Cours de philosophie de M.Basch
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Quelques textes contre la métaphysique
Le rêve comme origine de la métaphysique.
5. Le rêve mal entendu. Aux tout premiers âges d'une civilisation encore rudimentaire, l'homme a cru
découvrir dans le rêve un second monde réel ; c'est là l'origine de toute métaphysique. Sans le rêve, on n'aurait
pas trouvé le moindre motif de couper le monde en deux. La scission de l'âme et du corps se rattache aussi à
la plus archaïque conception du rêve, tout comme l'hypothèse d'un simulacre corporel de l'âme, en somme
l'origine de toute croyance aux esprits, et de même, vraisemblablement, de la croyance aux dieux. « La mort
continue à vivre ; car il apparaît en rêve aux vivants » : tel est le raisonnement qui s'est fait autrefois, des
millénaires durant.
Nietzsche, Humain trop humain I, I « Des principes et des fins »
La considération de la méthode des métaphysiciens suffit pour les réfuter
9. Monde métaphysique. Il est vrai qu'il pourrait y avoir un monde métaphysique ; la possibilité absolue n'en
est guère contestable. Toutes les choses que nous regardons passent par notre tête d'homme, et nous ne
saurions trancher cette tête ; la question n'en demeure pas moins de savoir ce qu'il resterait du monde une fois
qu'on l'aurait cependant tranchée. C'est là un problème purement scientifique, et fort peu fait pour mettre les
hommes en souci ; mais tout ce qui leur a jusqu'ici rendu les hypothèses taphysiques précieuses,
redoutables, plaisantes, ce qui les a enfantées, c'est la passion, l'erreur, l'art de se tromper soi-même ; ce sont,
non pas les meilleures, mais bien les pires méthodes de connaissance qui ont enseigné à y croire. Découvrir
dans ces méthodes le fondement de toutes les religions et métaphysiques existantes, c'est les réfuter du même
coup. Reste alors cette possibilité que nous disions ; mais d'elle, on ne peut rien faire du tout, à plus forte
raison raccrocher le bonheur, le salut et la vie aux fils arachnéens d'une telle possibilité. Car, de ce monde
métaphysique, on ne pourrait rien affirmer sinon une différence d'être, être et différence qui nous sont
inaccessibles, inconcevables ; ce serait une chose à qualités négatives. Et quand bien même l'existence de ce
monde serait on ne peut mieux prouvée, il n'en serait pas moins certain que cette connaissance serait
justement de toutes la plus indifférente : plus indifférente encore que ne l'est nécessairement au marin menacé
par la tempête la connaissance de l'analyse chimique de l'eau.
Nietzsche, Humain trop humain I, I « Des principes et des fins »
L'explication métaphysique se fait remplacer, avec la maturité, par l'explication scientifique
17. Explications métaphysiques. L'être jeune prise les explications métaphysiques parce qu'elles lui montent
quelque plénitude du sens dans les choses qu'il trouvait désagréables ou méprisables ; et s'il est mécontent de
soi, ce sentiment se fera plus léger quand il reconnaîtra l’énigme ou la misère la plus profonde du monde dans
ce qu'il réprouve tant en lui-même. Se sentir plus irresponsable et en même temps trouver les choses plus
intéressantes, voilà le double bienfait qu'il lui semble devoir à la métaphysique. Plus tard, certes, il lui viendra
quelque méfiance de toutes les espèces d'explication métaphysique, et il verra peut-être alors qu'il est possible
d'obtenir les mêmes effets tout aussi bien et plus scientifiquement, par une autre voie ; que les explications
physiques et historiques provoquent un sentiment au moins aussi intense d'irresponsabilité, et qu'elles
communiquent peut-être plus de feu encore à cet intérêt qu'il porte à la vie et à ses problèmes.
Nietzsche, Humain trop humain I, I « Des principes et des fins »
Ce dont est constitué la besace des métaphysiciens
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12. La besace des métaphysiciens. À tous ceux qui parlent avec de si grands airs du caractère scientifique de
leur métaphysique, il n'y a rien à répondre du tout ; il suffit de secouer le baluchon qu'ils tiennent caché dans
leur dos, non sans quelque anxiété ; si l'on réussit à l'entrouvrir, les résultats de ce caractère scientifique se
montreront pour leur confusion au grand jour : un petit bon Dieu, une mignonne immortalité, peut-être un
rien de spiritisme et en tout cas une pelote enchevêtrée de misérable détresse et d'orgueil pharisien.
Nietzsche, Humain trop humain II, Première partie, « Opinions et sentences mêlées »
Kant n'est au fond qu'un théologien
Les Allemands me comprendront sans peine si je dis que la philosophie est corrompue par le sang de
théologien. Le pasteur protestant est l'aïeul de la philosophie allemande, le protestantisme même est son
peccatum originale. Définition du protestantisme : l'hémiplégie du christianisme et de la raison... Il suffit de
prononcer le nom de la « Tübinger Stift » pour saisir tout ce que la philosophie allemande est au fond : une
théologie dissimulée... Les Souabes sont les meilleurs menteurs d'Allemagne : ils mentent en toute
innocence... D'où vient la jubilation, qui, lors de l'apparition de Kant, parcourut en Allemagne la République
des Lettres, composée pour les trois quarts de fils de pasteurs et de maîtres d'école ? D'où vient la conviction
répandue en Allemagne (et qui trouve encore un écho aujourd'hui), qu'avec Kant s'amorçait une évolution
décisive en mieux ? Ce qu'il y a d'instinct théologique dans l’âme du lettré allemand devina tout ce qui, dès
lors, redevenait possible... Une voie détournée s'ouvrait vers l'ancien idéal ; l'idée de « monde vrai », l'idée de
la morale, essence du monde ( les deux erreurs les plus malfaisantes qui soient !) étaient à nouveau, grâce à
un scepticisme retors et prudent, sinon prouvables, du moins impossibles à réfuter... La raison, les droits de la
raison ne vont pas jusque-là... On avait fait de la réalité une « apparence » ; on avait fait d'un monde inventé
de toutes pièces, celui de l'Être, une réalité... Le succès de Kant n'est qu'un succès de théologien : Kant, tout
comme Luther, tout comme Leibniz, fut une entrave de plus à la probité allemande, déjà mal assurée...
Nietzsche, L'Antéchrist, §10
L'inutilité de la question kantienne des jugements synthétiques a priori
Il me semble que l’on s’efforce maintenant partout de détourner le regard de l’influence véritable que Kant a
exercée sur la philosophie allemande et surtout de glisser prudemment sur la valeur qu’il s’est reconnue à lui-
même. Kant s’enorgueillissait, avant tout, de sa table des catégories. Il disait, avec cette table en main : « Voilà
ce qui pouvait être tenté de plus difficile en vue de la métaphysique. » Qu’on entende bien ce « pouvait être
» ! Il était fier d’avoir découvert, dans l’homme, une nouvelle faculté du jugement synthétique a priori. En
admettant qu’il ait fait erreur sur ce point, le développement et la floraison rapide de la philosophie allemande
ne tiennent pas moins à cette fierté et au zèle que tous les savants plus jeunes mettent à découvrir, si possible,
quelque chose qui les enorgueillît davantage encore, à découvrir, en tous les cas, de « nouvelles facultés » !
Mais réfléchissons, il en est grand temps ! Comment les jugements synthétiques a priori sont-ils possibles ?
se demanda Kant. Et que répondit-il en somme ? Au moyen d’une faculté. Mais il ne se contenta pas,
malheureusement, d’une réponse en trois mots. Il fut prolixe, solennel, il fit étalage de profondeur et
d’amphigouri germaniques, au point que l’on oublia la joyeuse niaiserie allemande qu’il y a au fond d’une
pareille réponse. Mieux encore, on ne se sentit plus de joie devant cette découverte d’une faculté nouvelle, et
l’enthousiasme atteignit son comble lorsque Kant ajouta une nouvelle découverte, celle de la faculté morale de
l’homme ; car alors les Allemands étaient encore moraux et ne s’occupaient en aucune façon de politique
réaliste. Et ce fut la lune de miel de la philosophie allemande : tous les jeunes théologiens du Séminaire de
Tubingue fouillèrent les buissons pour y découvrir encore des « facultés ». Que ne découvrit-on point, durant
cette période encore si juvénile de la philosophie allemande, cette période innocente et riche, où chanta la fée
maligne du romantisme, alors que l’on ne savait pas encore distinguer entre « découvrir » et « inventer » ! On
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découvrit avant tout une faculté pour les choses « transcendantes ». Schelling la baptisa du nom d’intuition
intellectuelle et vint ainsi au-devant des désirs les plus intimes de ses Allemands remplis d’envies pieuses. On
ne peut faire de plus grand tort à tout ce mouvement impétueux et enthousiaste qui était de la jeunesse, bien
qu’il s’affublât audacieusement d’un manteau d’idées grises et séniles, qu’en le prenant au sérieux, qu’en le
traitant même avec indignation morale. Bref, on devint plus vieux, et le rêve s’envola. Il vint un temps
l’on se mit à se frotter le front. On se le frotte encore. On avait rêvé. Avant tout et en premier lieu le vieux
Kant. « Au moyen d’une faculté », avait-il dit, voulut-il dire tout au moins. Mais, est-ce bien une réponse ?
Une explication ? Ou plutôt, n’est-ce pas la répétition de la question ? Comment l’opium fait-il dormir ? « Au
moyen d’une faculté », la virtus dormitiva, — répondit ce médecin de Molière, Qui est in eo virtus dormitiva, cujus
est natura sensus assoupire. Mais de pareilles réponses conviennent à la comédie, et il est enfin temps de
remplacer la question de Kant : « Comment les jugements synthétiques a priori sont-ils possibles ? » par une
autre question : « Pourquoi la croyance en de pareils jugements est-elle nécessaire ? » C’est-à-dire qu’il est
enfin temps de comprendre que, pour la conservation des êtres de notre espèce, ces jugements doivent être
tenus pour vrais, ce qui ne les empêcherait d’ailleurs pas d’être des jugements faux. Ou, pour parler plus
clairement, pour dire les choses grossièrement et radicalement : les jugements synthétiques a priori ne
devraient pas du tout être « possibles ». Nous n’avons aucun droit sur eux, dans notre bouche ce ne sont que
des jugements faux. Cependant, il était nécessaire qu’ils fussent tenus pour vrais, telle une croyance de
premier plan, comme un aspect qui fait partie de l’optique même de la vie. Et, pour tenir compte enfin de
l’énorme influence exercée dans toute l’Europe par la « philosophie allemande » j’espère que l’on
comprendra son droit aux guillemets, on ne saurait douter qu’une certaine virtus dormitiva y ait participé :
on était ravi, parmi les nobles désœuvrés de toutes les nations, moralistes, mystiques, artistes, chrétiens aux
trois quarts et obscurantistes politiques : ravi de posséder, grâce à la philosophie allemande, un contrepoison
pour combattre le sensualisme tout-puissant qui, du siècle dernier, avait débordé dans celui-ci, bref « sensus
assoupire »...
Nietzsche, Par-delà bien et mal, Première section, « Des préjugés des philosophes », §11
Tractatus de Wittgenstein
6.52 Nous sentons que, à supposer même que toutes les questions scientifiques possibles soient résolues, les
problèmes de notre vie demeurent intacts. À vrai dire, il ne reste plus alors aucune question ; et cela même est
la réponse.
6.521 La solution du problème de la vie, on la perçoit à la disparition de ce problème.
(N'est-ce pas la raison pour laquelle les hommes qui, après avoir longuement douté, ont trouvé la
claire vision du sens et de la vie, ceux-là n'ont pu dire en quoi ce sens consistait ?)
6.522 Il y a assurément de l'indicible. Il se montre, c'est le Mystique.
6.53 La méthode correcte en philosophie consisterait proprement en ceci : ne rien dire que ce qui se laisse
dire, à savoir les propositions de la science de la nature quelque chose qui, par conséquent, n'a rien à faire
avec la philosophie , puis quand quelqu'un d'autre voudrait dire quelque chose de métaphysique, lui
démontrer toujours qu'il a omis de donner, dans ses propositions, une signification à certains signes. Cette
méthode serait insatisfaisante pour l'autre qui n'aurait pas le sentiment que nous lui avons enseigné de la
philosophie mais ce serait la seule strictement correcte.
6.54 Mes propositions sont des éclaircissements en ceci que celui qui me comprend les reconnaît à la fin
comme dépourvues de sens, lorsque par leur moyen en passant sur elles il les a surmontées. (Il doit pour
ainsi dire jeter l'échelle après y être monté).
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Il lui faut dépasser ces propositions pour voir correctement le monde.
7 Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence.
Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus
Utilité incontestable de l'esprit métaphysique mais nécessité de le dépasser en développant l'esprit
positif
L'esprit métaphysique, essentiellement critique et négateur, ne cessa jamais d'être le ferment du
progrès intellectuel, même dans les âges reculés du polythéisme et de la magie fétichiste. On en trouvera la
plus haute expression dans la fameuse Éthique de Spinoza ; mais, en ce même ouvrage, on en apercevra aussi
les limites, par une sorte de délire d'abstraction, qui soumet le réel à la déduction pure ; et la politique même
de cet auteur, déjà révolutionnaire par une admirable avance, permet de comprendre comment
l'individualisme négatif, et la revendication des droits, s'accordent avec ce qu'on pourrait appeler le droit divin
du philosophe, dérivé évidemment du droit divin des rois, par une énergique anticipation du règne de
l'entendement. En même temps donc que cet esprit, moins rigoureux alors et plus populaire, ruine, au cours
du siècle négateur, les restes de l'édifice théocratique, on remarque que les sciences se développent selon leur
rang, de l'état métaphysique et même théologique, jusqu'à l'état positif, auquel parviennent alors
irrévocablement la mathématique et l'astronomie, entraînant déjà dans leur mouvement la physique et même
la chimie. Toutefois la physique devait garder encore longtemps les traces du régime métaphysique, par ces
hypothèses invérifiables, et au fond purement verbales, dont l'éther est un parfait exemple.
Le régime positif s'installe à peine dans nos mœurs politiques. Comte avait espéré, d'après l'impulsion
qu'il communiqua à tant de disciples, que le passage de la métaphysique révolutionnaire à la véritable physique
sociale pourrait être beaucoup abrégé. En réalité notre époque fait voir des tâtonnements et d'apparents
retours, l'on discernera pourtant un discrédit des constructions socialistes, évidemment taphysiques, et
une investigation politique fondée premièrement sur les nécessités économiques, c'est-à-dire biologiques, ce
qui est de saine méthode. On jugera utilement de la sociologie la plus récente en se demandant si elle s'est
assez conformée à l'esprit d'ensemble, si aisé à apprécier dans Comte même d'après ce simple résumé. La
grande loi des trois états n'a certainement pas été assez appréciée comme idée directive, et de justice, à l'égard
des populations arriérées, dont les pensées sont souvent connues d'après un préjugé scolaire, ou, pour
l'appeler de son vrai nom, métaphysique. Mais sans décider de ce qui est encore tant disputé, on peut, d'après
le modèle des sciences les plus avancées, caractériser assez l'état positif. D'abord par cet esprit d'ensemble, qui
rattache au présent même le plus lointain passé ; et, plus précisément, par l'organisation de l'expérience, à
laquelle sont désormais soumises, au moins par un consentement abstrait, toutes nos conceptions, dans
quelque ordre que ce soit ; et enfin par un refus de chercher sormais les causes, qui toujours portent la
marque métaphysique et même théologique, et par la seule investigation des lois, ou relations constantes,
entre tous les phénomènes, d'après les modèles mathématiques, astronomiques et physiques, qui en donnent
dès maintenant une idée suffisamment précise, pourvu que l'on se dégage tout à fait de la tyrannie déductive,
qui tend encore trop à réduire le concret à l'abstrait. Mais surtout, en corrélation avec cette sévère discipline,
qui ne peut plus être refusée, l'esprit positif, si bien nommé par Comte, est constructeur et non pas seulement
négateur, et se propose, d'après l'exemple de la physique, d'imprimer à la réalité sociale des variations petites
mais suffisantes, en application de la maxime de Bacon, commander à la nature en lui obéissant, et selon une
énergique négation de l'idée fataliste, qui est métaphysique et, au fond, théologique.
Alain, Idées, « Comte »
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