Partie 2 : Quatre hypothèses pour un modèle…
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Ainsi, les individus et les groupes qui composent une société déterminée accèdent aux ressources
de la nature et se les approprient au moyen d’une forme sociale de propriété d’un territoire, forme
qui légitime cet accès et cette appropriation. Godelier (1984) démontre que dans toute société, les
formes de propriété du territoire revêtent la forme des rapports sociaux, quels qu’ils soient,
lesquels représentent le « cadre de la production ». Il semble qu’il existe des rapports étroits entre
les formes d’appropriation de la nature par les groupes d’une société et les capacités intellectuelles
et matérielles dont cette société dispose pour agir sur la nature qui l’entoure, en maîtriser les
processus, et la transformer en moyens matériels d’exister et de se reproduire dans des rapports
sociaux et une culture déterminés. Le territoire revendiqué par une société donnée constitue
l’ensemble des ressources auxquelles elle aspire et se sent capable d’exploiter à des conditions
technologique données. Mais toutes les activités productives contiennent et combinent des formes
matérielles et symboliques avec lesquelles les groupes humains agissent sur le territoire (Castro,
2003).
L’utilité d’un territoire peut prendre différentes formes (Conan, 1994) : utilité économique, utilité
scientifique, affichage électoral, loisir ; utilités souvent conditionnées par le mode de lecture du
territoire (naturaliste, géographique, historique, esthétique, religieuse). Il est possible alors
d’envisager le territoire comme un
pays
(appropriation pour une production économique), un
lieu
(appropriation à des fins de commémoration culturelle) ou comme un
paysage
(appropriation d’un
lieu en terme de singularité et d’expérience : souvenir, refuge, liberté). Dès lors, un territoire
possède des valeurs emblématiques différentes selon les acteurs.
L’ensemble de ces définitions met en avant la dualité homme et nature. En effet, on peut présenter
un territoire simplement comme un espace de vie, où coexistent ressources naturelles et
culturelles. Dans ce contexte, est-il possible de définir les limites d’un territoire et si oui, de quelles
manières ? La réponse peut être simple si l’on se réfère à un découpage administratif, ou plus
complexe si l’on se réfère à l’appréciation des groupes humains qui l’habitent, à la répartition du
vivant biologique ou aux limites des bassins hydrogéographiques. Les limites d’un territoire
deviennent floues et mouvantes si l’on s’intéresse à des découpages naturels ou identitaires. Un
territoire est une entité fortement pluridimensionnelle qu’il est nécessaire d’aborder sous différents
angles en englobant approches objectives et subjectives. Dans cette optique, il semble essentiel
d’appréhender un territoire comme une
entité relationnelle complexe
constituée de trois
dimensions indissociables : physique, biologique et humaine. Indissociables, oui, mais tout en
gardant à l’esprit qu’un territoire est avant tout un complexe multi-acteurs où pratiques,
préférences et savoirs s’entremêlent. Il peut être patrimoine, paysage, lieu, espace naturel,
anthroposystème : il est co-évolution d’écosystèmes et de sociosystèmes. Appréhender un
territoire nous place donc devant l’antithèse classique sujet-objet (Micoud, 2000) ; en ce sens un
territoire ne peut être réduit ni à ses limites objectives, ni à ses limites subjectives.
2. Le territoire… un espace ?
Le territoire peut être assimilé à une entité géographique suffisamment présente dans le sens
commun pour faire l’objet de représentations collectives (Diméo, 1990). S’interroger sur la notion
de territoire, c’est entrer dans le débat de la géographie sociale, laquelle tente « d’explorer les
inter-relations qui existent entre rapports sociaux et rapports spatiaux, et plus généralement entre
société et espace » (Frémont
et al.
, 1984). Parler de
territorialité
, c’est avoir une vision dynamique
du territoire et s’intéresser aux rapports entre les hommes et leur espace. La territorialité est
définie comme le rapport individuel et collectif à un territoire considéré (Brunet
et al
., 1992).