Partie 2 Quatre hypothèses pour un modèle : l`Acteur en 4 Dimensions

Partie 2
Quatre hypothèses
pour un modèle :
l’Acteur en 4 Dimensions
Partie 2 : Quatre hypothèses pour un modèle…
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Introduction
La partie 1 a montré que pour tendre vers un développement durable socio-
centré, il convient de s’intéresser aux liens entre humains ainsi qu’aux liens
homme-nature. Viser l’harmonie entre humains dans une perspective de
développement durable, c’est aspirer à un consensus qui tienne aussi compte
des acteurs absents. Viser l’harmonie homme-nature, c’est atteindre une
forme de conservation tenant compte des acteurs faibles. Le tout pour une
négociation plus écologique et une conservation plus humaine. Reste
maintenant à tester ces postulats sur le terrain et à mettre en place des
méthodologies et outils adaptés à ces problématiques. Cette seconde partie
présente la problématique générale et ses quatre hypothèses associées, et
pose les bases d’une nouvelle façon d’appréhender un jeu d’acteurs : l’Acteur
en 4 Dimensions.
A l’échelle d’un territoire, nous nous intéressons particulièrement à la
ressource en eau. L’hydrosystème territorialisé, un bien commun complexe,
incertain et risqué, qui pose toutes les interrogations d’une nouvelle
gouvernance environnementale. La notion de territoire, comme celle
d’hydrosystème, pose la question des interactions entre représentations
sociales et objets écologiques. Dans ce contexte, quelles disciplines ont pour
objet d’étude les relations homme-nature ? Anthropologie, économie,
géographie et sociologie apportent toutes quelques préceptes qui nous
aideront à bâtir notre problématique. Nos questions de départ sont les
suivantes : sur le plan théorique, comment s’articulent rapports social et
patrimonial sur un hydrosystème d’un territoire ? Au niveau pratique,
comment fournir une aide à la négociation environnementale dans un
contexte multi-acteurs ?
Une proposition : l’Acteur en 4 Dimensions (A4D), un modèle conceptuel
d’analyse issu d’une réflexion transdisciplinaire qui offre une nouvelle vision
d’un territoire à-travers le jeu d’acteurs. En effet, l’A4D approche les groupes
d’un territoire par leur rapport social (relations entre groupes) et par leur
rapport patrimonial (relations envers le non-humain), pour aboutir à ce qu’on
appelle des empreintes territoriales, c’est-à-dire des spectres représentant la
combinaison de l’implication sociale et patrimoniale d’un groupe sur un
territoire. Il n’est pas question de dissocier l’étude des relations entre
humains de celle des relations homme-territoire ; c’est en intégrant ces deux
valeurs que l’A4D prend tout son sens.
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I - Le territoire : une entité difficile à appréhender
Le pays est partout où l’on se trouve bien, la terre est aux mortels une maison commune
Robert Garnier, XVIè
Gouvernance éclairée, développement durable socio-centré, négociation,
conservation, de quelles manières ces quelques notions théoriques se traduisent-
elles sur le terrain ? Nous nous positionnons à l’échelle du territoire, une échelle
pertinente mais difficile à délimiter. Comment définir un territoire ? Est-il espace :
lieu de vie, lieu de mémoire, lieu de pratiques ? Est-il paysage, alliant
morphologie et psychologie du regard, englobant des dimensions écologiques et
sociales ? Est-il patrimoine, héritage légué par les générations passées, que nous
devons transmettre intact aux générations futures ? Ou est-il tout cela en même
temps, pour des acteurs qui ne doivent pas nécessairement partager des visions
pour vivre ensemble ? Dans tous les cas, la notion de territoire mêle éléments
objectifs et subjectifs, associe ce qui a trait à l’humain d’un côté, à ce qui a trait à
l’environnement de l’autre.
1. Entre sujet et objet, un territoire pluridimensionnel
Emprunté au latin classique
territorium
,
le mot
«
territoire » est défini par le Robert comme une
« étendue de la surface terrestre sur laquelle vit un groupe humain ». Au XIIIè siècle, le latin
chrétien lui donne le sens « de pays, paysage » ; puis le territoire désigne une « étendue de terrain
sur laquelle est établie une collectivité, spécialement qui relève d’une juridiction » (XVIIè), « de
l’autorité de l’Etat » (XVIIIè). Au XXè siècle, l’éthologie définit aussi le territoire comme « l’espace
qu’un animal se délimite et dont il interdit l’accès à certains animaux, en particulier ceux de sa
propre espèce. Par métaphore, il signifie « domaine, en parlant de ce qu’une personne considère
comme sien » (Rey, 1998)
.
Le terme territorial, défini au XVIIIè par Montesquieu, est « ce qui
concerne un territoire, du territoire ». Il prend au XIXè un sens juridique et concerne « la défense
du territoire national », selon Balzac qui l’utilise comme
rural, agricole.
Godelier (1984) appelle territoire « la portion de nature et d’espace qu’une société revendique
comme le lieu où ses membres trouveront en permanence les conditions et les moyens matériels
de leur existence ». Autrement dit, le territoire représente un espace sur lequel une société
déterminée revendique et garantit à ses membres des droits stables d’accès, de contrôle et d’usage
portant sur tout ou partie des ressources qui s’y trouvent et qu’elle est désireuse et capable
d’exploiter. Godelier définit parallèlement la notion de propriété comme ce que revendique une
société en s’appropriant un territoire : un ensemble degles abstraites qui déterminent l’accès, le
contrôle, l’usage, le transfert et la transmission de n’importe quelle réalité sociale qui peut être
l’objet d’un enjeu. Le concept de propriété peut s’appliquer à n’importe quelle réalité tangible ou
intangible : la terre, l’eau, des connaissances rituelles, un rang, etc.… Comme le rappelle Lowie
33
(1928), ces réalités doivent être l’objet d’un enjeu social, c’est-à-dire apparaître comme une
condition de la reproduction de la vie humaine. S’approprier un territoire, c’est se partager la
maîtrise des conditions de reproduction de la vie des hommes, la leur propre comme celle des
ressources dont ils dépendent.
33
Lowie R. (1928) Incorporeal Property in Primitive Society
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Ainsi, les individus et les groupes qui composent une société déterminée accèdent aux ressources
de la nature et se les approprient au moyen d’une forme sociale de propriété d’un territoire, forme
qui légitime cet accès et cette appropriation. Godelier (1984) démontre que dans toute société, les
formes de propriété du territoire revêtent la forme des rapports sociaux, quels qu’ils soient,
lesquels représentent le « cadre de la production ». Il semble qu’il existe des rapports étroits entre
les formes d’appropriation de la nature par les groupes d’une société et les capacités intellectuelles
et matérielles dont cette société dispose pour agir sur la nature qui l’entoure, en maîtriser les
processus, et la transformer en moyens matériels d’exister et de se reproduire dans des rapports
sociaux et une culture déterminés. Le territoire revendiqué par une société donnée constitue
l’ensemble des ressources auxquelles elle aspire et se sent capable d’exploiter à des conditions
technologique données. Mais toutes les activités productives contiennent et combinent des formes
matérielles et symboliques avec lesquelles les groupes humains agissent sur le territoire (Castro,
2003).
L’utilité d’un territoire peut prendre différentes formes (Conan, 1994) : utilité économique, utilité
scientifique, affichage électoral, loisir ; utilités souvent conditionnées par le mode de lecture du
territoire (naturaliste, géographique, historique, esthétique, religieuse). Il est possible alors
d’envisager le territoire comme un
pays
(appropriation pour une production économique), un
lieu
(appropriation à des fins de commémoration culturelle) ou comme un
paysage
(appropriation d’un
lieu en terme de singularité et d’expérience : souvenir, refuge, liberté). Dès lors, un territoire
possède des valeurs emblématiques différentes selon les acteurs.
L’ensemble de ces définitions met en avant la dualité homme et nature. En effet, on peut présenter
un territoire simplement comme un espace de vie, où coexistent ressources naturelles et
culturelles. Dans ce contexte, est-il possible de définir les limites d’un territoire et si oui, de quelles
manières ? La réponse peut être simple si l’on se réfère à un découpage administratif, ou plus
complexe si l’on se réfère à l’appréciation des groupes humains qui l’habitent, à la répartition du
vivant biologique ou aux limites des bassins hydrogéographiques. Les limites d’un territoire
deviennent floues et mouvantes si l’on s’intéresse à des découpages naturels ou identitaires. Un
territoire est une entité fortement pluridimensionnelle qu’il est nécessaire d’aborder sous différents
angles en englobant approches objectives et subjectives. Dans cette optique, il semble essentiel
d’appréhender un territoire comme une
entité relationnelle complexe
constituée de trois
dimensions indissociables : physique, biologique et humaine. Indissociables, oui, mais tout en
gardant à l’esprit qu’un territoire est avant tout un complexe multi-acteurs où pratiques,
préférences et savoirs s’entremêlent. Il peut être patrimoine, paysage, lieu, espace naturel,
anthroposystème : il est co-évolution d’écosystèmes et de sociosystèmes. Appréhender un
territoire nous place donc devant l’antithèse classique sujet-objet (Micoud, 2000) ; en ce sens un
territoire ne peut être réduit ni à ses limites objectives, ni à ses limites subjectives.
2. Le territoire… un espace ?
Le territoire peut être assimilé à une entité géographique suffisamment présente dans le sens
commun pour faire l’objet de représentations collectives (Diméo, 1990). S’interroger sur la notion
de territoire, c’est entrer dans le débat de la géographie sociale, laquelle tente « d’explorer les
inter-relations qui existent entre rapports sociaux et rapports spatiaux, et plus généralement entre
société et espace » (Frémont
et al.
, 1984). Parler de
territorialité
, c’est avoir une vision dynamique
du territoire et s’intéresser aux rapports entre les hommes et leur espace. La territorialité est
définie comme le rapport individuel et collectif à un territoire considéré (Brunet
et al
., 1992).
… l’Acteur en 4 Dimensions
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Ainsi l’espace en soi n’existe pas et géographes ou sociologues se livrent à une quête du sens de
l’espace. C’est en prenant en compte la notion de représentation dans l’approche géographique que
l’espace peut être appréhendé en termes de sens, et considéré comme une donnée subjective.
« L’espace représenté reconstruit l’espace de vie et le dépasse, brise les frontières pour le hisser
jusqu’aux sphères de l’imaginaire, du rêve, de la mémoire et du concept »
(Diméo, 1990). L’espace
n’est donc pas seulement un produit individuel mais aussi une œuvre du groupe et un objet de
représentations collectives. Travailler sur les représentations territoriales, c’est cerner toute la
subjectivité qui relie l’individu à l’espace pour tenter d’appréhender la signification des lieux pour
les hommes. Les rapports de l’homme à l’espace sont de deux ordres : (1) une
géographicité
de
l’homme, c’est-à-dire un lien profond et individuel entre l’homme et le sol (Dardel, 1990) et (2) un
rapport collectif d’une société à un espace construit, produit et chargé de sens par des pratiques de
tous ordres. Le territoire est défini par le temps, résultat de pratiques sociales, produit de
l’imaginaire et de l’idéologie des groupes ; il est tout autant support de nos pratiques quotidiennes
que produit de la société ; entre la réalité et sa représentation (Barel, 1984).
Chaque société produit alors des territoires, des espaces marqués par les pratiques, les
représentations et les vécus humains à un moment de l’histoire. La territorialité correspond à
l’ensemble des relations qui permettent aux divers groupes de faire valoir leurs intérêts dans
l’espace, devenu lieu de vie (Bailly & Beguin, 1998).
Le territoire rejoint également l’idée d’espace au-travers de la notion de géosystème, introduite en
France à la fin des années’60 par le géographe Georges Bertrand. Concept unificateur et
intégrateur, le géosystème inclue l’écosystème en prenant en compte non seulement les
interactions entre les systèmes vivants et leur environnement, mais plus largement, les
interrelations entre le milieu biophysique et les activités des sociétés humaines (Bertrand, 1968).
L’objectif est en outre d’aborder de manière globale les rapports entre nature et société en
s’appuyant sur une démarche systématique. Ainsi le géosystème s’inscrit dans un espace et une
temporalité qui inclut aussi bien le pas du temps historique que le temps actuel (Barrué-Pastor &
Muxart, 1992). Même si le géosystème aborde la question essentielle de l’anthropisation d’un
« espace naturel homogène » (Bertrand, 1968), ce concept est parfois détrôné par d’autres notions
comme celles d’agro-écosystème ou d’écocomplexe. Néanmoins, les nouvelles problématiques
environnementales et territoriales, créant un contexte académique où les frontières disciplinaires
tendent à s’estomper, pourraient bien redonner au concept de géosystème toute sa pertinence.
3. Le territoire… un paysage ?
Le terme de paysage désigne la « partie d’un pays que la nature présente à l’observateur »
(Robert). Une telle définition ne permet pas de rendre compte de l’extrême polysémie du terme,
dans ses utilisations scientifiques ou politiques. En effet, si le paysage reste un thème classique de
la recherche géographique depuis Vidal de la Blache, il a rapidement pénétré le champ de
l’agronomie, de l’écologie, de la sociologie, de l’histoire et du droit. Parallèlement, le paysage est
devenu objet des politiques publiques ; le paysage matériel, considéré sous ses aspects formels,
voire esthétiques, devient le support d’une résistance symbolique qui l’érige en emblème de
l’identité régionale. Qui plus est, le paysage n’est plus seulement une affaire d’Etat mais est passé
dans le champ d’actions des collectivités locales (Barrué-Pastor
et al.
, 1992). Le paysage est une
fenêtre ouverte sur le territoire des hommes, et donc l’image sensorielle, affective, symbolique et
matérielle des territoires. « Le paysage est un ensemble, une convergence, un moment
vécu »(Dardel, 1990).
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