L’expérience du rêve, par son articulation entre visible et invisible, par l’impossibilité de cette
conscience d’être là, est justement proche de ce qui se produit dans la rencontre sexuelle.
Lacan dira plus tard que les garçons n’auraient aucun rapport avec les filles s’ils n’avaient pas les
rêves pour les guider. C’est une ironie de Lacan à l’égard de la position masculine dénonçant le
monde des semblants. Il faut oser énoncer une telle proposition à l’époque de la dite “ libération
sexuelle ”, et les répéter à l’époque de l’hyper-modernité où les petits garçons regardent des
films pornographiques à l’âge de douze ans. Ils ont tous les renseignements. Et néanmoins Lacan
a l’idée que quelle que soit la démocratisation de la pornographie et le fait de mettre des corps
féminins dans toutes les tenues et positions à la disposition générale des populations, cela ne
correspond pas à l’expérience de la sexualité, s’il n’y avait pas le rêve, le rêve de la conscience
de se voir, de se voir ayant un rapport sexuel, la jeune parque pornographique. Le rêve, en
abolissant la distance entre la perception et le rêveur, introduit un monde où pourrait s’approcher
ce que serait l’enchevêtrement des corps. Dans le rêve prend forme ce qui est un mode
d’articulation entre “ la jouissance est invisible ” et le monde de la représentation – image et
signifiant.
Le terme de semblant que Lacan va proposer est fait pour nous dire que, là où toute philosophie
de la représentation vient à trouver une impasse, le “ semblant ” est ce qui vient nommer la
forme possible de la jouissance. Il désigne un passage de l’invisible à ce qui est enforme, pour
que ça ne soit justement pas “ la ” forme du corps.
Lacan se sert du schéma de la pulsion pour illustrer la distinction chez Freud entre le bord, la
zone érogène de la pulsion, et la direction du mouvement pulsionnel, pour faire valoir le trajet
pulsionnel où le bord s’atteint lui-même. Le trajet de la pulsion, quelle qu’elle soit, a un côté
surréaliste comme le parapluie sur la table de dissection, ou d’autres éléments étranges. Ce
circuit pulsionnel passe par un certain nombre de signifiants qui permettent au sujet de retrouver
sa jouissance. Ce circuit néanmoins n’est pas l’objet oral lui-même qui n’est sur aucun des points
de la ligne, il n’est que le parcours, il n’est que le battement qui va permettre que le bord se
satisfasse lui-même, que la bouche se satisfasse elle-même et qu’elle dégage un enforme qui
vient là marquer l’écart, le battement, le parcours entre le temps nécessaire à ce que le sujet se
frappe lui-même et trouve sa jouissance. Cet enforme-là est à distinguer du trajet pulsionnel
comme tel, il n’est pas du tout du même ordre que la forme de la forme du corps, de ce qui se
voit dans l’image. Il est ce mixte imaginaire-symbolique articulé à la jouissance réelle qui se
produit.
Lacan dira ensuite, en prenant les trois consistances RSI, que l’objet a est au croisement des trois
– il les ramène à un triangle. L’objet (a), qui est cet enforme, est aussi bien ce qui est tenu entre
les consistances RSI. Vous pouvez les mettre sous forme de triangle comme sous forme de
noeuds. Objet coincé au centre comme cet enforme serré qui vient là d’avant toute forme
possible, marquer un semblant. L’objet petit a est semblant de jouissance, il est ce à quoi le
monde des rêves nous donne accès, il est ce qui vient répondre à la fois au caractère factice de
l’objet qui échappe à toute empathie, le phallus, qui vient manquer à sa place, qui est tache, qui
lui n’aura pas de représentation, et pourtant il y aura sur ce fond-là un enforme de la jouissance
qui vient prendre le relais de ce qui ne peut avoir d’autre forme visible que le voile qui vient
recouvrir cette tache.
Alors que nous pensions que les semblants sont des signifiants, alors que nous avions en 2008
l’opposition des semblants côté signifiant et la chose-même du côté objet petit a, il nous faut au
contraire ici considérer que l’objet a est semblant. L’objet petit a est le semblant de jouissance
qui vient contaminer les signifiants. Tout ce qui peut être de l’ordre des semblants comme
signifiants maîtres, les semblants à respecter, les mômeries des cérémonies, tout ce que Voltaire
a dénoncé, tout ce par quoi tient le monde, nous le pensons spontanément en terme de signifiants
ou d’objets, comme le sceptre du juge anglais qui revêt sa perruque et sa toge et qui peut alors