécanismes du développement embryonnaire et de ceux de l’évolution
des espèces était clairement apparue déjà au XIXème siècle, période de bouillonnement des idées
où se trouvent les racines de la biologie d’aujourd’hui.
Ainsi, la ressemblance frappante entre embryons d’espèces distinctes, comme la présence de
fentes branchiales chez les embryons de tous les vertébrés, même ceux qui n’en n’ont jamais l’usage
comme les mammifères, était considéré par Darwin comme un argument en faveur de l’évolution.
Dans les années 1860, le physiologiste allemand Ernst Haeckel, fervent admirateur de Darwin,
alla plus loin et formula sa “ théorie de la récapitulation ”. Chacun connaît sa formulation canonique :