Conducteur professionnel et aptitude au volant : que faut

ARTICLE DE SYNTHÈSE / REVIEW ARTICLE
Conducteur professionnel et aptitude au volant : que faut-il savoir ?
Professional drivers and aptitude to drive: what should we know?
B. Favrat
Reçu le 21 octobre 2013 ; accepté le 23 octobre 2013
© Springer-Verlag France 2013
Résumé Les médecins généralistes sont souvent amenés
dans leur consultation à donner des conseils à leurs patients
au sujet de la conduite automobile. Par ailleurs, il est impor-
tant de savoir que la plupart des pays ont des critères médi-
caux minimaux à atteindre pour quune personne soit auto-
risée à conduire un véhicule. Cet article fait une revue
simplifiée des principales directives à ce sujet en Suisse et
intègre les recommandations principales à faire par rapport
aux médicaments psychotropes et à la conduite.
Mots clés Trafic · Aptitude à conduire · Médecine générale ·
Médicaments
Abstract General practitioners have often the role to advise
their patients about driving. Moreover, it is important to
know that most countries have defined minimum medical
criteria to be allowed to drive. This article is a simplified
review of the main guidelines in Switzerland and includes
general recommendations about psychotropic medication
and driving.
Keywords Traffic · Fitness to drive · Driving · General
practice · Medication
Introduction
Linaptitude à conduire est définie comme un déficit durable
pendant lequel un conducteur ne peut plus conduire son
véhicule de manière sûre, sans mettre en danger les usagers
de la circulation routière. Cela concerne en particulier les
personnes qui présentent une problématique importante
comme lalcool, les drogues ou les médicaments psychotro-
pes, ainsi que celles présentant une grave affection médicale
ou psychiatrique. Lexamen daptitude doit répondre à la
question suivante : « Le conducteur expertisé est-il apte, du
point de vue de son état de santé physique et mentale, à
conduire dans le trafic un véhicule correspondant à la caté-
gorie de permis dont il est titulaire sans sexposer ou exposer
autrui à un risque augmenté daccident ? »
Exigences minimales
Dans toutes les législations en Europe, il faut satisfaire
certaines exigences médicales minimales pour conduire
un véhicule à moteur (qui sont évidemment plus exigean-
tes pour les catégories professionnelles). En Suisse, mis à
part pour lacuité visuelle, ces exigences définies dans
lannexe 1 de lOAC (ordonnance réglant ladmission à
la circulation routière) sont relativement floues et obsolè-
tes car elles datent de 1976. Dès 2014 ou 2015, de nou-
velles directives vont être introduites, qui vont être discu-
tées plus loin dans cet article. Elles prennent dorénavant
mieux en compte des pathologies importantes comme, par
exemple, les troubles cognitifs ou lapnée du sommeil,
bien quelles continuent à laisser une marge dappréciation
non négligeable aux médecins.
Ces exigences minimales doivent être vérifiées par un
médecin tous les deux ans à partir de 70 ans. Cet examen
suivant les cantons est effectué soit par le médecin traitant
de lintéressé, soit par un médecin-conseil indépendant
désigné dans chaque région. En cas de conflit avec ce pre-
mier avis, le conducteur a la possibilité, par lintermédiaire
du service des automobiles, dêtre alors adressé pour une
expertise à un institut de médecine légale pour une évalua-
tion spécialisée. Cette dernière institution ou un médecin
expert peuvent également être mandatés directement par
lautorité qui délivre les permis de conduire (service des
automobiles) lorsque des infractions très graves ont été
B. Favrat (*)
Responsable de lunité de médecine
et psychologie du trafic de Genève et Lausanne.
Département de médecine communautaire,
de premier recours et des urgences, HUG, CMU,
rue Michel-Servet, 1, CH-1211 Genève 4, Suisse
e-mail : Bernard.Favrat@chuv.ch
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DOI 10.1007/s11724-013-0360-x
commises dans la circulation routière laissant planer un
doute sur laptitude à conduire. Pour les catégories profes-
sionnelles, selon la loi fédérale suisse, lexamen médical
doit être effectué par un médecin-conseil désigné par lauto-
rité et a lieu tous les cinq ans avant 50 ans et tous les trois ans
de 50 à 70 ans.
À partir de 2015, le programme « Via sicura » accepté par
les chambres fédérales suisses en 2012 prévoit que les méde-
cins qui feront cette évaluation doivent justifier dun jour de
formation sur laptitude à conduire pour les conducteurs de
véhicules privés et de deux jours de formation pour les
conducteurs professionnels.
Rôle du médecin traitant
Un médecin généraliste ayant effectué ces formations peut
donc remplir un certificat daptitude sur un formulaire offi-
ciel pour un de ses patients qui le lui demanderait. Cette
situation présente des avantages et des inconvénients. Le
médecin a lavantage de mieux connaître létat de santé de
son patient et, à travers la confiance quil a pu développer
avec ce dernier, il peut parfois le convaincre mieux que
personne de renoncer à conduire un véhicule. Le médecin
peut également être conscient que lintérêt du patient est
justement déviter un accident grave pour lui-même et pour
autrui.
Par contre, le médecin traitant qui devient tout à coup
« expert » pour son patient peut se trouver dans un important
conflit de loyauté lempêchant de prendre une décision qui
serait mal vécue par son patient. Cest pour cette raison que
certains cantons en Suisse exigent que cette évaluation ne
soit faite que par des médecins-conseils.
En dehors dune situation où le médecin a accepté dêtre
expert, il a la possibilité légale (art. 15d al. 1 let d de la
LCR Loi fédérale sur la circulation routière) dannoncer
ànimporte quel moment un cas flagrant dinaptitude à la
conduite automobile, ou même de faire part dun doute
quant à laptitude en toute sécurité, chez un patient quil suit
régulièrement. Pour éviter quune personne ne veuille plus
se soigner, il sagit dune possibilité légale mais en aucun
cas dune obligation. Par contre, selon la jurisprudence
actuelle, le médecin doit toujours pouvoir apporter la preuve
du caractère suffisant de linformation quil a fournie à son
patient. Le médecin a donc lobligation dinformer le patient
qui ne pourrait pas conduire en raison dun problème médi-
cal ou médicamenteux, et de le documenter dans son dossier
médical.
Depuis le 1
er
janvier 2013 (LCR art 15d), le service des
automobiles peut également recevoir des informations de
lassurance invalidité (AI), et en cas de doutes sur laptitude
à conduire, effectuer une enquête, en loccurrence souvent
une expertise de médecine du trafic qui est demandée à un
expert agréé par le service des automobiles.
Quelques problèmes courants pouvant poser
des problèmes daptitude en particulier
chez les conducteurs professionnels [3]
Diabète [4]
La Société suisse dendocrinologie et de diabétologie a émis
en 2011 des directives sur laptitude à conduire en cas de
diabète. En présence de médicaments qui peuvent provoquer
une hypoglycémie (insuline, sulfonylurée, glinides), « la gly-
cémie doit être vérifiée avant le départ et lors de déplace-
ments à des intervalles réguliers ». Les recommandations,
disponibles sur le site Internet www.diabetesgesellschaft.
ch/fr/informations/brochures/conseils_de_voyage/diabete_
conduite/, doivent être respectées.
Les contrôles doivent être plus intenses pour les chauf-
feurs de poids lourd et de taxi (six à huit fois par jour selon
ces directives !). Par contre, les conducteurs de car et de
minibus (catégories D et D1 respectivement) ne sont pas
autorisés à conduire sils prennent des médicaments hypo-
glycémiants. Ces directives ont été reprises dans les nou-
velles exigences minimales pour la conduite automobile
dès le 1
er
janvier 2014 (annexe 1 de lOAC). Dans ces
situations, il est donc important de considérer les médica-
ments sans risque dhypoglycémie (metformine, glitazo-
nes, inhibiteurs de la DiPeptidyl-Peptidase 4 (DPP4) et
analogue du du Glucagon-Like Peptide 1 [GLP1]). Une
réadaptation Assurance-Invalidité (AI) est donc nécessaire
si ces adaptations ne sont pas possibles pour un chauffeur
de car.
Apnée du sommeil et hypersomnolence [5]
Les nouvelles exigences précisent pour tous les conducteurs :
« Pas de maladies entraînant une somnolence diurne accrue
ni dautres troubles ou réductions ayant des effets sur lapti-
tude à conduire avec sûreté un véhicule automobile ».
La Société suisse de recherche sur le sommeil, de méde-
cine du sommeil et de chronobiologie a édicté des recomman-
dations sur ce sujet en 2007. Elle indique que « léchelle
dEpworth est utile (pour mesurer le degré de somnolence)
mais quun faible score ne permet pas dexclure une somno-
lence significative ». Lexamen complémentaire le plus utile
estletestdemaintiendeléveil pratiqué dans un laboratoire
du sommeil (maintenance of wakefulness test). Les conduc-
teurs ayant déjà provoqué un accident après sêtre endormis
au volant devraient consulter un centre du sommeil pour y
effectuer ce test de vigilance. Ces recommandations préci-
sent par ailleurs que les chauffeurs professionnels devraient
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être astreints à des tests de vigilance en cas dapnée du som-
meil ; particulièrement au début de la maladie pour rifier
lefficacité du traitement.
Troubles psychiques
Les nouvelles exigences précisent : « Pas de troubles psy-
chiques avec effets importants sur la perception de la réalité,
lacquisition et le traitement de linformation, la réactivité ou
ladaptation du comportement à la situation. Pas de réduc-
tion des capacités de réserve. Pas de symptômes maniaques
ou dépressifs importants. » « Pas de troubles affectifs ou
schizophréniques récidivants ou cycliques considérables. »
Par exemple, ces formulations indiquent quun trouble
bipolaire mal stabilisé chez un conducteur professionnel
devrait faire lobjet dune réadaptation de lAI.
Médicaments et substances
Les nouvelles directives indiquent : « Pas de dépendance.
Pas dabus ayant des effets sur la conduite ». Pour les
conducteurs professionnels, ces directives ajoutent « Pas de
traitement substitutif. »
Ces directives suggèrent que la conduite professionnelle
sous méthadone ne serait pas possible. Toutefois, il faut rele-
ver que ce sont les autres substances qui, prises avec la
méthadone, posent des problèmes. Laptitude devrait donc
être évaluée au cas par cas et en labsence de consommation
dautres substances, une dérogation paraît possible.
Pour les autres médicaments, le texte de loi nen fait
pas mention ! Toutefois, le médecin prescripteur a le devoir
dinformer son patient sur la possibilité deffets secondaires
susceptibles dinterférer avec laptitude à la conduite. Les
informations délivrées doivent figurer rigoureusement dans
le dossier médical. Une liste de médicaments de lICADTS
(International Council on Alcohol, Drugs and Traffic Safety :
Categorization System for Medicinal Drugs Affecting Dri-
ving Performance) est disponible (www.icadts.nl/reports/
medicinaldrugs2.pdf). Ce groupe de travail européen distin-
gue trois catégories de danger des médicaments en lien
avec la conduite :
classe 1 : supposé sûr ou effet indésirable improbable ;
classe 2 : probable effet indésirable mineur ou modéré ;
classe 3 : probable effet indésirable sévère ou supposé être
potentiellement dangereux.
En France, lAgence nationale de sécurité du médica-
ment (ANSM) propose une classification semblable (http://
ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/application/
faff1e402339cd443a9894792f20d31d.pdf). De manière prag-
matique, on peut considérer que les inhibiteurs sélectifs de la
recapture de la sérotonine (ISRS), par exemple, sont en classe
1 (peu ou pas de risque), alors que les antidépresseurs séda-
tifs, les opiacés et les neuroleptiques sont en classe 2 : le
traitement est compatible avec la conduite automobile après
un temps dadaptation (absence deffets secondaires influen-
çant la conduite). Par contre, la classe 3 comprend les benzo-
diazépines qui sont clairement dangereuses pour la conduite
en cas de prise diurne, surtout les trois premières semaines ou
sil y a des substances sédatives de classe 2, des drogues ou
des abus dalcool.
Pour les conducteurs professionnels, il sagit donc de pri-
vilégier des médicaments de classe 1 et essayer déviter les
médicaments des autres classes.
La loi sur la circulation routière suisse (art. 14, al. 2c)
interdit par ailleurs toute conduite automobile en cas de
dépendance à lalcool ou à des substances. Le tribunal fédé-
ral suisse a élargi cette notion en précisant que la notion de
dépendance ne recoupait pas forcément la notion de dépen-
dance au sens médical du terme (par exemple selon les cri-
tères internationaux de classification des maladies) mais
même les personnes à risque dévoluer vers une dépen-
dance ou alors qui ne seraient plus en mesure de dissocier
alcool et/ou les substances de la conduite automobile (ATF
129 II 82). La personne doit alors se soumettre à des mesu-
res dabstinence de six mois à un an avant de pouvoir récu-
pérer son permis de conduire. Ces mesures se poursuivent
en général par la suite après la récupération du permis de
conduire, la durée de ces mesures dépendant de limportance
de la problématique dabus de substances.
Troubles cognitifs
Les nouvelles exigences indiquent ceci : « Pas de troubles
psychiques avec effets importants sur la perception de la
réalité, lacquisition et le traitement de linformation, la réac-
tivité ou ladaptation du comportement à la situation. Pas de
réduction des capacités de réserve ayant des effets sur la
conduite. »
Lévaluation succincte de certaines fonctions cognitives
devrait être effectuée par un Mini mental state examination
(MMSE), un test de la montre ainsi quun Trail Making Test
(test des tracés). Des perturbations importantes à la réalisa-
tion de ces tests (en particulier un MMSE < 25, un test de la
montre inférieur à 5/7 points) doivent faire naître de sérieux
doutes quant à laptitude à la conduite automobile, et un
examen spécialisé en gériatrie/neuropsychologie doit être
effectué. Un article détaillé à ce sujet a été publié récemment
dans la Revue médicale suisse proposant un algorithme déci-
sionnel [1].
Épilepsie [2]
Pour les crises sans perte de connaissance, il ny a habituel-
lement pas de contre-indication à la conduite. Lors dune
première crise épileptique, lattitude des neurologues suisses
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est dinterdire la conduite pendant deux à trois mois sil
sagit dune crise provoquée par des facteurs réversibles
(sevrage, manque de sommeil, infection, intoxication) et
six mois dans le cas contraire. En cas de dépendance à
lalcool ou à une substance, il faut que la personne soit
abstinente.
En cas dépilepsie avérée, la recommandation est de ne
pas conduire pendant un an après la dernière crise. Pour les
chauffeurs professionnels, linterdiction est de deux ans
après une première crise, quelle soit provoquée ou non,
par contre en cas dépilepsie avérée (au moins deux crises
non provoquées) le délai est de cinq ans, ce qui veut dire
quune reconversion professionnelle est nécessaire.
Conflit dintérêt : lauteur déclare ne pas avoir de conflit
dintérêt.
Références
1. Büla C, Eyer S, von Gunten A, et al (2011) Conduite automobile
et troubles cognitifs : comment anticiper ? Rev Med Suisse
7:21849
2. Commission de la circulation routière de la Ligue suisse contre
lépilepsie (LscE) (2006) Épilepsie et capacité à conduire un véhi-
cule. Directives actualisées de la Commission de la circulation rou-
tière de la LScE. BMS 87:6
3. Favrat B, Lambert SJ, Selz R, et al (2008) Aptitude au volant :
quelle conduite pour les médecins en 2008 ? Rev Med Suisse
4:15948
4. Lehmann R, Fischer-Taeschler D, Iselin HU, et al (2011) Directi-
ves concernant laptitude à conduire lors de diabète sucré. Forum
Med Suisse 11:2735
5. Mathis J, Seeger R, Kehrer P, Wirtz G (2007) Capacité à conduire
un véhicule et somnolence. Recommandations pour les médecins
lors de la prise en charge des patients souffrant de somnolence.
Forum Med Suisse 7:32832
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