conséquence directe de cette conception d’une appartenance commune à l’humanité, de ce que les
Francs-maçons appellent la fraternité.
Cette solidarité entre les hommes crée de nouvelles obligations de chacun envers tous,
la philanthropie, vertu sociale, remplace la charité, vertu théologale. C’est à l’autorité politique, et
non plus aux Eglises, de prendre en charge les pauvres, les malades, les fous...
Les Francs-maçons vont ainsi s’investir dans la bienfaisance, “!vertu qui nous porte à
faire du bien à notre prochain !” comme la définit la Grande Encyclopédie !: “!Pratiquer la
bienfaisance et secourir les malheureux !” représente le premier devoir du Franc-maçon
(Règlements généraux ! de La Parfaite Union de Douai !; 1804) avec, souvent, un certain souci
publicitaire!: “!Voilà par quels actes les Francs-maçons répondent aux ennemis des Lumières!”
écrit un journal douaisien dont le rédacteur est membre de la Loge (6).
La Franc-maçonnerie des Frères fondateurs Anderson et Désaguliers apporte
également l’idée nouvelle d’une patrie plus vaste que l’Etat ou la Nation, c’est l’Humanité telle
qu’elle apparaît dans cette citation de Montesquieu placée en exergue du programme de ce colloque
(7) et la tendance au cosmopolitisme apparaît aussi clairement dans les textes!: “!Nulle contrée ne lui
sera étrangère (au Maçon) et il ne sera lui-même ni étranger, ni dangereux dans aucune. Tous les
hommes sont ses frères, quelles que soient leurs opinions, quelle que soit leur patrie!” (Règlements
de la Loge !“!Les neuf soeurs!”!).
Mais, dans la pratique, cet idéal rencontre des difficultés !: si la fraternité soude les
membres d’une même Loge, celle-ci ne peut ignorer les sensibilités, les tendances de ses
composants. La Loge “!L’Union des Coeurs!” à l’Orient de Liège déclare en 1774 que “!les juifs,
mahométans et autres nations qui n’ont que la circoncision pour baptême!ne pourront entrer chez
nous qu’au temps qu’ils se laveront des eaux du saint baptême... et comme les Loges anglaises et
hollandaises ont eu la faiblesse, soit par l’avidité de l’argent ou autrement, de recevoir les Juifs,
nous déclarons non seulement de fermer notre Loge à cette nation infâme, mais encore n’avoir
qu’un mépris pour ceux qui les ont reçus !” (V. Dwelsheuwers-Dery !; Histoire de la Franc-
maçonnerie à Liège avant 1830!; Bruxelles!; 1879).
Chaque atelier maçonnique possède ses traditions, ses habitudes, ses spécificités qui
sont autant d’obstacles à l’universalité du message maçonnique. De plus, le regroupement en
obédiences crée des frontières obédientielles qui sont souvent des obstacles importants,
géographiques, historiques, nationaux, régionaux, sexistes, rituéliques...
Certes, le Frère étranger est reçu en Loge, ce qui amène les contempteurs de l’Ordre,
comme l’archevêque de Belzunce en 1742, à dénoncer “!ces assemblées où sont indifféremment
reçus gens de toute nation, de toute religion et de tout état... dès lors que, par quelque signe
concerté, il a fait connaître qu’il était membre de cette mystérieuse société!” et le Frère Casanova ,
dans ses Mémoires, prétend que “!Tout jeune homme qui voyage, qui veut connaître le grand
monde... doit se faire initier dans ce qu’on appelle la Maçonnerie"!”.
L’appartenance maçonnique sert alors manifestement de passeport, de sésame qui
permet d’être accueilli fraternellement par la bonne société dans n’importe quel état européen.
Cependant, il existe un hiatus certain entre le fait d’accueillir le Frère étranger en visiteur et celui de
le recruter comme membre à part entière et Pierre-Yves Beaurepaire (8) a bien montré que l’idéal
cosmopolite était souvent affaibli par le souci des Grandes Loges ou Loges-mères de détenir le
monopole de l’organisation maçonnique sur leur territoire national.