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Je ne suis ni biologiste, ni un spécialiste de l’écologie comportementale, ce qu’on appelait
autrefois l’éthologie, c’est-à-dire l’étude des comportements animaux, mais en tant que
philosophe et historien des sciences je m’intéresse si ce n’est à la vie des animaux et des
plantes, tout du moins à celle des mots, à leur sens, aux concepts qu’ils recouvrent, à la
manière dont ils entrent dans des problématiques scientifiques et aux diverses distorsions
que ceux-ci peuvent subir. La diversité biologique est une notion qui est apparue au milieu
du
XXe
siècle dans la communauté des biologistes et des écologues avec des noms comme
ceux de Thomas LOVEJOY, Walter ROSEN ou Edward O. WILSON. Il s’agissait de désigner alors
la richesse d’un écosystème (en termes de nombre d’êtres vivants, individus ou espèces
l’habitant) et de trouver un moyen de la quantifier. Il s’agissait aussi de déterminer l’évo-
lution de cette richesse dans le temps en fonction des modifications de l’environnement.
Si le mot était nouveau aussi bien sous sa forme primitive (diversité biologique) que sous
sa forme contractée (biodiversité) les problèmes auxquels s’intéressaient ces chercheurs
n’étaient pas tous nouveaux. Dans un sens, les naturalistes du XVIIIe et XIXe siècles, les
JUSSIEU, CUVIER, GEOFFROY SAINT-HILAIRE, LAMARCK et évidemment DARWIN se préoccupaient
de la biodiversité. Beaucoup de ces savants s’étaient aperçu que l’environnement jouait
un rôle important dans la multiplication ou la régression des populations d’êtres vivants
mais aussi dans leur transformation. Cependant ce qui est nouveau avec les chercheurs
du XXe siècle, c’est la découverte que l’activité humaine jouait un rôle important dans
la modification de l’environnement – ce qu’on appellera les écosystèmes – et par suite
dans l’évolution de ces populations animales ou végétales. L’intervention humaine ne fut
d’abord prise en compte que dans le cadre des animaux domestiques et de la sélection
artificielle à laquelle ils étaient soumis, donc perçue comme un bien, quelque chose de
susceptible non seulement d’éclairer les mécanismes de la transformation des espèces
mais aussi de contribuer à l’accroissement de nos ressources alimentaires.
Quantifier la richesse du vivant pose d’ailleurs des problèmes épistémologiques et
scientifiques importants que l’on peut regrouper sous deux questions. Tout d’abord s’il
s’agit de compter faut-il savoir encore ce que l’on compte : les individus d’une même
espèce, les espèces (et l’on sait que cette notion d’espèce est problématique au moins
depuis DARWIN) ou encore, plus abstraitement, des génomes ? Faut-il parler de biodiver-
sité intra-spécifique ou interspécifique ? D’autre part sur quel espace doivent se faire ces
recensements ? Faut-il se placer à l’échelle d’une région, d’un pays, d’un continent voire
de la planète dans son ensemble ou d’un écosystème, mieux et plus étroitement délimité
(par exemple biodiversité des milieux humides en région tempérée, biodiversité des récifs
coralliens…) ? Il faudra donc encore savoir comment l’on définit, dans ce dernier cas,
un écosystème ?
Enfin ces comptages et recensements doivent prendre en compte le caractère dyna-
mique et l’évolution des populations. Comment définir, par exemple, l’équilibre d’un éco-
système pour autant qu’un tel équilibre puisse exister ? Dans quelle mesure la génétique
des populations et la dynamique des populations, disciplines qui ont précédé la notion
de diversité biologique, doivent-elles intervenir ? Quelles avancées ont été faites depuis
les équations de Volterra et le modèle proies-prédateurs ? Enfin comment doit-on intégrer
l’évolution et la sélection naturelle dans la mesure où l’on sait que les espèces se modi-
fient, disparaissent et que de nouvelles espèces font leur apparition depuis les débuts de
la vie et en dehors de l’intervention humaine ? Ces questions ont une dimension à la fois
épistémologique et méthodologique. Car, alors que l’on a répondu à ces questions (et les
réponses peuvent être différentes dans l’état actuel de la recherche) il reste à définir par
quelle méthode scientifiquement validée on peut conduire des recherches en la matière.
Un sujet fait, par exemple, aujourd’hui polémique, c’est celui de la tentative par le Muséum
d’Histoire Naturelle d’associer des amateurs à l’évaluation de la biodiversité (cf. sur cette
question la revue La Recherche, n° 452, mai 2011, « Le grand public peut-il recenser
la biodiversité ? »), certains craignant que l’on sacrifie la méthodologie scientifique à
l’engouement du public et que l’on affaiblisse les résultats obtenus par des moyens trop
peu rigoureux et mal contrôlés.
On le voit, derrière la notion de biodiversité il existe de multiples problématiques et
programmes de recherche scientifique. Il est dès lors extrêmement réducteur, comme
cela se passe souvent dans les médias, de limiter la question de la biodiversité à celle
d’espèces menacées de disparition.
Nous l’avons dit, une idée nouvelle qui apparaît avec cette notion de diversité biologique
est celle de l’influence de l’activité humaine sur l’évolution du nombre d’individus ou d’un
Quelques remarques sur la notion de biodiversité