« Se ressourcer est probablement utile pour « garder la forme », mais derrière cette fonctionnalité, il en est une autre qui relève de l’existentiel. Comment réussir sa vie, s’interroge tout un chacun ? » Pour l’auteur de ce texte, la réponse est à chercher du côté du sens… Fouille au-dedans de toi, c’est au-dedans qu’est la source du bien, et elle peut jaillir sans cesse si tu fouilles toujours. Pensées pour moi-même. Marc-Aurèle. Les Belles Lettres. E n écoutant certaines remarques lors de notre AG, sont montées en moi des questions, en particulier sur l’articulation entre l’expérience religieuse et le questionnement philosophique. Car, se ressourcer est probablement utile pour « garder la forme », bien dormir, rester de bonne humeur, faire face aux aléas de la vie, etc. … Mais, derrière cette fonctionnalité, il en est une autre qui relève de l’existentiel. Pour l’homme religieux comme pour le philosophe se pose la question de la mort et, avant cela, celle du sens de la vie. Qu’est-ce qu’une vie bonne, se questionnent les philosophes ? Qu’est-ce qu’une vie de croyant, se demandent les religieux ? Comment réussir sa vie, s’interroge tout un chacun ? sur deux grandes idées : le respect et la bienveillance ; le respect de l’autre ne suffit pas, la bienveillance non plus ; je peux penser être bienveillant mais oublier de respecter l’autre (je lui impose ce que je pense bon pour lui, par exemple) ; je peux le respecter mais ne pas être bienveillant (en étant indifférent à son malheur, par exemple). Respect de l’autre, aussi « étranger à soi-même » soit-il… d’un côté / bienveillance, générosité, gentillesse, bonté… de l’autre. Les règles de la morale sont là pour aider à la vie en commun, contenir les égoïsmes et faciliter le vivre ensemble ; elles sont nécessaires à une vie bonne… mais elles ne sont pas suffisantes pour donner un sens à sa vie et à son questionnement. Nous savons par exemple que les valeurs morales, indispensables à la vie en communauté, et les valeurs spirituelles, qui tentent de dire quelque chose du côté du sens, ne sont pas de même nature. Qu’est-ce donc que la morale ? La morale repose, pour faire court, Philosophes grecs Archipel N° 71 Car respecter l’autre et lui apporter du bien n’empêchent nullement de souffrir, d’avoir peur de la mort, de mourir, parfois difficilement et douloureusement, ou… de perdre un ami, d’être malheureux en amour, de se poser des questions insolubles sur le sens de la vie. C’est cela le spirituel. Nous connaissons tous les spiritualités avec des dieux : elles s’appellent souvent religions (même quand elles n’ont pas à LE DOSSIER proprement parler de Dieu, comme le Bouddhisme ou le Taoïsme, ou en ont beaucoup, comme l’Hindouisme) ; elles appartiennent à cet espace spirituel dans lequel le religieux répond à la question de fond. Globalement, à leur façon, elles affirment qu’il y a du sens à la vie, qu’il y a quelque chose après la mort et que l’on peut « sauver sa vie ». « La sagesse grecque se définit comme mise en harmonie de soi avec l’harmonie du monde : le sage a vaincu la peur de la mort… » Il existe des spiritualités sans Dieu, laïques, authentiques et profondes. On y retrouve les grandes questions du monde et des liens souvent étroits avec la philosophie, les arts, la mythologie, la psychanalyse. Il s’agit pour elles de donner sens et perspective à une vie bonne, bien au-delà d’une simple morale de vie. Mais sans que la présence d’un Dieu soit nécessaire. Comment croire et vivre sa foi ? s’interrogent les religieux. Comment avoir une vie bonne ? se demandent les philosophes laïcs. Dans cette perspective, essayons de faire un tour rapide et sans prétention de l’histoire de la philosophie en particulier dans son articulation avec le religieux. Peut -être pour tenter de comprendre pourquoi nous sentons le besoin de nous ressourcer ? Je vous propose de commencer par le berceau de la religion et de la philosophie occidentale : La Grèce. Apulée qui prendront le relai. Ils vont penser le monde et tous disent que les hommes sont des fragments d’éternité. Les grands mythes grecs, c’est d’abord l’Odyssée, premier grand texte philosophique et longue méditation sur la vie et la mort ; puis, dans la Théogonie d’Hésiode, c’est la naissance du monde et des dieux, d’abord le Chaos et les Titans puis les Olympiens. Il ne s’agit nullement de fables pour les enfants ! Ce qui est raconté là, c’est le passage douloureux du chaos initial (le grand foutoir sans aucun sens ni ordre) à l’harmonie cosmique (avec une perspective et la mise en place d’un sens). L’affirmation de cette philosophie, c’est que le monde n’est pas un chaos mais un ordre harmonieux et que la « vie bonne » consiste à s’accorder avec ce monde. Cela passe par la connaissance, la contemplation de la perfection du monde et la mise en accord de soi avec cette harmonie. Certes, pour les Grecs, la mort nous fait perdre la part personnelle de notre existence individuelle mais elle nous introduit dans le monde du divin. Les Grecs proposent une immortalité : mais celle-ci est anonyme, inconsciente, aveugle dans un sens, car l’individu se fond dans un cosmos transcendant. Le relai de la mythologie, c’est la philosophie. Celle-ci est en fait la forme laïque (ou laïcisée) de la mythologie ; plus largement : toute philosophie est probablement une forme laïcisée du religieux. Les deux approches ont les mêmes buts : s’interroger Nommons les mythographes (ceux et tenter de répondre aux grandes questions : qui ont écrit les mythes) : Homère (pas certain qu’il ait vraiment existé) dès le 8ème siècle av. JC quel est le sens de la vie, où va-t-on après la avec Ulysse, Hésiode avec sa Théogonie au 7ème mort ?… La sagesse grecque se définit comme siècle, puis les grands tragédiens avec Eschyle, mise en harmonie de soi avec l’harmonie du Sophocle et Euripide (pendant l’extrêmement monde : le sage a vaincu la peur de la mort… riche mais court siècle de la tragédie grecque du Je voudrais revenir sur l’articulation entre 6ème au 5ème siècle AC )… puis les grands l’interrogation philosophique sur ce qu’est une philosophes avec Socrate, Platon (428-348 AC), vie bonne et l’interrogation religieuse. JeanAristote et les Stoïciens… ; ce sera ensuite le tour Pierre Vernant a montré combien la naissance de des Latins, avec Virgile (l’Énéide, c’est un peu le la philosophie, juste après les grands récits même récit que l’Odyssée), Tite-Live, Ovide et mythologiques, n’est pas affaire de connaissance. 2 Archipel N° 71 LE DOSSIER Il y avait eu les grands mythes, l’Odyssée d’Ulysse et la théogonie d’Hésiode en particulier, puis la courte période de la tragédie grecque… et c’est là qu’a jaillit la philosophie. JP Vernant a expliqué que son émergence provient essentiellement de la laïcisation de l’ensemble des mythes, de la sécularisation (passage du religieux au laïc) de l’existence. Les philosophes ont repris le corpus complet de la mythologie et, à partir de là, ils ont construit leur pensée. Muthos (le mythe) se transforme en Logos (la parole, la pensée, la parole…), le mythe devient philosophie et celle-ci parle de causalité, de destin, du sens de l’Histoire, de finalité… ou de l’âme, de la vie après la mort… On passe du sacré au profane, certes. Mais l’on parle toujours d’harmonie, de « vie bonne ». Dans la pratique, les philosophes grecs ne parlent plus du dieu Ouranos mais… du Ciel, plus du dieu Pontos mais… de la symbolique de l’eau, plus de la déesse Aphrodite… mais de l’amour ; Cronos devient Chronos avec un H et les philosophes parlent… du temps qui passe... On était avec les dieux de l’Olympe, on se retrouve avec les Idées Platoniciennes, c’est la même chose, sous une forme laïque. La philosophie plus tardive va vivre la même chose : Kant (1724 -1804) et l’idéalisme allemand ne sont que la forme laïcisée de la Réforme Protestante. Il s’est là encore agi d’une sécularisation du christianisme réformé. Encore de nos jours, les Droits de l’Humain, l’humanisme démocratique comme une part de la philosophie contemporaine sont basés sur les fondements moraux du christianisme : égalité morale et civique, liberté et autonomie, place de l’amour de l’autre… ; sans référence à un divin mais dans des valeurs éthiques partagées, alors même qu’il n’y a pas (selon moi du moins) de morale évangélique. C’est au cœur de la grande tradition juive que naît le Christ ; peu avant, avec le livre des Macchabés (Bible), la question de la vie après la mort fait son apparition. Le christianisme va proposer une vision très différente de la perception des Grecs ; car il affirme la résurrection corps et âme, pour tous les individus, pour chaque personne singulière, avec la promesse de retrouver tous ceux que chacun a aimés. Mutation radicalement révolutionnaire dans la perception du monde ; et ce d’autant que le divin s’incarne ! Il ne s’agit là plus de participer à la transcendance des dieux après la mort, comme dans la pensée grecque, mais d’être « sauvé » de la mort, sans risquer la disparition de notre mémoire (notre passé) et avec la promesse d’être réunis avec tous ceux que nous avons aimés. La perspective de la vie ne s’inscrit plus d’abord avec… les autres hommes, elle se place… en Dieu. La « raison grecque » s’est effacée devant une autre « valeur » : la foi chrétienne. « Les grandes questions existentielles ont toujours habité la pensée des hommes. Les mythes, les grands récits fondateurs, les légendes ou les contes, chacun à sa manière a tenté de mettre en scène une réflexion sur la finalité du monde. » Bien sûr, la vie éternelle, proposée par le christianisme, surtout en compagnie de ses proches, est autrement plus « tentante » que l’idéal spirituel des grecs : car la vision chrétienne de la vie est personnelle, humaine et dépasse la mort, tout en donnant une place à la mémoire et au corps. Elle abandonne en quelque sorte la spécificité de la Raison, chère au Grecs, pour Puis, à la même époque ou peu après, de privilégier la valeur de la Foi. Et cela va durer grands « personnages » sont venus incarner un quasi 15 siècles, entraînant, par la suite, la message spécifique : Bouddha en Inde (6ème naissance du grand courant de l’humanisme laïc ! siècle AC), Confucius en Chine (551-479 AC), Bien sûr, après, cela va se compliquer un peu. puis, au début de notre ère, le Christ en De nombreux penseurs vont réagir contre cette Palestine… avec cette curieuse idée d’un Dieu perspective : surtout à partir du XVIIIème, avec qui se fait homme : là, le divin et l’humain se Diderot et Voltaire affirmant que le religieux joignent, l’absolu et le relatif se confrontent en relève d’une superstition, Feuerbach parlant une seule entité et celle-ci prend corps. d’aliénation, puis Marx d’opium – quoique 3 Archipel N° 71 LE DOSSIER souhaitable - du peuple, Nietzsche et son nihilisme et son désir de dépassement, Freud avec l’idée d’une névrose collective… D’autres perspectives vont à leur tour proposer des visions humanistes de la vie, mais sans dieu. On parle des grandes « religions de salut terrestre » : le marxisme fut l’une de celles-là et il n’est pas impossible qu’un certain écologisme athée contemporain ne veuille s’en réclamer à son tour. On s’appuie sur les « droits de l’humain, le progrès, une société idéale »… On retrouve là souvent un idéalisme qui, lui aussi, invite à une transcendance sans dieu. sa patrie, son travail, la révolution… Cependant, nombreux sont ceux qui sont prêts à le faire pour ceux qu’ils aiment : c’est cette valeur de l’amour, valeur intrinsèquement chrétienne, en rupture par rapport aux pensées antérieures, qui fonde un nouveau rapport au sens de la vie. L’amour est devenu la perspective ultime de l’existence, dans la « Philia » de l’amour fraternel, dans « l’Eros » de la relation amoureuse, comme dans « l’Agapè » de l’amour totalement désintéressé (3 mots en grec pour parler de l’amour/ Cf. Platon et Le Banquet, Évangile de Jean, chapitre 21). Pour les chrétiens, mais aussi pour les philosophies laïques se revendiquant de cet amour qui transcende l’existence. De cela, chacun peut en faire l’expérience au jour le jour, sans avoir besoin de recourir à des grandes questions philosophiques (le Bon, le Juste…) mais seulement à partir du ressenti d’une expérience humaine, réellement transcendance… Pour le religieux, l’objet d’amour est le prochain et, ultimement : Dieu ; pour le philosophe laïc, c’est l’autre seulement, sans Dieu. Avec l’amour dans les deux cas. Il est clair que le religieux fonde, structure, puis accompagne une grande partie des communautés humaines, si ce n’est la totalité. On retrouve là l’une des étymologies de religion : religare en latin = relier (les hommes entre eux, via le divin). Car c’est le religieux qui donne sens. La quasi-totalité des conflits ou des guerres (Yougoslavie, Irlande, conflit chiites/sunnites…) sont de nature communautaristes et en lien avec le religieux. Certains ont même pu penser que le religieux était le grand pourvoyeur des guerres. La religion relie les humains, assurant la formation de communautés soudées ; mais elle est aussi au cœur des conflits. Certains ont aussi pu dire que le religieux est toujours là pour tenter de contenir la violence. C’est La question d’autant plus paradoxal que la valeur du sens de la de fond du christianisme, puis de vie est essentielle à l’humanisme qui en a découlé, c’est l’existence. » celle de l’amour. « L’amour est devenu à notre époque le grand principe métaphysique, le sens ultime que chacun peut donner à son existence. L’amour est un absolu, un sacré qui fonde, qui crée et fait vivre toute relation, qui invite au sacrifice (sacrum-facere = faire du sacré) et précise le sacrilège (sacrum legere = voler, violer le sacré = non-respect du sacré, de l’autre, nonbienveillance, non-respect des morts…). Certes, nos « objets d’amour » ont changé : plus personne n’a très envie de risquer sa vie pour Dieu (on voit ce que cela donne chez certains fondamentalistes), 4 La question du sens de la vie est essentielle à l’existence. Déjà Homère, le poète aveugle (Homère = aveugle) en parle. Calypso est tombée follement amoureuse d’Ulysse, elle l’invite à rester auprès d’elle et le cache (caluptein = cacher) ; elle lui promet une jeunesse éternelle et l’immortalité et cherche à lui faire oublier Ithaque… Mais Ulysse va tous les soirs pleurer sur un rocher : il n’a pas sa juste place dans l’Univers. Une vie de mortel bien réussie, près de chez soi (dans le sens symbolique comme dans le sens physique) est préférable à une vie d’immortel ratée : c’est pourquoi Ulysse refuse la proposition de Calypso. Tout y est… Dans les religions, il y a souvent un Dieu qui sauve, comme dans les religions abrahamiques (judaïsme, christianisme, islam) et conduit au Paradis ; ou un espace où l’on est libéré de la vie Archipel N° 71 LE DOSSIER terrestre et où l’on rejoint le Nirvana (comme dans l’hindouisme ou le bouddhisme). Cela requiert une adhésion à ce Dieu (on appelle cela la foi). Dans les philosophies laïques, c’est la raison et l’ajustement de son comportement à une vie bonne qui donnent sens à l’existence. Chez les philosophes comme chez les religieux, on s’interroge sur l’existence humaine, sur ce qui la fonde, sur ce qui lui donne du sens, sur la mort et l’après-mort, sur la question du salut (la sotériologie) : où vais-je après ma mort ? Et comment serai-je « reçu » ? Irai-je au Paradis, au Nirvana ? génie du christianisme que d’avoir mis l’amour au centre de la vie et de l’avoir focalisé au cœur de l’individu, dans son intimité, sa liberté, son autonomie et surtout son évaluation intérieure. La parole chrétienne invite à dépasser la loi stricte (en particulier juive) : le jugement intérieur vaut plus que le décalogue en quelque sorte. « Il n’est rien d’extérieur à l’homme qui, pénétrant en lui, puisse le souiller, mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui souille l’homme » (Marc, 7, 15). Certes, de nos jours, le religieux est devenu quasi exclusivement réservé à la sphère privée. Nous avons vécu la fin de la toute-puissance du « théologico-religieux » : c’est heureux car ce n’est probablement pas au religieux de structurer l’espace public. Les attentats récents en France et en Belgique montrent cependant combien le religieux (ici dans sa forme perverse ou manipulée) reste au cœur du monde, un religieux encore tâche aveugle d’une certaine sociologie. Déjà, à l’époque des philosophes grecs, on attendait d’eux qu’ils aident à rester « droit » : la philosophie est une « orthopraxie », pas seulement un jeu de la pensée. Marc-Aurèle, le grand stoïcien, se parle à lui-même ; il tente de se libérer de ses émotions négatives (peur, colère, mélancolie, solitude, chagrin, désirs incontrôlables) ; il réfléchit sur les deuils qu’il Avec le christianisme naît aussi l’individu traverse. Il s’agit pour lui de tenir le cap de ses puisque c’est sur lui que repose la question de la choix, d’admirer la beauté du monde en étant valeur suprême, la loi de l’amour. Le discours du dévoué aux autres. Christ repose sur cette subjectivation de soi, bien Les grandes questions existentielles ont au-delà des lois, fussent-elles soi-disant divines. toujours habité la pensée des hommes, via les C’est à chacun de choisir, selon son évaluation mythes, les grands récits fondateurs, les légendes intérieure. ou les contes ; chacun à sa manière a tenté de mettre en scène une réflexion les philosophes grecs ne sur la finalité du monde. Ces créations parlent plus du dieu « littéraires » sont fondamentalement Ouranos mais… du Ciel, […] de nature religieuse. L’essence qui On était avec les dieux de soutient leur création tente de relier l’Olympe, on se retrouve (religare) les parties séparées du avec les Idées Platoniciennes, monde pour en faire une lecture c’est la même chose, sous une globale et mettre cela en perspective, forme laïque. » en sens. « Dans tous les cas, les croyants religieux sont invités à faire l’expérience du divin ; cela se joue dans le vécu d’une relation avec une altérité radicale : Dieu ne se prouve pas, il s’éprouve. Le croyant accepte avec humilité d’être sauvé par un Autre ; il accepte de lâcher sa raison pour se placer dans l’optique d’une révélation et d’une foi en cet Autre. La vie « juste » passe dans la relation au divin mais s’enracine avant tout dans la relation à l’autre : « Aimez-vous les uns les autres ». C’est tout le 5 Reste donc la question de… l’existence de/ d’un Dieu. Je me souviens d’un échange voici plus de 20 ans avec un théologien très connu ; je venais lui demander d’écrire un article pour la revue de la Fédération Jalmalv ; notre échange (c’est surtout lui qui « savait », j’étais un « gamin » à l’époque) s’est conclu par sa remarque : « La question est bien : existe-t-il un Tout Autre ? » C’est peut-être cela la grande énigme. Voir l’énigme de la foi. Pas de la foi en l’ Archipel N° 71 LE DOSSIER Face à ces grandes questions existentielles, l’art nous est plus précieux que tout. Surtout depuis le retrait de plus en plus important des anciennes croyances religieuses (au sens fort du terme) ; car la sécularisation importante de notre société, son « désenchantement » (Max Weber) augmentent l’angoisse existentielle. Les tensions entre la logique de l’amour et celle de notre finitude ne sont pas simples à porter. D’autant que la mort est refoulée mais toujours omniprésente, surtout pour tous ceux qui accompagnent les mourants. D’où l’importance des lieux de resourcement. Faut-il bien se connaître pour écouter l’autre, pour être capable d’aimer ? Si la réponse était entièrement oui, on pourrait supposer qu’il y aurait bien peu d’amour dans le monde. Mais 6 Peinture Pascale Claudel homme ou dans le fait que la vie ait un sens, peut-être que la principale expérience que l’on fait mais de la foi à partir d’une expérience, intime et dans l’amour est de découvrir en même temps : impartageable : l’expérience du divin. l’autre / soi / et l’autre en soi. Écouter l’autre, L’art ne fait pas autre chose : il interroge le aimer l’autre, ce serait finalement peut-être monde, non à partir de l’intelligible ou de la foi, découvrir cet autre en soi en même temps que soi mais du sensible (sensations, sentiments, en l’autre. Nous apprenons chaque jour que nous émotions). La musique, la littérature, la poésie, la nous connaissons peu, tant sont nombreuses les peinture parlent de la même chose : du spirituel. circonstances où nous ne nous savions pas capable Pourquoi parler ici de l’art ? Parce qu’il est, de ceci ou de cela, qu’il s’agisse du bon, du beau, comme la religion et la philosophie, une manière du juste ou de tout son contraire. Il est donc peutde penser le monde et de tenter d’exprimer une être utile d’aller au plus intime de soi pour forme d’expérience de la transcendance. Voilà s’ouvrir à l’autre, à l’effraction de l’inconnu, de pourquoi il est universel et intemporel ! L’art l’altérité en somme. Comme condition de pariétal de la grotte Chauvet (36 000 ans) ou de l’écoute, comme condition de l’amour ? D’où la Lascaux (16 000 ans) sont admirables et nous valeur des lieux et temps de ressourcement. Cela émeuvent de façon profonde. Ils questionnent nous ouvre à une plus grande liberté ; pour l’harmonie du monde par quelques coups de écouter en soi ce qui fait sens, ce qui émerge de fusain ; ailleurs, par la musique ou des nos profondeurs. C’est probablement cela qui constructions durables. Du trait de bois brûlé des nous donne ce sentiment d’accomplissement ou, du moins, de justesse par rapport à soi. Cela ouvre Magdaléniens jusqu’aux notes du « blues »… aux désirs essentiels. L’art, la philosophie et la religion nous N’est-ce pas dans la rencontre d’un autre, dans élèvent vers le spirituel, via des signes, des codes spécifiques qui tentent de dire la conscience d’un l’écoute de son histoire que nous rejoignons la sujet, à partir de son intériorité. La psychanalyse, nôtre ? L’histoire, c’est au fond ce qui vient nous médecine de la psyché (de l’âme donc), ne tirer des larmes et nous rendre proche(ain) de prétend probablement pas à autre chose, même si celui que nous écoutons. Nous savons que c’est au elle ne s’occupe normalement pas des questions -dedans de nous que se trouvent les trésors les existentielles. Chacun de ces espaces peut être plus précieux et les plus singuliers. Nous voici une quête de sagesse, une recherche de la vie retournés… à la source… bonne (selon les philosophes), de la vie en Dieu (selon les religieux). « Nous savons que c’est au-dedans de nous que se trouvent les trésors les plus précieux et les plus singuliers. Nous voici retournés… à la source… » Archipel N° 71