2001-06
Informatisation de la GRH
Patrick Gilbert
Professeur associé à l’IAE de Paris – Université Paris I
Panthéon
-
Sorbonne
Résumé
: Circonscrire le thème de l’informatisation de la GRH suppose, dans un premier
temps, de s’éloigner de la technique pure pour prendre en compte les nécessités de gestion et
les particularités de la GRH. Pour ce faire, cet article invite à se déplacer de l’informatique à
l’informatisation, du système informatique au système d’information et de la maîtrise d’une
technique à la conduite d’un processus de changement. Il identifie les particularités du système
d’information pour la GRH qui tiennent à la fois à la nature des informations traitées et à la
structure du système de décision. Puis, il dresse un panorama des principales applications, des
applications généralistes, en fort renouvellement, aux outils décisionnels et aux intranets. En
conclusion, il propose les principes d’une démarche d’informatisation, fondée sur la coopéra-
tion entre utilisateurs et informaticiens dans la complémentarité de leurs rôles.
Mots clés
: informatisation, système d’information, applications informatiques.
Abstract
: In addressing the topic of HRM information systems, the point of departure must
not be the technical choices, but the management needs and in particular, the specific charac-
teristics of HR management. With this in mind, this article positions the discussion along the
lines of computerization as opposed to data processing, information systems as opposed to
computer systems, and controlling a process of change as opposed to controlling a technical
solution. It identifies the specific characteristics of HRM information systems which result from
both the nature of the processed data and the structure of the decision making process. It then
presents a selection of the key applications available, from general software packages which are
constantly being updated, to decision making tools and Intranets. To conclude, it proposes prin-
ciples for the implementation of HRM information systems based on co-operation between users
and IT specialists in complementary roles.
Keywords
: computerization, information systems, IT applications
L’informatique et les ressources humaines peuvent apparaître comme des domaines étran-
gers l’un à l’autre. D’un côté, l’univers froid du traitement automatique des données servi par
la rationalité des mathématiques appliquées; de l’autre, l’univers des personnes, êtres de désirs
aux aspirations plus ou moins conscientes, changeantes et parfois contradictoires. Le rapproche-
ment de ces deux univers fascine quelques-uns et suscite chez d’autres une véritable répulsion.
Entre ces deux extrêmes, il y a, heureusement, place pour une attitude raisonnable bâtie sur la
connaissance des apports de l’informatique et sur celle de ses limites.
En tant qu’elle est gestion, la GRH ne peut ignorer les apports d’un traitement automatisé des
informations
1
.
Si tous s’accordent à dire que l’informatique n’est qu’un moyen, il est clair que
ce moyen a pris une place de premier plan dans les organisations. La masse croissante des trai-
tements à effectuer donne à la technique un poids considérable dans les activités gestionnaires.
Afin d’éviter le désordre, l’allongement des délais, l’enlisement dans les tâches paperassières
et, finalement, l’insatisfaction de ses interlocuteurs, il est de première importance pour les
services Ressources Humaines d’organiser le recueil, l’exploitation et la diffusion de l’informa-
tion recueillie.
Dans l’un des rares ouvrages de la littérature francophone, spécialement consacrés à l’infor-
matisation de la GRH, Jean-Marie Peretti (1993, [5]) évoque la manière dont l’informatique a
1.
Cet article doit beaucoup aux travaux réalisés au sein d’Entreprise et Personnel, en particulier ceux conduits par un auteur
en collaboration avec Claudine Guillot.
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changé le travail quotidien au sein des directions du personnel, contribuant à l’évolution d’une
fonction «Personnel» vers une fonction «Ressources Humaines». Il estime que l’apport de
l’informatisation à cette fonction est un facteur de progrès, en relation avec cinq grands enjeux:
- gagner en productivité,
- améliorer le service,
- améliorer la qualité des décisions de GRH,
- aider au partage de la fonction entre DRH et ligne hiérarchique,
- offrir de meilleures possibilités d’anticipation.
Il est vrai que l’informatisation a beaucoup apporté aux professionnels de la GRH, en les
soulageant d’une partie de sa logistique (Piganiol, 1988, [7]), et qu’elle constitue encore pour elle
un moyen de développement. Mais il est non moins vrai que dans ce domaine une certaine modé-
ration s’impose. En tant qu’elle s’applique aux ressources humaines, l’informatique comporte
aussi des limites. L’offre informatique est souvent décalée, plus aguicheuse qu’utile et la demande
d’outils est dominée par certaines illusions quant aux possibilités réelles de ces outils (Gilbert,
1992, [2]). Pour dissiper ces illusions, il peut être utile de mieux comprendre ce que signifie
«informatiser la gestion».
1 Informatiser la Gestion
1-1 S’intéresser au système d’information plutôt qu’à l’informatique
Une certaine confusion entoure la distinction entre les notions de «système informatique» et
de «système d’information». Elles puisent toutes deux leur référence première dans la Théorie
générale des systèmes, œuvre du biologiste Ludwig Von Bertalanffy (1937). En gestion, on peut
définir un système comme «Un ensemble cohérent, plus ou moins complexe, composé de struc-
tures ou d’éléments, souvent divers, reliés à un plan commun ou concourant à un but commun»
(Lexique de Gestion, Dalloz, 1996).
L’expression «système informatique» recouvre une réalité assez facile à cerner: on désigne
généralement ainsi les ordinateurs (ordinateur central et micro-ordinateurs, reliés ou non en
réseau), et les logiciels qui les accompagnent. Par contre, le concept de système d’information,
qui a émergé aux Etats-Unis dans les années 1960, renvoie souvent à un contenu assez flou. Il
est fréquent de l’assimiler à une traduction moderne du système informatique. La raison en est
que le concept de système d’information est historiquement lié à l’application de l’informatique
à la gestion. Jean-Louis Peaucelle (1989, [4]) explique que le mot système a été accolé au mot
information en écho avec le concept antérieur de système informatique pour rappeler que celui-ci
s’inscrit dans le système social d’une organisation dans lequel existent des règles et une autorité
régulatrice.
Qu’est-ce donc qu’un système d’information? Robert Reix (1995, [9]) le définit comme «un
ensemble organisé de ressources: matériel, personnel, données, procédures permettant
d’acquérir, traiter, stocker, communiquer des informations (sous forme de données, textes,
images, sons, etc.) dans des organisations» (p. 67). Cette définition met en relief que le système
d’information ne se limite pas, comme on le croit trop souvent, aux moyens techniques. Le
système informatique est un support et un véhicule privilégié de l’information formalisée, mais
il n’est pas le seul. Même lorsque la gestion est très formalisée, comme dans les grandes bureau-
craties, beaucoup d’informations ne transitent pas par l’informatique. Enfin, et c’est là sans
doute le plus important, elle souligne qu’un système d’information est toujours construit par des
hommes. Il fonctionne grâce à eux et pour eux, et on ne peut donc en faire une affaire exclusive
de technologie. La cohérence dans l’utilisation des ressources technologiques et l’insertion de
celles-ci dans les structures de l’entreprise sont essentielles pour un bon fonctionnement.
À la suite des démarches de qualité, il est habituel aujourd’hui de considérer la GRH comme
un ensemble de processus en interrelations. Cette notion de processus, défini comme une série
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d’activités finalisées aboutissant à une prestation, offre une base de réflexion pour réfléchir sur
l’organisation du système d’information de la GRH (SIRH).
1-2 Informatiser: une action d’organisation répondant à un but de
gestion
En gestion, les mêmes outils peuvent produire des effets variables selon leurs modalités de
mise en œuvre. La qualité des démarches compte donc autant que les outils qui y participent.
Aussi, du point de vue du gestionnaire, ce n’est pas l’informatique, en tant que discipline tech-
nique et affaire de spécialistes, qui compte d’abord, mais l’informatisation, c’est-à-dire l’action
qui consiste à automatiser un ensemble d’opérations de gestion afin d’en obtenir des gains
d’efficacité.
Dans tout système d’information, il existe des parties formelles et des parties informelles. Le
système d’information formel est visible à travers les documents qu’il produit en application de
règles et de procédures explicites. Relié aux rôles, fonction et tâches prescrits par l’organisation,
il est peu dépendant des individus. Le système d’information informel, également vital pour
l’entreprise, laisse peu de traces visibles et s’appuie sur des règles floues et des référentiels
implicites. Il est très dépendant des individus et de l’état des relations qu’ils entretiennent. Seul
le système formel est informatisable, et encore ne l’est-il que partiellement.
Si la mise en œuvre de l’informatique dans un domaine de gestion soulève des difficultés,
c’est qu’elle repose sur l’extension de la partie formelle du système d’information. Cette exten-
sion suppose une réflexion sur l’organisation et, en particulier, une clarification et un partage des
informations et règles de fonctionnement. Or, on le sait bien, la clarification et le partage de
Tableau 1 : Un exemple de liste de processus de GRH
Production de la paie
- Recueil des éléments de paie
- Calcul et versement de la paye (traitement, ordre de versement…)
- Contrôle de la paye
- Production des états et déclarations post paye
- Information des régimes de prévoyance et retraites
(liaisons avec l’URSSAF et les organismes complémentaires)
Administration des dossiers du personnel
- Création du dossier individuel
- Administration du dossier (dont suivi de carrière)
- Clôture du dossier
Gestion des temps et des congés
Formation
- Définition du plan de formation
- Mise en œuvre du plan
- Evaluation des effets et bilan annuel
Recrutement interne (mobilité) et externe
- Recensement des besoins à court et à moyen terme
- Gestion des viviers de candidats
- Prospection et sélection des candidats
Stratégie, pilotage et relations sociales
- Production du bilan social
- Réalisation des tableaux de bord
- Relations avec les instances de représentation du personnel
- Négociation collective
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l’information ne vont jamais de soi (Balle et Peaucelle, 1972, [1], Pichault, 1990, [6]). Informa-
tiser, c’est donc aussi conduire une action de changement.
1-3 L’informatisation est une action de changement
Comme toute action de changement, l’informatisation peut être appréhendée selon diffé-
rentes dimensions. La dimension technique recouvre le (ou les) processus de GRH concernés,
les outils d’analyse des situations de travail et d’organisation, les matériels et logiciels
utilisés, etc. S’interroger sur l’évolution de cette dimension revient à poser la question «Que
faut-il changer?». La dimension humaine inclut les besoins, attentes, désirs, comportements et
attitudes des individus ou groupes qui, à divers titres, sont concernés par l’informatisation, le
climat organisationnel, la culture d’entreprise, etc. La dimension humaine est orientée vers la
prise en compte des différents acteurs et de leurs caractéristiques propres. Elle entraîne la ques-
tion «avec qui et pour qui changer?». L' environnement comprend les fournisseurs (construc-
teurs, sociétés de service en ingénierie informatique (SSII), sociétés de conseil, organismes de
formation), des services d’appui qui peuvent apporter une aide dans l’informatisation (par
exemple, l’Agence pour l’Amélioration des Conditions de Travail) ainsi que des entreprises
ayant expérimenté des démarches dont il est possible de s’inspirer.
Conduire un projet d’informatisation, c’est mettre en rapport ces dimensions dans une
démarche prenant en compte les opportunités offertes par l’environnement, les acteurs (la
dimension humaine) et les contenus (la dimension technique).
La dimension technique et les ressources de l’environnement retiennent souvent le plus gros
des efforts des responsables de projet d’informatisation, aux dépens du contexte humain et de
la démarche qui restent des dimensions mal maîtrisées. Comme si le raffinement apporté à la
réalisation des applications garantissait l’atteinte des objectifs. Il s’avère en fait, c’est une expé-
rience commune, que les mêmes outils conduisent à des résultats extrêmement variables selon
les démarches et les contextes d’utilisation. Cela tient aux particularités de l’informatisation en
GRH (voir § 2, page 4) et à la manière dont le changement est conduit (voir § 4, page 8).
2 Les Specificites De L’informatisation en GRH
2-1 Les caractéristiques des informations en GRH
2-1.1 La confidentialité et la spécificité des informations sur les personnes
Les informations sur les personnes ne peuvent être traitées comme les informations sur les
objets ou sur les produits: la confidentialité est la règle de base pour la plupart des données indi-
viduelles. En France, comme dans beaucoup de pays industrialisés, les droits de la personne face
aux fichiers et aux traitements informatiques sont protégés par une loi. La Commission Natio-
nale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) est chargée d’assurer le respect de la législation
française dans ce domaine. Cette législation limite à la fois la collecte des données et leur utili-
sation. Elle introduit aussi un principe de transparence.
Ajoutons qu’il existe une très grande variété d’individus. L’individualisation croissante de la
GRH exige d’examiner en détail un grand nombre de données. Si l’on admet qu’un curriculum
vitae standard est le minimum nécessaire pour distinguer un individu d’un autre, on voit bien
qu’il est difficile et coûteux d’en saisir toutes les données sur informatique.
2-1.2 Pas de neutralité des données de sortie
Des statistiques sur les stocks de pièces détachées, des analyses physico-chimiques, des états
comptables ne modifient pas directement le comportement de leurs objets d’étude. Il en va tout
autrement en matière sociale. Les informations traitées ne sont jamais neutres; leur diffusion
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provoque des effets en retour. On ne peut porter les données résultant d’un traitement à la
connaissance d’autrui sans influencer les comportements.
2-2 Le système de décision
2-2.1 Des informations et des traitements répartis sur une pluralité d’acteurs
La fonction Ressources Humaines a depuis longtemps été considérée par les professionnels
de cette fonction comme partagée. Ce partage s’est accentué dans les années 1990, avec la
décentralisation des décisions opérationnelles dans les grandes entreprises et la prise en charge,
par la ligne hiérarchique, d’une partie des actes de GRH. Il impose un effort de formulation dans
la mise à disposition des informations.
2-2.2 Des décisions plus culturelles que calculées
En GRH, le qualitatif flou est au moins aussi important que le quantitatif. Sans doute
certaines décisions s’appuient-elles sur des aspects mesurables ou des modèles rationnels: par
exemple, dans la gestion prévisionnelle des effectifs, la simulation des évolutions de la masse
salariale. Mais la variété des individus, des situations et des problèmes, les modalités empiriques
des apprentissages, la complexité du contexte (cultures d’entreprises, jeux d’acteurs) se prêtent
mal à des actes automatiques. Dans le recueil, beaucoup d’informations sont le fruit de jugement
de valeur (climat social, potentiel) et ne peuvent être traduites sans risques en terme de calcul
ou de logique formelle. Dans l’application, l’esprit l’emporte souvent sur la lettre.
3 Quelques applications caracteristiques
1
Parmi les tendances nouvelles observées ces dernières années, on relève la volonté des entre-
prises d’atteindre une plus grande maîtrise des processus de Gestion des Ressources Humaines,
grâce à une intégration plus poussée des différentes fonctions et à l’apport des nouvelles tech-
nologies.
3-1 Les applications généralistes et leurs évolutions récentes
L’essentiel du marché de l’informatique de GRH repose toujours sur les produits qui
répondent d’abord de manière basique aux besoins vitaux de gestion, à savoir l’administration
du personnel et la paye. Les entreprises, y compris celles du secteur public, recourent de plus
en plus à des programmes informatiques standardisés, les progiciels. Leur coût d’acquisition,
moindre que celui des développements informatiques sur mesure, explique, entre autres, leur
pénétration de plus en plus forte dans les entreprises.
Il y a quelques années encore, les progiciels de paye étaient légion en France du fait de
l’atomisation historique de l’implantation des éditeurs dans les différentes régions. La base
installée se trouvait de ce fait très atomisée également. Or, on trouve à présent des progiciels
distribués au niveau national, voire international.
Les progiciels les plus en vue couvrent l’ensemble des processus de GRH voire, pour certains
– ceux qu’on appelle «progiciels de gestion intégrés» – s’adressent à la plupart des grandes
fonctions de l’entreprise. Il sont proposés pour gérer un ensemble de fonctions, en connectant
celles-ci en temps réel, dans une continuité de processus, sur la base d’un référentiel unique. Les
données sont reliées entre elles et toute modification déclenche automatiquement une réaction
en chaîne. Qu’un commercial entre une commande sur son portable et le PGI s’occupe du reste:
il calcule le prix avec rabais éventuel, localise les stocks disponibles, planifie les productions
complémentaires. Il calcule la commission à verser au vendeur, alerte la direction des ressources
humaines quand un renfort de main d’œuvre est nécessaire et, dans le même temps, répercute
les conséquences dans les comptes de l’entreprise.
1. Note à reprendre en page suivante.
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