À
Bron, le 3 septembre 1944, les troupes américaines et françaises entraient dans la Ville
et défilaient, acclamées par une population en liesse. Les Résistants brondillants étaient
là, eux aussi libérateurs, dirigés par le Capitaine Nitain, Pierre Duuf, un grand Résistant,
commandant de l’Armée Secrète du Rhône. Depuis début août, les réseaux de Résistants se
battaient “à découvert ” dans toute la région. Le 24 août, une insurrection éclate à Villeurbanne
et se propage à Vénissieux et à Bron, mais elle est réprimée et écrasée le 26 août par les tanks
allemands. Mais enfin, en ce 3 septembre, Lyon et son agglomération sont définitivement libérées.
Soixante-dix ans après, Bron se souvient au travers de nombreuses manifestations : cérémonies,
défilé et bal populaire, organisés par la Ville, les Anciens Combattants, les Associations, en lien avec
les enfants et les adolescents. Chacun est invité à y participer. Loccasion pour les Brondillants de
renouer le fil du passé, de l’Histoire et de la mémoire. Dans ce dossier, des témoins de cette période
nous racontent avec émotion leurs souvenirs. Une manière, également, de mettre en lumière des
gures brondillantes de la Résistance sans lesquelles nous ne pourrions vivre librement aujourd’hui.
En novembre 2013, le Président de la République lançait les Commémorations du 100e anniversaire
de la Première Guerre mondiale et du 70e anniversaire de la Libération de la France. Bron s’inscrit
pleinement dans cette grande année mémorielle, avec, au fronton de son Hôtel de Ville, une phrase
qui sonne comme un engagement et un espoir : “La Mémoire pour l’avenir”.
3 septembre 1944 – 3 septembre 2014
Il y a 70 ans,
Bron enfin libérée !
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BRON MAGAZINE 254 > SEPTEMBRE 2014 12
Le 3 septembre 1944, deux mois après
le débarquement allié sur les plages de
Normandie, les troupes franco-américaines
libèrent Bron de l’Occupation allemande.
Ils entrent par la grande porte, la Route
Nationale 6, accueillis par des habitants
en liesse. Les Résistants brondillants vont
bientôt les rejoindre, Pierre Dubœuf à leur
tête. Récit d’une journée extraordinaire
rendue possible par une série d’évènements
qui ont fait l’Histoire...
6 juin 1944
. Le jour le plus long. Celui que beaucoup
attendaient, et ce depuis des années. Les
Alliés prennent pied sur les plages de Normandie et s’avancent en direction
de l’Allemagne. Paris se soulève le 19 août, pendant que les troupes anglaises
et américaines marchent vers la Belgique et la Lorraine. Dans le sud de la
France, la situation tourne aussi en faveur de la Liberté. Après l’échec du
soulèvement du Vercors en juillet, qui se solde par la mort de centaines de
civils et de résistants, 100.000 hommes venus d’Italie, de Corse et d’Afrique
du Nord débarquent le 15 août 1944 entre Cannes et Toulon. Cette victoire
en Provence permet à une colonne placée sous les ordres du général de
Lattre de Tassigny d’attaquer Marseille et de remonter le long de la vallée du
Rhône, tandis que les Anglo-Américains privilégient la voie des Alpes, moins
défendue par les Allemands et où les Résistants des Forces Françaises de
l’Intérieur (FFI) et des Francs-Tireurs et Partisans (FTP) préparent le terrain
en multipliant les sabotages et les assauts contre l’ennemi.
Partout, les nazis se replient et abandonnent les villes les unes après les
autres, parfois sans combattre, dans d’autres cas en semant la mort derrière
eux. Le 19 août, les Alliés prennent Sisteron et dès le 22, ils sont à Grenoble.
Le lendemain, les Résistants du bataillon Rémy libèrent Bourgoin, ouvrant
la voie aux chars américains qui les rejoignent quatre jours plus tard, le 27
août. Pendant ce temps, le 24 août, une insurrection éclate à Villeurbanne
et se propage à Vénissieux et à Bron, mais elle est écrasée le 26 août par les
tanks allemands. Une semaine après, les 2 et 3 septembre 1944, les troupes
US atteignent enfin l’agglomération lyonnaise, avec deux mois d’avance sur
les prévisions ! Les Alliés entrent dans notre ville par la grande porte, la Route
Nationale 6, que le conseil municipal de Bron allait baptiser plus tard “Avenue
Franklin Roosevelt”, pour honorer le président des Etats-Unis. Les GI’s sont
accueillis par une population en liesse, brandissant les drapeaux tricolores
et chantant la Marseillaise à tue-tête. Les Résistants brondillants rallient
aussitôt les régiments alliés, notamment Pierre Dubœuf, commandant de
l’Armée Secrète du Rhône, tandis que l’aéroport devient pendant quelques
semaines une escale stratégique pour les appareils allant combattre plus
au nord, en Bourgogne puis en Alsace et enfin en Allemagne.
Ainsi les 7 et 8 septembre, 250 avions anglais et américains se
posent sur la piste, à peine remise en état après les bombardements
qu’elle avait subis. Hélas, c’est aussi à l’aéroport que l’on découvre
l’horreur : 109 personnes, juives pour la plupart, massacrées en août et
sommairement enterrées dans ce que l’on appela “Les charniers de Bron”.
14 septembre 1944, un DC3 orné de drapeaux tricolores se pose à Bron.
Une grande silhouette en sort, passe en revue les troupes venues l’accueillir
puis monte dans une voiture qui l’emmène à Lyon. Le Général De Gaulle vient
saluer la capitale de la Résistance et rétablir les institutions de la République.
Aline Vallais
BRON, 3 SEPTEMBRE 1944
Et les Alliés entrèrent
par la grande porte,
la Route Nationale 6...
27 novembre 1942
L’armée allemande occupe Bron et sa base aérienne
30 avril 1944
Bombardements alliés sur l’aérodrome de Lyon-Bron.
Près de 278 tonnes de bombes déversées : 21 maisons
détruites, 24 maisons endommagées, 2 victimes. (photo 1)
17, 18 et 21 août 1944
109 détenus de la Prison Montluc sont massacrés sur les
terrains de l’aérodrome (photo 2)
3 septembre 1944
Les forces alliées et les Résistants libèrent Bron (photo
3 : ici le groupe “Nitain” sous les applaudissements des
habitants)
14 septembre 1944
Le Général de Gaulle atterrit à l’aérodrome de Bron et
traverse la ville pour se rendre à Lyon (photo 4)
Quelques dates
1
3
2
4
Passage sur le pont provisoire de la Guillotière. Des éléments du
régiment “Groupe Bretagne – Les Maraudeurs” les 2 et 3 septembre 1944.
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13 BRON MAGAZINE 254 > SEPTEMBRE 2014
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BRON MAGAZINE 254 > SEPTEMBRE 2014 14
C
e nest pas une image d’Épinal.
Ce 3 septembre 1944, les rues de Bron, en
particulier la Nationale 6 — future avenue
Franklin Roosevelt — étaient bien en liesse.
Les Brondillants applaudissaient, criaient leur
joie au passage des soldats français et améri-
cains, acclamaient les Résistants du groupe
Nitain. Tous venaient d’entrer dans la ville, la
libérant de fait. Les jeunes femmes, telles que
vues tant de fois depuis sur les films et pho-
tographies d’époque, toutes belles dans leurs
corsages cintrés, une coque soigneusement
roulée sur leurs chevelures permanentées,
embrassent les soldats, arborant des cocardes,
agitant des drapeaux tricolores, bannières étoi-
lées, rythmant le défilé des troupes. Des fleurs
pleuvent comme autant de messages d’espé-
rance et de paix presque retrouvée. “Presque”
car la guerre nest pas finie, les batailles vont
faire encore rage sur bien des fronts. La guerre
est mondiale, la paix va être au prix de cette
démesure. “Presque” car les horreurs décou-
vertes à la Libération, les images terrifiantes
des camps sont à venir, bouleversant à jamais
le regard de l’humanité sur l’humanité. Le
dernier convoi de déportés “politiques” est
parti de Paris le 15 août, et de déportés juifs
le 17 août. Parti le 11 août de Lyon, le train
numéro 14 166 sera le dernier convoi vers
les camps de la mort... Un calendrier d’autant
plus tragique que les forces alliées approchent.
À Bron aussi, il y aura des moments moins
glorieux, où des individus autoproclamés
justiciers — bien souvent ceux que l’on va
appeler les “résistants de la dernière heure” —
procèdent à la tonte des femmes et autres faits
tout aussi arbitraires que consternants. C’est
d’ailleurs Pierre Dubœuf lui-même qui édictera
un arrêté à la population, un texte sans appel,
signé de son nom de guerre, Nitain, pour faire
cesser ces actes et décider d’un couvre-feu.
Un texte à lire et à relire.
Le goût de la liberté retrouvée
Mais en ce 3 septembre 1944, l’heure est à
la fête, et l’on découvre ces G.I’s à l’allure si
moderne, à la fraternité démonstrative, ils
sont blancs, ils sont noirs, ils sont tous Amé-
ricains et jeunes, si jeunes ! Ils apportent des
nouveautés incroyables, à jamais associées
au goût de la liberté et de la jeunesse : les
chewing-gums et le Coca-cola ! Comme un
air de renouveau qui permettrait à nouveau
d’espérer. Il faut dire que Bron nest pas une
ville comme les autres dans l’aggloméra-
tion. Et ces mois d’été 1944, elle a cumulé
les événements tragiques comme autant de
traces vives qui vont rester dans l’Histoire et
les mémoires. Bron est située à l’entrée Est
de ce que l’on appellera plus tard “l’agglo-
mération”, mais Bron a aussi et surtout un
aérodrome. Et de cette réalité est née une
BRON, 3 SEPTEMBRE 1944
Une page particulière dans l’histoire du monde
>>> suite pages 16-17
Francis Serrano,
Conseiller municipal délégué aux Anciens Combattants
« Bron n’oublie et n’oubliera pas »
« Rares sont les villes à se mobiliser autant dans le cadre de cette double commémoration, 1914 et
1944. À Bron, la synergie est réelle et forte entre la Ville, les associations d’Anciens Combattants, les
services et équipements municipaux, les nombreux partenaires (ONAC, CHRD, CRIF, LICRA) et l’Harmonie
La Glaneuse, l’Artistique danse Plein Ciel, la SLHADA, le cinéma Les Alizés... Sans oublier les jeunes, le
Conseil Municipal d’enfants, les collégiens de Théodore Monod... En mettant en place toutes ces actions
pour cultiver et préserver les mémoires, Bron montre qu’elle ne veut pas oublier et qu’elle n’oubliera
pas. Les Anciens Combattants souhaitent des actions concrètes, et je crois que cette année, avec
les actions résultant du partenariat qui lie la Ville au Mémorial de Montluc pour les commémorations
des massacres, et bien sûr pour le 70e anniversaire de la Libération de Bron, les Brondillants
apprécieront tout comme nous ces rendez-vous avec l’Histoire. Comme en fin d’année, avec un cycle
de conférences “Les Rencontres des Mémoires”. La première sera animée par l’historien et journaliste
lyonnais Gérard Chauvy et portera sur “Les origines de la Première Guerre mondiale”. Les guerres du
20e siècle trouvent leurs racines dans les conflits précédents, et il est important pour tous les âges
de connaître et comprendre l’Histoire, pour continuer à vivre librement aujourd’hui en démocratie ».
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15 BRON MAGAZINE 254 > SEPTEMBRE 2014
BRON, 3 SEPTEMBRE 1944
Une page particulière dans l’histoire du monde
Résistants et Brondillants,
ils sont acteurs de la Libération
Ils se nommaient Buisson, Nitain, Poujade,
Totor... “alias”, leurs noms d’entrée dans la
clandestinité. Il faudra attendre la fin de la
guerre pour que leur véritable identité soit dé-
voilée. Mais hélas pour beaucoup, ce voyage au
bout de la guerre, sera un voyage jusqu’au bout
de la nuit. Engagés contre le fascisme,
le nazisme, l’Occupation allemande, les
Résistants des différents réseaux vont se
retrouver “naturellement” au premier rang des
libérateurs dans les villes de la Région.
À Bron, ils rejoignent, sous le commandement
de Pierre Dubœuf, les forces alliées, franco-
américaines et c’est ensemble qu’ils libèrent
Bron. Afin de leur rendre hommage à travers le
temps, de se souvenir, de chercher à toujours
savoir qui ils étaient, à connaître aussi le prix de
leur engagement, connus ou restés dans l’ano-
nymat. Beaucoup d’entre eux sont présents
dans la Ville à travers leurs noms donnés à de
nombreux lieux, rues et équipements de Bron
par les municipalités successives. Alors, quand
vous ferez du sport au Stade Pierre Dubœuf, des
fêtes à l’Espace Roger Pestourie, quand vous
vous cultiverez à la Médiathèque Jean Prévost,
quand vous irez au marché place Curial,
vous aurez une pensée reconnaissante pour
tous ces hommes et ces femmes auxquels nous
devons de vivre libre, en démocratie et en Répu-
blique, mais réfléchir aussi, encore et toujours,
au sens si actuel de leur engagement. Nous ne
pouvons tous les citer, voici quelques-unes des
figures emblématiques
de ce combat pour la liberté.
Roger Pestourie, jeune communiste,
entre en Résistance à 20 ans dans le Lot. Il va être
appelé à Lyon auprès de Jean Moulin pour réunifier tous les
mouvements de jeunesse devenant cofondateur des Forces
Unies de la Jeunesse Patriotique en zone sud. À la Libéra-
tion, il restera dans la région et s’ancrera à Bron, laissant
sa marque politique, sociale et artistique sur toute la ville.
Adjoint au Maire, décédé en 2011, ce grand amateur de peinture et d’art donnera une partie de sa
collection de peinture lyonnaise à la commune. Le Capitaine Pierre Dubœuf, alias “Capitaine Nitain”,
devient en 1942 chef départemental de l’Armée Secrète, il libérera Bron à la tête
des Maquisards. (voir encadré ci-dessous). Son fils, Guy Dubœuf, 17 ans à peine,
devient agent de liaison dans la Résistance. Claudius Billon (alias “Buisson”), chef
Régional de “Combat”, organise dès 1940 la Résistance sur la base aérienne, puis le
recrutement des premiers membres de ce qui sera l’Armée Secrète. Arrêté et
torturé en février 1943, on ignore comment il a disparu.
Albert Chambonnet, chef d’État major régional des FFI,
organise l’Armée Secrète, il sera exécuté place
Bellecour en 1944. Jeanne Collay (1), arrêtée par la Gestapo, sera
déportée en 1944 au camp de Ravensbrück et libérée en avril
1945. Baptiste Curial, membre de la Défense Passive sera
assassiné en 1944. Eugène Guillemin sera dépor-
té et meurt à Birkenau, il n’avait pas vingt ans. Louis
Maggiorini, membre des Jeunesses Communistes, est arrêté par la
Gestapo en 1944, il sera fusillé à Saint-Genis Laval(1). Armand
Philippe, commandant des Forces Françaises Combattantes, arrêté par la
Gestapo en 1944, est déporté à Dachau puis à Bergen-Belsen,
il sera libéré en mai 1945. Jeanne Veses, avec son mari,
les “Totor”, seront agents de liaison dès 1941 en multipliant
les actions dans toute la Région. Mais aussi, bien sûr, André
Sousi, maire de Bron de 1971 à 1988. Il refusera de partir au STO
(le Service du Travail Obligatoire ) et entre dans les maquis de l’Ain à
l’âge de 25 ans. Il sera par la suite un fervent partisan de l’Europe et de la
réconciliation des peuples, en particulier avec le peuple allemand.
(1) Bron Magazine / juin 2014
Dans
ses souvenirs de Résistance
publiés en 1994, Roger Pestourie disait
« ne jamais avoir été inquiété car,
“habillé”».
Il avait des faux papiers.
Armand Philippe, alias “Jo” est
libéré en mai 1945 par les Anglais
du camp de Bergen-Belsen.
Rapatrié à Bron, il pesait alors
38 kg.
Pierre Dubœuf, un homme, un chef, un libérateur
Entrer en Résistance fut pour beaucoup d’hommes et de femmes un engagement total pour la
liberté. Lexemple de Pierre Dubœuf est là pour nous le rappeler...
Il faut s’imaginer
Pierre Dubœuf, dont
la famille habitait rue
de Reims, entrer dans
Bron à la tête de ses
troupes le 3 septembre
1944. Le commandant
Dubœuf, alias capitaine
Nitain, dirigeait alors
l’Armée secrète sur le
plan départemental,
autant dire que ses
responsabilités
dépassaient largement Bron. En août
1944, Pierre Dubœuf est à la tête de 12 OOO
hommes, dont 4000 armés. Son groupement
est composé de 350 officiers, sous-officiers
et soldats et c’est en lien avec tous les
maquis de la région qu’il va prendre part à
de nombreuses opérations. Le 3 septembre,
il libère Bron aux côtés des forces alliées
On peut imaginer l’émotion qui dut étreindre
cet homme pourtant aguerri au combat et
à la clandestinité, entré très tôt dans la
Résistance, au sein du groupe Combat. Son
fils Guy est présent. À 17 ans, il est déjà
agent de liaison et a échappé par miracle
aux tristement célèbres arrestations de
l’imprimerie de la rue Viala à Lyon. Mais l’heure
nest pas aux seuls défilés, il faut encore
agir : avec son fils, mais aussi en compagnie
d’André Lacroix et de Charles Pont, Pierre
Dubœuf destitue le Maire mis en place par
Vichy, Charles Douillé, remplacé par le Comité
local de Libération que va justement présider
André Lacroix avant la mise en place d’une
nouvelle municipalité. Pierre Duuf veillera
aussi à l’ordre et à la sécurité de la ville, mettant
en garde les justiciers autoproclamés... Puis
nommé commandant militaire de Bron et de
la base aérienne, cet aviateur reconstitue
avec les anciens de son groupe, un groupe de
chasse pour combattre sur le front des Alpes.
Blessé à deux reprises, échappant à plusieurs
guet-apens dans la clandestinité, Pierre
Dubœuf reste une figure majeure de la
Libération. Sa famille, citoyens toujours
engagés, vit toujours à Bron. L’un des plus
grands équipements de la Ville, le stade, porte
son nom.
Le capitaine Dubœuf, “Nitain”.
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occupation allemande particulièrement lourde.
Pendant toute la période d’occupation, une
moyenne de six mille Allemands se relaient à
Bron, tandis que la commune, à l’époque gros
bourg du Dauphiné, compte quelque onze mille
habitants. Soit un Allemand pour deux Brondil
-
lants ! La base aérienne — qui par ailleurs va
donner à la Résistance nombre de ses officiers
et de ses aviateurs — est la plaque tournante
de ces effectifs d’occupation. Le
Fort, la salle des fêtes, les groupes
scolaires, mais encore « 360
immeubles ou villas, plus de 300
chambres ont été réquisitionnés »,
nous apprennent les archives. Il nest
alors pas difficile d’imaginer le poids
de cette occupation, et, a contrario,
le sens qu’allait revêtir au quotidien
ce jour de libération.
Des motifs d’espérer...
Comme le rappelle l’historienne Aline
Vallais (cf page 13), l’été avait déjà
été source d’espérance mais aussi
de moments bien cruels. À Bron, aussi. Les opé-
rations du Débarquement, donnant réalité à
une défaite annoncée pour leurs troupes, les
Allemands, et en particulier les divisions les
plus dures de leur armée, mais aussi leur police
politique la Gestapo, aidée par la redoutable
milice française, allaient redoubler d’actions
de répression, d’arbitraire, de vengeance. Dans
le même temps, la Résistance pour appuyer
l’avancée des Alliés, multipliait les sabotages,
les attaques, les opérations de renseignement.
Si l’Allemagne ne veut pas céder, la France de
Vichy — celle du Maréchal Pétain — fait de
même. Plus que jamais les temps sont brutaux,
les hommes et les femmes de la Résistance,
arrêtés, torturés, décimés. A Lyon, capitale
de la Résistance, les réseaux tombent. Une
sinistre série commencée bien plus tôt. Déjà
plus d’un an s’est écoulé depuis ce jour d’été,
à Caluire, le 21 juin 1943, où Jean Moulin, alias
“Max”, a été arrêté, puis torturé par la Gestapo,
avant de mourir le 8 juillet 1943 dans le train
qui le transporte en Allemagne, juste avant de
passer la frontière... Son nom va rester dans
l’histoire comme symbole de cette Résistance,
de cette République restée debout.
Bron malmenée, mais libérée
À Bron, la pression aussi est forte depuis des
mois. En avril 44, les terribles bombardements
de l’aérodrome ont fait des morts et détruit des
quartiers de la ville. Les Alliés vont aussi libé-
rer la France à ce prix : dans toute la France les
populations civiles ne seront pas épargnées.
Puis en août, ce seront les “charniers de Bron”,
3 septembre 1944, la 1re Division Française Libre
accueillie par une foule en liesse.
Ils témoignent...
Pierre Delorme
« J’avais 7 ans, mon père écoutait Radio Londres »
« À l’époque, j’avais 7 ans et j’habitais avec mes parents sur
l’actuelle place Baptiste Curial. Peu de temps avant la Libération
de Bron, je me souviens de mon père qui écoutait les messages
radio émis par Londres. Pendant ce temps, ma mère surveillait à
travers les volets des chambres le passage de véhicules allemands
car ils recherchaient des postes émetteurs. Dès que ma mère les
voyait arriver, elle faisait signe à mon père de vite arrêter la radio.
Et nos radios, c’était un peu du bricolage : de vieux fils électriques
en cuivre servaient d’antenne. Ils étaient branchés derrière la
radio et remontaient au plafond, puis jusqu’à la lampe ! Comme ça,
l’antenne ne se voyait pas. Lorsqu’il y eut les bombardements alliés
en août 1944, avec mes parents, nous nous sommes réfugiés chez
ma grand-mère qui habitait Saint-Bonnet-de-Mure. Nous sommes
ensuite revenus à Bron au moment de la Libération. Ce qui m’a le plus
marqué ? C’est lorsque j’ai eu droit à mon premier chewing-gum. » Marie (1)
« J’avais 20 ans…
le sinistre écho des charniers »
« Au moment de la Libération, j’avais 20 ans. Nous tenions avec
ma mère un petit magasin Casino aux Sept Chemins. Un jour,
une cliente est arrivée, choquée, le visage blême. Elle cherchait
des pissenlits dans les prés, vers l’aérodrome, et elle est arrivée
vers nous terrifiée : « Si vous saviez ce que j’ai vu ! ». Elle avait
vu des hommes se faire fusiller à l’aéroport par les Allemands.
Nous avons réalisé plus tard qu’il s’agissait des charniers de
Bron. Je me souviens aussi que le jour de la Libération, on a
vu les Américains arriver par Chassieu. La fille du boulanger
qui parlait un peu anglais essayait de communiquer avec eux
mais, il faut bien le dire, on ne comprenait pas grand chose ! »
(1) Nom d’emprunt, ce témoin ayant souhaité garder l’anonymat
Georges
Sarigarabedian
« 4 ans, mais je
me souviens des
hommes en armes »
« Au moment de la Libération,
j’étais tout gamin, j’avais
4 ans. Et pourtant j’ai des
souvenirs datant de cette
période. Vers l’actuel réservoir d’eau, il y avait la batterie de
Parilly où je venais jouer et un campement qui regroupait 150
à 200 Allemands. Je voyais défiler de jeunes Allemands, en
armes. Pour un enfant comme moi, de voir passer ces jeunes
hommes armés et casqués... C’était très impressionnant. »
>>>
suite de
la page 14
Pierre et son frère Armand Delorme aux côtés de
soldats américains arrivés en ville le jour de la Libération.
>>>
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