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INTRODUCTION
Devenir parent renvoie à des processus complexes dont les niveaux différents, conscients et inconscients,
s’associent et se confrontent, voire s’affrontent, en celles et ceux qui, à la faveur de l’arrivée d’un ou
plusieurs enfants, sont appelés à construire ce que l’on nomme aujourd’hui la « parentalité ».
Autrement dit, être parent n’est pas un donné, mais bien un à construire avec, avec d’autres, dans un
environnement propre à faire surgir et émerger tous les possibles.
Question éminemment politique que les structures de notre démocratie peuvent appréhender de diverses
manières en fonction des besoins identifiés et des territoires donnés.
Favoriser l’émergence des possibles suppose une adaptation des actions à l’environnement économique,
social et culturel des familles selon une prise en compte bien réelle des nécessités de chacune et chacun.
Dans le cadre de sa mission dédiée au soutien à la parentalité au titre de la convention d’objectifs et de
gestion signée entre l’État et la CNAF, la Caf des Hauts-de-Seine intervient dans le financement de
nombreux projets sur l’ensemble de son territoire autour de cette thématique.
Appelée à aider et soutenir les familles dans leur vie quotidienne par la prise en compte d'un certain nombre
de composantes telles que le logement, la santé, les loisirs, l'éducation et la garde des enfants, la CAF des
Hauts-de-Seine a, à ce titre, un poids essentiel au sein de la politique familiale.
Dans le souci d’optimisation des moyens développés et d’un soutien plus efficient à apporter à ses porteurs
de projet, elle a souhaité, par le biais d’une étude sur les différentes actions de soutien à la parentalité confiée
à l’EFPP, dont une synthèse est ci-après rapportée, avoir une plus grande lisibilité des actions menées ainsi
que des outils et des méthodes d’animation développés au sein du réseau parentalité d’un département dont
l’hétérogénéité économique, sociale et politique de ses habitants est l’une des spécificités.
Laurent Ott (responsable de projets, chargé de recherches, docteur en philosophie), Nicolas Murcier
(sociologue et juriste, responsable de projets) et Sabrina Cortes (consultante) ont été chargés de la conduite
de la recherche et de cette étude ; dans ce cadre, ils ont remis un rapport, dont une synthèse est présentée ici.
Le texte ci-dessous reprend les principales observations et les questionnements qui en sont issus.
En vue de la journée d’étude du 19 juin qui sera consacrée à la question des pratiques de soutien à la famille
et à la parentalité, ce document contribue à enrichir une réflexion collective avec la Caf des Hauts-de-Seine
et ses partenaires.
Sommaire
LE CONTEXTE DES INTERVENTIONS : MUTATIONS DES FORMES FAMILIALES ET DE LEUR PLACE DANS LA VIE SOCIALE
ET POLITIQUE ................................................................................................................................................................ 1
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Les actions de soutien à la parentalité : une nécessaire inscription dans l’environnement immédiat des familles 4
Les actions de soutien à la parentalité : une nécessaire proximité à développer .................................................... 5
La place des parents au sein des institutions éducatives, sociales, médicosociales et des actions de soutien à la
parentalité : entre injonction et participation ......................................................................................................... 8
Quel partenariat avec les familles ? ....................................................................................................................... 19
Les actions de soutien à la parentalité : quel renforcement de la fonction éducative ? ........................................ 21
La place des parents dans les différentes actions : au risque de la contractualisation .......................................... 22
Soutien à la parentalité et discours sécuritaire ...................................................................................................... 24
Le soutien à la parentalité et à la fonction éducative : une professionnalisation à construire .............................. 26
Le soutien à la parentalité : au risque de la précarité ............................................................................................ 28
Pour les structures : comment faire face à la complexité et à la fragilité des financements ? .............................. 29
Le soutien à la parentalité : des outils d’évaluation à construire ........................................................................... 29
La question de l’évaluation des actions et des pratiques ....................................................................................... 30
Des pistes de développement de la politique de soutien à la parentalité, du point de vue des acteurs ............... 32
Faut-il soutenir la parentalité ou renforcer la coéducation ? ................................................................................. 32
Une vision de la parentalité réduite parfois à des principes .................................................................................. 33
Une réflexion sur la condition des femmes vient nourrir le questionnement sur la parentalité et contribue à le
spécifier et à le faire sortir des objectifs incantatoires en donnant des pistes d’action ....................................... 33
QUELS REPÈRES POUR DES PRATIQUES DE SOUTIEN DE LA FONCTION ÉDUCATIVE ET PARENTALE ? ........................... 35
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Premier repère : la disponibilité à l’accueil ............................................................................................................ 37
Deuxième repère : la porte ouverte ....................................................................................................................... 37
Troisième repère : les traces de vie ........................................................................................................................ 37
Quatrième repère : la complexité d’un système vivant ......................................................................................... 38
Cinquième repère : la place et la liberté d’agir des permanents et de l’équipe .................................................... 39
Sixième et dernier repère : la place du bénéficiaire ............................................................................................... 39
À L’ISSUE DE CETTE ÉTUDE, QUELQUES QUESTIONS OUVERTES ................................................................................... 41
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1. Quelle sécurisation financière pour les acteurs sociaux engagés dans ces actions ? ......................................... 43
2. Comment encourager la mise en partage des pratiques et des ressources entre tous les acteurs ? ................ 43
3. Comment assurer une bonne insertion des actions dans leur environnement ? ............................................... 44
4. Comment développer des pratiques de réseau ? ............................................................................................... 45
5. Concevoir une culture de la coéducation ? ........................................................................................................ 45
6. Comment s’ouvrir au plus large public, contacter les groupes et individus les plus « volatiles » ? ................... 46
7. Comment et pourquoi favoriser le renforcement des relations sociales et collectives ? .................................. 47
8. Comment et pourquoi placer la petite enfance au cœur de ces actions ? ......................................................... 47
9. Comment contacter et travailler avec les pères ? .............................................................................................. 48
10. Comment développer la participation des publics aux actions qui leur sont destinées ? ................................ 48
11. Quelle formation des acteurs dans le cadre du soutien à la parentalité .......................................................... 48
12. Comment construire des indicateurs d’évaluation commune ?....................................................................... 49
13. Comment valoriser l’inscription des actions de type CLAS vers le soutien de la fonction éducative et
parentale ? ............................................................................................................................................................. 49
BIBLIOGRAPHIE THÉMATIQUE ..................................................................................................................................... 41
Première partie
LE CONTEXTE DES INTERVENTIONS :
MUTATIONS DES FORMES FAMILIALES
ET DE LEUR PLACE DANS LA VIE
SOCIALE ET POLITIQUE
1
Le modèle de la famille traditionnelle n’est plus le modèle culturel prédominant ; un certain nombre
d’agencements familiaux se sont dessinés au cours des quarante dernières années : famille monoparentale,
foyer monoparental, famille recomposée, famille homoparentale… faisant naître une pluralité de réalités
différentes au sein desquelles le modèle du « nouveau père » est venu questionner le rôle et la fonction qui
étaient auparavant assignés au père dans la famille traditionnelle, élargie ou nucléaire.
Pour des raisons éminemment complexes1, les sociétés occidentales ont vu dans les dernières décennies une
chute de la nuptialité, une hausse de la divortialité, une multiplication des unions libres et corollairement des
désunions libres. Actuellement, en France, le taux de divorces ou de séparations atteint 30 %, c’est-à-dire
que quasiment un mariage sur trois se traduit par un divorce ou une séparation, et en Île-de-France ce taux
est encore plus important puisqu’il avoisine les 50 %. Dans la majeure partie de ces cas, la garde des enfants
est confiée à la mère2, le père devenant alors, très souvent, un « père épisodique » à qui il incombe de
prendre en charge ses enfants le week-end et lors d’une partie des vacances scolaires.
De ces désunions naît souvent une nouvelle recomposition familiale. Le problème de la recomposition
familiale n’est pas nouveau. En effet, dans la société traditionnelle, le divorce était certes très rare, mais il
n’en était pas de même pour le veuvage. Ce qui est donc nouveau, c’est la multiplication de familles où les
enfants cohabitent avec un seul parent et son nouveau conjoint alors que le second parent, bien qu’absent, est
toujours en vie ; comme sont nouveaux le développement de recompositions/décompositions familiales
successives, pouvant donner lieu à des ruptures familiales, et l’essor des familles monoparentales.
Dans la société traditionnelle, si un parent venait à décéder, ce qui arrivait relativement couramment, le
remariage après décès du conjoint était un processus fréquent et même vivement encouragé. La société
d’alors et surtout l’Église étaient dans l’obligation d’apporter une réponse aux problèmes que posait la perte
d’un des deux parents pour la famille. Cette réponse devait prévenir deux types de désordre :
- Tout d’abord, le désordre intrafamilial. Une mère veuve était souvent laissée sans ressources puisque ne
travaillant pas ou, dans le cas de la famille rurale, ne pouvant pas seule entretenir la terre. Un père veuf ne
pouvait quant à lui travailler et élever ses enfants. La seule façon de pouvoir continuer à élever sa
progéniture et de sauver en quelque sorte la famille était de la reconstituer par un remariage. Il s’agissait
alors d’un processus de survie dans les sociétés traditionnelles.
- Ensuite, la famille monoparentale représentait un danger pour l’ordre établi et pour la moralité. Une
femme élevant seule ses enfants et sans ressources était bien vite soupçonnée de faire commerce de son
corps. De même, un père célibataire représentait un danger car il était présumé rechercher une sexualité
hors mariage. L’Église, soucieuse de préserver l’ordre moral en permettant la pratique sociale du
remariage, ne faisait pas que l’autoriser. Son influence était alors telle que tous les groupes sociaux
percevaient le remariage après le décès du conjoint comme la marche à suivre. Cette conduite ne
répondait pas uniquement à une nécessité mais surtout représentait la seule conduite morale possible.
De ces recompositions familiales actuelles apparaît la figure « beau paternelle », dont le rôle actuellement est
flou, précaire et relativement inexistant juridiquement. Pourtant au XVIIIe siècle près d’un tiers des mariages3
étaient en fait des remariages. La figure du beau-parent était alors importante en nombre et faisait
complètement partie du paysage familial et social des sociétés antérieures. Son rôle était clair et apparemment sans ambiguïté. Il représentait la recomposition familiale non en termes de réparation mais en termes de
subsistance. Son statut était alors reconnu puisqu’en quelque sorte il était le « sauveur », contre l’adversité
mais également contre le « démon de la chair ». La fonction et le rôle du beau-parent apparaissent
aujourd’hui confus et relativement indéfinis.
Si la famille traditionnelle n’a pas disparu pour autant, la famille nucléaire n’apparaît plus être le creuset
stable nécessaire à l’existence d’une société. Au cours de ces quarante dernières années, notamment sous
1. Marie-Thérèse MEUNDERS-KLEIN, Irène THÈRY, Les Recompositions familiales aujourd’hui, Nathan, 1993
2. Irène THÉRY, Le Démariage. Justice et vie privée, Odile Jacob, 1996
3. Marie-Thérèse MEUNDERS-KLEIN, Irène THÉRY, Les Recompositions familiales aujourd’hui, Op. cit.
3
l’action des mouvements de libération des femmes, la famille patriarcale semble avoir cessé d’exister. La
place et le rôle du père auprès de ses enfants se sont trouvés modifiés en profondeur, résultat tant des
nouvelles représentations sociales de l’enfance que des nouveaux agencements familiaux survenus. Certains
pères se sont trouvés acculés à s’occuper de leur(s) enfant(s), même des tout-petits, soit dans le cas de
divorce ou de séparation lorsqu’ils les accueillent durant le week-end ou les vacances scolaires, soit dans le
cas d’une famille monoparentale lorsqu’ils ont obtenu la garde quotidienne de l’enfant dans le cadre d’un
divorce ou d’une séparation, soit lorsque leur conjointe est décédée. De même, en raison de l’accroissement
du nombre de familles recomposées, les hommes peuvent être amenés à s’occuper d’enfants dont ils ne sont
pas les géniteurs.
La loi française a concouru également à la prise en charge par le père de ses enfants en reconnaissant par la
loi du 3 janvier 1970 les filiations naturelles au même titre que les filiations légitimes ; cependant, en dehors
du mariage, la mère seule détient l’autorité parentale. Cette reconnaissance des pères sera encore accrue par
la loi du 8 janvier 1993, complétée par la circulaire du 3 mars 1993, modifiant l’autorité parentale dans le
cadre de la filiation naturelle en déclarant que le père et la mère ont des droits équivalents vis-à-vis de leur(s)
enfant(s), et que l’autorité parentale est ipso facto partagée.
Le chômage et son expansion depuis une vingtaine d’années ont également un impact sur la paternité
puisqu’un certain nombre de pères se sont retrouvés privés d’emploi. Ces derniers sont donc amenés à passer
beaucoup plus de temps au domicile et à participer activement à l’éducation des enfants, notamment lorsque
leur conjointe exerce une activité. Selon François de Singly, « la différence avec le père traditionnel, c’est
qu’il est proche de son enfant. Ces pères-là ont pris leur enfant dans leurs bras, l’ont touché, changé quand
il était petit. C’est à ce moment-là que s’est noué un lien qui n’existait pas avant. Le père nouvelle manière a
retrouvé son autorité. La différence, c’est qu’elle s’exerce désormais dans une logique de proximité1 ».
La vulnérabilité des familles n’est pas tant due à leur forme qu’aux conditions socio-économiques et à
l’isolement qu’elles peuvent connaître. Comme l’ont mis en évidence Gérard Neyrand et Patricia Rossi 2, ce
n’est pas la situation de monoparentalité qui est problématique mais la précarisation qu’elle sous-tend pour
beaucoup de femmes élevant seules leurs enfants. En effet, dans nombre de situations de monoparentalité, la
précarité économique se conjugue souvent avec un isolement relationnel (familial, amical etc.) et une
fragilisation psychologique possible.
Les actions de soutien à la parentalité :
une nécessaire inscription dans l’environnement immédiat des familles
Au cours de l’étude, nous avons relevé que certaines actions étaient plus globales, plus générales dans leurs
objectifs que d’autres. Certaines actions émanent directement du territoire et se caractérisent par une place
importante donnée à la prise en compte de celui-ci. D’autres actions en revanche se présentent comme des
déclinaisons locales d’actions supra territoriales ; il importe dans ces circonstances de se demander comment
les actions s’articulent à la prise en compte des spécificités locales, à la connaissance préalable des habitants
et des autres intervenants sociaux et éducatifs.
La prise en compte de la globalité des problèmes que les parents peuvent rencontrer dans leur vie courante
nécessite de la part des acteurs sociaux et des intervenants un certain niveau de connaissance et de
conscience. Les actions destinées aux parents et aux familles s’inscrivent souvent, nous le savons, dans des
problématiques sociales plus générales qui les accentuent, les complexifient et dont il faut bien tenir compte.
De même, les actions proposées aux enfants et aux familles visent également à terme une forme de
socialisation qui va au-delà des strictes compétences parentales. L’ancrage social des actions de soutien à la
parentalité est un thème relativement peu exploré mais pourtant déterminant.
2. François DE SINGLY, Le Soi, le couple et la famille, Nathan, 1996
3. Gérard NEYRAND, Patricia ROSSI, Monoparentalité précaire et femme sujet, Erès, 2007
4
Les actions de soutien à la parentalité : une nécessaire proximité à développer
Le concept de proximité pour les actions socio-éducatives, en général, est bien plus pertinent et riche de
significations et d’implications que son symétrique (le concept de « distance ») ; en effet la proximité dans ce
cadre se décline en divers sous-éléments pertinents qui sont :
- La proximité géographique. Comment l’action est-elle proche, mais aussi et surtout accessible ?
Comment s’inscrit-elle dans un voisinage, une facilité et une liberté d’accès ?
- La proximité culturelle. Comment cette action s’inscrit-elle dans la vision de la vie et du monde des
publics auxquels elle se destine ? Comment leur permet-elle éventuellement d’exprimer cette vision ?
Quelles pratiques sociales, culturelles, dans toute leur diversité, les acteurs et les bénéficiaires peuvent-ils
partager ? Comment les cultures et leurs différences sont-elles reconnues, prises en compte et dépassées
ou partagées ?
- La proximité politique. Travailler au plus près des familles et des personnes nécessite de prendre en
compte l’ensemble des problèmes et des difficultés et obstacles rencontrés dans la société. Cela implique
de contribuer et de soutenir les personnes concernées dans leur lutte pour la reconnaissance de leurs
droits. Cette prise en compte est peut-être nécessaire pour que les acteurs sociaux puissent être « audibles », « compréhensibles » vis-à-vis de leur public. Il s’agit à travers toute action sociale de répondre à
des besoins.
- La proximité relationnelle. Il importe de caractériser le type de relations qui sont produites par les
actions de soutien à la parentalité et à la fonction éducative. En quoi ces actions pourraient-elles produire
des modes de relations spécifiques que l’on pourrait éventuellement mettre en évidence et caractériser ?
Pertinence du travail de rue
Le travail au plus près des familles s’inscrit positivement dans les espaces publics. C’est dans ce cadre que
les conditions d’une véritable accessibilité sont plus favorablement réunies.
Instaurer une proximité géographique
Travailler au plus près des parents, des enfants, des familles, excède le seul intérêt de la proximité et de la
capacité de rencontre du public. C’est aussi une posture qui consiste à « travailler chez les autres », c’est-àdire dans un esprit de « non-maîtrise de l’environnement ». Les relations éducatives qui en découlent s’en
trouvent modifiées. Le partenariat nécessite un espace tiers. Tiers lieux, tiers espaces, selon les termes et les
concepts du chercheur Hugues Bazin1, ces appellations sont spontanément reprises ou recréées par de
nombreux acteurs qui expérimentent le travail « hors institution » avec les enfants et les parents, en milieu
urbain.
Il s’agit en effet de fonder des relations qui échapperaient pour une part à la violence des relations
institutionnelles courantes (ici l’école). Ce tiers espace n’est pas un espace neutre car, s’il est souvent marqué
par l’engagement des acteurs sociaux qui s’y impliquent (professionnels, bénévoles et bénéficiaires), il est
avant tout un espace de « possible changement ».
La familiarité, condition du travail avec les familles ?
La « familiarité » peut-elle s’inscrire dans la professionnalité ? C’est une question qui revient souvent dans
les réflexions des acteurs éducatifs. Pour certains, il va sans dire que la réponse est positive. Ceux-là
avancent que « la familiarité » a la grande qualité de permettre un travail à la fois collectif, avec tous les
âges, et global.
1. Hugues BAZIN, Enjeux de la connaissance d’un tiers espace de l’expérience à travers un « art-social », publié sur :
http://blog.recherche-action.fr/tiers-espace/2011/06/01/enjeux-de-la-connaissance-d%E2%80%99un-tiers-espace-del%E2%80%99experience-humaine-a-travers-un-art-social/
5
Comment, dès lors, conserver le caractère professionnel d’une intervention socio-éducative ? Sans doute en
réunissant les conditions d’une analyse collective des actions à partir d’outils spécifiques comme l’analyse
des pratiques.
Exemple d’une action recourant à la proximité affective : le parrainage
Le parrainage ici, les pratiques de « référence » dans d’autres structures, permettent de mettre en œuvre une
réelle proximité affective, prise en compte professionnellement par l’équipe éducative.
Pour soutenir théoriquement, l’on peut se référer aux apports de la pédagogie Pikler1, qui définit
l’engagement affectif comme un outil de travail professionnel, ainsi qu’au concept de « sécurité affective »
tel que théorisé par Hubert Montagner2.
Être proche c’est être proche aussi dans les horaires
Travailler au plus près des gens signifie également travailler dans leur temporalité particulière, ce qui
suppose en avoir pris connaissance et avoir observé le rapport des groupes et des familles au temps. Ce
rapport au temps est fondamental car il permet effectivement ou empêche la rencontre (rendez-vous ratés,
oublis, retards sont des symptômes d’un manque de synchronisation) mais aussi car il est en lien avec la
condition somatique, sociale, psychique des personnes concernées.
La proximité temporelle est aussi une question de durée
La proximité se concrétise également par la durée des relations entreprises et la capacité de mettre en œuvre
des actions durables.
L’accroissement de la précarité vécue ou ressentie, par les adultes comme par les enfants, nourrit un fort
sentiment d’insécurité relationnelle. Des actions de soutien de la fonction éducative peuvent s’inscrire dans
un projet de restauration de la confiance dans les relations entreprises. Cela passe par une action éducative
durable.
À une époque où il est si souvent question de développement durable, il serait sans doute temps de
s’interroger sur ce que pourrait être une éducation durable.
La proximité c’est la durée des relations entreprises, mais aussi la référence des actions et l’engagement
affectif. La question de l’engagement affectif est relativement transversale et concerne tous les types d’action
et d’activité et même, nous le voyons ici, la médiation scolaire. Nous avons pu voir à travers les témoignages
que cette proximité affective est bien en lien avec une temporalité complexe.
D’une part, pourrait-on dire, il faut des choses qui durent, des références, des relations durables ; d’autre part
il faut être capable d’apporter du changement ou de se saisir des événements eux-mêmes pour apporter du
changement.
Certaines actions institutionnelles pêchent ainsi de ce point de vue doublement, que ce soit dans la capacité
de durer ou dans celle d’innover.
Soutenir les parents, c’est aussi lutter contre leur solitude
Travailler avec les familles revient souvent à être en mesure de comprendre la logique du prétexte. De
nombreux événements, actions, ne sont avant tout que des prétextes pour se sortir d’une solitude personnelle
ou groupale angoissante. Il importe que les professionnels soient suffisamment formés pour entrevoir cette
dimension. Cette prise de conscience permet de ne pas être le jeu d’une vision uniquement utilitariste des
actions entreprises.
Encore une fois, il semble que dans le domaine du soutien à la fonction éducative et parentale la question la
plus importante, en ce qui concerne une action mise en œuvre, ne soit pas « à quoi sert-elle ? » mais « quel
contact permet-elle ? ».
1. Sur Emmi Pikler, voir : Myriam DAVID, Loczy ou le maternage insolite, Erès, 2008
2. Hubert MONTAGNER, L’Arbre enfant, une nouvelle approche du développement de l’enfant, Odile Jacob, 2008.
6
La question d’une proximité politique
Il est difficile de travailler auprès des plus précaires, des plus exclus parfois, sans être sensible aux situations
rencontrées, aux inégalités persistantes qui impactent particulièrement les enfants, aux injustices qui se
répètent. Le professionnel est souvent dans cette situation difficile qu’il est témoin des parcours d’exclusion,
des dérapages, des processus désocialisants et qu’il a bien souvent l’impression de ne pas pouvoir les
modifier.
Comment partager avec les personnes rencontrées une certaine proximité politique, tout en gardant un regard
lucide sur les situations rencontrées ? Comment éviter à la fois le découragement, l’« àquoibonisme » que
l’on connaît si bien (« ce n’est qu’une goutte d’eau dans la mer… ») et l’illusion dangereuse ?
Ce qui semble important pour sortir de la contradiction, de cette tension entre déterminisme et danger
d’essoufflement, c’est justement de baser le travail socio-éducatif dans une perspective de transformation de
l’environnement et de renouvellement des institutions.
Pour le professionnel, il importe de trouver des modes de réflexion sur son travail, si possible collectivement,
qui lui permettent d’avoir une vue globale sur son intervention. Les vues partielles en effet renforcent un
sentiment d’inutilité et d’incohérence qui nuit à son investissement.
La proximité c’est aussi de faire des choses simples
La proximité passe par une pédagogie du quotidien. Il n’est pas étonnant, si l’on considère, comme le faisait
remarquer Catherine Sellenet, que la question des repas, de la convivialité à table, de la collectivité, mettent
en difficulté de nombreuses familles précaires qui n’y parviennent plus, que les actions les plus intéressantes
en matière de soutien à la parentalité pourraient être également apparemment les plus banales comme celles
de cuisiner, travailler, produire et consommer ensemble.
La proximité passe aussi par la prise en compte du groupe et du collectif
La difficulté d’accéder à la vie sociale pour certaines familles se traduit par une difficulté de vivre des
expériences positives en collectivité. Pour autant, ces expériences sont indispensables car elles permettent,
notamment pour les enfants, de consolider les identités personnelles grâce à des identités collectives
multiples et ouvertes.
Le communautarisme apparaît souvent comme une réaction à une vie sociale difficile et manifeste d’abord et
avant tout la déception de ne pas trouver autour de soi et au sein de la société une communauté réelle et
possible.
La conquête de l’espace
Travailler dans la proximité consiste à poser un regard positif sur l’action locale ; il s’agit de contribuer à
valoriser et améliorer l’image de l’environnement immédiat. Si cette étape est atteinte, c’est-à-dire si
l’environnement proche est investi et reconnu, il peut alors être très utile et intéressant d’organiser des sorties
pour les familles. Mais, pour autant, celles-ci ne devraient pas être uniquement récréatives mais au contraire
s’inscrire dans une démarche de conquête de son environnement large, de son autonomie, de la connaissance
des transports et des environs.
De sorte que l’on pourrait émettre l’hypothèse que le travail avec les familles en milieu urbain pourrait
décrire une spirale, une sorte d’escargot : dans un premier temps, il s’agirait de faire le tour de chez soi, de
s’emparer de son environnement immédiat. C’est ce que Freinet décrivait symboliquement comme « faire le
tour de sa maison ». Puis, progressivement, il s’agirait d’étendre la connaissance et la maîtrise de cet
environnement comme on dessine une spirale. Ce mouvement a été décrit par Paulo Freire, dans le cadre de
sa « Pédagogie de l’émancipation », comme la technique du caracol (« escargot » en portugais).
La collectivité est l’instrument privilégié de la conquête du « pouvoir se déplacer ». Sortir en familles, en
groupes, mais dans un environnement suffisamment proche pour permettre d’y revenir en famille ou seul par
ses propres moyens, tel semble être la condition de sorties réussies.
7
Sortir des logiques prescriptives pour s’ouvrir sur l’environnement
Même lorsqu’une action se déroule dans l’environnement immédiat et qu’elle paraît relativement accessible,
une difficulté demeure si les acteurs ou les concepteurs de l’action s’arrogent le pouvoir de prescrire l’action.
Nous connaissons ces logiques : certaines familles, certaines situations sont refusées car il apparaît au
concepteur que la structure n’est pas celle qui conviendrait pour répondre au besoin repéré. Nous en
connaissons aussi les conséquences : familles renvoyées vers d’hypothétiques ailleurs. Et souvent aussi le
découragement de ceux qui avaient pris la peine de porter une demande à une institution ou une équipe.
Peu de structures interrogées semblent être en mesure, à l’issue de la lecture des entretiens, d’envisager le
principe d’une « inconditionnalité de l’accès » au lieu ou à l’action. Pourtant, on peut utilement modifier son
regard vis-à-vis des demandes qui déroutent ou dérangent. Ces demandes sont avant tout des occasions de
contact, de découverte, de reconnaissance. Les équipes et les institutions devraient pouvoir être en mesure de
les prendre en compte, au moins partiellement, et de les accompagner. Elles y trouveraient certainement
l’occasion de renouveler leur pratique et leur projet initial.
La place des parents au sein des institutions éducatives, sociales,
médico-sociales et des actions de soutien à la parentalité :
entre injonction et participation
Au cours de l’étude, nous avons relevé une certaine diversité et de nombreuses limites dans l’approche de la
participation des publics dans le cadre de la conception, de la mise en œuvre et de l’évaluation des actions
qui leur sont destinées. Cette question de la participation est aujourd’hui fondamentale, d’une part car elle se
pose dans un cadre d’évolution juridique de l’ensemble des pratiques socio-éducatives qui se donne pour
objectif de développer cette participation, et d’autre part parce qu’elle dénote également une certaine image
et une certaine conception de ces publics. En fonction de l’image que les différents porteurs de projets ont
des parents destinataires de leurs actions, ils conçoivent et admettent un certain mode de participation et en
excluent d’autres. Ce point d’intérêt et d’attention est donc particulièrement intéressant pour caractériser les
actions elles-mêmes, non pas dans leurs objectifs annoncés, mais dans les conceptions qui les supportent et
les animent.
La question de la place des parents, de leur accueil, des relations entre professionnels et familles, se déploie
actuellement dans les institutions socio-éducatives notamment sous l’impulsion de la loi n° 2002-2 du
2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale et des recommandations de l’Agence nationale de
l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux1 (ANESM).
Cela correspond également à une attention nouvelle portée par le législateur à la place des parents, la
nécessité de celle-ci dans le développement des enfants ayant été démontrée. Il s’agit donc pour les
professionnels de donner une vraie place aux familles, de rendre effectives tant leur implication, leur
participation que leur association dans l’accueil mis en œuvre par les professionnels.
Des savoirs « matrifocalisés » et un accueil maternocentré
Cependant, malgré les transformations qui se sont produites au sein de la cellule familiale et l’investissement
des pères dans l’éducation et les soins de leurs tout jeunes enfants, les représentations sociales des rôles
parentaux véhiculées par les institutions et les professionnels se maintiennent dans les discours des
professionnels, tant de la petite enfance que de l’enfance.
Dans les représentations sociales – dont rend compte l’opposition radicale de certains experts en
pédopsychiatrie au principe de la résidence alternée apparu avec la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à
l’autorité parentale – les mères demeurent le plus souvent les figures d’attachement principales et
1. ANESM, Expression et participation des usagers dans les établissements relevant du secteur de l’inclusion sociale, Recommandations de bonnes pratiques professionnelles en application de l’article L. 312-8 du Code de l’action sociale et des familles, mars 2008 ;
L’exercice de l’autorité parentale dans le cadre du placement, Recommandations de bonnes pratiques, septembre 2009
8
indispensables, les pères apparaissant dans l’ombre de celles-ci. En effet, les pratiques professionnelles
prennent toujours appui sur la réitération de l’expérience maternelle et la « sacralisation » du rôle de la mère
dans le développement de l’enfant1.
Dans ce contexte, de nombreux malentendus et de nombreuses injonctions contradictoires et paradoxales
caractérisent les relations entre les pères et les institutions. Comme le souligne Maria Maïlat 2, les
professionnels se trouvent dans une position paradoxale entre la primauté qu’ils confèrent aux femmes dans
la relation à l’enfant et l’injonction faite aux pères d’être là, participants, impliqués 3, notamment lorsqu’il est
question d’autorité, de délinquance juvénile.
Dans le dispositif de l’aide sociale à l’enfance par exemple, les pères sont rarement pris en compte comme
des interlocuteurs à part entière, « la place du père [étant] envisagée ou en creux ou en symétrie à partir de
la place et du comportement de la mère. En symétrie parce que le père est supposé réagir de la même
manière que la mère. Dans la communication entre les professionnels et le père, la mère est désignée pour
prendre le rôle de transmetteur et de gestionnaire des informations (…). D’autre part, la place du père est
située en creux dans le sens où l’institution ne réfléchit pas sur les modalités d’accueil spécifiques. C’est aux
pères de trouver les formes de communication avec l’institution4 ».
Cela n’est pas propre à l’aide sociale à l’enfance mais se retrouve également dans les établissements
d’accueil pour jeunes enfants ainsi que dans les diverses actions de soutien à la parentalité.
Si les rôles parentaux font l’objet de définitions sexuées illustrées par l’implication et l’investissement
différents des pères et des mères dans les soins et l’éducation des jeunes enfants, les attitudes des
professionnels qui les prennent en charge au sein des structures d’accueil et de garde, de l’école, en
survalorisant le rôle maternel, renforcent la partition traditionnelle de ces rôles. Les sociologues Thierry
Blöss et Sophie Odena5 ont ainsi mis en évidence comment les institutions d’accueil pour jeunes enfants
jouent un rôle important dans la perpétuation du partage inégal des pratiques parentales, le parent attendu
étant la mère.
Les professionnels et intervenants auprès des familles, notamment celles dites vulnérables, prennent appui
sur des savoirs relevant des sciences humaines et sociales (essentiellement psychologie clinique et
psychanalyse) et véhiculent des idéologies. Les auteurs auxquels ils se réfèrent essentiellement sont
Françoise Dolto, Donald W. Winnicott, René Spitz, John Bowlby, Bruno Bettelheim (comme l’ont mis en
évidence différents travaux6). Ces auteurs ont travaillé essentiellement sur la dyade et les interactions
mère/enfant.
Cette préoccupation marquée, chez ces auteurs, pour la relation mère/enfant est à resituer dans un contexte
historiquement daté : celui de l’après-guerre. Cette période voit l’accroissement des recherches sur le jeune
enfant comme le développement et la diffusion d’un nombre important de travaux portant tant sur
l’inconscient que sur les carences affectives. Après la Seconde Guerre mondiale, l’affectivité et son
importance sur le développement du bébé et du jeune enfant sont mises en évidence. Le mouvement de
prévention qui émerge alors se situe toujours dans un mouvement de conservation des tout-petits7, dont le
développement psychoaffectif doit être favorisé et les risques de dysfonctionnements précoces prévenus le
plus tôt possible.
1. Nicolas MURCIER, « La participation et l’implication des hommes à l’éducation des tout-petits : réaménagement des rôles ou
perpétuation des stéréotypes sociaux de sexe ? », Intervention au 2e congrès de l’Association française de sociologie, Dire le monde
social – Les sociologues face aux discours politiques, économiques et médiatiques, Bordeaux, 5 septembre 2006
2. Maria MAÏLAT, « Le regard des professionnels », Informations sociales, n°56, 1996, p. 110
3. Nicolas MURCIER, « Les savoirs dans le champ de l’accueil des enfants », Informations sociales, n° 133, 2006, pp. 30-37
4. Maria MAÏLAT, ibid.
5. Thierry BLÖSS, Sophie ODENA, « Idéologies et pratiques sexuées des rôles parentaux. Quand les institutions de garde des jeunes
enfants en confortent le partage inégal », Recherches et Prévisions, n° 80, juin 2005
6. Daniel VERBA, Le Métier d’éducateur de jeunes enfants, La Découverte, 2001 ; Nicolas MURCIER, « Le Loup dans la bergerie.
Prime éducation et rapports sociaux de sexe », Recherches et Prévisions, n° 80, juin 2005, pp. 67-75 ; Catherine SELLENET, Les Pères
vont bien !, Flammarion, 2005
7. Jacques DONZELOT, La Police des familles, Éditions de Minuit, 1977
9
De plus, les pères travaillent alors massivement à l’extérieur, les mères sont souvent présentes au foyer. Il
revient donc aux mères de pourvoir aux différents besoins de leurs enfants, d’autant plus lorsque ces derniers
sont très jeunes. Durant plusieurs décennies, les dysfonctionnements du développement du jeune enfant ont
été mis en lien avec une possible carence maternelle. Il s’agissait alors pour les professionnels de proposer
un cadre d’accueil devant limiter l’apparition ou l’installation de carences liées à la séparation du bébé
d’avec sa mère en assurant une continuité des soins maternels.
Il apparaît essentiel de soulever qu’il s’agit là également d’une construction sociale inféodée à un modèle
hégémonique : celui de la relation mère/enfant comme étant la condition sine qua non à l’élaboration
satisfaisante des premières manifestations psychiques du tout-petit.
Le champ du travail social en général, et de la protection de l’enfance en particulier, comme les différentes
actions de soutien à la parentalité, se sont construits dans un premier temps en s’étayant sur le discours
médical puis dans un second temps sur le discours psychanalytique.
L’analyse du discours des professionnels laisse apparaître une centration très importante sur la relation
mère/enfant et une non-prise en compte des nouvelles recherches sur le développement du jeune enfant, la
théorie de l’attachement, les interactions précoces père/nourrisson, qui peinent à se diffuser.
Les propositions et l’accompagnement éducatifs proposés sont focalisés sur la prise en charge de la mère et
de l’enfant, sur le soutien des premiers liens. Ils consistent essentiellement à proposer des solutions pour
pallier les troubles de la relation mère/enfant, les prévenir, voire les éviter.
Dans ce contexte, le père est quant à lui souvent absent de la réflexion des professionnels, qui d’ailleurs
évoquent souvent « les pères absents ». C’est ce qui ressort des propos de professionnelles rencontrées :
« C’est la mère qui garantit un bon développement de l’enfant dans ses premiers mois de vie. La mère doit
remplir cette fonction, elle est sans aucun doute la personne la plus adaptée pour cela à condition qu’elle
aille bien » ; « la maturation de l’enfant est intimement liée à la relation essentielle, fondatrice, mèreenfant » ; « il est évident que la relation maternelle est unique et irremplaçable ».
La dissymétrie entre la prise en compte des mères et celle des pères est extrêmement importante, même si
celle-ci peut varier d’un professionnel à l’autre.
Une participation empêchée
La pertinence de la question du degré de la participation du public a été mise en évidence au cours de l’étude.
Les entretiens ont permis de développer cette question. Quelle est la place du public, des publics, dans les
actions qui leur sont proposées ? Que l’on se réfère à l’échelle de S. R. Arnstein1 ou aux recommandations
qui sont devenues courantes avec la culture du travail social de territoire – ou de groupe –, nous savons
combien ces questions sont essentielles.
Elles sont particulièrement sensibles dans le cadre d’actions qui se proposent de concerner des dimensions
aussi importantes que la dimension parentale et familiale. Il devient d’un fort enjeu éthique que de telles
actions ne se conduisent pas dans l’ignorance ou sans la participation des familles. Celles-ci ne peuvent pas
seulement être informées, sensibilisées, impliquées, mais elles doivent également être prises en compte dans
la définition et l’organisation des activités. Mais est-ce suffisant ?
La lecture des entretiens réalisés auprès des trente représentants d’actions peut aider à mettre en évidence ce
qu’est parfois, mais aussi ce que pourrait, ou devrait, être une participation « équitable ».
. Jacques DONZELOT, Renaud EPSTEIN, Daniel MOTHE, « Le Concept de participation : l’échelle de participation selon
Arnstein », Esprit, Forces et faiblesses de la participation, juillet 2006
2
10
Ce qui compte, ce qui permet la participation, ce qui lui donne du sens, c’est que l’action projetée contribue
par elle-même à donner une bonne image des familles
Cette prise de position d’acteur quant à la représentation du public nécessite deux observations : la première
consiste à relever qu’elle est rare. Nous n’avons pas trouvé beaucoup d’autres exemples ou expressions
reprenant des idées similaires, en tout cas pas avec une telle force. La seconde observation touche à l’emploi
du « on », qui est ici synonyme du « nous ». Nous n’avons pas relevé beaucoup de formes d’emploi de ce
« on », ou de ce « nous » c’est-à-dire d’un « on » ou d’un « nous » qui puisse englober à la fois les acteurs et
les bénéficiaires. Dans la plupart des entretiens, nous retrouvons une structure beaucoup plus classique de
l’action sociale traditionnelle avec un clivage repérable entre « eux » et « nous ». On imagine bien que ce
dernier clivage ne favorise pas, en lui-même, un haut degré de participation.
La participation du public dépend de la capacité de la structure à faire équipe
Il paraît difficile de permettre à quelque groupe que ce soit de participer à une action dont les acteurs sont
mal définis et ne parviennent pas à s’organiser ensemble. Cela englobe différents cas de figure qui sont a
priori défavorables à la possible participation des publics (des parents comme des enfants) aux actions qui
leur sont destinées. Il peut s’agir, comme dans l’exemple ci-dessus, d’actions dont les acteurs, avec des
statuts différents, ne se rencontrent pas, ne se concertent pas, voire ne font pas partie des mêmes équipes.
Mais il s’agit également, nous en avons rencontré, de structures dans lesquelles règne une forme de clivage
hiérarchique abrupt qui place les acteurs de terrain dans une totale dépendance vis-à-vis des cadres, des
administrateurs ou des décideurs. Des relations hiérarchiques trop rigides obèrent généralement toute
participation. À l’inverse, on peut émettre l’hypothèse que les actions qui permettraient un haut degré de
participation des bénéficiaires seraient caractérisées par une forte démocratie des relations en interne et une
définition inclusive et non restrictive de l’équipe.
Faciliter la participation, c’est reconnaître le rôle facilitateur
et parfois invisible exercé par des partenaires discrets (ici les pères)
De nombreuses actions qui prennent comme objectif le soutien à la fonction éducative et parentale mettent
en avant une grande difficulté à contacter les pères. Les acteurs se montrent inquiets du fait de cette sousreprésentation des hommes au sein des actions proposées.
Cette sous-représentation est rarement pensée autrement que comme une erreur à corriger. Pourtant, un
progrès est fait quand ce phénomène de la sous-représentation des hommes n’est plus vu comme une erreur
mais comme un fonctionnement, c’est-à-dire quelque chose qui a aussi des effets éventuellement positifs. La
participation sociale des publics suppose ainsi également de changer de regard. Les gens ne sont pas
uniformément passifs parce qu’ils ne fréquentent pas une structure ; ils peuvent être même éventuellement
acteurs dans cet évitement.
On peut, certes, tout à fait légitimement se donner comme objectif de permettre aux hommes de participer à
certaines actions, mais on ne peut pas le faire à partir d’une analyse uniquement négative de la situation ; car
une analyse uniquement négative ne permet pas de poser la bonne question, à savoir quelle serait la raison
qui permettrait aux hommes de fréquenter une action.
Il convient d’attirer l’attention des acteurs sociaux sur le fait que ce qui agit dans une situation donnée ne
provient pas forcément de ce qui est visible et présent, mais parfois de l’environnement lui-même qu’on ne
se représente pas forcément.
Pour le dire autrement, dans les institutions comme dans le social, « ce qui se voit n’agit pas toujours, et ce
qui agit ne se voit pas forcément ». La question de la place et de la présence des pères peut aussi être
favorablement questionnée sous cet angle.
11
Une vision négative de la pluralité culturelle ou de ses supposées conséquences,
notamment scolaires, nuit à la participation des publics aux structures
Nous voyons ici exprimée l’idée courante que les actions de soutien à la parentalité, ou de type CLAS,
permettent aux familles de faire un premier pas vers des structures socialisantes. C’est une idée intéressante
car elle contient véritablement un projet et un objectif éducatifs. Mais nous observons déjà dans ce court
passage que sa réalisation n’est pas évidente. Les enfants contactés depuis le CLAS participent peut-être à
d’autres actions, mais « ponctuellement »
La question du « bagage culturel » des familles
L’étude a mis en évidence une seconde idée couramment exprimée à l’occasion d’accompagnements
scolaires. Les différences linguistiques sont perçues comme une difficulté, un handicap possible, en ce qui
concerne la scolarité, et non pas comme une richesse. Il s’agit d’une idée que nous avons rencontrée dans de
multiples entretiens et que nous nous proposons d’analyser ci-dessous.
Nous savons que ces considérations sont par ailleurs erronées ; les études psycholinguistiques établissent
continûment et clairement que le bilinguisme est en soi un facteur de réussite, y compris à l’école, et que ce
sont bien les facteurs socio-économiques qui réalisent les inégalités que l’on impute généralement aux
différences linguistiques. Il existe cependant des différences de valorisation de ce bilinguisme entre langues
dominées (arabe, tamoul) et langues dominantes (anglais, espagnol).
De plus, ces études montrent à l’inverse que l’incomplétude de la langue maternelle gêne l’acquisition d’une
langue seconde. C’est d’ailleurs ce constat admis qui est à l’origine de l’enseignement à l’école publique des
langues dites d’origine (dispositif ELCO, actuellement en déclin).
Quand les actions de soutien à la fonction éducative s’appuient trop fortement sur des référents liés à l’école,
les différences culturelles sont souvent également perçues depuis un point de vue scolaire qui les identifie à
des risques de difficultés ; à leur insu, de nombreux intervenants socio-éducatifs s’approprient cette
appréhension (nous le verrons plus loin dans d’autres exemples).
Cette centration de l’évaluation de la situation de l’enfant et de sa famille depuis le point de vue l’école, nous
la dénommons tendance « scolarocentriste1 ». Elle rejoint notamment une logique très présente à l’origine et
dans l’organisation des PRE (Programmes de réussite éducative). Nous observons que, dans les discours,
cette logique s’exporte également pour ce qu’il en est de certaines actions dans le cadre du soutien à la
parentalité. Nous observons ainsi pour certaines expériences et structures (notamment pour les CLAS) une
certaine porosité, sinon une confusion, entre les logiques d’action en matière de soutien à la parentalité et des
PRE.
L’étude a mis en évidence comment certaines structures attribuent un véritable rôle d’orientation, ou
d’origine des demandes, à l’institution scolaire. Les logiques de partenariat, de concertation, semblent
aboutir ici ou là à un véritable pouvoir de détermination des actions de la part de représentants de
l’Éducation nationale. Nous avons, par exemple rencontré une structure (et ce n’était pas un dispositif
CLAS) qui attribue à l’institution scolaire le pouvoir d’orienter, de prescrire son action et de l’évaluer in fine
à travers les évolutions des performances scolaires des enfants accueillis. En ce qui concerne la question de
la prise en compte des cultures d’origine des familles, ce point de vue est dommageable.
Par ailleurs, cette vision négative des différences culturelles et linguistiques s’accompagne assez souvent,
selon la logique des PRE, d’un second postulat d’inégalité culturelle des familles bénéficiaires. Les familles
bénéficiaires sont considérées comme souffrant d’un manque de bases culturelles qui défavorise leurs enfants
dans le cadre scolaire. Du coup, les actions de soutien à la scolarité en dehors de l’école se présentent
volontiers comme destinées à apporter aux enfants des « apports culturels » pour compenser cette inégalité.
. Laurent OTT, Rendre l’école aux enfants, Fabert, 2009
1
12
Ce deuxième « axe », que l’on peut caractériser par le souci d’apporter aux enfants en difficulté des « bases
culturelles », est fondamental. Il reprend pour l’essentiel les thèses d’un courant de pensée sur l’école qui
s’est affirmé au cours des années 1990 par le retour d’une analyse sociologique explicative de l’échec
scolaire du côté du défaut de culture savante des enfants et familles en difficulté. Au-delà de son aspect
sympathique, compassionnel quelquefois, cette forme de pensée traduit bien le retour, dans l’opinion
partagée des enseignants, des intervenants sociaux et dans l’opinion publique elle-même, des anciennes
thèses concernant le « handicap socioculturel » des familles pauvres, que l’on croyait (à tort) dépassées
depuis les années 19701.
Certaines associations périscolaires comme l’APFEE, qui sont à l’origine du succès de ces thèses,
développent aujourd’hui de véritables « prestations de service », « prêt-à-porter » pour les communes qui
cherchent à monter des programmes de réussite éducative. Pour bien comprendre cette focalisation sur la
« véritable culture », il faut par ailleurs replacer cette logique des « apports culturels » dans un ensemble
théorique, idéologique de critique de « la culture jeune », de la culture des quartiers, qui s’apparente assez
aux conceptions popularisées par Alain Finkielkraut, et à celles, plus centrées sur l’école mais partant des
mêmes postulats, du chercheur en sciences de l’éducation Gérard Chauveau. Or ces orientations, déjà
discutables dans le domaine scolaire et périscolaire, sont particulièrement inappropriées en ce qui concerne le
domaine du soutien de la fonction éducative et parentale.
Le manque de relations au quotidien entre structures, équipes et bénéficiaires entraîne une certaine
formalisation de la circulation des informations qui cause de nombreux malentendus. Il est alors tentant de
mettre sur le compte des bénéficiaires, et sur le compte de difficultés de compréhension de ces derniers, ce
qui relève plus probablement d’une insuffisante proximité relationnelle au quotidien entre acteurs et
bénéficiaires.
La question de la différence des cultures devrait être, pour le travail avec les familles, l’occasion d’échanges,
de rencontres et de proximité, non pas dans une logique « scolarocentriste » de la perspective d’un
problématique handicap, mais dans une visée interculturelle de relations, de socialisation au quotidien. Dans
cette perspective, l’on devrait pouvoir s’inspirer des apports, y compris dans les dispositifs CLAS, de la
pédagogie Freinet, qui base justement la question des apprentissages sur la création d’une culture collective
et commune qui se nourrit des cultures individuelles, reconnues et partagées.
Le problème de la démocratie familiale et du modèle scolaire
Les controverses perpétuelles sur la question des enfants-rois2 en sont témoin, les familles se sont
démocratisées tout au long de la fin du XXe siècle et du début du XXIe.
Cette situation ne s’est pas répercutée à l’école, particulièrement3, et par la même occasion au sein de
nombreuses institutions du secteur social ou du secteur de l’éducation populaire. Les tensions que l’on
évoque souvent, les crispations que l’on voit se développer également, proviennent de cet inégal progrès
démocratique. Plus exactement, ces tensions entre logiques familiales et institutionnelles se cristallisent sur
certaines pratiques de représentation ou de participation des familles, au sein de certaines structures, qui
reprennent en l’espèce les modèles de l’institution scolaire. C’est le cas par exemple des pratiques de
représentation d’usagers, d’enfants ou de parents, qui s’apparentent de près ou de loin au modèle des
« délégués » (parents ou élèves) en milieu scolaire. Ces pratiques, généralement adoptées de bonne foi pour
leur évidence et le fait que tout le monde les connaît, reproduisent en général les mêmes travers que ce que
l’on observe en milieu scolaire. Les délégués, ou représentants plus ou moins institutionnalisés des parents
ou des enfants, peuvent à bon compte dispenser l’institution ou l’équipe d’un travail de relations et
d’informations au quotidien. Dans certains cas, ces « délégués » (qui peuvent porter d’autres noms comme
« représentants ») peuvent également faire obstacle à la participation de nouveaux publics.
1. Voir CRESAS, Le Handicap socioculturel en questions, éditions ESF, 1988, les annales des journées franco-belges : La
compensation des handicaps socioculturels à l’école, CRDP de Lilles, 1973, ou sur le même sujet : GFEN, Pour en finir avec le
mérite, les dons, le hasard, éditions La Dispute, 2009
2. Laurent OTT, Nicolas MURCIER (dir), Le Mythe de l’Enfant-roi, éditions Philippe Duval, 2011
3. François DE SINGLY, Sociologie de la famille contemporaine, Armand Colin, 2010
13
Par ailleurs, comme dans le modèle scolaire, leur apport en termes de participation démocratique est
généralement très faible ou contre-productif puisqu’ils se placent généralement en soutien de l’équipe
dirigeante et ne favorisent absolument pas une dynamique conflictuelle indispensable.
Position spécifique du problème de la participation dans le cadre de la médiation familiale
La question de la possibilité de l’établissement de relations éducatives dans un cadre contraint a souvent été
posée. Les avis sur la question sont divers, mais il est courant d’admettre cette possibilité pour autant que le
cadre soit clair et équitable et permette la reconnaissance et la gestion des conflits.
En ce qui concerne la médiation familiale, la question de la participation libre des bénéficiaires à ces actions
est définie par la loi ; mais elle est également marquée par l’établissement de relations contractuelles. Le
modèle du contrat est souvent présenté comme une garantie du fonctionnement démocratique d’une structure
ou d’une institution. On ne saurait jamais assez dénoncer cet a priori. En effet, les contrats supposent la
liberté des contractants et leur relatif équilibre, et nous avons vu que ces conditions ne sont pas souvent
réunies.
Par ailleurs, les conceptions de relations sociales basées sur les notions de contrat s’inscrivent dans une
vision utilitariste de la société, qui tranche avec une conception éducative et sociale basée sur les notions de
partage, de liens sociaux et de coopération.
Dans le cadre de la participation des bénéficiaires aux actions de médiation familiale, la difficulté réside dans
ce partage problématique entre logique de contrainte et logique de contrat. Mais, au-delà de cette situation
spécifique de la médiation familiale, c’est l’ensemble du secteur et des structures concernées par les actions
de soutien à la parentalité qui est confronté à l’invasion des logiques contractuelles et contraignantes. La
difficulté pour les acteurs consiste à être en mesure d’opposer à ces pratiques une pédagogie spécifique,
construite et étayée par d’autres modèles, pédagogiques et ethnocliniques notamment.
Le décalage entre les idéologies véhiculées et les nouvelles réalités sociales,
en lien avec une association limitée des pères
Les idéologies de la primauté maternelle, de la dyade mère/enfant et de la répartition des rôles parentaux
véhiculées par les professionnels ne sont pas en adéquation avec les nouvelles réalités sociales. De plus en
plus de pères s’impliquent dans la vie de leur(s) enfant(s) ou en expriment le souhait.
Lorsque les pères ont la possibilité de passer du temps dans les institutions accueillant leurs enfants, on
observe qu’ils s’autorisent à pratiquer des activités ludiques avec leurs enfants, à participer à leur vie
quotidienne. Il est cependant souvent mis en évidence une moindre communication entretenue avec les
professionnels. Cette moindre implication des pères, notamment dans la communication avec les
professionnels, est appréhendée à l’aune des relations qu’ils ont avec les mères.
Dans le cas de la médiation familiale, des visites médiatisées au sein des espaces rencontre, ou par exemple
en milieu carcéral, les pères dont les enfants sont accueillis ont besoin pour exercer au mieux leur rôle d’être
pris en compte par les professionnels dans la mesure où la séparation questionne l’identité et l’organisation
des rôles familiaux. Les pères doivent inventer leur façon d’être père, dans un contexte de discontinuité.
Dans ce contexte, les tâches d’éduquer, d’exercer l’autorité, comme l’exercice de l’autorité parentale, sont
rendues complexes lorsque les pères ne cohabitent pas avec leurs enfants.
Dans une situation de séparation, certains pères parviennent malgré tout à trouver une place, à se positionner
en aménageant des compromis, d’autres, nombreux, sont invisibles notamment en raison de leur
méconnaissance du fonctionnement et de l’organisation des établissements ou services, comme le souligne
14
Maria Maïlat, « (...) la plupart des pères ne possèdent pas cette connaissance et en général ils évitent de
franchir le seuil des institutions 1 ».
Lorsque les pères s’évincent d’eux-mêmes, il peut s’agir d’éviter les conflits avec les professionnels, mais
également parfois avec la mère de leurs enfants. Cela peut également résulter du sentiment de dévalorisation,
de disqualification ressenti. Lorsque les institutions, et les professionnels, octroient une place aux pères, que
ces derniers acquièrent la connaissance de leur organisation et de leur fonctionnement, il s’avère plus aisé
pour eux d’occuper une place auprès de leurs enfants.
Malgré l’injonction faite aux pères d’être là, présents, impliqués, les moyens nécessaires à la coopération et
au dépassement tant des antagonismes que des contradictions qui épuisent les différents protagonistes –
parents et professionnels – ne sont guère mis en œuvre. Comme le formule Maria Maïlat, « comment
assumer ou comment adapter ce rôle de “premier éducateur” lorsque son enfant est entouré d’un bataillon
d’éducateurs et de thérapeutes ?2 ». Ainsi, il conviendrait pour les professionnels de penser les modalités de
présence des pères et la manière de les contacter.
Pères, mères, papas, mamans, parents et… famille
Au cours des entretiens, le terme « parent » (au singulier et au pluriel) est largement utilisé par les différents
porteurs de projet (873 occurrences). Nous savons que depuis la fin du XXe siècle le terme « parent » est venu
remplacer indifféremment les termes de « père » et celui de « mère ». On emploie aujourd’hui volontiers le
terme « parent » au singulier (ex : « je vais voir un parent »), alors que le mot employé ainsi au milieu du
e
XX siècle n’aurait pas désigné le père ou la mère mais plutôt un « cousin éloigné ». On était « parent » de
quelqu’un quand justement on n’avait pas un lien parental direct avec celui-ci.
Aujourd’hui, l’emploi du terme « parent » au singulier est venu supplanter les termes de « père » ou de
« mère » dans le langage courant, et ceci est encore plus vrai pour le terme « parentalité » qui recouvre à
l’heure actuelle la quasi-totalité du champ d’emploi cumulé de « paternité » et de « maternité ». Ainsi, le
terme « parent » est employé au singulier plus de 500 fois lors des entretiens, alors que celui de père est
relevé 90 fois et celui de mère 55 fois (« maman » 100 fois, et « papa » 24 fois seulement). Que peut signifier
cet effacement des termes « père » et « mère », en faveur de celui de « parent » ?
Il traduit pour une part l’écho d’un effacement des rôles sexués au sein de la parentalité.
Là où tout un chacun avait en théorie un père et une mère, les enfants d’aujourd’hui ont dorénavant deux
parents. L’idée qu’un parent en valait socialement un autre est une conséquence directe de l’évolution de
notre société à partir de la fin du XXe siècle, et notamment l’apparition du divorce par consentement mutuel
et les autres évolutions sociologiques que nous avons connues (baisse des mariages, hausse des autres formes
d’union, explosion du nombre de divorces et de séparations, normalisation du statut des naissances hors
mariage). Il est devenu courant de considérer qu’un enfant peut être éduqué par un seul parent, cette situation
faisant l’objet d’un terme devenu courant (la « monoparentalité »).
L’emploi généralisé du terme parent au singulier est ainsi le signe d’une centration de la parentalité autour de
l’enfant lui-même. Le parent cesse d’être un homme (un « père ») ou une femme (une « mère ») : il est avant
tout un « éducateur » (un « premier éducateur », selon une expression répandue au point de devenir un lieu
commun). Pour les intervenants sociaux qui ont fait l’objet de ces entretiens, l’emploi courant du terme
« parent » au singulier traduit peu ou prou une réduction de l’homme ou de la femme à son rôle « éducatif ».
Les parents peuvent-ils aussi être pris en compte, dans le cadre des actions qui leur sont destinées, en tant
qu’hommes, femmes, travailleurs, citoyens ? C’est là une question vive.
Mais l’omniprésence du terme « parents » (au pluriel) amène également une autre question : qu’en est-il de
la famille ?
1. Maria MAÏLAT, « Le Regard des professionnels », Informations sociales, n°56, 1996, p. 110
1. Ibid.
15
Le terme « famille », quant à lui, est employé 373 fois, ce qui est aussi très en deçà de l’usage du mot
« parent ». Selon René Badache1, metteur en scène de la Compagnie Arc-en-ciel Théâtre (théâtre de
l’opprimé) qui a réalisé pour l’association ZY’VA, à Nanterre, des ateliers parents/enfants sur le thème de
leurs relations réciproques, nous souffririons dans notre société d’un poids excessif donné à la question de la
parentalité et à la disparition de ce qui pourrait en constituer une alternative, la « familiarité ».
Le renvoi ou l’appel aux parents dans notre société témoigne d’une forte tension d’exclusion réciproque
entre espaces publics et privés. Alors que les espaces publics sont en passe d’être de plus en plus privatisés,
notamment au travers des politiques urbaines nouvelles, les parents, eux, deviennent davantage des
interlocuteurs obligés pour les institutions et les collectivités, avec lesquels ils sont invités à entretenir des
relations de plus en plus contractualisées et réglementées.
Le terme de « parents » renvoie à une vision légale et définie de l’éducation des parents, alors que celui de
« famille » reste beaucoup plus large et suppose un espace social et éducatif ouvert à de multiples
influences ; la tension entre espace public et espace privé tend également à être moins abrupte dans le cadre
de relations sociales marquées par une certaine « familiarité ». De ce fait, le terme « famille » correspond
beaucoup mieux à la définition d’une possibilité de coéducation, alors que le repli sur les parents, ou sur un
parent, témoigne au contraire d’une vision restrictive de l’éducation réservée aux parents et aux professionnels seuls, une éducation plus technique, descendante.
La vision que peuvent avoir de ces questions les intervenants sociaux concourant à une politique de soutien à
la parentalité est tout sauf indifférente ; il paraît important de se poser la question de la formation préalable
de ces intervenants aux dimensions sociales, philosophiques, politiques des termes couramment employés.
De ces termes dépend en effet toute une conception de la société, de la famille, et de ses propres actions.
Il paraît peu étonnant à ceux qui connaissent la réalité des actions sociales de proximité de relever une
surreprésentation des femmes, et donc des mères, dans le cadre de ces actions. Une telle surreprésentation est
également commune du point de vue des établissements scolaires comme de l’ensemble des institutions en
général. Nous nous intéresserons quant à nous à l’inégale citation dans le cours des entretiens des mots
« papa » et « maman » (score de 24 contre 100), qui est beaucoup plus significative que l’inégalité de
citations entre « pères » et « mères » qui, elle, est inverse (score de 90 contre 55).
C’est que les pères sont surtout cités pour leur absence ou leur intérêt du point de vue des acteurs. Cet intérêt,
cette recherche de leur présence ne traduit bien entendu pas leur présence concrète au sein des actions
développées. Au contraire le terme « papa », par sa familiarité, se réfère à des pères véritablement présents et
rencontrés par les acteurs sociaux, ce qu’il en est d’ailleurs pour le terme « maman ». C’est dire combien la
présence des pères pèse tellement moins dans les actions de soutien à la parentalité que leur absence. On peut
même se demander si les actions de soutien à la parentalité ne se déploient pas davantage en fonction d’un
père bien plus symbolique ou imaginaire que réel. Les pères, dans la réalité, sont souvent absents et peu
contactés. Seraient-ils ignorés ?
Comme l’indique Christine Balaï dans l’exposé de son projet de recherche/action concernant le soutien à la
parentalité2 ainsi que dans sa contribution au rapport remis à la Mairie de Paris en 2009 par Mme Elisabetta
Ruspini3, la sous-représentation ou la relative absence des pères dans les institutions qui reçoivent les enfants
ou les parents nécessite de produire des analyses nouvelles. En effet, en général on estime que la faible
représentation des pères relève, au choix, d’un manque d’intérêt, d’une inégale répartition des rôles au sein
du couple des parents, d’une organisation sociale défavorable aux femmes. C’est-à-dire que l’on explique
cette absence à partir de l’a priori que les actions proposées contraignent les femmes et font peur aux
hommes. Il est étonnant de constater comment ces explications relèvent d’une vision négative des actions en
elles-mêmes ; celles-ci seraient dans l’incapacité de produire une motivation intrinsèque des parents
concernés, que ce soit, au fond, pour les pères ou pour les mères.
1. René BADACHE, « Éloge de la familiarité », Journal du droit des jeunes, no 303, mars 2011, pp. 37-38
2. Consultable sur le site : http://moustic.info/Familien
3. Elisabetta RUSPINI, La Monoparentalité en milieu urbain, CSE-EHESS, août 2009 ; rapport disponible sur :
http://storage.ugal.com/3896/rapport-final-de-recherche-elisabetta-ruspini-31-juillet-2009.pdf
16
Mais cette divergence portant sur des appellations familières (papa/maman) nous renseigne également sur ce
qui fait sans doute le plus défaut dans les actions qui sont adressées aux parents, c’est-à-dire la familiarité
elle-même. Christine Balaï suggère que nous devrions interroger l’absence des hommes dans les structures
sociales, comme dans le couple lui-même (monoparentalité) du point de vue de l’homme et non de celui de
la femme. Qu’est-ce qui n’a pas eu lieu pour soutenir le père ? Qu’est-ce qui n’a pas eu lieu pour soutenir le
couple dans son désir de faire famille ?
Les relations professionnels/parents, des relations complexes
Les relations entretenues entre parents et professionnels sont complexes et souvent difficiles même si la loi
impose aux institutions de travailler avec les familles, de les prendre en compte, de leur conférer une place et
un espace de participation. La question de la participation des parents à l’éducation de leurs enfants doit se
trouver au centre des pratiques des différents professionnels. Le travail avec les familles est ainsi devenu une
figure obligée du travail social, notamment depuis la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002.
Les établissements et services concourant à la protection de l’enfance ont, depuis l’origine, pris en charge les
enfants et les adolescents sans associer les familles au travail éducatif. La famille a été durant très longtemps,
et elle l’est encore, appréhendée comme incompétente, défaillante, dangereuse, voire toxique, responsable
des troubles de l’enfant, ce qui explique son maintien à distance des institutions. L’amélioration de la
situation, la cessation de la situation de danger ou de risque de danger ne pouvant être envisagée qu’au
travers de la séparation d’avec le milieu familial.
Si les prémices d’une modification dans la manière de concevoir les relations avec les familles datent des
années 1980, notamment au travers du rapport Bianco Lamy, et la promulgation, en 1984, de la loi dite loi
Dufoix qui reconnaît pour la première fois des droits aux familles, c’est la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002
qui consacre et impose le principe de l’association et de la participation des parents, obligeant les institutions
et, en leur sein, les professionnels, à leur conférer progressivement une place dans la prise en charge de leurs
enfants.
La promulgation de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) le 20 novembre 1989 (ratifiée
par la France en 1990) a participé également à la prise en compte des parents par les professionnels en
accordant un ensemble de droits aux enfants, tels le droit de s’exprimer, le droit de connaître ses parents, le
droit au respect, etc.
Si une amélioration certaine dans les relations parents/professionnels est à noter depuis les années 1980, il
n’en demeure pas moins que celles-ci restent complexes, tant en milieu ordinaire (école, établissements
d’accueil de la petite enfance, dispositifs de soutien à la parentalité etc.) qu’au sein du milieu spécialisé.
Comme le soulignait en 2001 Claude Roméo, « tout semble se passer, en réalité, comme si ces deux univers,
celui de la famille et celui des professionnels (…), étaient deux hémisphères que sépare plus qu'il ne les
rapproche l'enfant, acteur autant qu'enjeu de leur rivalité plutôt que de leur coopération (…)1 ».
La mise en avant de la complexité et de la difficulté dans les relations parents/professionnels (par différents
rapports relatifs au dispositif de protection de l’enfance publiés au cours des dernières années, dans lesquels
sont mis en évidence tant les manquements que les dysfonctionnements concernant la prise en charge
institutionnelle des enfants et des familles) à partir des années quatre-vingt a participé à l’élaboration et à la
promulgation de la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, qui consacre
le renforcement du droit des usagers dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux. Cette loi
a participé à l’évolution des pratiques professionnelles, laissant une place plus importante et octroyant une
plus grande participation des parents à la prise en charge de leurs enfants, dépassant le cadre strict des
établissements et services sociaux et médico-sociaux, en ayant notamment permis le développement d’une
culture nouvelle relative au travail avec les familles mais concernant également l’évaluation ainsi que le
1. Claude ROMÉO, L’évolution des relations parents-enfants-professionnels dans le cadre de la protection de l’enfance, rapport remis
à Madame la ministre déléguée à la Famille, à l’enfance et aux personnes handicapées, octobre 2001
17
développement de nouvelles modalités de travail1 (partenariat et travail en réseau, mutualisation de « bonnes
pratiques professionnelles », etc.).
Si le législateur a modifié progressivement son appréhension de la protection de l’enfance, il s’avère malgré
tout que les pratiques professionnelles témoignent de la difficulté, toujours présente, pour les professionnels
à inclure les familles dans le dispositif d’accompagnement mis en place autour et pour les enfants. L’analyse
du discours tenu par les professionnels rend compte de la persistance d’une vision et de représentations
« négatives » des familles. Les propos se situent souvent dans le registre de la plainte, de la condamnation,
de la dévalorisation des conduites, des aptitudes et compétences parentales. Le manque, les difficultés
parentales sont ainsi très fréquemment mis en avant, ce qui complexifie les relations parents/professionnels.
Comment en effet penser la participation des parents, leur association, lorsqu’ils sont essentiellement
appréhendés à l’aune des manques qu’on leur alloue ? De plus, il apparaît que leur présence est perçue bien
souvent comme étant encombrante. Dans ce contexte, comment les professionnels peuvent-ils leur conférer
une place ?
On retrouve la difficile association des parents à la vie des établissements en milieu ordinaire, notamment au
sein de l’école ou des établissements d’accueil pour jeunes enfants, et ce même si cela fait quarante ans
qu’ils doivent y être associés. Par exemple, c’est en 1975 que les parents sont officiellement admis à entrer
dans les crèches.
À partir de ces années, les objectifs de ces établissements sont redéfinis. Il s’agit maintenant pour eux de
participer à la prévention de la santé psychique et mentale, à l’éducation et à l’éveil des jeunes enfants.
Le décret n° 2000-762 du 1er août 2000, relatif aux établissements et services d’accueil des enfants de moins
de six ans, leur donne comme missions de participer au soutien de la fonction parentale, de permettre la
conciliation entre vie familiale et vie professionnelle et d’accueillir les jeunes enfants en situation de
handicap ou de maladie chronique (Art. r. 180-1). La place des parents au sein de l’institution et leur
participation à la vie de l’établissement ou du service doivent dorénavant être définies (Art. r. 180-10).
Cependant, cette définition ne constitue pas en soi une nouveauté, car sous le ministère de Georgina Dufoix
il en était déjà question, notamment par la mise en place de conseils de crèche. La circulaire 83/22 du 30 juin
1983, relative à la participation des parents à la vie quotidienne de la crèche, recommandait la mise en place
d’un conseil de crèche au sein de chaque établissement. Actuellement, relativement peu d’établissements ont
effectivement institué une telle instance, ce qui met en évidence leur difficulté à travailler avec les parents.
Une absence des parents à l’élaboration des actions
Dans la loi n° 2002-2, le législateur reconnaît aux usagers des établissements et services sociaux et médicosociaux le libre choix entre les prestations adaptées qui leur sont offertes soit dans le cadre d’un service à
leur domicile, soit dans le cadre d’une admission au sein d’un établissement spécialisé.
La notion de libre choix est apparue récemment dans la législation relative à la prise en charge des usagers en
institutions2 et à certaines prestations3. Plusieurs modalités de prise en charge et diverses catégories
d’établissements d’accueil « sont accessibles » aux usagers en fonction de leurs besoins.
L’utilisation du terme libre choix apparaît, dans de nombreuses situations, mensongère1, faute du
développement d’une offre de places en établissements suffisante et en raison des conditions d’accès et de
1. Illustrées par la nouvelle ossature des formations des travailleurs sociaux à partir de 2005 (éducateurs de jeunes enfants, éducateurs
spécialisés, assistants de service social, conseillers en économie sociale et familiale) ayant notamment un domaine de formation
commun relatif aux dynamiques institutionnelles, interinstitutionnelles et partenariales
2. Décret n° 2000-762 du 1er août 2000 relatif aux établissements et services d’accueil des enfants de moins de six ans modifiant le
Code de la santé publique, loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, loi n° 2002-303 du 4 mars
2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits
et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, etc.
3. Par exemple le Complément de libre choix d’activité (CLCA) dans le cadre de la Prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE)
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prise en charge propres à chaque catégorie d’établissements et aux restrictions qu’ils imposent (certains, par
exemple, n’acceptent que les personnes valides, d’autres ayant une déficience motrice mais sans trouble
psychique, etc.).
Le choix d’un établissement est toujours complexe, tant pour la famille que pour l’usager, et le principe de
libre choix incertain. L’usager et/ou son représentant légal accepte le plus souvent l’orientation qui lui est
proposée par les services sociaux vers tel établissement et ne participe pas réellement au choix dudit
établissement. De même, dans les actions de soutien à la parentalité, si les parents y participent volontairement et librement, il apparaît qu’ils ne participent que rarement à leur définition.
Quel partenariat avec les familles ?
Le partenariat se définit comme une association d’acteurs en vue d’atteindre un objectif commun relié à un
problème ou à un besoin clairement identifié, tout en maintenant une autonomie des différents acteurs. Le
partenariat dans les projets de soutien à la parentalité comprend comme acteurs les structures porteuses, les
bénéficiaires et toute personne tierce agissant dans le sens de l’objectif commun.
La participation est un terme plus général qui recouvre les différents moyens selon lesquels les bénéficiaires
peuvent contribuer aux décisions. Mettre les bénéficiaires dans une position de partenaire selon cette
définition correspond au fait de créer un cadre leur permettant d’agir dans l’objectif commun dont ils sont le
principal objet.
Faire participer le public consiste alors à leur donner une place, un rôle dans une prise de décision, d’avis, de
regard ou d’opinion affectant la résolution de leur problème, de la situation de départ à améliorer. La
participation du public est un acte voulu, désiré et qui doit être créé. Le partenariat s’inscrit à la genèse même
des actions mises en place.
La place des bénéficiaires dans les actions de soutien à la parentalité dépend en partie du niveau de
participation qu’on leur confère. Ce niveau de participation peut être analysé à partir d’une grille qui
s’appuie sur trois portes d’entrée :
- Non-participation : Il y a une absence de participation du public qui peut être volontaire ou involontaire.
Le bénéficiaire n’est pas mis dans une position d’acteur dans le sens où on ne lui donne pas la possibilité
d’agir dans la mise en œuvre du projet, de l’action ou de l’activité.
- Coopération symbolique : Elle passe par l’information, la consultation ou le fait de rassurer.
L’information est une phase nécessaire pour légitimer le terme de participation, mais insuffisante pour se
définir comme une participation effective des bénéficiaires car la transmission des informations ne se
réalise que dans un sens. L’information est donnée par le porteur de projet au bénéficiaire. Il n’y a pas de
transmission d’information des bénéficiaires vers le porteur de projet. Nous ne nous situons donc pas dans
un cadre d’échange, car l’échange impose que le flux soit dans les deux sens. L’information est nécessaire
et indispensable car elle constitue l’une des conditions préalable de la mise en œuvre d’un partenariat.
L’information peut prendre une forme de sensibilisation ou de formation quand l'information est
complexe, pour savoir et faire savoir. La coopération symbolique repose sur l’idée que l’on donne une
place symbolique au public en l’informant, le consultant ou le rassurant.
- Participation effective : Dans ce cas les bénéficiaires participent à toutes les étapes du projet, de son
élaboration à son évaluation. Les acteurs sociaux œuvrant dans le soutien à la parentalité se situant dans
cette logique d’action proposent et mettent en place un cadre permettant aux bénéficiaires d’agir au
travers d’une mutualisation des compétences, une coopération entre les différents protagonistes. La
coopération prend appui sur la conscience de soi et de ses besoins, la reconnaissance et la responsabilité.
4. Jeanne FAGNANI, Un travail et des enfants. Petits arbitrages et grands dilemmes, Bayard, 2000
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Pour qu’il y ait partenariat, il faut qu’un ensemble de principes de base présidant à l’action partenariale soit
réuni, comme le souligne Patrick Dubéchot1 :
- « Le principe d’intérêt mutuel des partenaires : pour être viable un partenariat doit susciter une source
d’intérêt pour les différentes parties.
- Le principe d’égalité des partenaires : le partenariat repose sur des relations d’égal à égal, non
hiérarchiques.
- Le principe d’autonomie des partenaires : les différentes parties s’engagent de leur propre chef et
demeurent libres dans leur action.
- Le principe de coopération entre les partenaires : une entente partenariale s’inscrit dans un projet partagé
et celui-ci n’a de sens que s’il y a entraide et échanges signifiants entre les partenaires.
- Le principe d’évaluation entre les partenaires : un partenariat s’inscrit au sein d’un espace-temps limité
nécessitant une évaluation continue, dont la résultante peut se traduire par des changements ou cessation
de l’entente de coopération. »
Il y a plusieurs niveaux de participation. La participation est plus ou moins collaborative selon les cas. Le
niveau de participation du public dépend entre autres :
- De la prise en compte de la spécificité du public : du niveau de capacité ou d’acquisition de capacité à
participer effectivement dans le projet
- Du contexte du projet/action/activité : Le cadre dans lequel a lieu le projet est plus ou moins propice à
une participation du public
- De la motivation, envie et choix du porteur de projet à donner une place de participation au bénéficiaire.
Le niveau de participation du public aux actions de soutien à la parentalité financées par la CAF 92 est
hétérogène. Une majorité des structures se situe dans une coopération symbolique et une minorité se situe
soit dans une non-participation soit dans une participation effective.
La participation du public est évolutive et correspond à un processus. Le niveau de participation varie selon
le niveau d’avancée du projet. Nous pouvons analyser l’évolution de ces différentes phases selon une grille
schématisée ci-dessous, qui s’appuie sur l’échelle de la participation de Sherry Arnstein. La place des
bénéficiaires enfants et/ou parents peut aller de la non-participation à la participation effective. La
participation devient effective lorsqu’il y a coconstruction avec les bénéficiaires.
LA PARTICIPATION DES BÉNÉFICIAIRES
CO ÉLABORATION
Collaboration
PARTICIPATION
EFFECTIVE
Participation
CO-ÉLABORATION
effective
COOPÉRATION
SYMBOLIQUE
Coopération
symbolique
INFORMER
Transmission d’information
CONSULTER
Recueil d’avis
RASSURER
Invitation à proposer
NON
PARTICIPATION
DÉCONNECTER DES BESOINS
Non -participation
IMPOSER
1. Patrick DUBÉCHOT, « Partenariat et réseau professionnels », in Stéphane RULLAC et Laurent OTT (dir.), Dictionnaire pratique du
travail social, Dunod, 2010, pp. 244-249
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Les actions de soutien à la parentalité : quel renforcement de la fonction éducative ?
Qu’est-ce qu’un milieu ?
Le milieu, selon le philosophe Bernard Stiegler1, c'est ce qui n'a pas de commencement ; on ne connaît pas le
début des choses, comme le langage, on est donc toujours dans leur « milieu ». Le milieu, c’est également ce
qui ne se voit pas. L'eau est invisible pour le poisson ; il faut être un poisson volant pour la voir. Un milieu
ne peut être « personnalisant » (permettre le « je » et le « nous ») que dans la mesure d’une réelle
participation sociale des individus et des groupes.
L'économie des services, le libéralisme, selon cet auteur, privent la personne de toute possibilité de
participation à une identité collective, c’est-à-dire à l’évolution de son milieu. Alors les individus en
souffrent. Pour Bernard Stiegler, il convient donc de « réenchanter le monde ». Et le réenchantement du
monde suppose de le faire sortir de l'époque des milieux di-sociés pour aller vers des milieux a-sociés. Il faut
réassocier en chaque personne le producteur et le consommateur.
La prolétarisation est donc un processus social en cours que caractérise Stiegler et qui correspond à cette
situation où l’identité personnelle ne peut plus contribuer (car elle n’en a plus les moyens) à l’identité
collective. Elle provient de la dissociation entre producteurs et consommateurs. Le consommateur perd le
savoir faire, puis le savoir vivre (c’est-à-dire la perte du « savoir inventer sa propre vie »). Les consommateurs sont prolétarisés par la perte du savoir vivre et les producteurs sont prolétarisés par la perte du savoir
faire (c’est cela le passage de l’ouvrier au prolétaire).
Sur le plan de la philosophie, la notion de milieu vient de la philosophie du langage, de Humboldt ; le
langage est un milieu, un déjà là, à la fois construit et donné, à partir duquel l’humain perçoit le monde. Le
terme de milieu sera repris par les éthologues : pour un animal, l’environnement n’est perçu que comme un
milieu, c’est-à-dire uniquement avec les objets qui sont utiles à ses besoins. L’environnement est ainsi
simplifié pour pouvoir être vécu. Fondamentalement, il y a sur le plan philosophique une lutte de la vie ellemême pour faire de l’environnement un milieu, c’est-à-dire quelque chose de pensable, vivable, viable.
Paul Ricœur perçoit le milieu comme le lieu à mi chemin, le mi-lieu où se croisent l’espace et le temps. Pour
Edmund Husserl, le milieu c’est le lieu de l’autre ; ce n’est pas à proprement parler le lieu où l’on rencontre
l’autre, ce qui serait une première lecture de cette idée, mais plutôt l’autre qui crée pour moi le milieu, ce qui
nous renvoie bien entendu à l’espace transitionnel de Winnicott.
Nous savons que le temps, pour Ricœur, est à la fois de l’extériorité (réel) et de l’intériorité (temps vécu).
C’est le récit qui permet de faire l’alliance entre ces deux temps, qui les marie en quelque sorte, et qui permet
à l’humain de se mettre dans un temps commun à la fois partagé et vécu.
Pour Jacques Derrida, le milieu est lié à la notion de « dissémination » ; il est « entre deux ». Il est
l’« hymen » (le « mi » de milieu), c’est-à-dire qu’il est enveloppe, protection, et qu’en même temps il lie
ensemble ce qui pourrait être séparé (intérieur, extérieur, moi autrui, réel, imaginaire, singulier, collectif sur
le plan politique).
Le milieu est à la base même de l’institution en tant qu’il est à la fois instituant et institué. Il est un cadre,
mais aussi le tableau ; il n’a rien de fixe. Son processus est l’affiliation ; c’est l’affiliation qui crée le milieu ;
ainsi la famille est de moins en moins une cellule et de plus en plus un milieu. Son sens change. Le couple
est de moins en moins un attelage de deux personnes sous le même joug (origine du mot conjoint) mais de
plus en plus une conjugaison. Le milieu fait entre-deux entre loi et désir.
Que dire de la famille ? La famille est de moins en moins une cellule et de plus en plus comme un milieu.
Elle est aussi le milieu entre la loi et le désir (c’est sa fonction immuable, même si tout le reste change).
Trois facteurs sont de plus en plus importants en ce qui concerne la famille : l’affiliation, qui prend le pas sur
la filiation, la parentalité, qui prend le pas sur la parenté, l’habitation (qui est à la fois résidence et résilience).
1. Bernard STIEGLER, Réenchanter le monde, Flammarion, 2008
21
Qu’est-ce qu’habiter ?
C’est bien l’expérience de l’habitation qui exprime le mieux ce qu’est un milieu. Le milieu, c’est un
environnement qu’on rend sans cesse habitable, c’est une habitation en tant que processus. Mais nous
habitons aussi nos relations, nous habitons la civilisation. Le mi-lieu est le lieu qui fait lien entre ce qui est
disjoint et les forces de dissociations ; le mi-lieu est ainsi le lieu qui permet de réassocier :
- Le cognitif et l'affectif
- Le social et l'économique
- L'intime et le politique
- La personne et le collectif.
Dans le cadre de cette étude, nous avons bien perçu comment cette notion de milieu permettait de rendre
compte de certaines actions réussies : celles-ci s’inscrivent pleinement, quasi consciemment même, dans le
travail collectif de production d’un milieu humain, local, familial et convivial. Nos propres expériences
éducatives ne peuvent que nous amener à saluer de telles options.
L’ancrage social des actions de soutien à la famille et à la parentalité
Sans forcément opter pour des objectifs éducatifs et sociaux relevant de la notion de milieu, nous nous
devons de mettre en valeur les actions qui s’ancrent réellement dans une dimension sociale. Le soutien à la
parentalité peut opter pour des objectifs « technicistes » et « rééducatifs » qui passeront par des actions de
formation, d’éducation ou de thérapie, ou bien s’inscrire dans une dimension de construction sociale.
C’est cette option que décrivent par exemple Jean-Pierre Pourtois et Bruno Humbeeck dans un article
fondamental1. Pour ces auteurs, ce qui permet à certaines familles pauvres et précaires de développer des
trajectoires résilientes et de réaliser l’éducation des enfants dans de bonnes conditions tient à la compétence
des institutions à s’adapter à la réalité des familles et à mettre en œuvre une véritable pédagogie qui vise à :
- Prendre en compte la pauvreté comme une expérience de vie (approche phénoménologique)
- S’éloigner de la conception des bons ou mauvais parents, des compétences, pour s’intéresser à la
socialisation des parents et leur capacité de se projeter dans la société et d’y développer des identités
collectives
- Se débarrasser des préjugés sociaux : oui on peut s’aimer en criant et s’estimer en s’insultant.
Il s’agit également de développer une pédagogie de la hiérarchie des besoins qui s’attache, dans l’ordre
suivant, à apporter des réponses aux familles concernant leurs :
- Besoin de considération
- Besoin d’attachement
- Besoin de communication
- Besoin de stimulation et d’expérience quotidienne.
La place des parents dans les différentes actions
de soutien à la parentalité : au risque de la contractualisation
Trois points saillants semblent caractériser la relation professionnels/enfants mais également professionnels/parents :
- Il s’agit premièrement de l’éloignement de la sensibilité et de la disponibilité des intervenants pour
apprendre à connaître et rencontrer les enfants, adolescents et parents singuliers qu’ils ont en face d’eux
1. Jean-Pierre POURTOIS et Bruno HUMBEECK, « Éduquer en milieu pauvre. Transcender les effets de la pauvreté », in
ZAOUCHE-GAUDRON Chantal (dir.), Précarité et éducation familiale, Erès, 2011, pp. 17-37
22
- Deuxièmement, de la contractualisation des relations qui s’est largement déployée depuis les années 2000
- Troisièmement, de la défiance portée aux enfants, adolescents et adultes fréquentant les institutions
censées les y (bien) accueillir, qu’illustrent nombre de règlements de fonctionnement1.
L’analyse de nombreux règlement de fonctionnement met en évidence que ces documents ressemblent
davantage à une litanie d’interdictions qu’à des documents définissant tant les droits de la personne accueillie
dans un établissement ou bénéficiaire d’un dispositif ou d’une action, que les obligations et les devoirs
nécessaires au respect des règles de vie collective. Dans ce cas, il est peu probable qu’il puisse servir de
dispositif de régulation sociale devant garantir à chacun une place et un espace de liberté, visant le
développement d’une capacité à « vivre ensemble », qu’il s’agit pourtant dans les discours de valoriser et de
développer. La présentation du règlement de fonctionnement est ainsi une étape ritualisée de l’accueil d’un
nouvel arrivant, donnant à voir et à entendre les représentations que les professionnels peuvent avoir de leurs
bénéficiaires.
Ainsi, dans un dispositif CLAS étudié dans cette étude, les parents doivent déclarer « avoir pris connaissance et respecter le règlement de fonctionnement et avoir informé leur enfant des dispositions qu’il
contient ». À aucun moment ne sont évoqués la convivialité du temps d’accueil pour l’aide aux devoirs, le
partage, l’échange, la relation éducative entre des adultes professionnels et/ou bénévoles et des enfants, le
plaisir d’être ensemble, etc.
Ce qui nous semble intéressant dans de tels documents, c’est la vision des usagers (enfants, adultes) qu’ils
renvoient, comme si ceux-ci risquaient poser problème et qu’il fallait s’en prémunir bien en amont. Cela rend
compte également des tendances qui affectent l’école mais également « l’ensemble des institutions de loisirs,
culturelles ou d’encadrement, qui ont tendance à reproduire le m me schéma ; il s’agit, pour chacune
d’elles, de revenir à des “compétences”, ou des normes de comportements à transmettre au détriment de
toute référence à des notions d’accueil, d’accompagnement, de découverte, d’éducation au risque ou
d’apprentissage de l’autonomie2 ».
Au cours des années 1990 s’est développée une forme de contractualisation de la relation socio-éducative,
notamment au travers de l’élaboration de divers documents (rendus obligatoires par la loi n° 2002-2 du
2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale), sous une certaine influence du droit de la
consommation. La notion de contrat induit une notion d’engagement et un principe de réciprocité entre les
contractants. Est souvent aussi associée à la notion de contractualisation la notion d’adhésion, voire de
« libre adhésion ».
Le principe de réciprocité qu’introduit la contractualisation apparaît particulièrement problématique lorsque
celle-ci concerne une prise en charge éducative. Il nous semble, en effet, que celle-ci constitue un leurre
préjudiciable à l’enfant lui-même, car la relation éducative implique une asymétrie des places entre adultes et
enfants ainsi qu’un accueil inconditionnel de l’enfant par le (la) professionnel(le), autrement dit la capacité
pour le (la) professionnel(le) d’accueillir l’enfant tel qu’il est.
Il nous semble aussi que la notion de contractualisation peut être également préjudiciable aux adultes
bénéficiaires eux-mêmes – aux parents dans le cas des actions de soutien à la parentalité –, notamment
lorsque les enjeux de places et de pouvoirs ne sont pas analysés par les professionnels qui courent toujours le
risque de se situer en position d’experts.
Dans les institutions sociales et médico-sociales, il est régulièrement demandé aux enfants et aux parents de
signer un certain nombre de documents (règlement de fonctionnement, contrat de séjour, etc.), même si la
1. L’existence d’un règlement de fonctionnement est légalement imposée aux établissements et services d’action sociale et médicosociale. L’article L. 311- du CASF (loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002, art. à 13) dispose que « dans chaque établissement et service
social ou médico-social, il est élaboré un règlement de fonctionnement qui définit les droits de la personne accueillie et les
obligations et devoirs nécessaires au respect des règles de vie collective au sein de l’établissement ou du service. Le règlement de
fonctionnement est établi après consultation du conseil de la vie sociale ou, le cas échéant, après mise en uvre d’une autre forme de
participation. Les dispositions minimales devant figurer dans ce règlement ainsi que les modalités de son établissement et de sa
révision sont fixée par décret en Conseil d’ tat ».
2. Laurent OTT, « La Solitude des enfants des quartiers populaires », in Stéphane BEAUD, Joseph CONFAVREUX, Jade LINDGAARD
(dir.), La France invisible, La Découverte, 2008, pp. 583-593
23
portée juridique de la signature de l’enfant est nulle puisque ce qui est largement mis en avant c’est sa portée
symbolique. Portée qui nous semble plus que relative, et qui ne nous semble pas engager l’enfant, d’autant
plus que la contractualisation masque généralement les enjeux de pouvoir, l’enfant n’étant pas libre de signer
ou non le document qu’on lui présente (pas plus d’ailleurs que nombre d’adultes, usagers de services publics
ou d’établissements et de services sociaux et médico-sociaux, puisque par exemple le refus de signer un
règlement de fonctionnement ou intérieur peut avoir comme conséquence l’éviction de l’usager de
l’établissement, clause généralement inscrite dans ce type de document). L’obligation faite à l’usager (enfant
ou adulte) de signer nous semble, dans bien des cas, davantage résulter du souhait de l’institution de se
prémunir à l’égard des usagers, qui pourront se voir reprocher leur non-observation des clauses du règlement
de fonctionnement (ou du contrat de séjour, ou de tout autre document) d’autant plus qu’ils l’auront signé,
« s’engageant par là même » à respecter à la lettre un document qu’on pourra leur opposer. Derrière
l’argument mis en avant : « que l’usager soit considéré comme acteur de l’institution », on voit poindre
d’autres desseins, notamment la possibilité de sanctionner et d’exclure.
Soutien à la parentalité et discours sécuritaire
Le soutien à la parentalité occupe depuis quelque année la scène sociale et se trouve pris dans des discours
sécuritaires qui constituent des discours totalitaires. Comme tout totalitarisme, l’idéologie sécuritaire
demande en permanence le durcissement des dispositions civiles et pénales visant l’enfance et la jeunesse,
mais également les parents, comme en témoigne la publication du rapport Ruetsch, remis en février 2010 au
ministre de la Justice, préconisant entre autres mesures de remplacer la politique de prévention spécialisée en
direction de la jeunesse par une « politique de prévention de la délinquance sociale des jeunes » et de
réprimer davantage les familles.
Les différents dispositifs de soutien à la parentalité, notamment les REAAP, trouvent leur origine dans une
circulaire de 1999 faisant suite aux travaux du Conseil de sécurité intérieure et dans le déploiement du Plan
national de prévention de la délinquance. C’est dire la gémellité entre soutien à la parentalité et prévention de
la délinquance, dont les liens sont régulièrement rappelés. Ce fut le cas lors de l’installation le 3 novembre
2010 du Comité national de soutien à la parentalité par Nadine Morano, alors secrétaire d’État chargée de la
Famille et de la Solidarité.
Dans son discours d’installation dudit comité, la ministre a ainsi rappelé que son objet était de « mieux
coordonner les actions d'aide à la parentalité et de prévention de la délinquance des mineurs ». Cette
gémellité entre soutien à la parentalité et prévention de la délinquance s’avère problématique dans le sens
qu’au lieu de permettre le déploiement d’une prévention prévenante de tous les parents et de tous les enfants
dès leur plus jeune âge, il s’agit davantage du déploiement d’une politique curative, ciblant et stigmatisant
certaines familles, comme le rappelait encore Nadine Morano lors de son audition par Jean-Marie Bockel,
rédacteur du rapport sur la prévention de la délinquance, en indiquant que les REAAP « sont fondamentaux,
car ils ont en charge l’éducation des parents en s’adressant principalement à ceux qui méconnaissent les
règles de vie de notre pays ».
Les discours et les dispositifs institutionnels de soutien à la parentalité doivent, il nous semble, si on veut en
avoir une compréhension, être mis en regard des discours sur les parents, discours le plus souvent
disqualifiants et stigmatisants.
Il s’agit en effet de penser la notion de soutien à la parentalité également dans ce qu’elle permet justement de
mettre en scène, à savoir le déploiement d’une politique qui cible certaines familles. Partant du présupposé
que les familles seraient directement ou indirectement responsables des dysfonctionnements, des troubles du
comportement de leur progéniture, de la montée « constatée » des incivilités et de la délinquance juvénile,
elles sont ainsi de plus en plus mises en cause et font régulièrement l’objet de la définition de nouveaux
délits et de nouvelles sanctions par la loi.
Il semble ainsi que nous sommes passés du soutien de la fonction éducative (des parents) à la « responsabilisation » parentale. Alors que la fonction éducative était entendue comme étant l’œuvre d’un partage de
responsabilités, d’influences et d’actions entre familles et institutions, la focalisation sur la parentalité, la
24
« fonction parentale », implique un « ciblage » de certains parents plutôt que d’autres. Dès lors, comment
justifier que les parents favorisés par leur milieu et leur situation allaient échapper à toute politique de
contrôle ou d’aide, alors que d’autres allaient être de plus en plus impliqués, autrement que par un ensemble
de « besoins », de « signaux d’appels », d’« informations préoccupantes » ?
Les discours sur la prévention, eux aussi omniprésents, doivent également être mis en lien avec les discours
sur les parents. Les familles sont ainsi de plus en plus mises en cause1 et font régulièrement l’objet de la
définition de nouveaux délits et de nouvelles sanctions par la loi2. Mais, d’autre part, elles sont également
destinataires d’une politique qui se donne pour objet de les soutenir. Les termes de « soutien à la
parentalité », de « reparentalisation », de « requalification » sont progressivement entrés dans les mœurs, au
point de paraître aujourd’hui constituer un domaine central de l’action publique, de l’intervention sociale et
socio-éducative et concerner jusqu’à la formation des travailleurs/ses sociaux/les.
La coexistence3 de la mise en exergue de la délinquance et d’un discours négatif sur les familles, discours se
confondant souvent, complexifie les politiques de prévention, d’autant plus que les frontières entre
prévention et contrôle manquent de lisibilité et s’avèrent incertaines.
Dans sa Note d’analyse de décembre 20104, le Centre d’analyse stratégique (CAS) insiste sur la nécessaire
évaluation des politiques publiques de prévention, qu’elles soient universalistes ou ciblées sur des publics
vulnérables. Il pose des préalables à toute action de prévention précoce, notamment la libre participation des
publics et la nécessité de la mise en œuvre de programmes associant une approche universaliste et une
approche ciblant des publics confrontés à des facteurs de risque identifiés.
Afin de lutter contre la stigmatisation que peut induire le ciblage sur certains publics de la prévention
précoce, le CAS développe cinq principes d’action pouvant servir de garanties dans les dispositifs mis en
œuvre :
- No 1 : la libre participation et l’encouragement à l’implication des parents
- No 2 : la complémentarité entre des actions en dehors et au sein du domicile des bénéficiaires
- No 3 : la perspective de réintégration des bénéficiaires dans les dispositifs universalistes
- No 4 : une intervention conjointe sur les parents et les enfants
- No 5 : l’intégration d’une dimension participative dans les évaluations scientifiques des programmes.
La question de la prévention primaire s’est ainsi progressivement diluée au point de se réduire à une double
tendance :
- D’une part la question de la prévention est actuellement essentiellement appréhendée à partir de la
prévention de la délinquance, qui revient, selon une vision déterministe maintes fois décrite, à proposer
perpétuellement une illusoire et dangereuse détection de troubles « psychosociaux »
- D’autre part, cette prévention se retrouve mêlée à la question du soutien à la parentalité, notion non moins
dénuée d’ambiguïtés.
Entre ces deux tendances doit se développer un espace de théorisation et de pratiques, qui pourrait proposer
de nouveaux modèles éducatifs, propres à développer les facteurs de protection personnels et sociaux, auquel
les différents porteurs de projets financés par la CAF des Hauts-de-Seine pourraient participer activement.
1
. Voir par exemple le récent rapport de Jacques Alain BÉNISTI, Mission parlementaire sur la prévention de la délinquance des
mineurs et des jeunes majeurs, Assemblée nationale, 25 juin-25 décembre 2010 et le rapport de l’ancien secrétaire d’État à la Justice
Jean-Marie BOCKEL, La Prévention de la délinquance des jeunes, ministère de la Justice et des Libertés, novembre 2010
2. Le député UMP des Alpes-Maritimes Éric Ciotti a, par exemple, déposé une nouvelle proposition de loi visant la pénalisation des
parents d’enfants délinquants. Il s’était déjà illustré en faisant voter la possible suspension des allocations familiales pour contrer
l’absentéisme scolaire. Avec cette nouvelle proposition, le député souhaite que soit engagée la responsabilité pénale des parents de
mineurs délinquants, qui pourraient encourir une peine de deux ans de prison et une amende de 30 000 euros si leurs enfants ne
respectent pas ce à quoi les aura obligés le juge des enfants.
3. Nicolas MURCIER, Laurent OTT, « Pour de réelles pratiques de prévention primaire à partir du travail de rue », Nouvelles pratiques
sociales, automne 2011
4. Guillaume MALOCHET, La Prévention précoce : entre acquis et controverses, quelles pistes pour l’action publique ?, Centre
d’analyse stratégique, Note d’analyse 205, décembre 2010
25
De telles pratiques supposent au préalable la confrontation à un véritable problème : puisqu’il ne s’agit plus
de repérer et de détecter tant les familles que les individus supposés confrontés à des facteurs de risques –
pour ne s’adresser qu’à eux, les « cibler » en quelque sorte – comment peut-on alors mettre en œuvre des
actions socio-éducatives propres à concerner les publics les plus en difficulté tout en s’adressant à tous ?
Les outils développés en pédagogie sociale peuvent permettre de répondre à cette question, puisque cette
dernière permet l’appréhension de l’enfance et de la parentalité d’une façon à la fois plus globale et
complexe, rendant possible le développement d’une prévention primaire sans recourir à un étiquetage
précoce.
Le soutien à la parentalité et à la fonction éducative :
une professionnalisation à construire
Les différents porteurs de projet œuvrant au soutien à la parentalité expriment la nécessité de la définition du
cadre d’intervention des actions de soutien en direction des publics vulnérables, des parents et des enfants, en
référence à une éthique de l’intervention, ainsi que la nécessaire professionnalisation des intervenants
(salariés, bénévoles). Cette recherche de professionnalisation permettrait de légitimer le secteur du soutien à
la parentalité. Secteur qui se développe depuis les années 1990 en fonction des politiques publiques tant
nationales que locales à destination des parents et des familles.
Qui sont les professionnels du soutien à la parentalité ? Ceux qui accompagnent, accueillent, soutiennent les
parents dans leur fonction éducative. On se trouve là confronté à un problème de lisibilité car sous la même
appellation se trouvent réunis des métiers d’une grande diversité tant par la formation, par le champ de
compétences que par les modalités d’intervention et le statut.
Le soutien à la parentalité, en tant que secteur d’activité, apparaît être un champ professionnel aux contours
incertains, au même titre que les secteurs de la petite enfance et du travail social. En effet, dans ce champ
interviennent les différents professionnels de la petite enfance, de la protection de l’enfance, de la médiation
familiale, ceux directement affectés à une action de soutien à la parentalité relevant des REAAP, etc. Dès
lors, on se rend compte de toute la difficulté de définir le secteur d’activité du soutien à la parentalité ainsi
que les professionnels qui y concourent, puisque soit cette définition est trop large, et risque donc d’être
illisible, soit est trop restrictive et ne prend pas en compte tous les professionnels et bénévoles qui en
composent le paysage.
Les points communs aux différents intervenants œuvrant dans le soutien à la parentalité sont :
- leur très forte féminisation
- les destinataires des actions mises en œuvre : des parents qui se trouvent en situation de vulnérabilité
et/ou en difficulté en raison d’un (de) handicap(s), d’une maladie, de leur situation familiale, sociale et/ou
économique, de leur âge.
La féminisation se retrouve également dans les secteurs de la petite enfance et du travail social. Il semble que
la pratique professionnelle ou bénévole auprès d’enfants, notamment de jeunes enfants, et de parents,
essentiellement de mères (cf. p. 43), demeure l’apanage des femmes. L’idéologie de « l’instinct maternel »,
la matrifocalisation des théories et l’essentialisation de compétences, d’aptitudes, en fonction du sexe,
« prédestinent » les femmes aux différentes fonctions de soins, d’éducation des jeunes enfants, au travail de
care, à la présence à autrui.
Le secteur du soutien à la parentalité jouit de la même dévalorisation que le secteur de la petite enfance et
celui du travail social. Comme le souligne Annie Dussuet, la dévalorisation des métiers « féminins »
(infirmières, métiers de la petite enfance et de l’aide à domicile, assistantes maternelles, secrétaires, femmes
de ménage, etc.) prend appui sur le fait qu’ils sont appréhendés dans les représentations sociales comme
constituant une extension du travail domestique :
26
« Beaucoup de ces professions sont en quelque sorte issues du travail domestique, parce qu’elles réalisent
sur un mode salarié les fonctions de soin, d’attention aux autres, qui dans d’autres conjonctures historiques
sont effectuées sur un mode domestique. On peut avancer l’hypothèse de la prégnance dans ce cadre salarié
des m mes “logiques domestiques” de dévalorisation observées pour le travail gratuit. Pour ces métiers, on
parle “d’aptitudes” et non de “savoir-faire”, de qualités “naturelles” et non pas de qualification. Cette
référence à la nature permet de ne pas rémunérer ces “qualités”1 ».
De nombreux responsables rencontrés évoquent ainsi la nécessité de la formation, de l’accompagnement des
différents acteurs (salariés et/ou bénévoles), de la mise en place de groupes d’analyse des pratiques. Si cette
nécessité apparaît fortement dans les discours, elle constitue le plus souvent une déclaration d’intention de
bonnes pratiques car les responsables sont rapidement confrontés à la réalité financière et budgétaire de leur
structure qui s’avère précaire. Cette précarité influe directement sur les possibilités de professionnaliser les
différents acteurs et de leur apporter un soutien leur permettant à leur tour d’accompagner et de soutenir des
publics vulnérables.
Les associations de médiation familiale ont des personnels qualifiés, cela s’expliquant notamment par le
cadre réglementaire imposant la détention par les médiateurs familiaux du diplôme d’État de médiateur
familial, créé par le décret n° 2003-166 du 2 décembre 2003.
Il ressort de l’étude qu’une grande partie des intervenants à titre salarié a une qualification professionnelle
importante puisqu’un grand nombre d’entre eux a le titre de psychologue, y compris lorsqu’ils ne sont pas
sur un poste de psychologue mais sur un poste socio-éducatif.
Cependant, si de nombreux intervenants sont psychologues de formation initiale, notamment pour les
responsables, il s’avère que le champ du soutien à la parentalité constitue un secteur d’activité relativement
précaire.
Le soutien à la parentalité, malgré les discours en présence, ne constitue pas un secteur d’activité socialement
valorisé, ce qui résulte entre autres de l’invisibilité des compétences nécessaires ; l’analyse des rémunérations témoigne de la faible valeur marchande et symbolique qui lui est accordée2 alors qu’il s’agit d’une
thématique actuellement surinvestie socialement.
Il s’avère ainsi faiblement attractif pour les titulaires d’un diplôme d’État en travail social de niveau III
(éducateurs de jeunes enfants, éducateurs spécialisés, conseillers en économie sociale et familiale, assistants
sociaux) qui y auraient pourtant une certaine légitimité d’intervention.
Non que les travailleurs sociaux se désintéressent des actions de soutien à la parentalité, puisque nombre
d’entre eux exercent leurs fonctions en direction de publics vulnérables, notamment de familles et de parents,
dans le cadre de la protection de l’enfance par exemple. Ils travaillent essentiellement au sein
d’établissements « classiques », aux contours définis et encadrés par une convention collective du travail
permettant une rémunération et des conditions salariales plus intéressantes.
Si le niveau de rémunération que permet d’obtenir le salariat dans une structure mettant en œuvre des actions
de soutien à la parentalité est faible et donc peut incitatif pour des travailleurs sociaux diplômés,
particulièrement en Île-de-France, leur absence de ce secteur ne résulte pas uniquement du fait qu’ils
n’investissent pas ce champ d’activité en raison de sa non-attractivité mais également du recrutement que la
réalité budgétaire rend ou non possible.
Ce secteur d’activité attire donc de nombreux jeunes diplômés de l’université, ayant souvent un niveau
d’études important (master), notamment en psychologie clinique ou en droit, ne trouvant pas ou très
1. Annie DUSSUET, Sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, rapport pour la DDTEFP de Loire-Atlantique, DRTEFP,
1998
2. Voir Pierre NAVILLE, Essai sur la qualification, Librairie M. Rivière, 1955 ; Anne-Marie DAUNE-RICHARD, « Qualifications et
représentations sociales » in Margaret MARUANI (dir), Les Nouvelles Frontières de l’inégalité. Hommes et femmes sur le marché du
travail. La Découverte, 1998
27
difficilement un emploi et qui s’avèrent par conséquent moins regardants sur le niveau de rémunération et les
conditions salariales, tout au moins dans un premier temps.
Le secteur que nous étudions permet ainsi l’accession pour certaines femmes au marché du travail,
notamment pour nombre de jeunes psychologues fraîchement diplômées, qui ont obtenu un diplôme
hautement qualifié mais dont les opportunités de postes sont rares, surtout à temps plein. Il permet aussi à
certains salariés – dans notre enquête, exclusivement des femmes – la possibilité de concilier les différents
temps sociaux (vie familiale, vie professionnelle, insertion sociale) en raison de la nature des emplois
proposés, souvent à temps partiel.
De nombreuses structures fonctionnent grâce au recours à des contrats aidés ou à des bénévoles. Au cours de
notre étude est apparu un paradoxe : les personnes salariées en charge d’apporter aide et soutien à des
personnes vulnérables, précaires, sont elles-mêmes en situation de précarité.
Le soutien à la parentalité : au risque de la précarité
Les différentes structures porteuses de projet partagent pour la majorité d’entre elles le fait de rencontrer
conjoncturellement ou structurellement des difficultés financières et budgétaires.
La question du financement des structures participant aux actions de soutien à la parentalité est une question
de fond, la pluralité des financeurs et la précarité des financements impactent les actions menées, notamment
sur les possibilités de pérennisation. Elle influe également, comme l’a mis en évidence Virginie Malochet1,
sur « le moral des équipes ».
Comme au niveau régional, il apparaît que la précarité des financements influe directement sur les projets
associatifs et sur la capacité à diversifier les actions proposées, puisque l’énergie des volontaires et des
professionnels se porte sur la pérennisation des actions déjà entreprises, limitant d’autant les capacités de
développement. Les actions de soutien à la parentalité impliquent le recours à des financements multiples, ce
qui rend fragile leur pérennisation mais oblige également les porteurs de projet à rendre compte aux
différents financeurs d’aspects très parcellaires du projet global, en fonction de l’action financée par tel ou tel
service.
Si les différents porteurs de projet relevant du secteur associatif mettent en valeur les aspects positifs de
l’association, ils mettent également en évidence les limites notamment liées au mode de financement
(subvention, appel à projet, etc.).
Une grande partie de l’énergie déployée consiste à convaincre les autorités de financement de l’utilité sociale
des actions mises en place. S’ils estiment globalement être écoutés par leurs financeurs, ils déplorent la
multiplicité des partenaires financiers à mobiliser afin de faire vivre une action.
En même temps, ils relèvent la grande volatilité des financements comme le fait que nombre de leurs
financeurs sont eux-mêmes soumis à la volatilité de l’action publique, notamment en direction des familles,
et soumis aux politiques publiques nationales, ce dont rend compte l’extrait d’entretien suivant :
Les différents porteurs de projet partagent le fait de développer des actions, impliquant une projection dans
l’avenir, sans avoir une vision financière à moyen et long termes. On peut pointer ici un paradoxe : alors que
la société attend que les actions ainsi financées participent au soutien de la fonction éducative parentale, et
donc également à l’ordre public, ceux qui les mettent en œuvre sont également précaires et vulnérables. Cette
incertitude financière impacte les interventions en direction des familles.
1. Virginie MALOCHET, Aide à la parentalité. Étude sur la politique régionale de soutien aux structures porteuses de projet (2000 –
2010), Institut d’aménagement et d’urbanisme, février 2011
28
Pour les structures : comment faire face
à la complexité et à la fragilité des financements ?
Les modalités de financement des porteurs de projet dans le cadre des actions de soutien à la parentalité
impliquent des financements multiples se limitant à des actions. La nécessaire évaluation de l’utilité sociale
des actions par les financeurs, bien que normale, rend nécessaire le développement des tâches
d’administration et de gestion. L’exécution de ces différentes tâches accroît autant le temps consacré à la
réalisation de celles-ci que le coût pour l’organisation, et nécessite de plus en plus des connaissances et des
compétences dans la réponse à des appels d’offre, la rédaction de bilans normés et donc le recours à des
professionnels qualifiés. La plupart des structures qui reçoivent des subventions dans le cadre du soutien à la
parentalité sont également tributaires de nombreuses demandes complémentaires. Cela est encore plus vrai
pour des petites actions locales qui peuvent fréquemment candidater pour des crédits de type CUCS, des
subventions municipales, ou départementales.
Dans ces circonstances, la tâche de rédaction des dossiers de demande, mais surtout le suivi de leur
instruction, en passant aussi par la rédaction des bilans, mobilise une énergie considérable de la part des
porteurs de projets. Par ailleurs, ce sont souvent des tâches qui sont effectuées sur un arrière-plan de peur de
se tromper, de crainte que le dossier ne soit rejeté (parfois « perdu », selon certains entretiens).
Il y a, exprimé par les acteurs rencontrés, un sentiment que ces tâches sont aussi dévoreuses de temps que
contre-productives. D’autres échos des difficultés à remplir les dossiers ; les acteurs trouvent quasiment les
mêmes mots pour décrire un sentiment commun : on ne peut pas exprimer de façon satisfaisante à quel point
les demandes qui nous sont faites nous paraissent exorbitantes.
Au-delà de l’épuisement souvent exprimé, de la difficulté ressentie, ce qui semble le plus provoquer une sorte
d’usure chez les acteurs concernés par les demandes de subvention, c’est leur précarité, leur remise en
cause annuelle et l’incertitude qui en découle pour l’action elle-même et son avenir.
Le soutien à la parentalité : des outils d’évaluation à construire
Conformément aux recommandations de bonnes pratiques de l’ANESM1, les établissements et services
relevant du champ de l’action sociale et médico-sociale doivent identifier, décrire et spécifier au sein du
projet d’établissement ou de service les indicateurs et modalités de suivi retenus visant à évaluer la mise en
œuvre effective des objectifs définis, la qualité des prestations proposées. Cette évaluation imposée par le
législateur se réalise en deux temps :
- Premièrement, la réalisation d’une évaluation interne, consistant en une autoévaluation des activités, des
prestations et modalités de prise en charge des usagers. Il s’agit notamment d’évaluer la mise en œuvre
concrète du projet d’établissement. La périodicité de l’évaluation interne est fixée à cinq ans, l’analyse
qui en ressort devant être communiquée à l’autorité de tutelle ayant délivré l’autorisation de fonctionner
- Secondement, une évaluation externe, effectuée par un organisme extérieur, inscrit sur une liste établie et
arrêtée par arrêté du ministre chargé de l'Action sociale. Les modalités de recours à un organisme
extérieur habilité afin de procéder à l’évaluation externe doivent être prévues dans le projet
d’établissement ou de service. La périodicité de l’évaluation externe est fixée à sept ans, puisque l’article
22 de la loi n° 2002-2 dispose que l’évaluation externe « doit être effectuée au cours des sept années
suivant l’autorisation ou son renouvellement et au moins deux ans avant la date de celui-ci ». L’objet de
l’évaluation externe est identique à l’évaluation interne. Les conclusions de l’organisme extérieur habilité
procédant à l’évaluation externe revêtent une très grande importance pour l’établissement ou le service
puisque, transmises à l’autorité de tutelle, elles conditionnent le renouvellement de l’autorisation de
fonctionner (renouvelée tous les quinze ans).
Depuis la loi n° 2002-2 rénovant l’action sociale et médico-sociale, la question de l’évaluation tant des
prestations proposées par les établissements sociaux et médico-sociaux que des pratiques professionnelles
1. ANESM, La conduite de l’évaluation interne dans les établissements et services visés à l’article L. 312-1 du code de l’Action
sociale et des familles, Recommandations de bonnes pratiques professionnelles, avril 2009.
29
mises en œuvre au sein de ces établissements est centrale et vise à rendre compte des actions à destination
des usagers, de leur utilité sociale, à permettre le déploiement de bonnes pratiques professionnelles mais
également budgétaires.
Les porteurs de projet étudiés ne rentrent pas dans la dénomination d’établissement ou service social et
médico-social. Ils n’en sont pas moins concernés par la question de l’évaluation.
Comme le soulignent Jean-Pierre Bigeault et Alain Bonnami, « (…) d’un strict point de vue étymologique,
l’évaluation – ex valuare – signifie que l’on cherche à comprendre la valeur de quelque chose. Dès lors,
l’intention est bien de porter un jugement et d’apprécier la valeur des actes professionnels qui concourent et
participent aux différentes formes de suivi et d’accompagnement des usagers dont les établissements ont la
charge. L’évaluation questionne, interroge, met en suspens l’organisation, le processus, la finalité m me des
actes professionnels adressés aux usagers. Or, pour de nombreux professionnels, il est difficile d’expliciter
le sens de leurs pratiques et encore plus de les rendre visibles. D’autant que ces pratiques sont structurées
autour de la notion de relation, et d’individualisation de la prise en charge. Considérant que chaque usager
est différent, la recherche d’une modélisation des procédures de travail induite par l’évaluation interne
ravive les craintes d’une trop grande rationalisation des prestations éducatives, thérapeutique et
pédagogique, pour ne parler que d’elles1 ».
L’évaluation conduit à rendre lisibles et visibles les actions, la qualité des prestations proposées. Elle doit
permettre une adéquation entre l’offre et les besoins repérés des bénéficiaires mais également permettre
l’appréciation de l’utilité sociale des actions mises en œuvre, d’autant plus dans le mouvement actuel de
raréfaction des finances publiques.
Ainsi, si durant longtemps il s’agissait, pour un porteur de projet, d’être en mesure de rendre lisibles les
actions financées par une collectivité territoriale ou une Caisse d’allocations familiales, actuellement cela ne
peut suffire. En effet, les porteurs de projet doivent être en mesure de rendre visible l’utilité sociale de leurs
interventions en direction des parents et des familles. Cette utilité sociale doit également bénéficier au plus
grand nombre. La question de l’évaluation pose plusieurs questions, celle de la finalité, de ce qu’on donne à
voir, et des indicateurs retenus dans le cadre de la démarche évaluative.
L’évaluation des actions de soutien à la parentalité implique une nécessaire définition et clarification des
objectifs poursuivis en amont, en lien avec une définition de la CAF et du Conseil général, mais également la
codéfinition par les acteurs de terrain et leurs tutelles d’indicateurs communs.
La question de l’évaluation des actions et des pratiques
Comment mettre en œuvre des pratiques d’évaluation respectueuses des spécificités et des pratiques dans le
cadre des actions de soutien à la parentalité ? Cette question, qui faisait partie de l’étude, a permis
d’exprimer les difficultés, les embarras, mais aussi la violence et la dureté ressenties de certaines formes
d’évaluation courante.
Les acteurs sociaux font souvent preuve d’inventivité et de créativité dans le choix de critères d’évaluation
pertinents. Des modes d’évaluation formatifs pourraient s’attacher à cette codéfinition des critères
d’évaluation, qui dans l’idéal devrait aussi se réaliser avec le public.
1. Jean-Pierre BIGEAULT, Alain BONNAMI, « La Mise en œuvre de l’évaluation des prestations dans les organisations du secteur social
et médico-social. Nouvelle professionnalisation ? », in Dominique FABLET et Catherine SELLENET (coord.), L’Évaluation dans le
secteur social et médico-social. Entre contraintes institutionnelles et dérives, L’Harmattan, 2010, p.113
30
Ne pas négliger le quantitatif
Le quantitatif souffre curieusement souvent d’une mauvaise presse. On a tendance à considérer les critères
qualitatifs comme plus pertinents, pour des actions socio-éducatives, que les critères quantitatifs. C’est une
curieuse conception des choses qui repose souvent, sans que cela soit dit, sur une conception relativement
dédaigneuse du nombre.
Il serait facile de faire du nombre, et il serait beaucoup plus difficile de faire de la qualité.
On voit ainsi certaines actions de soutien à la parentalité, qui réunissent péniblement quelques personnes tout
au long de l’année, prétendre réaliser un travail très important et obtenir des moyens qui feront défaut à
d’autres structures qui mobilisent des dizaines de bénéficiaires. On peut mettre en question de telles
évidences.
Ceux qui estiment qu’il est facile de « faire du nombre » ont-ils déjà tenté de le faire ? Y sont-ils déjà
parvenus ? Telles seraient des questions intéressantes à leur adresser.
Au-delà des inégalités de moyens et de fréquentations, les structures les plus en phase avec un public large et
régulier se disent en difficulté de ne pas arriver à faire reconnaître ce critère à sa juste place. Car, après tout,
le nombre est déjà le signe d’une évaluation de l’action par le public lui-même.
Évaluer c’est aussi venir sur le terrain
Quels que soient les critères produits et leur mode de production, il est intéressant de poser la question d’une
évaluation des actions sur le terrain lui-même par un regard extérieur. Il importe souvent de venir se rendre
compte des situations. Ainsi, l’on peut prendre en compte des dimensions bien plus complexes, liées
notamment à l’environnement, et l’on peut également contribuer à définir par son regard une attention
particulière portée sur tel ou tel aspect ou effet de l’action.
Évaluer c’est aussi prendre en compte l’engagement militant des acteurs et poser la question d’une
pérennisation possible
Le critère de l’engagement est délicat à évaluer bien entendu. Mais, pour autant, faut-il ne pas le prendre en
compte ? Il est, à tout le moins, le signe d’un sens fort de l’action du point de vue des acteurs eux-mêmes.
Mais il convient également de se questionner sur les raisons de cet engagement, et plus précisément en quoi
l’acteur considère que son engagement est indispensable à la structure ou à l’action.
Il y a ainsi, derrière les formes fortes d’implication personnelle des acteurs sociaux, la conscience non
seulement de la valeur, mais aussi de la fragilité des actions entreprises et souvent aussi le constat de la
faiblesse des soutiens institutionnels qu’elle reçoit. L’engagement des uns peut ainsi se présenter, pour
l’acteur social tout du moins, comme une forme de réponse au manque d’engagement des autres.
Il apparaît également utile en complément de s’interroger sur la prise en compte nécessaire des réalités
associatives. Il semble que le sens du mot association se soit beaucoup affaibli des dernières décennies. En
effet, il est courant de ne plus faire de distinction entre des grandes fédérations, des associations nationales,
dotées d’un patrimoine… et des associations locales. Mais parle-t-on seulement de la même réalité ? On peut
en effet se demander ce qu’il reste de l’esprit associatif dans certaines grandes structures dotées de projets
managériaux, de stratégies de développement, ou de redéploiement.
À l’inverse, on peut se demander en quoi les associations qui réunissent effectivement des acteurs locaux
autour d’initiatives citoyennes sont reconnues et soutenues à la fois pour la valeur de cette spécificité
citoyenne et également en raison de la faiblesse de leurs moyens d’agir.
31
Évaluer c’est prendre en compte l’ensemble d’une action mais aussi son implantation locale
S’agit-il d’évaluer une action, ou son impact ? On peut se demander, au-delà des effets mesurables ou pas
des actions conduites, comment on peut prendre en compte l’implantation d’un projet dans son territoire,
c’est-à-dire un ensemble complexe de services rendus, de rôles sociaux.
Comment rendre compte du rôle réellement guidant pour des parents que peut jouer par son ancienneté, son
inscription dans le territoire, une structure de proximité ?
Des pistes de développement
de la politique de soutien à la parentalité, du point de vue des acteurs
Même si à certains moments les acteurs ont du mal à percevoir la pertinence ou la spécificité des politiques
de soutien à la parentalité par rapport à des politiques voisines (comme celle de la Ville ou de la Réussite
éducative par exemple), les mêmes, à d’autres moments, identifient des voies de développement et
d’affirmation de cette spécificité.
Développer la petite enfance et la notion de soin
D’une façon générale, les actions en direction de la petite enfance semblent relativement sous-représentées
dans l’ensemble des actions de soutien à la parentalité. Ce sont pourtant ces actions qui mobilisent le plus les
parents selon les acteurs interrogés.
Soutenir et tenir le travail social avec les groupes
Certains acteurs sociaux s’inquiètent de ce qu’ils perçoivent comme une baisse de l’intérêt de la part des
institutions pour le travail avec les groupes. Eux-mêmes semblent y être attachés et en affirment toute la
pertinence.
Faut-il soutenir la parentalité ou renforcer la coéducation ?
Nous avons noté que les concepts de soutien à la parentalité ne paraissaient pas forcément aller de soi pour
les acteurs de terrain. Il serait étonnant qu’il en soit autrement alors que les spécialistes eux-mêmes prennent
beaucoup de distance avec cette notion. Citons par exemple, dans ce dernier groupe, des auteurs comme
Alain Bouregba, Catherine Sellenet, Frédéric Jesu, Laurent Ott, Rémi Lenoir, Gérard Neyrand.
On ne s’étonnera pas non plus que le terme « famille » soit préféré par de nombreux acteurs, et que celui de
parent soit beaucoup plus présent… dès lors qu’on s’occupe de soutien scolaire !
Nous observons que les débats qui animent les acteurs sociaux sont bien en lien avec ceux des spécialistes,
mais également varient selon le type d’institution ou de structure dans laquelle ils travaillent.
Certaines structures ont du mal à préciser la spécificité du travail avec les familles ou concernant le soutien à
la parentalité ; du coup, ce sont des idées courantes qui prennent le dessus, ou encore des formulations
vagues : on lit beaucoup le mot « responsabiliser ».
La référence à l’institution scolaire détermine une conception repérable de la parentalité repérée du côté du
soutien, de l’accompagnement, du coaching parfois, bien plus que sur le plan du « vivre ensemble ».
Du coup, les relations avec les parents développées par les acteurs eux-mêmes s’inspirent du même cadre :
elles semblent plus formelles et moins conviviales.
Des débats sont ouverts concernant la question de la libre initiative, de la gratuité. Certaines structures
semblent très attachées à la notion d’adhésion ; d’autres privilégient des relations par contrat. Enfin, certaines
envisagent la gratuité.
32
Une vision de la parentalité réduite parfois à des principes
Une des grandes difficultés du travail social avec les familles et/ou avec les parents, c’est que les acteurs
sociaux, comme le législateur, sont généralement captivés par deux conceptions de la famille. La première
est la famille idéale ; la tentation est grande de définir une fois pour toutes ce que devraient être, ce que
devraient faire des parents et du coup de définir des politiques ou des projets pour arriver à cette fin. La
seconde source de captation est de type « naturaliste » ; la famille, comme « être parent », ce serait quelque
chose de naturel, avec un modèle naturel en quelque sorte. Toute déviation vis-à-vis du modèle serait cette
fois-ci du côté de la pathologie.
Bien entendu, les acteurs sociaux disposent d’une troisième voie, beaucoup plus fructueuse, pour penser et
agir : il s’agit d’une vision matérialiste de la famille. La famille n’a pas de modèles, ni de limites ; elle est ce
qu’elle fait et il est donc possible d’agir avec elle.
Pour certaines structures de type CLAS, l’objectif du soutien à la parentalité apparaît comme une invocation,
ou une occasion d’énoncer des principes, beaucoup plus que comme une pédagogie, une pratique.
Certaines structures par ailleurs développent une véritable pédagogie de leurs activités, dans laquelle s’inscrit
la parentalité, qu’il convient de souligner et de mettre en valeur.
Une réflexion sur la condition des femmes vient nourrir
le questionnement sur la parentalité et contribue à le spécifier
et à le faire sortir des objectifs incantatoires en donnant des pistes d’action
L’intérêt de cette démarche réside justement dans le fait qu’elle est pragmatique et qu’elle se réfère non à des
modèles, mais à des activités possibles. De ce fait, un parcours progressif est défini et donc rendu possible, et
certaines femmes ne manquent pas de s’y inscrire. Notons qu’ici, le choix de travailler avec les femmes est
affirmé et que donc cette non-mixité est pensée et théorisée.
De nombreuses actions ouvertes aux parents en général ne reçoivent que des femmes. Pour autant cette nonmixité non choisie n’est le plus souvent pas pensée, et on continuera à définir la mère comme « un parent ».
C’est sans doute dommageable sur le plan de la réflexion de pratiques.
33
Deuxième partie
QUELS REPÈRES
POUR DES PRATIQUES
DE SOUTIEN DE LA FONCTION
ÉDUCATIVE ET PARENTALE ?
35
L’étude a également permis de constituer puis de préciser et d’affiner, en situation, quelques repères dans
l’organisation matérielle des actions de soutien à la parentalité qui paraissent pertinents.
Premier repère : la disponibilité à l’accueil
Le premier repère qui nous a paru fondamental est la capacité de la structure à permettre un accueil. En effet,
nos visites nous ont mis en situation concrète d’organiser notre rencontre et notre accueil. Même si nous
avons bénéficié d’un a priori positif quant à notre démarche, nos prises de contact, notre arrivée nous ont
donné matière à préciser un certain nombre d’éléments propres à faciliter l’accueil et la première prise de
contact. Les éléments que nous avons relevés :
- Un contact téléphonique facile, soit que l’on joigne un interlocuteur, soit que l’on puisse laisser un
message et qu’on soit rappelé. Nota : nous savons par expérience combien il est fréquent que ces qualités
ne soient pas remplies. Nous connaissons tous des structures injoignables, des messages non suivis
d’effet, des informations lacunaires
- Une souplesse horaire et calendaire pour déterminer un premier rendez-vous qui soit rapide. Ceci
implique que la structure avec laquelle on souhaite entrer en contact soit ouverte sur des plages horaires
suffisamment denses, la plupart des jours de la semaine et si possible en horaires décalés. Là encore, il
s’agit de qualités qui sont loin d’être générales
- Un lieu facile à trouver, soit que notre interlocuteur nous ait bien expliqué sa situation, soit qu’il soit bien
indiqué, soit qu’il soit visible de l’extérieur, soit que les habitants du quartier le connaissent bien. Le
commentaire que nous pouvons faire est toujours de même nature : cette qualité n’est pas si répandue.
Deuxième repère : la porte ouverte
En tant que visiteurs, nous avons fait très banalement l’expérience du désagrément et du découragement que
l’on éprouve face à une porte fermée, une porte blindée, une porte à code, une porte grillagée, une porte avec
sonnette, une porte avec interphone.
Nous avons également pu faire l’expérience inverse de l’agrément que l’on trouve à arriver dans un lieu où
l’on entre librement, où l’on est accueilli par les usagers, où règne visiblement une véritable vie et activité.
Cette porte ouverte n’est pas seulement une porte qui nous est ouverte. Les lieux qui nous ont marqués
positivement sont ceux dont la porte était ouverte sur l’environnement local, sur le quartier ; ce sont des lieux
qui débordaient dans les espaces publics et qui débordaient leurs propres horaires d’ouverture (en général,
pour ces lieux-là, extrêmement larges).
Nous entendons bien ici deux objections : la première mettra en avant que cette qualité est difficile à remplir
si l’action ne prévoit, par définition, que des activités ponctuelles, avec un début et une fin très précises ; de
même on pourra mettre valablement en avant que certains dispositifs sont tributaires de leur hébergement
dans un lieu collectif ou tiers, et qu’ils n’ont pas de réelle maîtrise sur les conditions d’entrée dans la
structure. Ces raisons sont valides mais n’oblitèrent pas le manque de lisibilité et d’accessibilité des activités
ainsi définies. Elles n’oblitèrent pas non plus la part de liberté, de réaction et d’adaptation des acteurs pour
faire évoluer ces éléments.
Troisième repère : les traces de vie
Comme nous l’avons écrit plus haut, nous avons été frappés durant nos visites par cette extrême inégalité des
structures en termes de traces de vie.
Nous entendons par « traces de vie » des traces de présence, d’activité, d’initiatives de la part du public et en
particulier des traces qui ne ressortent pas de l’action en elle-même mais plutôt de la fréquentation, et de la
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familiarité avec laquelle le lieu est traité par le public : propositions, messages, questions sur les tableaux
laissés par les uns ou les autres, vêtements oubliés, dessins d’enfants inachevés, affichage spontané des
créations du public, matériel oublié, rangé à la va-vite, etc. Nous en sommes convaincus, il n’y a aucun
mystère : les lieux vivants laissent des traces de vie.
Nous retenons ce critère comme pertinent car il manifeste selon nous, et objectivise, l’attachement du public
au lieu lui-même et à ses acteurs. Nous y voyons une forme d’évaluation naturelle du fait que ce lieu répond
effectivement aux besoins de son public.
Dans le domaine du soutien de la fonction éducative et parentale, nous postulons que ces traces de vie
peuvent assez bien être le signe d’une forme de coéducation, de présence active de tous les âges.
Quatrième repère : la complexité d’un système vivant
Il nous a paru évident que certains lieux sont de véritables pépinières d’initiatives qui, tout en s’enracinant
dans le projet de base, le projet commun, n’en sont pas moins le signe que les promoteurs ne maîtrisent pas
tout.
La pédagogie, et particulièrement la pédagogie Freinet, peut nous donner le modèle d’institutions, de
communautés éducatives, qui sont justement riches par le fait que ce qui s’y déroule n’est pas limité, ni
contrôlé, par le projet initial, mais au contraire ouvert à de multiples variations et initiatives, par les acteurs
eux-mêmes. Ce sont pour Freinet1 des « systèmes vivants », par opposition à des « systèmes morts »
(représentés pour lui par une classe dans une école classique où les élèves n’ont que le choix de suivre un
programme entièrement prévu et préétabli).
Ces observations nous semblent tout à fait pertinentes appliquées aux structures éducatives ou de
coéducation en général. Lors de nos visites nous avons effectivement observé des systèmes vivants et
certains ont aussi pu nous paraître « morts ».
Ce qui est déterminant, ici, c’est que la possibilité d’établir un système vivant à partir d’une intervention
socio-éducative suppose de la part des promoteurs l’établissement préalable d’une relation de confiance
réciproque. Il faut avoir une grande confiance dans son public et une idée positive de ses compétences pour
accepter que les actions évoluent et se multiplient sous son influence.
Nous sommes ici devant une difficulté fondamentale si le public est a priori envisagé du côté de ses
insuffisances et de ses incompétences ; nous voyons alors les raisons de l’empêchement de l’établissement
« d’un système vivant ».
Pour autant, les acteurs des systèmes vivants, comme les « enseignants Freinet » par exemple, sont bien
conscients des difficultés et des problématiques des bénéficiaires de l’action ; mais il s’agit justement, au
travers de la création commune d’un espace de coéducation et de changement, que chacun développe sa
propre conscience et sa propre autorité sur les difficultés liées à sa condition personnelle et sociale.
Une difficulté des systèmes vivants est donc également d’apparaître autrement que comme un simple lieu
d’animation. On a en effet l’habitude de porter un regard négatif sur des dispositifs qui ne semblent pas tout
entier se mettre à la disposition d’un programme ou d’un projet préétabli. On postule fréquemment que les
effets des actions que l’on met en œuvre et que l’on n’aurait pas contrôlés, qui nous auraient échappé en
quelque sorte, ne peuvent pas avoir d’effets positifs. On voudrait ainsi rendre le public autonome mais sans
jamais lui laisser la moindre maîtrise sur ce qui survient et sur l’action de la structure elle-même.
Nous autres, acteurs sociaux, semblons toujours de ce point de vue dans l’illusion que l’autonomie, le
pouvoir d’agir, la liberté supposeraient d’abord de s’apprendre, puis ensuite de s’exercer.
. Célestin FREINET, Pour l’école du peuple, Maspero, 1969
1
38
Cette dangereuse illusion est dénoncée depuis le XVIIIe siècle par des penseurs de renom, comme le
philosophe Emmanuel Kant. Ce dernier a de son vivant dénoncé l’imposture qui permettait de maintenir la
servitude, la dépendance, le colonialisme (alors naissant) avec des raisonnements du type : « Ils ne sont pas
encore prêts à exercer des responsabilités, des libertés », ou des variantes pour les peuples : « Ils ne sont pas
encore mûrs pour la démocratie. » Ces raisonnements, ces allégations, selon Emmanuel Kant1, n’ont pas
d’autre objectif que de venir justifier les relations de dépendance et les inégalités politiques et sociales. Pour
lui en effet, on ne peut apprendre la liberté, l’autonomie, le pouvoir d’agir… qu’en les exerçant, même
lorsque l’on ne semble pas encore « prêt ». Par ailleurs, en ce qui concerne le concept de « vivant », Kant a
été le philosophe qui, avant la biologie, a établi le concept de « la vie » sur des bases qui ont été reprises
après lui par la biologie2.
Cinquième repère : la place et la liberté d’agir des permanents et de l’équipe
Nous avons constaté au cours des visites que les lieux les plus riches en activités, événements et actualités
étaient également ceux dans lesquels les professionnels, ou volontaires ou bénévoles, bénéficiaient le plus de
liberté et d’initiative.
Cette question du pouvoir d’agir des acteurs sociaux est fondamentale en effet. Elle est fondamentale car la
plupart des structures s’adressent à des publics ou des personnes dont l’autonomie est souvent mise en
difficulté par des conditions d’existence difficiles, des statuts problématiques, voire aussi par des situations
de handicap ou de précarité sociale. Il est de ce point de vue très important que les personnes les plus en
difficulté sur le plan de l’autonomie, du pouvoir d’agir, de se déplacer, de faire, de se projeter, soient au
contact régulier d’acteurs sociaux qui manifestent une grande autonomie.
Cette question est également importante pour établir des relations de confiance et durables avec les
professionnels ou acteurs sociaux. La confiance que l’on peut placer en un acteur social dépend en effet de la
capacité que l’on prête à ce dernier de pouvoir agir ou réagir avec une certaine autonomie.
Par ailleurs, nous vivons une période où les publics les plus précaires – dont les familles en difficulté – ont
régulièrement affaire à des professionnels qui se disent « empêchés ». Des discours tels que : « Je voudrais
bien, mais ce n’est pas possible » ou « nous n’avons pas le droit de… » sont devenus monnaie courante que
ce soit à l’école, au centre de loisirs ou souvent même aussi, au centre social ou auprès… des travailleurs
sociaux. De tels discours alimentent discrètement mais efficacement le découragement des personnes les plus
en difficulté et créent un climat de résignation et de fatalisme, voire de rancœur et de ressentiment dans les
zones les plus défavorisées.
Plus fondamentalement, un pouvoir d’initiative des acteurs sociaux dans les structures où ils travaillent
permet un épanouissement à la fois personnel et professionnel dont le public mesure en général les effets.
Quand les acteurs sociaux peuvent être fiers de leurs initiatives, ils le sont aussi souvent de la structure dans
laquelle ils œuvrent et cela rejaillit également sur l’image du public. Une certaine dynamique s’observe alors
autour de tels lieux.
Sixième et dernier repère : la place du bénéficiaire
On ne sera pas surpris que le sixième repère soit constitué par l’autonomie des usagers et des bénéficiaires au
sein de la structure qui les reçoit. Jusqu’à quel point cette structure est-elle la leur ? Quelles initiatives de la
part des bénéficiaires sont-elles possibles ? Les usagers peuvent-ils couramment prendre des petites décisions
d’activité, de décoration, de sortie ? Peuvent-ils proposer des changements dans l’organisation des activités ?
1. Emmanuel KANT, Qu’est-ce que les lumières ?, Hatier, 2007
2. Emmanuel KANT, Critique de la raison pratique, Flammarion, 2003
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Nous avons visité certains lieux où les bénéficiaires étaient en position scolaire, assis derrière un bureau avec
des « devoirs ». Nous en avons visité d’autres où, avec les mêmes missions, des enfants de même âge
pouvaient prendre des initiatives, habitaient littéralement le lieu, le faisaient vivre, entraient en contact avec
les publics d’autres âges, et parvenaient au final, à réaliser les mêmes objectifs, bien autrement.
Nous retrouvons derrière la question de la « place du bénéficiaire », un thème que nous avons identifié à
différents niveaux de notre enquête, à savoir le besoin de définir et de développer une véritable pédagogie du
travail entre tous les âges, une interculturalité, et une mobilisation de toute la famille.
Cela pose la question au niveau des porteurs de projet de la possibilité de formations communes, dans le
cadre d’une telle pédagogie à développer.
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Troisième partie
À L’ISSUE DE CETTE ÉTUDE,
QUELQUES QUESTIONS OUVERTES
41
1. Quelle sécurisation financière pour les acteurs sociaux engagés dans ces actions ?
Face à la précarité financière à laquelle sont confrontés les porteurs de projet, sous-tendue notamment par la
multiplicité des financeurs, du financement à l’action, la définition d'une convention pluriannuelle d’objectifs
et de moyens (CPOM) telle qu’existant dans le secteur social et médico-social – et consistant en la
contractualisation entre un établissement ou service social ou médico-social et une autorité de tarification sur
une période pluriannuelle permettant le financement de l’établissement en fonction des objectifs d'activité
définis – permettrait de sécuriser les organisations, mais également une meilleure codéfinition des objectifs
par les porteurs de projet et la CAF.
2. Comment encourager la mise en partage des pratiques et des ressources
entre tous les acteurs ?
L’insécurité financière des porteurs de projet limite les recrutements, alors que de nombreuses tâches
administratives (bilan, réponse à appel d’offres, etc.), mobilisant beaucoup de temps et d’énergie, ont pris
une place très importante au cours des dernières années et imposent un savoir faire nouveau et des
compétences affirmées alors que durant longtemps ces tâches pouvaient être effectuées par des bénévoles.
Il apparaît aux différents porteurs de projet de plus en plus difficile que les bénévoles, notamment les
membres du bureau des associations, puissent continuer à assumer tant les actions sur le terrain que, en
même temps, les nombreuses tâches administratives (rapports, bilans, gestion administrative et financière,
etc.). Ils mettent en évidence la nécessité de recruter des professionnels ayant des compétences en ce
domaine, sans en avoir réellement les moyens budgétaires.
En matière de formation, si les différents porteurs de projet affirment la nécessité de la formation tant des
salariés que des bénévoles dans une optique de professionnalisation afin de garantir la qualité des prestations
proposées, ils sont également confrontés aux mêmes réalités budgétaires. Les propositions qui suivent visent
à pallier ces difficultés structurelles.
Le groupement d’employeurs
À partir des années 1980 sont apparues de nouvelles modalités d’organisation du travail tenant compte de la
crise, du taux de chômage, et des besoins des entreprises. La loi n° 85-772 du 25 juillet 1985 a créé le
groupement d’employeurs (GE). Il s’agit d’associations loi 1901 permettant la mutualisation des moyens,
notamment en ressources humaines. Le groupement est l’employeur unique du salarié quelles que soient les
missions qui lui sont confiées. Le contrat de travail lie le groupement au salarié, le contrat de mise à
disposition lie le groupement à l’entreprise utilisatrice. Le groupement d’employeurs permet de concilier les
impératifs de souplesse de l’entreprise et de sécurité pour les salariés.
Utilisé dans le secteur social et médico-social, il répond aux besoins des différents gestionnaires en
personnels qualifiés et répond à l’impossibilité de ceux-ci d’en assumer la charge individuellement. Le
groupement d’employeurs est également une réponse à des besoins ne justifiant pas une création de poste,
mais dont l’absence peut fortement pénaliser le développement, voire l’existence même de la structure. Les
groupements d’employeurs peuvent constituer une solution adaptée et efficace permettant une optimisation
des moyens sans accroître les charges individuelles de chaque gestionnaire, tenant compte des besoins en
personnel, des réalités budgétaires et des prestations proposées au bénéfice des parents, des enfants et des
familles.
Le code du travail prévoit ainsi la possibilité pour plusieurs personnes morales de se regrouper en vue de
créer collectivement un GE sous forme d'association déclarée selon les modalités de la loi 1901, dont l'objet
est le recrutement de salariés afin de mettre ceux-ci à la disposition des membres du groupement.
43
Le groupement d’employeurs, par le recrutement de salariés que chaque gestionnaire n’aurait pas, à lui seul,
les moyens de recruter, permet le recrutement de personnels qualifiés en leur proposant un contrat de travail
à durée indéterminée, ou à durée déterminée, à plein temps. En dehors de cette possibilité, il s’avère que pour
la plupart d’entre eux, les personnels qualifiés sont plus que réticents à accepter un emploi à temps partiel,
voire très partiel. Comme le souligne Bernard Stoque, directeur de l’association Entraide et union des
responsables d’établissements dans l’Eure : « Il en résulte donc une réelle difficulté de recrutement qui
engendre des conséquences néfastes sur la qualité de prise en charge des bénéficiaires1. »
Le groupement d’employeurs M3S du Finistère employait fin 2009 onze salariés. Leur temps de travail est
organisé en fonction des temps de mise à disposition chez chaque adhérent en fonction des impératifs
organisationnels. Le GE apporte ainsi une réponse tant aux difficultés de recrutement de certains personnels
qualifiés sur un territoire géographique donné qu’aux limitations dues aux réalités budgétaires de chaque
gestionnaire.
La mutualisation des moyens, que rend possible le groupement, crée un renforcement du lien entre le tissu
économique, le lien social et la qualité de vie d’un territoire, en permettant aux salariés des conditions de
travail stables, à durée indéterminée, avec un temps de travail plus important. Outre la stabilité de l’emploi
(les contrats de travail majoritairement proposés dans le cadre des groupements d’employeurs existant sont
essentiellement des CDI) et les possibilités de formation, le groupement permet une diversification des
compétences, mais également un renforcement des liens entre les différents gestionnaires.
Comment définir et construire des bases de formation communes ?
La professionnalisation du secteur d’activité du soutien à la parentalité nécessite la possibilité d’accès à la
formation dans « un mouvement dynamique », afin de permettre aux différents acteurs le développement de
leurs compétences professionnelles dans une adaptation continue aux problématiques et aux besoins des
bénéficiaires des actions qu’ils mettent en œuvre.
Cependant, les actions de formation représentent un coût important pour un gestionnaire, d’autant plus
lorsque le nombre de salariés est restreint, ce qui est le cas pour un grand nombre de porteurs de projet dans
notre étude. La mutualisation d’actions de formation consistant en une formation partagée (un formateur
intervient pour des salariés et/ou bénévoles de différents porteurs de projet) présente l’intérêt de réduire le
coût à supporter par chaque gestionnaire, permettant ainsi le recours à la formation, voire un accroissement
de l’offre, mais également de faire se rencontrer différents acteurs dans le cadre d’une même formation,
permettant par là même le développement d’une culture commune entre les différents porteurs de projet. La
mutualisation et le partage d’actions de formation peuvent également être pensés et mis en œuvre pour la
mise en place de groupes d’analyse des pratiques.
À la vue de la diversité des porteurs de projet financés par la CAF des Hauts-de-Seine, la diversité des
modalités d’intervention, des prestations proposées, il nous semble également souhaitable que se développe
une autoformation entre les différents porteurs de projet.
3. Comment assurer une bonne insertion des actions dans leur environnement ?
Il nous semble que les actions de soutien à la famille et à la parentalité doivent s'inscrire dans un contexte
territorial et local, et mettre en avant une offre d'activités suffisamment souple pour permettre de nombreuses
formes d'accueil (enfants, parents, grands frères et sœurs).
Nous recommandons des formes d'accueil pratiquant une réelle forme d'inconditionnalité. Nous remarquons
que les lieux les plus investis par les familles sont justement ceux qui leur permettent d'y développer ellesmêmes les réponses à leurs besoins. Ce ne sont pas les lieux qui semblent se doter de la méthodologie ou de
la programmation la plus technique ou la plus détaillée, mais au contraire ceux qui proposent et réalisent un
accueil libre et large ouvert à tous publics.
1. Marie DURIBREUX, « Un groupement d’employeurs, solution pour le temps partiel », Direction[s], n° 23, octobre 2005
44
Par ailleurs, les lieux qui nous ont semblé les plus producteurs de changements, ceux qui permettent aux
familles de les investir en toute conscience, sont ceux qui prennent en compte l'ensemble des dimensions qui
impactent la vie des familles, et donc aussi leurs conditions d'existence, à savoir la vie sociale, la vie
culturelle, l'implication citoyenne et l'accès à l'activité (et au travail).
4. Comment développer des pratiques de réseau ?
Il apparaît au terme de cette étude que le travail en partenariat et en réseau est peu mobilisé par les différents
porteurs de projet. Si certains d’entre eux ont effectivement instauré un travail partenarial au niveau local, il
apparaît un manque de travail en partenariat et en réseau entre les différents acteurs participant à la mise en
œuvre des actions de soutien à la parentalité financées par la CAF des Hauts-de-Seine. Si le développement
de partenariats actifs et locaux constitue une modalité de travail intéressante, on peut légitimement
questionner la quasi-absence d’une telle modalité de travail entre les différents porteurs de projet sur le
territoire des Hauts-de-Seine et la pauvreté des échanges entre ceux-ci.
Lorsqu’à un niveau local des actions partenariales existent, elles consistent essentiellement en une
orientation réciproque des publics. Cela met en évidence la faiblesse du travail partenarial engagé. Une
logique de compétition entre porteurs de projet peut permettre d’avoir une compréhension de cet état de fait.
La faiblesse du partenariat peut aussi être appréhendée au regard de la précarité des différents porteurs de
projet et de l’accroissement de leurs charges d’administration qui impliquent de ceux-ci une mobilisation,
très consommatrice en énergie et en temps, afin de pérenniser les actions mises en œuvre, limitant le
développement d’autres activités, les échanges et la mise en place de projets entre les différents partenaires,
faisant pourtant partie, tout au moins théoriquement, du même réseau de soutien à la parentalité.
Il apparaît donc souhaitable de mobiliser les différents acteurs vers le déploiement d’un véritable travail en
partenariat et en réseau qui ne se limiterait pas à l’orientation réciproque de publics ou à la concertation, mais
qui consisterait au développement d’un travail collectif permettant la coopération et la mutualisation, tant des
moyens que des savoirs, au travers d’actions communes, de rencontres réciproques, de l’élaboration d’outils
communs permettant l’expression et la participation à la vie citoyenne des bénéficiaires (expositions,
journaux, etc.).
5. Concevoir une culture de la coéducation ?
Les actions de soutien à la parentalité ont notamment comme objet le développement de « compétences », de
savoirs sociaux nécessaires à la participation des individus autant que la constitution et/ou le maintien d'un
lien social entre eux. Il s’agit également de permettre la mise en place de rencontres, de partages et
d’échanges, entre enfants et adultes simultanément, au cours desquelles parents, enfants et professionnels
investissent, au quotidien, un environnement connu et reconnu, permettant une appropriation des actions par
tous.
Il s’agit également de créer un espace tiers entre familles et institutions et de penser la responsabilité des
enfants comment devant être collective. C’est-à-dire que, contrairement à l’idée communément admise que
les enfants sont l’affaire de leur(s) parent(s), idée participant à l’enfermement des parents avec leur(s)
enfant(s) et des enfants avec leur(s) parent(s) et à la solitude que peuvent vivre, à bas bruit, les uns et les
autres, la responsabilité des enfants doit être l’affaire de tous – parents, bien sûr, mais pas tous seuls,
professionnels et citoyens – dans une démarche coéducative, dans laquelle chacun s’engage effectivement et
affectivement auprès d’eux et assume sa responsabilité.
Les actions de soutien à la parentalité doivent donc, à notre sens, permettre le développement et le
déploiement d’un espace autre que la famille ou l’institution classique (crèche, école, accueil de loisirs sans
hébergement, etc.). C’est cet espace autre qui peut faire aujourd’hui défaut et donner lieu à des incompréhensions mutuelles entre professionnels et parents.
45
Il s’avère important de mettre en œuvre d’autres modalités d’accueil plus souples, ouvertes à tous, sans
inscription préalable, gratuites, implantées et déployées le plus souvent dans les espaces collectifs de vie des
habitants, et qui donnent l’occasion aux enfants et aux parents de se retrouver et d’échanger ensemble. Il
s’agit alors de recréer du lien pour diminuer la solitude, la fragmentation des relations sociales et l’impact de
la montée des précarités.
La socialité entre les familles autour des enfants, le partage collectif de la responsabilité des enfants, entre
familles, professionnels et bénévoles, sont en outre un puissant ciment social. En partageant le souci de
l’enfant avec d’autres parents, mais également d’autres adultes – autres que les membres de la famille – qui
se sentent également responsables et assument leur place, la conscience de l’égalité devient quelque chose de
palpable, de vérifié par l’expérience commune, de concrètement porté par l’échange et l’entraide.
6. Comment s’ouvrir au plus large public,
contacter les groupes et individus les plus « volatiles » ?
Au cours de cette étude, est apparue la difficulté de contacter le public. Différentes études et travaux1 ont mis
en évidence que le fait de « cibler » en première intention les enfants facilite le contact avec les parents.
En matière d’actions de soutien à la parentalité, les principes de la pédagogie sociale2 permettent une plus
grande adhésion aux actions mises en œuvre. Il s’agit notamment de :
- L’inconditionnalité de l’accueil : en allant au-devant des personnes dans leur propre espace de vie, les
intervenants se mettent en mesure de les rencontrer (enfants et adultes les plus isolés et retirés), ainsi que
de les laisser venir librement vers eux
- La durée des accompagnements et des relations établies est également une caractéristique du travail
permettant l’entretien de relations
- La permanence des activités
- La globalité : l’enfant est accueilli en milieu ouvert pour l’ensemble de ce qu’il est. Il n’est pas accueilli
en tant qu’élève en difficulté (comme dans une structure de soutien scolaire), pas plus comme étant en
risque de décrochage, ou en risque de délinquance. Il n’est pas non plus reçu comme enfant en danger. Il
est accueilli pour lui-même, tel qu’il est, dans le cadre d’un accueil inconditionnel de l’enfant par les
professionnels et dans une proximité immédiate. Il s’agit là d’un axe fondamental car ceci induit que les
enfants fréquentant les différentes actions n’y gagnent directement ou indirectement aucune étiquette, ou
aucune appellation qui pourrait devenir stigmatisante. L’enfant est accueilli pour lui-même, à la fois sujet,
acteur, auteur même, des activités qui s’y déroulent (une large place est réservée à ses propositions, à la
réalisation des projets mêmes des enfants pour/dans leur environnement). Ce point est également
important pour les professionnels, ceux-ci portant un intérêt aux enfants dans leur globalité, c’est-à-dire
tout autant sur les plans cognitif, affectif, social et politique. De ce fait, les intervenants éducatifs dans ce
contexte ne sont pas limités par un poste ou une fonction qui réduisent d’autant leur champ d’intérêt
- L’universalité, principe caractéristique du travail en milieu ouvert avec les enfants et les adultes. En
pédagogie sociale, tout un chacun est accueilli « ensemble ». C'est-à-dire que ce sont tous les enfants qui
le souhaitent qui peuvent venir. De très jeunes enfants sont fréquemment présents, accompagnés par des
enfants plus grands, généralement de la même fratrie, ou des parents. Des adolescents sont souvent eux
aussi présents avec d’autres demandes et d’autres responsabilités. Les groupes ainsi constitués sont
naturellement très hétérogènes, tant au niveau des âges que des cultures et origines des participants. Le
principe d’universalité vient compléter le fait que la fréquentation de ces espaces est simple et non
dévalorisante. Cette universalité est garantie par la totale proximité de ces actions, qui se situent régulièrement en « pied d’immeuble » et ne nécessitent aucune autorisation, participation, inscription ou
cotisation. La gratuité comme la libre adhésion des enfants (libres de revenir et de repartir) sont également fondamentales
1. Laurent OTT, Stéphane RULLAC, Elian DJAOUI, Marc FOURDRIAT, Les actions pour les enfants en situation de rue en France.
Logiques d’action, professionnalisations et innovation, rapport à l’ONED, 2011
2. Laurent OTT, Pédagogie sociale. Une pédagogie pour tous les éducateurs, Chroniques Sociales, 2011
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- L’autonomie : les actions en milieu ouvert valorisent l’autonomie dont font preuve les enfants, les
adolescents, les adultes, et les encouragent à la développer.
7. Comment et pourquoi favoriser le renforcement des relations sociales et collectives ?
Le groupe, comme en témoignent les pédagogies actives et émancipatrices, ne constitue pas un frein mais
une source de motivation. Il nous semble qu’il faille, aux différents acteurs sociaux, tenir ensemble
l’individuel et le collectif, en tant qu’éléments complémentaires, non opposables.
Comme le souligne Dominique Oberlé, il s’avère qu’« en tant qu’éducateurs, notre mission est de participer
à notre mesure à la construction harmonieuse de la personnalité des personnes dont nous avons la charge.
(…) La formation par le groupe et au groupe (…) semble être le moyen de permettre à chacun de construire
sa personnalité, en trouvant sa place parmi les autres, en découvrant qu’il peut compter pour eux et qu’eux
comptent sur lui et ainsi anticipant un avenir avec les autres redonner sens au présent1 ».
Le groupe permet de créer un cadre dans lequel les enfants ne sont pas l'objet des adultes, mais les sujets
perpétuellement en recherche de leur propre évolution. Ce qui fait le plus défaut aujourd’hui tant aux parents
qu’aux enfants (des plus jeunes aux adolescents), c’est un véritable déficit de la participation à la vie
économique, sociale, culturelle et politique de leur environnement.
Les réponses de plus en plus individuelles aux problèmes « de masse » qui impactent de nombreux parents et
enfants échouent à agir sur les véritables causes de cet « enfermement ». L’intervention collective est la
modalité la plus pertinente pour valoriser tant les enfants que les parents. Ce type d’intervention, en effet,
n’attribue pas d’image péjorative et n’entraîne pas de conséquences pénalisantes pour les familles qui y
recourent.
Soutenir les familles et la fonction éducative à partir d’interventions collectives permet en effet d’inverser le
sens courant des pratiques. Dans un tel contexte professionnel et technique, on part le plus souvent des
enfants eux-mêmes pour aller vers les parents, plutôt que l’inverse. De même, la logique qui prévaut à cet
égard est une logique bienveillante de coéducation, de renforcement des facteurs de protection de
l’environnement immédiat, qui a l’immense avantage de tenir compte des réalités et contraintes vécues par
les individus tout en les motivant à les dépasser.
C’est la démarche essentielle de la pédagogie sociale, définie par Helena Radlinska2 et illustrée par Célestin
Freinet, Janus Korczak et Paulo Freire.
8. Comment et pourquoi placer la petite enfance au cœur de ces actions ?
Il s’agit de proposer un accueil prévenant des familles dans une optique de prévention primaire, sans cibler
les familles dites à risque, en soutenant les parents dans leur rôle parental au sein de leur environnement
proche, en s’adressant aux deux parents, et non seulement aux mères qui apparaissent davantage attendues et
contactées par les professionnels3.
Il s’agit également de repenser la responsabilité des enfants au sein de la Cité, de permettre les relations
intergénérationnelles dans un environnement dans lequel peuvent se rencontrer enfants, adolescents et
adultes.
Proposer des actions en direction des jeunes enfants et de leurs parents s’avère nécessaire pour tout un
chacun, notamment lorsque l’absence ou la pauvreté du réseau relationnel, l’impossibilité de recourir à une
1. Intervention de Dominique Oberlé lors du colloque Groupe/Personne, c’est bien le sujet ! L’individuel et le collectif en éducation
organisé par l’EFPP les 24 et 25 novembre 2010 (actes à paraître).
2. Pour en savoir plus sur Helena Radlinska, son activité et système pédagogique, par R Wrocynski, se reporter à :
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/enfan_0013-7545_1964_num_17_1_2338
3. BLOSS et ODENA op. cit. et MURCIER, Les Savoirs dans le champ de l’accueil des enfants, op. cit.
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solidarité familiale, amicale ou de voisinage, une fragilisation psychologique du (ou des) parent(s)
complexifient encore « l’être parent », mais également parce que les actions à destination des jeunes enfants
apparaissent les plus à même de contacter et mobiliser les parents, pour peu que les actions soient
généralistes et ne visent pas un public prédéterminé mais s’adressent à tous les parents de jeunes enfants.
Comme l’a mis en évidence Catherine Sellenet1, ce ne sont pas tant les difficultés d’éducation ou de soin qui
peuvent mettre en difficulté certains parents dans la pratique de la parentalité, mais les difficultés liées à la
vie quotidienne, notamment sous-tendues par la difficile conciliation des différents temps sociaux (activité
professionnelle, vie familiale, vie conjugale, insertion sociale).
9. Comment contacter et travailler avec les pères ?
Au terme de l’étude, il nous apparaît nécessaire d'encourager entre les différents acteurs participant au
soutien à la parentalité l’émergence de pistes et de chantiers de réflexion en ce qui concerne la place des
pères dans les diverses actions de soutien à la parentalité et à la fonction éducative. On ne peut en effet se
contenter d'observer leur faible investissement, pas plus que de compter sur les mères pour les convaincre de
venir ou interroger leur absence.
Le travail avec les pères suppose d'initier de nouvelles formes d'action et d'activités plus propices à leur
investissement. Celles-ci nous semblent, d'après nos observations mais également notre expérience,
davantage liées aux actions ayant une dimension économique et politique.
10. Comment développer la participation des publics aux actions qui leur sont
destinées ?
Au travers de :
- Actions éducatives de proximité dans l’environnement proche des enfants et des familles
- Rencontres entre parents destinées à favoriser la connaissance mutuelle, la continuité des relations des
enfants entre eux, et à initier des échanges de service et favoriser une auto-organisation entre parents
- Leur participation effective aux différentes phases d’une action, de la conception à l’évaluation
- Leur association aux instances de décision des associations gestionnaires (CA, bureau).
11. Quelle formation des acteurs dans le cadre du soutien à la parentalité
Nous proposons également à la CAF 92 de contribuer et d'animer des programmes de formation pédagogique
destinés à l'ensemble des acteurs concourant aux politiques de soutien à la famille et à la relation éducative
sur le territoire départemental. Ces formations pourraient permettre de favoriser des éléments d'analyse,
d'observation et de méthodes communs, ainsi qu’une culture commune aux différents porteurs de projet.
De telles actions de formation trouveraient dans un premier temps à mettre en valeur l'énorme richesse des
pratiques et des compétences que nous avons relevées au cours de cette étude. Il y a là un potentiel
extrêmement riche de formations en interne sur des sujets et des thématiques transversales déterminantes : la
participation des publics, la pratique de l'accueil, la place des jeunes enfants.
D'autres actions pourraient être proposées par la CAF pour orienter les pratiques vers des publics plus
difficiles d'accès, connaissant des problématiques multiples. Il pourrait s'agir d'actions de formation
concernant le travail en milieu ouvert, sur les modalités de la prise en compte conjointe des individus et des
groupes, sur les bases théoriques et pratiques d'une coéducation dans la Ville.
1. Catherine SELLENET, « Voyage en terre inconnue : valeurs et modèles éducatifs des parents des enfants placés », Cahiers de
l’ACTIF, n° 332-335, Janvier/ Avril 2004, p. 179-189
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12. Comment construire des indicateurs d’évaluation commune ?
La question de l’évaluation des actions et des pratiques d’intervention en direction des enfants, des parents et
des familles est une question complexe. Comment mettre en œuvre des pratiques d’évaluation respectueuses
tant des spécificités de chaque porteur de projet que des pratiques, dans le cadre des différentes actions de
soutien à la parentalité financées par la CAF des Hauts-de-Seine ? Au cours de l’étude, les différents acteurs
ont exprimé d’une part la nécessité de l’évaluation des actions mises en place sur le territoire et d’autre part
les difficultés, mais également la violence possible, de certaines modalités d’évaluation courantes.
Si les différents acteurs sociaux font souvent preuve d’inventivité et de créativité dans les modalités
d’évaluation, dans le choix de critères, et d’indicateurs pertinents permettant une évaluation, il apparaît que
chaque porteur de projet est conduit à se « débrouiller » seul. La codéfinition entre les différents porteurs de
projet – associant les bénéficiaires et les financeurs des actions, notamment la CAF – d’indicateurs communs
apparaît nécessaire, ces indicateurs prenant en compte tant des aspects quantitatifs que qualitatifs.
Il ressort aussi de l’étude que si la production d’autoévaluation par les différents porteurs de projets est
nécessaire, elle devrait être accompagnée d’une évaluation in situ des actions de soutien à la parentalité par
un regard extérieur, qui permettrait d’approcher et de rendre compte de dimensions bien plus complexes de
certaines situations, de réintégrer une action dans un projet associatif plus global.
13. Comment valoriser l’inscription des actions de type CLAS vers le soutien de la
fonction éducative et parentale ?
Si les actions CLAS sont directement en lien avec l’école, il apparaît qu’elles sont souvent trop focalisées sur
l’aide à la réalisation des devoirs après le temps d’école, et ciblent les enfants qui présentent des difficultés
scolaires. Ces enfants sont souvent ceux qui bénéficient d’un soutien (substitué au RASED1) au sein de
l’école se traduisant par une prise en charge d’une demi-heure journalière – sur le temps du midi. Ces enfants
qui présentent des difficultés avec la forme scolaire, le rapport au savoir, voient donc leur journée scolaire
accrue d’une demi-heure, pour atteindre ainsi 6 h 30 par jour auxquelles s’ajoute le temps de l’aide aux
devoirs, en fin d’après-midi, représentant en moyenne entre 1 h 30 et 2 heures par jour. Il est intéressant de
constater que ces enfants en difficulté avec l’école voient en guise de soutien et d’aide l'accroissement de
leur journée de travail.
Il apparaît également dans notre étude que les actions CLAS financées par la CAF le sont parce qu’elles
participent théoriquement directement au soutien à la parentalité, dimension majoritairement absente dans les
discours et les pratiques des porteurs de projet rencontrés.
Concernant les actions CLAS, nos préconisations portent ainsi sur la nécessité de :
- « Apaiser le contexte des apprentissages scolaires2 », et les situer dans un projet d’accompagnement
éducatif
- Inscrire le soutien à la scolarité dans une prise en charge coéducative globale
- « Valoriser la dimension collective de la vie et des apprentissages scolaires3 ».
1. Réseau d’aide spécialisée aux élèves en difficulté
2. Frédéric JÉSU, Du soutien à la parentalité à la considération des réalités familiales et de la condition parentale, Rencontre
départementale de la parentalité, Colmar, REAPP du Haut-Rhin, 2 mai 2011
3. Ibid.
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