au monde / les marchands Joël Pommerat OD ON Un retour au présent die gelbe tapete C.P. Gilman Katie Mitchell Un thriller multimédia die bitteren tränen der petra von kant R.W. Fassbinder Martin Kušej Faire voir une âme qui pleure o Lettre N 6 Odéon-Théâtre de l’Europe septembre 2013 2 sommaire p. 3 à 6 Un retour au présent AU MONDE LES MARCHANDS Joël Pommerat p. 7 Une question de mots, une situation de corps Handicap p. 8 et 9 Les écrits s'envolent, les paroles restent Les Bibliothèques de l'Odéon p. 10 à 12 un thriller multimédia DIE GELBE TAPETE Charlotte Perkins Gilman Katie Mitchell p. 13 à 15 FAIRE VOIR UNE ÂME QUI PLEURE DIE BITTEREN TRÄNEN DER PETRA VON KANT Rainer Werner Fassbinder Martin Kušej p. 16 AHMAD JAMAL EN CONCERT À L'ODÉON SATURDAY MORNING p. 17 journées du patrimoine le cercle de l'odéon p. 18 Avantages abonnés Offres spécifiques et tarifs préférentiels p. 19 ACHETER ET RÉSERVER SES PLACES Au monde / Les Marchands 3 Un retour au présent Mon idéal serait de pouvoir jouer nos créations sur des durées de vingt, trente ans, voire plus. Qu'on voie vieillir les comédiens avec les spectacles. C'est une expérience utopique dont l'idée me passionne et me fait rêver. C'est une des raisons qui m'ont poussé au départ à créer une compagnie, c'est-à-dire une communauté de gens engagés sur le long terme. Il m'est arrivé de recréer certains spectacles, d'en refaire la mise en scène, et aussi de réécrire totalement sur un même sujet à six ans d'intervalle. Mais pour Au monde et Les Marchands, c'est la même mise en scène que nous présenterons à l'Odéon, et pour la vingtaine de rôles que comptent ces deux pièces il n'y aura que trois nouveaux comédiens. Joël Pommerat Agnès Berthon dans Au monde © élisabeth Carecchio 4 Le travail en questions «Il n'y aura plus de travail. […] L'homme aura enfin du temps à lui», dit une voix dans Au monde. «Notre temps sans le travail ne serait rien», dit une autre voix dans Les Marchands. Entre ces deux affirmations, plus d'une question se pose. Après avoir découvert les deux pièces, la sociologue Dominique Méda nous fait part de ses réactions de lecture. Daniel Loayza – Le travail constitue un thème récurrent dans l'œuvre de Joël Pommerat. Plusieurs années avant Ma chambre froide, il l'abordait déjà dans Au monde et Les Marchands. Quelles réflexions la lecture de ces œuvres vous a-t-elle inspirées ? Dominique Méda – Les Marchands traite d’une actualité brûlante : la concomitance du désespoir de ceux qui n’ont pas de travail et de la souffrance physique et morale provoquée par l’exercice du travail, la perte de sens de celui-ci. Mais je dois dire que la fin de la pièce m’a d'abord énormément surprise… chômage. On découvre que l’usine fabrique des produits toxiques. Puis cette femme retrouve son emploi dans la même usine, et apparemment, tout est bien qui finit bien. Elle se dit «heureuse» et ses douleurs au dos disparaissent comme par enchantement ! D'où ma surprise : si l’on n’est rien sans travail, si celui-ci est absolument indispensable, faut-il pour autant laisser penser que n’importe quelle occupation, même source de souffrance, même dénuée de toute utilité sociale, est préférable à tout le reste ? D. L. – Ce n'est pas ce que montre la pièce... D. L. – Que voulez-vous dire ? D. M. – Dans Les Marchands, nous entendons une femme nous raconter sa vie quotidienne, son emploi en usine. Elle nous parle aussi de son amitié pour une chômeuse à la santé psychique fragile. Ces deux femmes n'ont pas de nom, alors que la grande entreprise de la région, Norscilor, en a un, ce que j'ai pris pour un indice de la déshumanisation de ce monde décrit par Pommerat. La pièce nous renvoie une image assez exacte de la situation actuelle et met bien en évidence les symptômes de la crise que traverse le travail depuis plusieurs décennies : montée des risques psychosociaux, explosion des TMS (troubles musculo-squelettiques) et autres maladies issues directement du «nouveau productivisme»... Je ne sais pas si Pommerat est un auteur qui effectue des enquêtes et réunit une documentation, mais le portrait qu'il nous propose d'une salariée de l'industrie et du cercle assez restreint de ses proches est tout à fait plausible, jusque dans le détail. Par exemple, il est exact que ce sont surtout les femmes qui sont affectées à ce genre de postes peu qualifiés, gérés selon les principes de la taylorisation à outrance... D. L. – Alors pourquoi parlez-vous de «surprise» ? D. M. – Je dois préciser que je n'ai pas encore vu les spectacles. Et donc, de mon point de vue limité de lectrice, mon premier mouvement, devant Les Marchands, a été, je dois bien le dire, une certaine irritation... Voilà une femme qui travaille dans des conditions nocives pour sa santé. Pendant quelque temps, elle se retrouve au Les Marchands © élisabeth Carecchio D. M. – Je vous l'ai dit, je décris là ma première réaction ! Je me suis évidemment doutée que les choses devaient être plus complexes. Pommerat luimême précise dans un avant-propos que parfois, ce que la mise en scène donne à voir peut contredire le propos de la narratrice... Ce qui nous est dit, en fin de compte, ce n'est justement pas qu'en temps de crise, tout travail quel qu'il soit est un merveilleux privilège dont on doit se contenter en silence. Ce qui est montré, c'est bien plutôt à quel point le travail reste une dimension à la fois surinvestie et problématique – et là, nous sommes en plein dans ce que nous avons appelé, Lucie Davoine et moi, le «paradoxe français». D. L. – C'est-à-dire ? D. M. – Avant de vous répondre, il faut dire deux choses. D'abord, que dans Au monde, la vision qui est proposée du travail est totalement différente. J'y reviendrai. Ensuite, il faut souligner que dans Les Marchands, aucun personnage ne définit ce qu'il entend par «travail». Le moment qui s'approche le plus d'une discussion sur le sens de ce motlà intervient alors que l'usine est fermée. Et il est remarquable que c'est un homme ayant des ambitions politiques qui prend alors la parole pour consoler l'héroïne brisée par la perte de son emploi en lui disant qu'il comprend ses larmes parce que le travail est un «besoin» et que notre temps, sans le travail, ne serait rien... Là encore, le texte peut être entendu en un tout autre sens. Car si les gens vendent pour vivre ce qu'ils ont «de plus précieux», leur «temps de vie», leur «vie», écrit Pommerat, cela invite à s'interroger sur ce qu'ils obtiennent en échange... Si l'on dit que le travail permet de gagner sa vie, c'est bien que la vie constitue le but, la fin, et que le travail devrait lui être subordonné comme un moyen. La bonne question, dès lors, devrait bien plutôt être : que voulonsnous comme vie, quelle conception sociale, quelle organisation du travail nous permettraient-elles de réussir la vie que nous souhaitons pour nous et nos enfants ? Mais d'un autre côté, si l'on dit que l'on vend sa vie pour occuper un emploi, et que sans cet emploi la vie serait vide, c'est alors cet emploi qui devient la fin, tandis que la vie n'est plus que le moyen de l'obtenir... D. L. – Ce qui est posé là, c'est le problème de la valeur... D. M. – En effet – de la valeur marchande et non marchande. Et du bonheur aussi, de ce qui échappe à la valeur ou plutôt à une certaine forme d'évaluation. Sur ces questions, Pommerat ne disserte pas, il suggère. Implicitement, le travail dont parle ici l'homme politique est avant tout celui que prend en compte le produit national brut, le fameux PIB. Cet indicateur sur lequel nous avons les yeux braqués (la non moins fameuse croissance, c’est celle du PIB) et qui compte pour zéro toutes les autres activités que le travail. Seul est pris en considération le fruit de l’activité qui ajoute de la valeur économique immédiatement mesurable en termes monétaires. On commence à se rendre compte depuis quelques années que cette face-là de l'économie a son revers. Aujourd'hui, il existe d'autres indicateurs pour mesurer d'autres aspects, plus qualitatifs, de la richesse d'une société. Mais les difficultés sociales massives provoquées par la recrudescence du chômage ont tendance à occulter le débat qu'il faudrait mener – ce que montre remarquablement bien la pièce de Pommerat : à peine ouverte, la discussion est close dès que Norscilor reprend ses activités. L'une des femmes part à l'asile, une autre en prison, et la troisième retrouve son usine et peut se dire «heureuse»... C'est tout à fait typique, je crois, d'une société en crise. D. L. – Vous avez dit que vous vouliez revenir sur Au monde... D. M. – Oui. En deux mots, nous sommes à l'exact opposé des Marchands : dans une famille où les moyens d'existence ne sont pas du tout un problème. Le passage le plus frappant, dans cette pièce, est la tirade où la «seconde fille» célèbre la disparition à venir du travail. Qu'est-ce que le temps vraiment humain ? Le temps de travail, dit l'homme politique. Le temps libre, dit la seconde fille. Lui pense le travail tel qu'il est, à court terme, et comme fin en soi. Elle pense le travail tel qu'il devrait être, si on veut, et dans le long terme de l'utopie. Ensemble, ils constituent comme une image des deux pôles du «paradoxe français» dont je parlais tout à l'heure : d'un côté, il ressort des enquêtes de terrain que les Français plébiscitent largement la «valeur travail». Et de l'autre, selon ces mêmes enquêtes, les Français sont les plus nombreux en Europe à souhaiter que le travail occupe moins de place dans leur vie ! D. L. – Comment expliquer ce «paradoxe français» ? D. M. – Disons que d'une part, nous concevons le travail à la fois comme nécessité et comme lieu possible, sinon effectif, de réalisation de soi. Mais d'autre part, nous voulons moins de travail dans nos vies : pour certains, parce que les conditions réelles d’exercice du travail sont médiocres, parfois insupportables ; et pour d’autres, parce que même si le travail est important, nous voulons cette réalisation de nous-mêmes ailleurs, aussi hors de la sphère du travail tel qu'il existe effectivement aujourd'hui. Mais ce qui m'intéresse par-dessus tout, c'est ce que ce paradoxe exprime. Il indique que le travail est ressenti collectivement comme le lieu d'une interrogation cruciale. La question essentielle est de savoir si le travail peut aujourd’hui remplir les immenses attentes qui pèsent sur lui : car on espère désormais non seulement avoir un travail, mais aussi y trouver le lieu principal de son épanouissement. Ce qui rend l’absence de travail encore plus douloureuse. Aujourd'hui, la crise n'incite guère à ouvrir ces dossiers. Mais que nous le voulions ou non, nous sommes plongés dans ces problèmes. Le grand mérite de spectacles comme ceux de Pommerat, c'est de mettre en évidence à quel point ces questions sont vitales, nous interpellent tous, et de nous amener, peut-être, à réfléchir aux termes mêmes de nos discussions et de nos choix. Entretien réalisé à Paris le 27 juin 2013 Dominique Méda Ancienne élève de l'école Normale Supérieure (rue d'Ulm) et de l'école Nationale d'Administration, agrégée de philosophie, Dominique Méda est une spécialiste reconnue des questions liées au travail. Elle enseigne actuellement à l'Université de ParisDauphine et a récemment publié Travail : la révolution nécessaire (L'Aube Poche, 2011) et republié Le travail. Une valeur en voie de disparition ? (Champs Essais, Flammarion, 2010). Deux de ses ouvrages sont à paraître cet automne : La Mystique de la croissance – comment s'en libérer ? (Paris, Flammarion), et, en collaboration avec P. Vendramin, Réinventer le travail. Le lien social (Paris, Presses Universitaires de France). 14 septembre – 19 octobre / Odéon 6 e 18 septembre – 19 octobre / Odéon 6 e AU MONDE LES MARCHANDS Joël Pommerat Joël Pommerat scénographie Éric Soyer, Marguerite Bordat lumière Éric Soyer collaboration artistique Marguerite Bordat costumes Marguerite Bordat, Isabelle Deffin son François Leymarie scénographie et lumière Éric Soyer costumes Isabelle Deffin son François Leymarie Grégoire Leymarie conseiller musical Alain Besson avec Saadia Bentaïeb Agnès Berthon Lionel Codino Angelo Dello Spedale Roland Monod Ruth Olaizola Marie Piemontese David Sighicelli production Compagnie Louis Brouillard coproduction Théâtre national de Strasbourg, CDN de Normandie – Comédie de Caen, Théâtre Paris-Villette, Espace Jules Verne − Brétigny-sur-Orge, La Ferme de Bel ébat − Guyancourt, Thécif-Région Île-de-France / avec le soutien du Ministère de la Culture et de la Communication − DRAC Île-de-France, du Conseil Général de l’Essonne, de la Ville de Brétigny-sur-Orge, de la Ville de Paris et de l’ADAMI compagnie conventionnée − DRAC, Conseil Général de l’Essonne, Ville de Brétignysur-Orge et en résidence à Brétigny-sur-Orge coproduction recréation Compagnie Louis Brouillard, Odéon-Théâtre de l'Europe, Théâtre National − Bruxelles La Compagnie Louis Brouillard reçoit le soutien du Ministère de la Culture − DRAC Île-de-France et de la Région Île-de-France avec Saadia Bentaïeb Agnès Berthon Lionel Codino Angelo Dello Spedale Murielle Martinelli Ruth Olaizola Marie Piemontese David Sighicelli production Compagnie Louis Brouillard, Théâtre national de Strasbourg coproduction l’Espace Malraux − Scène nationale de Chambéry, le Centre Dramatique national de Normandie − Comédie de Caen, le Centre Dramatique national d’Orléans-Loiret-Centre, le Théâtre ParisVillette, le Théâtre Brétigny − Scène conventionnée du Val d’Orge et l’Arcadi − Action régionale pour la création artistique et la diffusion en Île-de-France coproduction recréation Compagnie Louis Brouillard, Odéon-Théâtre de l'Europe, Théâtre National − Bruxelles Joël Pommerat est artiste associé au Théâtre National – Bruxelles créé le 20 janvier 2006 au Théâtre national de Strasbourg durée 2 heures créé le 21 janvier 2004 au Théâtre national de Strasbourg avec le soutien du CERCLE D E L’OD ON durée 2h10 avec le soutien du CERCLE D E L’OD ON Au monde / Les Marchands 5 La peau des sensations Saadia Bentaïeb Marie Piemontese comédiennes de la Compagnie Louis Brouillard Saadia Bentaïeb – Joël, dans le travail, nous demande souvent d'être à la recherche non pas d'une neutralité mais d'une simplicité, de trouver une attitude qui laisse le moins de scories possible. D'aller à la chose essentielle, sans détails. Je me suis souvent dit que chez lui le personnage devient comme une figure dans un conte. Moins dans La Réunification des deux Corées, mais quand même. Dans Ma chambre froide, Estelle est pour moi comme une Cendrillon. D'ailleurs Joël a monté sa Cendrillon tout de suite après. Marie Piemontese – Avec les années, Joël a continué à explorer, et il a évolué à travers différentes formes. Nous l'avons suivi au cours de ces différentes périodes. Il a fallu qu'on accompagne ses changements. Mais le centre de gravité du travail est resté le même. Il y a une référence, un socle auquel on revient toujours avec lui. Il nous demande, quand on parle dans son théâtre, de nous dégager de toutes les contingences sociales, signifiantes, intentionnelles, de renoncer à «vouloir dire», pour libérer une adresse directe, droite, et qui part d'un endroit singulier, intime... C'est un point personnel, nettoyé de toute volonté démonstrative, et soutenu par un engagement émotionnel. Une adresse très proche de nous, sans être dans la quotidienneté ordinaire. Joël a dit un jour que c'était la recherche de ce caractère concret, simple, à l'intérieur d'un dispositif très sophistiqué, qui contribue à donner une dimension fantastique à son travail. Il y a un réel qu'on éprouve au présent, mais qui n'est jamais naturaliste. S. B. – Chez Joël, il y a des lignes, c'est toujours très dessiné. Au plateau, quand il voit que le col d'un manteau est déboutonné, il se lève et demande qu'on ferme le bouton. Le débraillé, le laisser-aller naturel, ça abîme le dessin, la tenue de la silhouette. Voilà, il faut que ça soit tenu. C'est ce qui permet à la parole d'être prise et soutenue dans une adresse. Il nous pousse toujours vers le plus d'adresse possible à l'autre. Dans les deux Corées, il y a un moment, Marie et moi, où on est censées être dans le même endroit, dans une intimité, et pourtant on ne se voit même pas – en fait, c'est à nous de créer cette intimité, de la faire ressentir. Les paramètres de la mise en scène décalent le naturalisme, et c'est à nous de faire une sorte de travail inverse. Non pas au sens où il faudrait revenir au naturel, mais où il faut ne pas céder à la tendance, au formalisme, au sens où il faut être dans la plus grande vérité, sans anecdote. Joël introduit une sorte de contradiction qui va attaquer, ébranler le réalisme, qui va brouiller l'énonciation, compliquer la position. Par exemple, il fait voir un corps de femme avec une voix d'homme. Ou une voix de femme et un corps d'homme qui semble faire des signes, comme dans Cendrillon. Ou des bruits de pas qui ne correspondent pas au déplacement qui a lieu au plateau. Et c'est à nous, en scène, de rendre une qualité de présence qui va permettre à ces points d'étrangeté d'être porteurs d'intensité, de ne pas être seulement formels. ça peut être quasiment invisible pour le public, comme quand Joël fait supprimer les poches d'un manteau, parce que ce détail-là pourrait distraire le comédien, l'induire à jouer dans un style Actors' Studio, alors que l'absence de poches oblige au contraire à une certaine tenue du corps, à une tension. C'est la même chose avec les noirs des interscènes : on efface la situation précédente, et on doit arriver parfaitement concentré, totalement investi dans la suivante. M. P. – Oui, les noirs sont absolus, ils détachent les scènes l'une de l'autre. Ils posent des plans, ils encadrent avec netteté. Ça fait partie de cette quête de l'essentiel, de ce qui se dégage pardelà l'anecdote. Un essentiel dans la parole, dans le geste, dans le costume. À chaque fois, le noir redonne un élan, relance la recherche de concentration. S. B. – Revenir à Les Marchands, à Au monde, c'est revenir à une étape antérieure de l'évolution du travail... C'est curieux. C'est quelque chose que nous n'avons jamais fait. ça va être très intéressant d'observer ce qui va se passer en nous. On ne le sait pas. Mais on a déjà essayé les costumes. J'ai été très émue en essayant ceux que je portais dans Au monde – ça faisait quoi, dix ans ? M. P. – On a créé le spectacle en 2004, mais on l'a répété en 2003, donc oui, ça fait dix ans, j'ai vérifié. Et la dernière fois qu'on l'a joué, c'était en 2008. Mais entre 2004 et 2008, c'est une pièce qu'on a finalement moins jouée que d'autres. S. B. – Oui, pour ce qui est du spectacle, je me rappelle mieux Les Marchands. J'ai l'impression qu'en très peu de temps, toute la construction, la succession des scènes pourrait revenir assez simplement. Mais Au monde, c'est plus complexe. D'ailleurs on ne peut pas résumer cette histoire, quand on essaie on perd toute la substance. Les Marchands, c'est déjà une matière racontée, il y a une narratrice qui fixe des étapes. Au monde, c'est plus une «Il va falloir que j'aille rechercher cette très jeune fille d’autrefois.» énigme, c'est un travail où il y a beaucoup de nuit. ça fait dix ans, et les premiers moments qui me reviennent en mémoire, ce ne sont pas des bouts 6 Au monde / Les Marchands du spectacle mais des moments où on cherchait, des instants complètement immobiles à l'avant-scène, où Joël nous demandait d'être vraiment totalement là... C'était très fort. J'étais déjà plus âgée que mon personnage, et maintenant, voilà que je dois y revenir avec dix ans de plus... Quand j'ai essayé le T-shirt, j'ai vraiment éprouvé combien on avait travaillé sur des positions intérieures, et combien on a continué à travailler depuis. Maintenant il va falloir que j'aille rechercher cette très jeune fille d'autrefois, là où elle se trouve encore – avec peut-être un petit plus de force, avec la solidité que j'ai maintenant. J'en ai très envie, ça me rend très curieuse. Au monde, c'est un spectacle qui est très beau de l'intérieur. Je me rappelle que Marie y est tout le temps active, tandis que moi, je me sens prise dans une lumière. C'est un espace magnifique, avec ces grandes fenêtres, et je me souviens que je me tiens là, dans un petit débardeur... C'est émouvant. Et je pense aussi à ceux qui ne sont plus là – à la création, il y avait Philippe Lehembre, un acteur prodigieux. Il est mort l'an dernier. à quatre-vingts ans, il jouait de façon plus moderne que beaucoup de jeunes acteurs. Il pouvait travailler à partir de rien, en étant simplement là, je me souviens de l'avoir regardé qui avançait en diagonale en répétant simplement «Oui... oui... oui...» et en donnant à chaque fois des couleurs différentes... J'apprenais énormément en le regardant. M. P. – Quand j'ai entendu parler de la reprise d'Au monde et plus particulièrement pour moi de ce rôle, je me suis sentie très, très contente, enthousiaste... Je sais que ça va être l'occasion de continuer à creuser un chemin. Pour moi aussi, cet essayage de costumes, le fait de me reglisser dedans, ça a été une replongée, comme dans un rêve. J'ai retrouvé des sensations exactes de ce personnage. Comme si elles m'avaient attendu dans le tissu. Comme si le costume était la peau des situations. J'ai senti ma voix d'actrice se renouer à celle du personnage, la mémoire d'ensemble a commencé à remonter. Et en même temps, de l'extérieur, je voyais une dame enfiler un costume et cette dame c'était moi, je sentais que mon corps avait changé... Ce n'est pas forcément qu'on ait grossi, c'est plutôt que quelque chose est plus robuste, plus solide. Saadia a raison de parler de solidité. Ce sont les mêmes costumes, ceux de 2003. On peut dire que les mesures objectives n'ont pas changé, je rentre dans mes costumes, mais ce sont les mesures subjectives qui ne peuvent plus être tout à fait les mêmes. Je me suis dit tiens, c'est drôle, c'est bien la sensation d'il y a dix ans mais je suis différente aujourd'hui, je ne suis pas faite de la même étoffe, je me sens plus «dame»... Tout le problème va être de refaire un dosage subtil, d'un côté ne pas nier ce qu'on est devenus, et d'un autre côté maintenir ce qui s'était imposé comme nécessaire, à l'époque de la création, dans l'imaginaire de Joël. Dans cette pièce particulièrement, ses personnages sont comme des émanations d'idées abstraites, des incarnations de paroles qu'il a voulu prononcer sur le monde. Alors comment on revient à de telles présences, comment on réactive ça à partir de ce qu'on est aujourd'hui, et lui-même, à partir de lui, comment il va retravailler ça ? Lui non plus n'oublie jamais où on est, il le prend toujours en compte, et en même temps il respecte la quête qu'il a sur chaque spectacle. Là, il va falloir doser un nouveau mélange entre notre matière à nous, vivante, organique, et sa demande expressive à lui, qui par certains côtés est presque abstraite. à l'époque, quand on répétait, il nous avait distribuées sur Les Trois Sœurs de Tchekhov. Moi j'étais Irina, Agnès était Macha, et toi tu étais Olga. On avait travaillé quelques scènes... C'était un hommage explicite, textuel, et une façon aussi d'approcher les personnages depuis un autre point, comme à partir d'une vieille photo. Et maintenant, dans la photo, il y a aussi nos rôles. S. B. – Quand j'ai mis les vêtements, automatiquement, face au miroir, j'ai pris une certaine attitude, je me suis déhanchée d'une certaine façon – c'était quelque chose du personnage, une mémoire du corps, quelque chose qui remontait et que je vérifiais devant moi, dans la glace, comme pour me rassurer, pour voir que c'était intact, que ça jouait bien... M. P. – Je me rappelle, quand j'étais petite, de ma mère ou d'autres femmes qui racontaient «Ah là là, j'ai réessayé ma robe de mariée...» L'autre jour, j'ai pensé à elles et je me demandais ce que ça allait me faire, à moi. Cendrillon aussi, pour aller au bal, met une vieille robe de sa mère. Le vêtement transmet quelque chose. Un autre temps. J'ai enfilé mes chaussures, le bruit des talons est important dans Au monde, et je porte une robe qui m'interdit les grandes enjambées. On fait fonctionner la mécanique, on la retrouve avec plaisir. La difficulté va être de laisser nos impressions être fluides, de ne pas nous crisper sur la pure reconstitution. Il ne faut pas que ça coagule, que ça tourne à la pièce de musée. S. B. – On a toujours eu envie de créer un répertoire. De jouer et rejouer les pièces pendant des années. De pouvoir «Comme un bulbe qu'on replante et qui refleurit.» les remonter, les reprendre, de mûrir et grandir avec. Là, on y arrive, ça y est. C'est une expérience nouvelle. M. P. – Voilà, c'est comme un patrimoine accumulé. Comment faire pour que ça reste vivant, pour que ça vibre ? L'enjeu pour nous tous va être de retrouver cette vie, de la réactiver. Comme un bulbe qu'on replante et qui refleurit. Il ne faut surtout pas vouloir refaire à tout prix. Il faut que nous repartions de la réserve du rôle qui attend, de ce qui est en sommeil en nous. S. B. – J'ai pensé à cette nouvelle de Borges, à Pierre Ménard qui réécrit Don Quichotte mot à mot, comme un palimpseste. Joël travaille déjà comme ça avec le présent. Nous aussi, il va falloir trouver l'esprit qui redonne accès aux mêmes mots, littéralement. Pour réinvestir, reproduire sans copier. Et pour ça, il faudra sans doute que nous bougions des choses, Joël et nous, des choses de l'intérieur. Des choses invisibles. Propos recueillis par Daniel Loayza. Paris, 19 juin 2013 Marie Piemontese dans Au monde © élisabeth Carecchio OD Handicap 7 Yeelem Jappain © Fanny Gauthier handicap Brève histoire de l'éloquence muette quand les mots prennent corps Elles sont trois. Trois «entendantes» à être tombées dans la culture sourde : Yeelem Jappain, Margaux Crapart et Zelda Perez. Trois comédiennes qui travaillent aussi à l'Odéon-Théâtre de l'Europe, à l'accueil du public et à la billetterie. Yeelem a appris la Langue des Signes Française (LSF) à l'International Visual Theatre (IVT) ; Margaux, à l'Académie de la Langue des Signes Française (ALSF). Quant à Zelda, elle a débuté grâce à Margaux. Yeelem, Margaux et Zelda témoignent de l'implication de l'Odéon au service des publics malentendants. Mais aussi malvoyants : l'une de nos chargées de relations avec le public, Alice Hervé, va devenir l'interlocutrice privilégiée des spectateurs à handicap auditif ou visuel. à ce titre, elle sera chargée d'organiser les représentations avec audiodescription et adaptées en LSF. Dès la rentrée est prévue une action de sensibilisation de tout notre personnel à la situation particulière de ce public. Une présentation de saison spécialement conçue à l'intention des malentendants, fruit de la collaboration du théâtre avec l'association Accès Culture, aura lieu le 23 septembre dans le 6e. à écouter Yeelem et Margaux, on comprend pourquoi ces jeunes comédiennes, tout comme l'Odéon-Théâtre de l'Europe, portent une attention particulière aux autres cultures, aux autres formes du dire et de l'écoute. L’adaptation en LSF n'est pas qu'une histoire de mots mais aussi de situations et de corps. Elle déploie tout un espace d'expressions, de postures et d'intentions, mobilise une intelligence physique et contextuelle qui lui est propre. A priori, rien ne les disposait à se tourner vers cette culture : ni personnes sourdes dans leur entourage, ni rencontre particulière. Rien, sinon une sensibilité particulière, une intuition qui fait dire à Margaux : «J'ai le cerveau d'un sourd, parler sourd m'est plus facile que le français. Des mots sur lesquels je butais s’éclaircissent en signant». Selon Yeelem, il faut se détacher de l'organisation de sa langue maternelle ; il faut aimer être à la fois la situation et tous les personnages. On ne raconte pas une histoire du dehors mais du dedans. «On n'attrape pas une mouche. Il y a déjà la mouche, elle vole, puis on est là et on l'attrape. Je suis l'attrapée et l'attrapant». L'amour L'adaptation de spectacles en LSF (telle que la pratique le comédien Laurent Valo avec l'association Accès Culture et l'Odéon) est donc une œuvre en soi. Notre regard de spectateur se pose tour à tour sur le spectacle en train de se faire et sur le comédien sourd devenant lui-même spectacle. «J’ai vu mon fils, sourd lui aussi, s’éclater complètement et mon mari apprécier enfin un spectacle au même titre que toutes les autres personnes», nous écrivait une spectatrice à la sortie d'une version signée du Cendrillon de Joël Pommerat : «ça fait du bien de se sentir égal à son voisin.» L’accessibilité à l'Odéon-Théâtre de l'Europe -Un site internet avec un espace accessibilité : les spectacles adaptés en Langue des Signes Française, les spectacles avec audiodescription, les plans d'accès aux salles -La création d'un tarif spécifique Dans certains monastères où la règle de silence était observée, des lexiques de 500 à 1300 signes ont été inventés dès le Moyen âge afin de communiquer sans parler. Audiodescription La Bonne âme du Se-Tchouan de Bertolt Brecht, mis en scène par Jean Bellorini aux Ateliers Berthier, les dimanches 1er et 8 décembre à 15h Les Fausses Confidences de Marivaux, mis en scène par Luc Bondy au Théâtre de l'Odéon, les dimanches 2 et 9 février à 15h, le mercredi 5 février à 20h LSF Une année sans été de Catherine Anne, mis en scène par Joël Pommerat aux Ateliers Berthier, le mercredi 30 avril à 20h. Adaptée par Sandrine Schwartz, interprète-comédienne LSF. Réservation pour les représentations avec audiodescription et adaptées en LSF : Alice Hervé [email protected] 01 44 85 40 47 / 06 22 19 01 76 COMMENT ON Margaux Crapart © Colin Guillemant je ne sais pas En France, on doit à l'abbé CharlesMichel de l'épée (1712-1789) la fondation de la première école publique pour personnes sourdes. Ayant observé les signes naturels qu’utilisent certains sourds, il décide de regrouper et d'instruire ensemble les enfants souffrant de ce handicap. Après avoir fait devant la Cour la démonstration des progrès de ses élèves, il obtient l'autorisation d’ouvrir une véritable école. Cet établissement deviendra l'Institut national des jeunes sourds, aujourd'hui mieux connu sous le nom d'Institut SaintJacques, à Paris. Il a fallu attendre la loi Fabius (1991) pour que soit favorisée l’éducation bilingue pour les sourds (LSF et français écrit et oral). La LSF a été reconnue comme langue officielle en France en février 2005, trois ans avant d'être inscrite parmi les options du Baccalauréat (coefficient 1, seuls les points au-dessus de la moyenne comptent). je t'aime 8 Les bibliothèques de l’Odéon Voix de femmes – Grande salle Réalisées par Blandine Masson / Préparées par Baptiste Guiton Lectures suivies d'un entretien animé par Jean Birnbaum En coproduction avec France Culture / Enregistrement public En partenariat avec Le Monde des livres Yasmina Reza Emmanuelle Devos Les écrits s'envolent, les paroles restent Daniel Loayza – D'où vous vient votre passion du théâtre ? Lundi 30 septembre / 20h (sous réserve) Lecture de Heureux les heureux Un couple qui s'engueule au supermarché, un adolescent qui se prend pour Céline Dion, un joueur de bridge qui se met en colère au point d'en avaler un Roi de trèfle... Dans cette série de saynètes quotidiennes, Yasmina Reza met en scène des êtres bouleversants. Tous tentent de faire face aux assauts de la vie, à l'usure du temps comme aux blessures de la solitude. Pour ce faire, leur seule arme est le rire. Avec une immense sensibilité et un humour salvateur, Reza signe ici son grand roman de la désolation humaine. Jean Birnbaum Virginie Despentes Anna Mouglalis Lundi 14 octobre / 20h Lecture de King Kong Théorie Ce qui est clair, c’est que je ne serais pas content, si j’étais née homme. C’est étonnant de voir qu’autant d’hommes donnent l’impression de tenir à ce point à leur carcan de masculinité. Il s’agit quand même d’une amputation émotionnelle brutale, constante et salement exigeante. Je crois qu’on assiste en direct à l’effondrement de la «norme hétérosexuelle», et qu’il serait urgent de l’accompagner de discours novateurs sur la masculinité. Si on imagine que les choses telles qu’on les connaît persistent encore une vingtaine d’années, je pense qu’on assisterait à une véritable explosion des genres et des conventions culturelles et politiques qui nous tiennent depuis des siècles. Virginie Despentes, propos recueillis par Henri Belin et Susana Arbizu. 7 février 2008 Exils – Grande salle Animés par Paula Jacques / Enregistrement public En coproduction avec France Inter Anaïs Nin Catherine Millet Lundi 7 octobre / 20h «Parfois je pense à Paris non comme une ville mais comme un havre. Protégé, fermé, abrité, intime. Le bruit de la pluie de l'autre côté de la fenêtre, l'esprit et le corps enclins à l'intimité, aux amitiés, aux amours. Encore une journée intime et abritée d'amitié et d'amour, une alcôve. Paris intime comme une chambre. Tout conçu pour l'intimité. Cinq à sept c'était l'heure magique des rendez-vous d'amour. Ici c'est l'heure des cocktails. New York est tout le contraire de Paris. On se soucie bien d'intimité ! On ne porte aucune attention à l'amitié et à son développement. Rien n'est fait pour adoucir la dureté de la vie elle-même. On parle beaucoup du «monde», de millions, de groupes, mais aucune chaleur entre les êtres...» Anaïs Nin, septembre 1940, Journal t.3 Les Dix-huit Heures de l’Odéon Salon Roger Blin Fantômes en littérature Soirées présentées par François Angelier, producteur à France Culture de Mauvais Genre En partenariat avec le Centre des Monuments Nationaux et France Culture Sleepy Hollow de Washington Irving Mercredi 9 octobre / 18h La lecture sera présentée le samedi 12 octobre à l'Abbaye de Cluny repenser l'humanisme Animé par Catherine Portevin En partenariat avec Le Seuil et Philosophie Magazine La signature humaine Jeudi 10 octobre / 18h Entretien avec Tzvetan Todorov «Les valeurs humanistes ne sont pas inventées, elles sont découvertes» festival des outre-mers Animé par Christian Tortel En partenariat avec le Festival des Outre-Mers «De l'autre côté de la mer» Vendredi 11 octobre / 18h «Conditions noires» Vendredi 18 octobre / 18h Entretien avec Gisèle Pineau Entretien avec Pap Ndiaye et Jean-François Niort Blandine Masson – J'ai des parents formidables, incroyablement vivants. Ma mère est une comédienne dans l'âme. Elle a travaillé aux Célestins, à la Comédie de Saint-étienne du temps de Jean Dasté. Jouer, c'est la passion de toute sa vie, et cette passion a longtemps été contrariée. C'était extrêmement douloureux pour elle. Le théâtre était bien là, mais la transmission s'est plutôt faite par capillarité. Cela peut paraître paradoxal, mais c'est à cela que je dois mon amour des comédiens, parce que je sais qu'il n'y a rien de plus terrible qu'un acteur qui ne joue pas ! La soixantaine venue, ma mère s'y est remise, a monté une petite troupe, s'est impliquée aux ATP, les Amis du Théâtre Populaire, qui sont particulièrement actifs à Aix. Et pour ses 80 ans, elle a souhaité jouer Conversations avec ma mère. Nous nous sommes cotisés, famille et amis, pour engager un metteur en scène et un acteur et lui permettre de travailler dans des conditions vraiment professionnelles. La première est prévue en octobre. On ne pouvait pas lui faire de plus beau cadeau. D. L. – Le lien avec la fiction radio n'est donc pas aussi évident qu'il le semblerait ? B. M. – Je ne suis devenue réalisatrice radio qu'à l'âge de 34 ans. J'ai commencé par un DEA de littérature à Aix, avec Raymond Jean. La littérature, c'était mon truc, comme on dit, et ça l'est toujours. Puis je suis montée à Paris et j'ai entrepris un diplôme à l'Institut Français de la Presse, sans trop d'enthousiasme. Mais j'ai fait des rencontres. Par Raymond Jean, j'ai fait la connaissance d'Antoine Spire, qui m'a fait entrer une première fois à la radio. J'ai aussi connu Michel Simonot, le fondateur de l'ANFIAC, l'Association Nationale pour la Formation et l'Information Artistiques et Culturelles. Sachant que j'étais formée au secrétariat de rédaction, Michel, qui était extraordinairement généreux, m'a proposé de créer avec lui une revue qui traiterait des conditions de la création artistique. Et je suis devenue rédactrice en chef, secrétaire, correctrice des Cahiers du renard. Une chance ! J'ai sorti 13 numéros bimensuels entre 1989 et 1994. Un numéro s'intitulait «L'art d'hériter», ce qui n'est pas sans rapport avec ce dont on parle en ce moment... D. L. – C'est aussi en ce temps-là que vous avez connu Michelle Kokosowski ? B. M. – Elle avait fondé l'Académie Expérimentale des Théâtres en 1990. C'est elle qui m'a fait connaître Heiner Müller, c'est grâce à elle que j'ai enregistré une rencontre avec Grotowski... Là aussi, quelle chance ! J'ai suivi quasiment toutes les activités de l'Académie, et je me suis en quelque sorte formée au théâtre à son contact. 9 CARTE LES BIBLIOTHÈQUES DE L'ODÉON Carte 10 entrées 50€ / À utiliser librement. Programme complet Brochure détaillée saison 13-14 disponible mi-septembre. D. L. – Qu'est-ce qui vous a conduite à choisir entre l'édition et la radio ? B. M. – Les circonstances, et puis une autre rencontre, décisive. C'était en 1995. Pour la première fois depuis dix ans, la radio a ouvert un recrutement de réalisateurs. J'ai été prise, et c'est de là que date ma vraie proximité de travail avec Alain Trutat. Ceux qui le connaissent déjà savent qu'il a joué un rôle énorme dans la vie culturelle française. Il avait été le secrétaire d'éluard, l'ami de Paulhan, de Tardieu, d'Adamov, un proche de Beckett, un interlocuteur de Vilar... Quand on demandait à Alain Crombecque qui avait compté pour lui, l'un des deux hommes qu'il citait, c'était Alain Trutat. C'est lui qui lui avait présenté Michel Leiris, c'est encore lui qui a rendu possible India Song à la radio... Un travail immense. Toute une vie pour la radio, où il avait fait ses débuts vers 1932, à l'âge de dix ans, comme comédien. Mais beaucoup de gens n'ont même pas entendu parler de lui. Il avait fondé l'Atelier de Création Radiophonique au début des années 1960. C'était un très grand réalisateur... Alain m'a beaucoup fait confiance, et il m'a formée. Il m'a fait écouter et digérer des centaines d'heures sur le théâtre citoyen, sur le théâtre en Avignon, des nuits entières d'archives de Maria Casarès, des nuits d'Alain Cuny... Il m'a d'ailleurs envoyée chez eux pour les rencontrer. C'est sur son initiative que j'ai pu adapter les journaux d'Helen Hessel et HenriPierre Roché, que j'avais coédités chez André Dimanche, en les entrecroisant © Cordula Treml avec des extraits tirés du roman, mais aussi du film de Truffaut. C'est encore lui qui m'a fait écouter les archives Copeau... Il m'a fait renouer ce lien qui avait été occulté en moi du fait de l'histoire de ma mère. Il a remis en jeu cette part qui ne se jouait nulle part. Il m'a donné plus qu'une mémoire, comment dire ? une mémoire de mémoire. Je me souviens d'avoir entendu, mais aussi d'avoir entendu grâce à Alain, et donc, de porter quelque chose de son écoute dans la mienne. D. L. – C'est ce qu'on appelle une tradition... B. M. – Oui, sans doute. Je suis fière que Laure Adler ait pensé à moi pour occuper son poste. Lui qui a tout refusé, les honneurs, les distinctions, les cérémonies, et même son propre enterrement, il avait envie que quelque chose vive de son travail. Mais il ne voulait pas laisser de trace de lui-même. Ses derniers mots ont été : «Silence – silence...» J'ai quand même fait une émission pour lui rendre hommage, en 2006. Michel Piccoli y parle de lui de façon magnifique... Voilà. Le théâtre, pour moi, s'est noué ou plutôt renoué par ces gens-là. Avant tout par Michelle Kokosowski et Alain Trutat. C'est mon couple de théâtre à moi ! Et après, il a fallu que je me lance à mon tour. D. L. – Deux mots sur «Voix de femmes» à l'Odéon ? B. M. – J'ai beaucoup aimé «Scènes imaginaires». Une vraie réussite de radio. «Voix de femmes» part d'un principe plus simple, mais j'en attends également beaucoup. Il y aura deux volets dans chaque émission. D'abord une lecture, qui sera comme une première rencontre entre un texte et une interprète. Puis un entretien, c'està-dire une seconde rencontre, entre la femme auteur de ce texte et Jean Birnbaum, du Monde des livres. Ce que j'apprécie dans ce travail avec l'Odéon, c'est que nous prenons le temps, à tous les niveaux. On construit un cycle sur toute une saison, avec un vrai choix des auteurs, des œuvres, des interprètes. Avec Virginie Despentes, le projet est très lié à l'actrice, Anna Mouglalis. Elle va lire King Kong Théorie. Despentes m'avait dit un soir, il y a longtemps : jamais vous ne voudrez de moi à France Culture ! Comme quoi... Yasmina Reza, elle non plus, ne se réduit pas au théâtre. Je l'aime beaucoup. Peut-être qu'elle est victime de son succès, qui a suscité certains préjugés. On a fait trop peu de choses avec elle à la radio. Quant à Julia Kristeva, c'est une vraie satisfaction personnelle. Il y a déjà longtemps qu'elle avait écrit une pièce pour plus de vingt comédiens, tirée de son livre sur Sainte Thérèse d'Avila. Laure Adler a suivi tout son travail de près. Elle lui avait suggéré de le remanier, puis m'a confié le dossier. Le résultat est un très beau monologue, qui appelle le plateau. Donc, je guettais l'occasion depuis un moment... Mais je suis tenace, et j'ai bonne mémoire. Pour la Thérèse de Kristeva, il nous faut évidemment une très, très grande inter- prète. Nous avons une piste, qui attend d'être confirmée. D. L. – Allez-vous réaliser ces émissions vous-même ? B. M. – Je tiens à ne pas me couper complètement de l'artistique. Malheureusement cela demande beaucoup de temps, et le temps est justement ce qui me manque... Seule exception, La Décennie rouge, de Michel Deutsch, que j'ai réalisé en 2006 avec Georges Lavaudant. Mais sinon, je ne peux plus faire que du direct. Ce qui crée un autre lien avec le théâtre, en Avignon par exemple : le 13 juillet, je vais réaliser au Musée Calvet Tombé hors du temps, le tout dernier texte de David Grossman, pour sept personnages. J'ai une très belle distribution. De même, le «Voix de femmes*» avec Julia Kristeva est un rendez-vous que je veux réaliser personnellement. la littérature, par l'autre au théâtre. C'est déjà du corps, mais pas tout à fait ; déjà de l'espace, mais pas tout à fait... Quelque chose de l'écrit paraît s'évaporer, quelque chose de la parole semble se fixer. Mais à la limite, il suffit d'une voix et d'un micro. Un acteur peut faire tous les rôles d'une pièce. On a dans nos archives un Nekrassov de Sartre entièrement interprété par Pierre Brasseur : c'est génial ! On a aussi une Phèdre avec Alain Cuny qui joue Phèdre, Hippolyte, Thésée, Théramène et les autres, ou une électre entièrement interprétée par Silvia Monfort... Denis Podalydès m'a fait tout seul, chez lui, tous les rôles de Cinna, de Corneille, et je n'avais jamais compris la pièce aussi bien. Peut-être qu'on pourrait reprendre l'idée d'une telle série à l'Odéon, pour une prochaine collaboration ! Entretien réalisé à Paris le 21 juin 2013 D. L. – Qu'est-ce que le théâtre aurait encore à apprendre de la radio ? B. M. – En fait, ça marche dans les deux sens : la radio reste toujours à l'écoute du théâtre, à la chasse aux voix, que ce soit celles des auteurs, des interprètes ou des metteurs en scène. Vitez disait qu'on peut faire théâtre de tout. On peut en dire autant de la radio : on peut tout y combiner, tous les genres, toutes les techniques de narration, le direct et l'archive, le simple et le complexe, dans tous les dosages et à toutes les vitesses. C'est que la spatialité de la radio tient par un côté à Blandine Masson commence à réaliser des fictions radiophoniques pour France Culture en 1996. Depuis 2004, elle est conseillère de programmes pour la Fiction sur France Culture. * Julia Kristeva, Lundi 17 mars / 20h Tandis qu'elle agonise, Thérèse mon amour (sous réserve) La Scène Imaginaire de Joël Pommerat. Enregistrée et diffusée par France Culture De gauche à droite : Arnaud Laporte, Joël Pommerat, Marie Piemontese, Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Ruth Olaizola © Cordula Treml 10 10 Peu après avoir été invitée pour la deuxième fois à Cologne pour participer aux cinquantièmes Rencontres Théâtrales (Theatertreffen) avec Reise durch die Nacht, Katie Mitchell est revenue à Berlin à la mi-février 2013 pour la création mondiale de sa mise en scène du Papier peint jaune. Récemment traduite par Diane de Margerie sous le titre de La Séquestrée, la nouvelle de Charlotte Perkins Gilman (1860-1935), l'un des premiers classiques du féminisme outre-Atlantique, est un récit semi-autobiographique, le journal d'une femme qui succombe peu à peu à des hallucinations dans une chambre tapissée de papier peint jaune. Cette version, adaptée par Lyndsey Turner et traduite en allemand par Gerhild Steinbuch, est un thriller multimédia : on y retrouve les techniques de tournage en direct qui ont fait la réputation de Katie Mitchell. 20 – 26 septembre / Berthier 17e DIE GELBE TAPETE Le Papier peint jaune d’après Charlotte Perkins Gilman mise en scène Katie Mitchell en allemand, surtitré version anglaise de Lyndsey Turner traduction en allemand Gerhild Steinbuch scénographie Giles Cadle costumes Helen Lovett Johnson cinéaste Grant Gee vidéo Jonathon Lyle musique Paul Clark création son Gareth Fry, Melanie Wilson lumière Jack Knowles bruitages Ruth Sullivan dramaturgie Maja Zade avec Judith Engel Ursina Lardi Tilman Strauß Iris Becher Luise Wolfram Cathlen Gawlich et Jesse Mazuch Maurice Wilkerling (caméras) production Schaubühne am Lehniner Platz – Berlin créé le 15 février 2013 à la Schaubühne am Lehniner Platz – Berlin durée 1h20 Die gelbe Tapete 11 Un thriller multimédia Summer Banks – Comment avez-vous transposé la nouvelle sous forme dramatique ? Katie Mitchell – La première chose que nous avons faite a été de donner le texte à lire à un psychiatre de mes amis, parce que je voulais comprendre s'il s'agissait de littérature, de poésie, ou de la description psychiatrique vraiment précise d'un certain état. Il l'a lu et m'a dit qu'il «Un portrait classique de la dépression post partum.» s'agissait d'un portrait classique de la dépression post partum – d'une exactitude totale. Ce qui était plutôt excitant ! Nous nous sommes rendu compte que nous avions là des matériaux qui étaient très précis d'un point de vue psychiatrique. Et après cette découverte, nous avons décidé que nous ne voulions pas laisser cette histoire dans les années 1890, son époque d'origine, que nous allions la situer dans l'Allemagne d'aujourd'hui : un couple berlinois qui part à la campagne dans le Brandebourg. Nous avons modernisé l'intrigue, nous l'avons remise à jour, et nous en avons tiré un script en neuf scènes incluant le recours à des caméras live au plateau pour conduire le récit. S. B. – Votre usage du cinéma en direct est devenu si constitutif du projet, si omniprésent, qu'il appelle la question : pourquoi ne pas avoir tout simplement tourné un film ? K. M. – C'est une bonne question, mais ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que le metteur en scène, de par sa fonction, est toujours dans une position privilégiée face aux acteurs, qu'il est tout près, qu'il peut tout voir. Mais si vous êtes assis au sixième rang, vous ne pouvez déjà plus apercevoir certains détails. De ce point de vue, donc, et il est vraiment important, tout le monde peut avoir accès à l'ensemble des détails les plus subtils du jeu. Et c'est vivant, en direct. Qui dit mieux ? Cela reste fidèle aux détails des processus théâtraux vivants, directs, et en même temps, le public peut voir tous ces détails, en toute équité. Même si une salle de spectacle n'est pas un espace démocratique, quoi qu'on en dise. S. B. – Trouvez-vous que le recours au film live soit devenu pour vous un procédé, une facilité ? © Stephen Cummiskey K. M. – Une facilité, jamais. Nous essayons sans cesse de trouver de nouvelles approches : à chaque fois, nous fixons des objectifs artistiques différents. […] Ici, nous avons essayé d'aller plus loin dans les effets spéciaux : essayez donc de faire la femme derrière le papier peint, c'est vraiment difficile ! à chaque fois, nous repoussons les limites de ce qui est possible, ou nous nous assignons un nouveau but. Cette fois-ci, c'est le côté thriller et les hallucinations. S. B. – Ce ne sont pas les thrillers qui manquent dans l'histoire du cinéma... K. M. – Celui-ci s'inscrit dans la longue tradition des thrillers courts où il est question de gens qui habitent des maisons étranges, très claustrophobiques, à l'intérieur desquelles les choses finissent par déraper. Nous avons aussi revu Répulsion, de Polanski – un film sur une femme qui petit à petit devient folle – et nous avons pensé à Hitchcock. Dans la construction du tournage en direct, à mesure que nous mettions au point «Nous avons revu Répulsion de Polanski.» le découpage, nous avons passé de merveilleux moments à visionner des films noirs à suspense. Et ce qu'il y a de bien, je crois, c'est que comme ce texte n'est pas très connu en Allemagne, le public ne sait pas comment se termine l'histoire ! Ce qui de notre point de vue est très excitant. S. B. – Dans le texte original, la description de foules de femmes retenues captives derrière ce papier peint peut être comprise comme caractérisant la position qui est celle des femmes au sein de la société à la fin du 19 e siècle. Quel est le poids de la thématique féministe dans votre mise en scène ? K. M. – Dans une certaine mesure, cela n'a d'importance que si vous situez le récit dans son époque historique. Et donc, si vous le détachez de son époque, alors il n'est plus cet événement féministe qu'il a été dans les années 1890. Cela étant, il faut souligner qu'il n'y a pas tant de pièces qui parlent de dépression postnatale, même aujourd'hui, et cela en dit long sur notre culture. Les gens n'aiment toujours pas que l'on parle de ménopause, de menstruation, de dépression postnatale ; tous ces phénomènes qui sont ancrés dans le corps féminin ne sont pas souvent abordés sous forme dramatique. Du côté du corps masculin, par contre, on en fait des tonnes, et débrouillezvous avec ça. Je veux dire, ce n'est pas que ce soit sans intérêt, mais il y en a vraiment beaucoup ! (Rires) S. B. – Estimez-vous qu'il est de votre responsabilité d'aborder ces questions que pose le féminisme, surtout depuis que vous êtes mère d'une fille ? K. M. – évidemment, les jeunes filles sont sexualisées tellement plus tôt de nos jours. Je sens, dans mes actions en tant que femme, que je dois pouvoir en rendre compte devant ma fille, ce qui fait que je ne peux pas, dans mon travail, balayer mon identité de genre sous le tapis. Il faut que je fraie une voie pour ma fille, pour ses certitudes et son assise politique. Quand j'étais plus jeune, je me sentais souvent classée, enfermée dans une catégorie, et comme je tenais à ce que l'on fasse preuve d'équité, je ne voulais pas que mon identité de genre soit un problème. Je voulais que le travail ne soit que du travail et qu'il soit jugé comme tel, séparément, mais avec l'âge, je sens que je dois pouvoir être en mesure de rendre des comptes. S. B. – La crise économique a également eu un impact sur les financements, mais l'Allemagne est parvenue à maintenir ses subsides à un niveau relativement stable... K. M. – Je ne sais pas trop, mais il me semble que plus ça va mal, plus on a besoin d'art ! Si la crise économique s'aggrave, ce devrait être le dernier poste à sacrifier ! Cela dit, on a évidemment des besoins en matière de santé et d'éducation, ce qui fait que chez nous, nous sommes dans de beaux draps. Il y a beaucoup de coupes budgétaires. S. B. – Et le budget des arts, en règle générale, est le premier sur la liste. Quelle évolution avez-vous remarquée au Royaume-Uni depuis quelques années ? artistique très pure. Même si cela implique de monter des structures alternatives, de mettre au point des façons de travailler qui soient hors des structures commerciales traditionnelles. Je crois que c'est cela qu'il faut établir : une culture alternative qui dise «non, les valeurs du théâtre sont importantes et on ne peut pas toujours les reporter sur un bilan comptable». S. B. – Comment caractériseriez-vous donc ces valeurs du théâtre ? K. M. – Nous avons tous connu ce moment où après avoir lu un livre, vu un spectacle, cela résonne si profondément en nous que nous comprenons quelque chose sur nous-mêmes ou sur notre société, et où notre comportement commence imperceptiblement à changer. Le problème sera toujours qu'il n'est pas facile de faire sentir concrètement la valeur de l'expérience qu'est la lecture d'un livre, la contemplation d'une peinture où la présence à un spectacle, mais chacun peut citer un moment où la lecture d'un livre, la contemplation d'un spectacle ou d'une œuvre d'art a affecté et transformé son comportement, ou sa façon de regarder et de comprendre le monde, d'une façon qui, avec le temps, a conduit jusqu'à un certain point de plus haute valeur, à un niveau plus profond, plutôt que de déboucher sur «Ah, je me suis «Imaginez un monde sans musique...» K. M. – En étant rusée. encore fait un peu plus d'argent». Non, c'est plus profond ; c'est sur un plan métaphysique que j'ai été déplacée, que je me suis enrichie. Et comment vous faites pour quantifier ça ! (Rires) Imaginez le monde sans musique, sans danse, sans théâtre ni peintures. Imaginez ça, tout simplement. Ouf ! Peut-être que c'est par ce biais qu'il faut envisager le problème : à quel point ce serait là un monde appauvri. S. B. – Quel conseil donneriezvous à de jeunes metteurs en scène britanniques ? S. B. – Autre tendance intéressante, le nombre croissant de collaborations internationales... K. M. – Acceptez le fait que vous n'allez pas gagner votre vie et faites l'œuvre que vous voulez faire. K. M. – C'est vraiment important : à mesure que les problèmes écologiques évoluent et que les problèmes économiques s'aggravent, nous allons devenir de plus en plus isolés, repliés sur nous-mêmes. L'art reste un espace où cela ne se produit pas. Il y a encore de merveilleux lieux de collaboration et d'échange. K. M. – La commercialisation. Sur ce terrain-là, ce sont les bilans comptables qui décident. économiquement, c'est un secteur en pleine santé, et l'élan qui l'anime est celui-là : il s'agit de faire de l'argent, non de l'art. S. B. – Alors comment êtes-vous parvenue à faire de l'art quand même ? S. B. – Autrement dit, acceptez la perspective d'être un artiste affamé ? K. M. – Ma génération a démarré dans les années 1980, et ça n'a vraiment pas été facile à cause de Thatcher. Nous étions bel et bien des artistes affamés, et ceux d'aujourd'hui sortent de l'université avec de lourdes dettes. Mais je voudrais malgré tout leur dire : trouvez d'autres sources de revenus et ne vous laissez pas entraîner dans la commercialisation – suivez une ligne Entretien réalisé à Berlin le 15 février 2013, traduit de l'anglais par Daniel Loayza (source : exberliner.com) 12 Die gelbe Tapete L'énigme qui vous regarde Pour une femme, la naissance d'un enfant n'est pas nécessairement «le plus beau jour de ma vie». Dix pour cent des jeunes mères connaissent un épisode dépressif ; certaines d'entre elles (dont l'héroïne du Papier peint jaune) souffrent de troubles psychiques plus graves. Sarah Stern a bien voulu nous faire part des réflexions que lui inspire sa lecture de la nouvelle. Daniel Loayza – Pourriez-vous nous présenter votre travail en quelques mots ? Sarah Stern – Je suis psychiatre travaillant en maternité. Il s'agit d'accompagner des femmes dans un passage qui fait souvent resurgir de leur passé des éléments douloureux, restés énigmatiques, de leur propre enfance. Un service de maternité, c'est aussi un lieu où parfois les grossesses se passent mal, où l'on peut perdre un enfant. Nous avons donc constitué une équipe pour accompagner ces femmes vers la maternité. D. L. – De quand date cette attention médicale aux risques spécifiques de la période périnatale ? S. S. – Le premier à avoir publié un traité entier sur ce qu'il appelait «la folie des femmes enceintes et des jeunes accouchées» est un aliéniste Français, un élève d’Esquirol, LouisVictor Marcé, qui a poursuivi le travail initié par son maître sur la folie puerpérale. Son étude date de 1858. C'est un clinicien très fin, sans théorie a priori, qui aborde en détail des dizaines de cas. Marcé est déjà d'une sensibilité très moderne, qui m'a surprise quand j'ai découvert son œuvre. Mais il était extrêmement isolé. Thérèse Lempérière, dans un ouvrage récent, a écrit sa biographie. Il s'est suicidé à quarante ans, et cette fin dramatique pour l'époque doit avoir beaucoup nui à la diffusion de son travail. Depuis, on lui a rendu justice. L'association pour l'étude des pathologies psychiatriques puerpérales et périnatales s'appelle d'ailleurs la Société Marcé. D. L. – En tout cas, vers 1890, son œuvre n'a pas laissé de trace chez les médecins que décrit Charlotte Perkins Gilman... S. S. – Absolument. La façon dont cette jeune femme est confinée, et les raisons pour lesquelles on prescrivait un tel isolement, sont terribles. Ce genre de traitement visait à écarter toute stimulation intellectuelle, pour réduire au minimum l'activité psychique. En termes plus modernes, l'idée sousjacente était de rétablir ou de renforcer les mécanismes de refoulement. Souvent, au moment de la grossesse, des éléments de l'histoire personnelle ressurgissent de l'enfance : quel enfant j'ai été, quel parent je peux devenir... Des questions qu'on avait laissées en suspens sont relancées. Ce qui ébranle le refoulement. Ou alors, tellement d'éléments sont mobilisés que cela en devient douloureux : on sombre dans la dépression, on ne pense plus, on ne peut plus associer, rêver, dormir... Le traitement dont il est question dans La Séquestrée vise à renforcer le refoulement et va dans le sens de la dépression en livrant la patiente à une sorte de mort psychique. D. L. – Quel regard avez-vous posé sur La Séquestrée ? La metteur en scène affirme que son premier réflexe a été de soumettre ce texte à un ami psychiatre... S. S. – … Qui lui a dit qu'il s'agissait d'une description clinique exacte. Oui, c'est une lecture possible. Mais pour moi, ce qu'il y a de très intéressant dans cette nouvelle, c'est de voir comment le mal progresse. Ce n'est pas une dépression du post partum. Une autre logique est à l'œuvre, psychotique. L'héroïne est persécutée. Le papier peint s'adresse à elle, du dehors. Ce mouvement où elle est d'abord passive devant ce qui se passe, où elle est livrée comme un objet exposé à un regard, cela est proprement psychotique. D. L. – Dans la mise en scène, l'héroïne est comme répartie entre plusieurs instances : celle qui vit, celle qui parle/ pense et se tient un peu en retrait... S. S. – On pourrait penser que ce dispositif figure le vécu dissociatif. ça parle, ça pense en elle. Ce pourrait être une façon de figurer la fragmentation des perceptions dans l'expérience délirante. La présence de caméramen qui la filment renforce cette impression. Elle nous fait éprouver à notre tour combien cette femme est regardée, ce qui est au cœur du vécu psychotique. Elle qui est prisonnière sous la surveillance quasi constante de son mari et de la sœur de ce dernier est aussi comme un objet perméable, captée, envahie, harcelée par une espèce de double d'elle-même, par cette autre femme dont la captivité est comme une mise en abyme de sa propre situation. Une mise en abyme qui est d'ailleurs plutôt littéraire. D. L. – Que voulez-vous dire ? S. S. – Quand la séquestrée se cache pour écrire, c'est particulièrement émouvant : c'est comme si elle essayait d'entamer à son insu une autothérapie par l'écriture, c'est-à-dire un dialogue, dans la mesure où l'on écrit pour être lu. Elle s'efforce de restituer dans le langage l’étrangeté d'une expérience hors langage. Mais cette étrangeté vécue ne peut pas être tout à fait mise en récit, parce qu'elle s'inscrit dans un tout autre rapport au corps, au temps, à l'espace. Comment faire le récit de ce qui déconstruit les cadres et conditions du récit ? Cette question-là est celle que pose le délire comme sujet d'une écriture. Charlotte Perkins Gilman l’aborde avec le style narratif de son époque, qui reste littéraire même s’il s’agit d’un récit à la première personne. D. L. – L'expérience est l'objet d'une reconstruction esthétique, d'une mise en forme... S. S. – On a en effet une double ressaisie ou retraversée subjective : celle de l'auteur écrivant sa nouvelle et la publiant, celle de l'héroïne se cachant pour transcrire ce qui lui arrive. Mais ce qui est remarquable ici, et qui fait la modernité du récit, c'est son caractère très phénoménologique. L'héroïne se contente de décrire ce qui lui arrive et ce qui lui apparaît. Elle ne nous apprend quasiment rien de son passé, ne cherche pas d’explication dans son histoire, ne formule pas vraiment de revendication. Elle nous dit quelque chose de son état, de l'infantilisation qu'elle subit, mais sans aucune pos- ture de révoltée. L'auteur est féministe, mais son héroïne ne l'est pas. S'il y a bien un désir de libération, il ne se formule pas directement mais passe par le délire, la mission qu'elle doit accomplir : il faut libérer cette autre femme, la prisonnière du papier peint, qui n’est peut-être qu’ elle-même. Une fois encore, j'ai trouvé cela très littéraire. Ce qui n’est pas en contradiction avec la justesse clinique d’un récit qui retrace une expérience psychotique très concrète. Cet envahissement, ce mouvement qui part du papier... Et l'odeur, par exemple, cette odeur du papier qui la suit partout, comme une présence qui sature son espace perceptif, elle en parle d’expérience, elle ne l’a pas inventé…. D. L. – Est-ce que la séquestrée ne finit pas par revendiquer pour sien le territoire où elle a été assignée à résidence ? S. S. – Et donc, elle se libérerait en assumant son aliénation ? Ce serait parler trop vite. Elle est livrée à la solitude. Et dans cette solitude d'autres présences se sont construites qui l'ont fait entrer dans un autre monde, celui du papier peint. Mais cette chambre est aussi un lieu où des enfants ont vécu avant elle, et la façon dont elle en parle au début de la nouvelle suggère qu’il s’y est passé quelque chose de terrible, c'est une sorte de chambre de torture. Elle perçoit dans cette chambre la rémanence de la violence dont les enfants ont fait l’objet avant elle. Et par ce biais, elle dit quelque chose de la condition des enfants et de sa propre condition. On retrouve là cette mise en abyme littéraire de son propre enfermement dans le délire. Que celui-ci traduise quelque chose d’un désir d’affranchissement, soit. Mais cela ne libère pas l'héroïne. Le délire ne libérera jamais personne. Et l'écriture à elle seule n'est pas thérapeutique, alors qu'une relation avec un analyste permettant à un sujet de prendre conscience de son désir et de soutenir quelque chose de ce désir peut l'amener à se révolter. à une révolte qui soit transformation et non déformation du réel. D. L. – L'héroïne se montre très ambivalente à l'égard de ce papier peint. Elle passe de l'horreur à la fascination, à l'attention, puis à la sollicitude pour la séquestrée... Et à la fin, elle est à terre et rampe comme la femme du papier peint. Mais ce n'est pas une identification, c’est un envahissement. Ce qui est littéraire, c'est qu'on ne peut s'empêcher de superposer la condition de ces deux femmes, leur enfermement. D. L. – Et qu'en est-il de son bébé, finalement ? S. S. – Le fait est qu'elle en parle très peu. Et quand elle en parle, on a le sentiment qu'elle veut le protéger. Il faut qu'il soit tenu à l'écart de cette chambre, de ce vécu. Cette femme n'est pas dépourvue de sollicitude, d'attention pour son bébé. Peut-être même que si elle en parle si peu, c'est encore une façon de le maintenir le plus loin possible de ce lieu dangereux où elle se tient elle-même : moins il existe, plus il est à l'abri ! Or s'il a un nom, il existe déjà un peu – donc, elle ne le nomme même pas... Au fond, elle n'est pas encore devenue mère. C'est là une attitude fréquente chez les patientes présentant une psychose puerpérale. Beaucoup de jeunes accouchées disent «Je ne suis pas capable de m'en occuper bien.» Leur façon d'aimer l'enfant, c'est d'abord de le préserver d’elles-mêmes. En 1890, date du texte de Gilman, cette distance entre le corps maternel et celui de l’enfant pouvait passer inaperçue dans les milieux bourgeois. Au passage, il est intéressant de noter que Marcé s'était intéressé non seulement à la «folie des accouchées» mais aussi à la «folie des nourrices», une pathologie d'ailleurs assez étrange... Dans ce cas-là, qu'est-ce qui impacte à ce point le psychisme : les soins à l'enfant ? On n'a pas fini d'explorer la façon dont le corps et l'esprit interagissent. Entretien réalisé à Paris le 25 juin 2013 D. L. – Avez-vous été sensible aux efforts de ressaisie descriptive de la narratrice ? S. S. – Oui, bien sûr. Vous voulez parler des descriptions du papier peint, avec ces étonnantes «lignes qui se suicident» et ces grappes d'yeux qui pendent. Il arrive des choses que la narratrice ne sait pas comment saisir. Le fait brut et énigmatique la laisse perplexe. Peu à peu, «ça» se constitue. Les «lignes qui se suicident» deviennent des figures. Progressivement, à partir d'expériences fragmentaires, d'hallucinations, d'illusions, l'expérience délirante primaire est interprétée et le délire se construit. L'énigme qui vous regarde pose la question : qu'est-ce qui se passe ? C'est ça, le primaire. Le secondaire, c'est la construction du délire – car le délire fait sens. Il est une réponse à cette adresse énigmatique du réel, fragmentaire au niveau de la perception. Sarah Stern Responsable de l'Unité de Psychologie Périnatale de l'hôpital Delafontaine à SaintDenis (93). Ces dernières années est apparu un phénomène nouveau : des femmes en errance, plus d’une centaine par an, en sortant de la maternité, ont dû faire appel au Samu social pour avoir un toit. Sarah Stern milite pour que soient mises en place des conditions minimales d’accueil stable dans la première année de la vie d’un enfant. L’idée serait une maison de la mère et de l’enfant leur assurant les besoins primaires et un accompagnement de la relation mèreenfant. Psychiatre, Sarah Stern est également l’auteur d’un roman (Chroniques d'un adultère, Léo Scheer, 2010) et d’un essai (Déshabillez-moi. Psychanalyse des comportements vestimentaires, avec Catherine Joubert, Fayard/Pluriel, 2011). «De la mélancolie des nouvelles accouchées» Les hallucinations de l'ouïe, de la vue et du goût ont été rencontrées dans la plupart des cas, et n'ont présenté dans leur manifestation rien qui mérite d'être spécialement noté ; parmi nos malades, les unes recherchaient dans leurs rideaux, dans leurs meubles, l'origine de voix qui les interpellaient ; d'autres disaient qu'on sifflait et qu'on chuchotait à leurs oreilles, une troisième entendait parler sans pouvoir comprendre ce qui lui était dit. Je n'ai trouvé qu'une fois des hallucinations de la vue pendant l'état de rêve (Observ. 46) : deux fois il y a eu des hallucinations du goût, et les malades ont fait des difficultés pour prendre des aliments qui leur semblaient empoisonnés. (Observ. 47) Ces hallucinations n'existent souvent que pendant la période aiguë de la maladie […]. Les actes des malades ont été la conséquence logique de leurs idées délirantes, ainsi que cela arrive chez la plupart des aliénés. Sans insister sur le refus d'aliments et sur les actions aussi bizarres que variées, motivées par les hallucinations ou les idées maladives, disons que les tentatives de suicide ont été observées un grand nombre de fois. Une de nos malades (Observ. 46) essaya de se tuer en avalant une cuiller d'étain, pour échapper, disait-elle, à la honte dont elle était menacée ; une autre répétait qu'elle avait manqué à ses devoirs de mère et qu'elle n'était plus digne de vivre, et il fallait la surveiller de près pour empêcher quelque accident grave ; une troisième, dans son délire, se frappait la tête contre les murs afin d'échapper aux persécutions dont elle était l'objet. Quelques-unes chez lesquelles la dépression n'est pas assez forte pour enlever à l'esprit toute lucidité, apportent dans l'exécution de leurs projets un sang-froid et une adresse que l'on ne peut pas toujours déjouer. Schmidt, cité par M. Weill, rapporte l'histoire d'une nouvelle accouchée mélancolique qui, trompant toute surveillance, sortit la nuit de chez elle et alla se précipiter dans un puits. Le nouveau-né peut lui-même être gravement exposé, et il importe avant tout de l'éloigner de sa mère : une de nos malades répétait qu'elle voulait tuer son enfant. Louis-Victor Marcé : Traité de la folie des femmes enceintes, des nouvelles accouchées et des nourrices et considérations médico-légales qui se rattachent à ce sujet, Quatrième section, chapitre II, article 2 («De la mélancolie des nouvelles accouchées : symptômes»), Paris, Baillière et fils, 1858, pp. 265-267. 13 FAIRE VOIR UNE ÂME QUI PLEURE 4 – 13 octobre / Berthier 17e DIE BITTEREN TRÄNEN DER PETRA VON KANT Les Larmes amères de Petra von Kant Bibiana Beglau © Hans Jörg Michel de Rainer Werner Fassbinder mise en scène Martin Kušej en allemand, traduction audio en simultané scénographie Annette Murschetz costumes Heidi Hackl musique Jan Faszbender lumière Tobias Löffler dramaturgie Andreas Karlaganis avec Bibiana Beglau Sophie von Kessel Elisa Plüss Elisabeth Schwarz Michaela Steiger Andrea Wenzl production Residenztheater créé le 3 mars 2012 au Residenztheater durée 1h55 13 Projection du film Die bitteren Tränen der Petra von Kant de Rainer Werner Fassbinder (1972) en présence de Luc Bondy (sous réserve) mardi 8 octobre à 20h > Nouvel Odéon, Paris 6e / nouvelodeon.com certaines scènes de ce spectacle peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes, il est donc déconseillé aux moins de 16 ans 14 Sophie von Kessel © Hans Jörg Michel «Fassbinder voulait tout» Bibiana Beglau joue le rôle-titre de Die bitteren Tränen der Petra von Kant au Residenztheater de Munich – et nous parle du dramaturge allemand. Welt Online – Vous êtes une dure à cuire, non ? W. O. – L'amour non plus n'est plus ce qu'il était ? W. O. – Vous auriez aussi aimé travailler avec lui ? Bibiana Beglau – Je suis très exacte dans ce que je fais. J'appellerais ça du dérapage contrôlé. C'est important d'avoir une monnaie d'échange. Et une fois le marché conclu, il faut se livrer à fond. B. B. – L'amour ? Mais c'est chez nous que quelque chose ne tourne pas rond. Ce que je veux dire, c'est que quand une voiture nous roule sur le pied, on pousse des hurlements ! Quand on me casse le bras, je pleure de douleur ! Mais quand c'est l'âme ou le cœur qui sont blessés, personne ne crie. Ton âme encaisse des coups, c'est épouvantable, et personne ne crie. C'est ça que je ne comprends pas ! Pourquoi les rues ne sont-elles pas pleines de gens qui crient ? Au contraire, en plus on exige de nous qu'on ferme nos gueules, parce qu'il ne faudrait pas qu'en sortent des mensonges ou de la trahison. Si on ne le fait pas, on se fait accuser de trahison quand même. C'est complètement pervers. Le monde à l'envers. Pour cette cause-là, je veux bien rester quatre heures de plus en scène à célébrer cette forme de vaudou et d'exorcisme. B. B. – En tout cas, il aurait fait bonne figure dans la série de metteurs en scène de théâtre que j'aime, des gens comme Einar Schleef, Frank Castorf, Christoph Schlingensief, Klaus Michael Grüber. Des artistes qui s'exposent dans leur travail et ne craignent pas de se salir les mains. W. O. – Comment l'entendez-vous ? B. B. – Dans Petra von Kant, la question c'est l'amour : qu'est-ce que c'est ? Comment ça marche ? C'est un sentiment violent, archaïque – jusqu'à quel point ? Qui est perdant, qui est gagnant ? W. O. – Chez Fassbinder, Petra von Kant est un petit huis clos vicieux. L'amour de la styliste pour la jeune Karine, qui ne se sert d'elle que pour lancer sa carrière, agonise lentement, silencieusement. Par contre, avec vous et Martin Kušej, on sent presque physiquement à quel point c'est douloureux. B. B. – Martin et moi, nous voulions créer un espace où la souffrance intérieure devient visible. Dans les mythes grecs, l'amour, son euphorie, sa douleur, lance des héros comme Ulysse à travers le monde. Quand ces héros-là crient et souffrent, ça prend les proportions de la guerre de Troie. Il y a des rapts. D'énormes armées qui se rassemblent. Des monstres comme le Minotaure surgissent. Dans notre société, un lourd couvercle pèse sur ces élans-là, et on ne le soulève plus. W. O. – Vous êtes encore plus radicale que ne l'était Fassbinder ! B. B. – Mais non, je ne le suis pas. Fassbinder y allait déjà assez carrément. Dans ses films, dès qu'il s'agit de puiser dans ses réserves, ça souffre, ça se tord, ça braille, ça aime, ça désire franchement et à fond. Moi, j'admire ça. W. O. – Quand Fassbinder a écrit Petra von Kant, vous aviez… B. B. – … En 1972 j'avais tout juste un an. Dommage. J'aurais bien voulu le connaître. W. O. – à vous entendre, ce ne serait donc pas toujours absolument indispensable. B. B. – Sur le coup, on n'y réfléchit pas. Tu es là ou tu n'y es pas. Et quand tu y es, tu y es à cent pour cent. Tu fais quelque chose, par exemple avec Schlingensief ou Castorf, et tu es déjà dans la souricière. W. O. – Fassbinder, vous en auriez peutêtre fait ce que vous vouliez. En tout cas c'est l'impression que vous donnez. B. B. – Je crois que Fassbinder voulait tout, notamment sur le plan émotionnel. Des êtres pareils, on ne peut pas leur échapper aussi simplement. ça ne rimerait d'ailleurs à rien : s'exposer à lui entièrement, ça faisait partie du travail. W. O. – Il a traité son entourage, les acteurs de sa bande, un peu comme Petra von Kant son assistante Marlene : d'abord les attentions, puis les humiliations. B. B. – C'était un gars, je crois, qui était une sorte de metteur en scène de la vie. Il a passé son temps à bricoler avec les comédiens jusqu'à ce qu'ils deviennent exactement ce qu'il voulait qu'ils soient. Hanna Schygulla, Irm Herrmann, Margit Cartstensen et les autres, c'est aussi dans la vraie vie qu'ils les a «faites». W. O. – Ce qu'il y a de fascinant, c'est qu'il n'a pas uniquement compté pour les gens qui lui tournaient autour comme autant de satellites. B. B. – Non, il était de ceux qui ont secoué le cocotier alors que l'état venait tout juste de se redresser, et qui ont dit aux gens : lâchez-vous ! Ouvrez-la ! Montrez qui vous êtes. D'où vous venez. Il faut s'imaginer ce que c'était que l'amour à cette époque. Papa rentrait à la maison, faisait bisou-bisou – le même homme qui deux ans plus tôt, si ça se trouve, exécutait des enfants d'une balle dans la tête. Je suis heureuse de ne pas appartenir à la génération de ceux qui ont dû demander à leur père : et toi, tu as tiré une balle dans la tête à qui ? ébranler toutes les bases, ce n'était pas agréable pour une société qui après le troisième Reich avait passé les Trente Glorieuses à s'engraisser. Mais c'était nécessaire. De ce point de vue, les années 1970 ont été une grande époque, une époque importante. Et Fassbinder, un protagoniste essentiel. W. O. – Tout de même, l'amour libre, qui est comme un fétiche de ces annéeslà, n'était peut-être pas ce qui s'est fait de mieux. à cet égard, on dirait que nous avons au contraire perdu quelque chose en route – quand on vous voit, dans Petra von Kant, pousser l'appel aux grands sentiments quasiment jusqu'à l'abnégation. B. B. – Quand nous avons attaqué les répétitions, je me suis dit : je voudrais faire voir sur scène ce que c'est qu'une âme qui pleure. Martin Kušej m'a laissé le champ libre pour y arriver. Blesser, être blessé, il sait ce que ça veut dire. De nos jours, en principe, on est contraint de fonctionner avant tout de façon à pouvoir survivre au quotidien. Ce n'est pas facile de se faire comprendre sur ce qui est vraisemblable en matière de sentiments. W. O. – Et le peu de sentiments qui nous reste, on le flambe sur internet ? B. B. – Sur internet, ce sont plutôt des trucs sexuels qui se traitent, non ? Et il y a des gens qui écrivent énormément – est-ce que ces gens-là se rencontrent aussi ? Chercher, ce serait quoi si on ne comptait pas trouver ? Je crois que Fassbinder aurait passé pas mal de temps sur internet, pour chercher, mais aussi pour faire que ça devienne réalité. Les êtres humains chercheront toujours à se rencontrer. Sur le net, par petites annonces dans le journal, au sauna ou ailleurs. Moi, je crois que ça me rassure plutôt. Propos recueillis par Hermann Weiß, Munich, 10 mars 2012. Extraits traduits de l'allemand par Daniel Loayza). Source : www.welt.de © Axel Springer AG 2013. Tous droits réservés Die bitteren Tränen der Petra von Kant 15 Un volcan en veste de cuir Rainer Werner Fassbinder vu par Luc Bondy J'avais 24 ans et j'étais assistant à Nuremberg. Je venais de monter pour la première fois Les Chaises d'Ionesco. J'ai lu Liberté à Brême, qui m'a beaucoup plu, et j'ai contacté la maison qui éditait la pièce, le Verlag der Autoren, pour demander l'autorisation de la monter. Du coup Fassbinder est venu à Nuremberg pour voir mes Chaises avec toute sa bande, c'était assez impressionnant, ils ont tous débarqué dans des voitures américaines, lui dans sa veste de cuir et tous en longs manteaux comme dans les films noirs «Vous ne pouvez pas vous imaginer.» des années quarante et le soir, après la représentation, on est tous allés dans un Weinkeller ou un Bierkeller de Nuremberg, je ne sais plus trop, une cave en tout cas, et on a parlé pendant des heures. Il était très content de ce qu'il avait vu. Il faisait lui-même la création de sa pièce à Brême, où il travaillait en association avec Peter Stein et Peter Zadek, qui étaient d'une autre génération, et avec Klaus Michael Grüber aussi. Fassbinder mettait en scène ses propres pièces, mais il m'a quand même confié celle-là. C'est comme ça qu'on est devenus copains, et même amis. On se voyait à Bochum, où il travaillait aussi et où il a rejoint Zadek plus tard. C'était incroyable. La nuit il regardait des films, écrivait des scénarios. Le matin, il allait faire le montage d'un autre film. Puis il allait préparer un tournage, avec un chef éclairagiste... Et comme ça il faisait une ou deux pièces par an, plus des scénarios, plus des films, et les siens ne lui suffisaient pas, il voulait absolument que je fasse un film, moi aussi, «Vas-y, vas-y, fais un film !», il m'avait même présenté un producteur... Vous ne pouvez pas vous imaginer. Je me rappelle que quand on était au restaurant il prenait la commande pour tout le monde, et même s'il y avait trois plats par personne et qu'on était dix ou quinze à table, il répétait au garçon ce que chacun avait choisi. Il avait une mémoire extraordinaire. On se voyait assez souvent et à chaque fois il me reparlait d'un détail, d'un instant d'une de nos rencontres précédentes. Il était d'une naïveté formidable, dans le bon sens du terme : il s'intéressait, il était curieux, il pouvait être complètement excité par une histoire, un visage, une rencontre. Un soir à Francfort je lui ai présenté une actrice que j'avais connue à Vienne, Barbara Sukowa, qui est à l'affiche en ce moment dans le film de Margarete von Trotta sur Hannah Arendt, j'ai emmené Rainer dans un restaurant, encore une autre cave, qui s'appelait Toni, c'est là qu'il a fait la connaissance de Barbara, et je me souviens qu'il tombait des nues, il était comme émerveillé, absolument sûr d'avoir trouvé le personnage d'un de ses films. Il a fait Lola, une femme allemande avec elle, et aussi Berlin Alexanderplatz, d'après Döblin, pour la «On était loin du mariage pour tous...» télévision. Il m'a dit qu'elle lui faisait penser à une star à la Marlene Dietrich. Il était comme ça, très sanguin, impulsif, très vif... On a eu une petite brouille. Je ne sais plus trop quand, j'étais à Francfort, Rainer avait monté Les gens déraisonnables sont en voie de disparition, de Handke, et pour dire la vérité ce n'était pas une mise en scène fameuse. Il est venu me voir et m'a demandé comment j'avais trouvé et moi, comme j'étais encore un jeune gamin qui dit tout ce qu'il pense tout de suite et tout droit, comme dans Le Misanthrope, je lui ai dit mon avis et il s'est vexé – oui, il l'a vraiment très, très mal pris et on a eu un break qui a duré un certain temps. Puis on s'est réconciliés. En 1981 ou 82, je ne sais plus, j'étais à la Schaubühne pour créer une pièce de Botho Strauss, je crois que c'était Kalldewey, farce, et donc, quelque temps avant la première je passe au Paris-Bar, je tombe sur Fassbinder, toujours dans sa veste de cuir. à ce moment-là il était très impressionné par la psychanalyse, obsédé par Moïse et le monothéisme. Il prenait déjà beaucoup de médicaments en mélangeant toutes sortes de choses, et moi, de mon côté, j'étais le genre de metteur en scène qui aimait à cette heure-là il avait déjà fumé deux paquets de HB, c'était sa marque de cigarettes. Et il buvait des litres de café. C'était des matinées très sympathiques... Le jour de ma première, il était retenu à Berlin par un tournage. Au début des années 1970, les fax n'existaient pas et internet encore moins, c'était encore le temps des télégrammes et il m'en a envoyé un, de très grand format, où il avait écrit Lieber Luc – pour comprendre il faut savoir qu'à l'époque j'avais encore beaucoup de cheveux et puis que j'avais une sorte de tic, je faisais tourner mon index dans ma chevelure en enroulant une mèche autour du doigt – et donc il avait écrit Lieber Luc, cher Luc, Ich drehe heute Abend eine Locke für dich, ce soir je vais tourner une mèche pour toi, Rainer Werner Fassbinder. C'était vraiment une blague de cinéaste : il a tourné quelque chose pour moi. Où est-ce que je l'ai mis, ce télégramme ?... Il était charismatique. Il tenait ses gens, jour et nuit. C'était un peu comme la Factory d'Andy Warhol. On l'a souvent dit, il avait une relation assez cruelle, sadomasochiste, avec ses intimes, il y a d'ailleurs eu des destins tragiques autour de lui, deux de ses amants se sont suicidés à cause de lui. Ce genre d'homme, c'est un peu un monstre : toute cette énergie, ce n'est pas facile à suivre. Zadek aussi pouvait être comme ça. S'il y a quelqu'un par qui Fassbinder pouvait se sentir un peu tyrannisé, c'était bien lui. Mais il avait trouvé la solution : il avait acheté un petit chien qu'il emmenait avec lui au théâtre, et qu'il avait baptisé Zadek – et on l'entendait, à la cantine, qui criait «Zadek, viens ici, Zadek, au pied !...» à mon avis, son théâtre vient d'une tradition qui passe par Marieluise Fleisser et Horváth plutôt que par Brecht. Mais lui, personnellement, c'était un énergumène, un phénomène comme Brecht : à 22, 23 ans, il était déjà une célébrité à Munich. Brecht aussi avait été comme ça, une sorte de superstar très jeune que tout le monde allait consulter, une sommité, une personnalité artistique très forte. Il a fait partie d'une belle génération de cinéastes. Wenders s'est tourné vers le cinéma américain, Herzog vers le romantisme de l'aventure, mon ami Werner Schroeter, qui vient de mourir, et avec qui Fassbinder avait beaucoup de liens, travaillait dans une artificialité héritée d'un von Sternberg. Fassbinder, lui, tournait très calmement, en longs plansséquences, sans chercher trop de sophistication apparente. J'aime beaucoup la façon dont il a parlé d'un certain milieu petit-bourgeois allemand de l'après-guerre, sans vouloir dénoncer ou ironiser. Il est mort à 37 ans, sept ans avant la chute du Mur de Berlin... il était comme un volcan. Je me demande ce qu'il serait devenu. «Arrête ça, Fassbinder est mort.» bien se défoncer un peu... On se revoyait. Et puis un matin que je répétais, mon ami Dieter Sturm est venu me voir à la Schaubühne et m'a dit arrête de prendre des trucs, arrête ça, Fassbinder est mort. Je me souviens qu'on était en juin. ça m'a fait un choc terrible. Je le trouvais tellement attachant... Il était fasciné par la judéité, bizarrement, il y avait là quelque chose qui l'attirait, ce qui fait qu'il s'intéressait particulièrement à Zadek et à moi... Il avait écrit une pièce, à Francfort, qui s'appelait L'Ordure, la ville et la mort, dont le héros est un agent immobilier, un «juif riche» et important. Beaucoup de gens s'étaient inquiétés publiquement, avaient déclaré que la pièce avait un caractère antisémite. Pas moi. La pièce n'a jamais pu être vraiment montée en Allemagne. C'était une autre époque. On était loin du mariage pour tous... Il n'était pas si facile d'être un artiste homosexuel. Fassbinder est mort juste au moment où l'épidémie de sida a commencé, elle a tué beaucoup de ses proches collaborateurs. Je pense à lui et je me souviens maintenant... J'avais été invité au Residenztheater de Munich pour faire une création d'une pièce de Edward Bond, La Mer. Nous logions à l'hôtel Maske, juste derrière la fameuse brasserie qui servait de point de ralliement à Hitler. Tous les matins, nous prenions le petit déjeuner ensemble. Il tournait une série télé, je crois que c'était Huit heures ne font pas une journée, et on se retrouvait devant nos cafés, moi avec mon livre et lui avec son scénario sur lequel il faisait des petits dessins, des croquis des plans qu'il allait tourner pendant la journée. Rainer Werner Fassbinder dans le rôle de Franz dans L'amour est plus froid que la mort (Liebe ist kälter als der Tod) – 1969, film de R. W. Fassbinder. Propos recueillis par Daniel Loayza Paris, 27 juin 2013 16 «Saturday morning» Ahmad Jamal Dans le cadre de La Bibliothèque musicale Après Blue Moon, nominé aux Grammy Awards 2013, produit par Jazzbook Records et distribué par Harmonia Mundi, Ahmad Jamal présente, lors de ces deux soirées exceptionnelles au Théâtre de l'Odéon, son dernier album Saturday Morning – sortie mondiale le 24 septembre. 8 – 9 novembre à 20h / Odéon 6e Concert Ahmad Jamal Né à Pittsburgh en 1930, le pianiste américain Ahmad Jamal est aujourd'hui l'un des derniers grands témoins et acteurs de l'histoire de la musique classique américaine, un terme qu'il préfère à celui de jazz, selon lui trop peu précis aujourd'hui. Pianiste à 3 ans, compositeur à 10, il commence sa carrière professionnelle en 1947 dans les grands orchestres. Venu de la tradition de Nat King Cole, d’Art Tatum et surtout d’Errol Garner, il est l'un des pionniers de l'improvisation modale, technique reprise et développée par Miles Davis, John Coltrane et Herbie Hancock. Il enregistre en 1958 l'album «Ahmad Jamal at the Pershing» dont la version de Poinciana est demeurée légendaire. Miles Davis, pourtant avare de compliments, reconnaissait volontiers l'influence que les silences inattendus et les discontinuités rythmiques du pianiste aux «deux mains droites» avaient exercée sur lui et la critique, un temps sévère avec un musicien dont la carrière ne fut pas un long fleuve tranquille, s'accorde aujourd'hui pour reconnaître le «style Jamal», caractérisé par un usage très orchestral du clavier et une singularité de respiration. © Jean-Baptiste Millot TARIFS EXCEPTIONNELS (voir p. 19) 17 Les Journées du patrimoine 14 – 15 septembre 2013 Samedi 14 septembre aux Ateliers Berthier / 17e Dimanche 15 septembre au Théâtre de l'Odéon / 6 e 11h30 – visite 14h – visite 10h – visite 12h – visite Entrepôt de décors de spectacle construit en 1895 par Charles Garnier pour l'Opéra de Paris (dont il est l'architecte) et prolongé dans les années 50, la salle des Ateliers Berthier a été transformée en édifice public en janvier 2003, pour servir de salle provisoire à l'Odéon durant les travaux de sa salle historique, entre 2002 et 2006. En mai 2005, les Ateliers Berthier sont devenus officiellement la deuxième salle de l'OdéonThéâtre de l'Europe, avec une capacité de 400 spectateurs. Cette transformation, qui devait donc être temporaire, a été opérée par les soins de l'architecte Jean-Loup Roubert. Visite également des ateliers de construction. Le Théâtre de l'Odéon, qui a ouvert ses portes en 1782, est le plus ancien théâtremonument de Paris. Construit, sur les anciens terrains de l'hôtel de Condé, par les architectes Charles de Wailly (17301798) et Marie-Joseph Peyre (1730-1785), représentants du style néoclassique, qu'ils vont contribuer à populariser. Salle pouvant accueillir 800 spectateurs, depuis sa restauration et sa réouverture en 2006. Le plafond actuel (1965), d'André Masson, est élaboré autour du thème central d'Apollon-soleil, et de différentes figures de la tragédie et de la comédie. Il remplace celui peint par Jean-Paul Laurens en 1888. © Thierry Depagne Durée 1h30 Réservation impérative [email protected] (dans la limite des places disponibles) Ateliers Berthier 1 rue André Suarès (angle du boulevard Berthier) 75017 Paris Théâtre de l'Odéon Place de l'Odéon 75006 Paris © Laure Vasconi Devenez mécène de l’Odéon Le Cercle de l'Odéon rassemble tous les passionnés de théâtre, spectateurs et entreprises*, qui désirent se retrouver autour d'un des foyers majeurs de la création européenne. Chaque saison le Cercle participe au financement de quatre spectacles phares de la programmation, autour desquels sont proposées des rencontres et des soirées en présence des équipes artistiques. L'Odéon remercie l'ensemble des membres du Cercle pour leur soutien à la création théâtrale. C E R C LE D E L’ Information et contact Pauline Legros 01 44 85 40 19 [email protected] *Les dons versés à l’Odéon donnent droit à une déduction fiscale. © Jacob Khrist 18 avantages abonnés Sur invitation nombre de places restreint Des propositions ponctuelles élaborées en complicité avec les partenaires culturels de l'Odéon-Théâtre de l'Europe La maison rouge Cinéma Nouvel Odéon Exposition «My Joburg» Projection «Les Larmes amères de Petra von Kant» jeudi 5 septembre à 19h30 La maison rouge poursuit son cycle d’expositions consacrées aux scènes artistiques de villes périphériques, et met à l’honneur la ville de Johannesburg. Capitale économique de l’Afrique du Sud, Joburg est une ville de contrastes qui porte l’empreinte des bouleversements historiques, sociaux, économiques qu’a connus le pays depuis la fin de l’apartheid. L'exposition présente une cinquantaine d'artistes en mettant l'accent sur l'effervescence artistique de ces vingt dernières années. mardi 8 octobre à 20h de Rainer Werner Fassbinder, 1972 avec Margit Cartensen, Hanna Schygulla, Im Hermann... en présence de Luc Bondy (sous réserve) Adaptation de la pièce de théâtre du même nom écrite l'année précédente par Fassbinder. Petra Von Kant est une célèbre créatrice de mode. Veuve de son premier mari et divorcée du deuxième, Petra habite avec Marlene, styliste et assistante qu'elle se plaît à maltraiter et humilier comme son esclave. Elle s'éprend alors de Karin, une belle jeune femme d'origine plus modeste à qui elle propose de partager son appartement et de bénéficier de ses appuis pour se lancer dans le mannequinat... Dans le cadre de la saison sud-africaine en France, en partenariat avec l’Institut Français et le National Council for the Arts of South Africa. > Réservation au 01 44 85 41 17 / [email protected] > La maison rouge – 10 boulevard de la Bastille, Paris 12e > Réservation au 01 44 85 41 17 / [email protected] > Nouvel Odéon – 6 rue de l’École de Médecine, Paris 6e Théâtre de la Bastille Diptyque «Anarchie en Bavière» et «Liberté à Brême» Orchestre de Paris du 18 septembre au 13 octobre d'après Rainer Werner Fassbinder, mise en scène Gwenaël Morin L’antithéâtre théorisé et mis en pratique par Fassbinder à la fin des années 1960 procède au démontage méthodique de tous les repères politiques, psychologiques ou moraux. Plongé dans le climat explosif de l’Allemagne d’après-guerre, Fassbinder écrit, pense, filme, joue. À travers quatre pièces, qui balaient tout l’éventail des problèmatiques traitées par Fassbinder, Gwenaël Morin revisite cette matière tumultueuse qui s’apparente pour lui à une «archéologie de la violence». Concert salle pleyel : David Zinman dirige Britten et Beethoven > Tarif préférentiel : 19€ au lieu de 26€ > Réservation au 01 43 57 42 14 > Théâtre de la Bastille – 76 rue de la Roquette, Paris 11e mercredi 9 et jeudi 10 octobre à 20h Un concert aux allures romantiques, avec deux œuvres profondes et bouleversantes de Benjamin Britten, suivies du Concerto pour violon de Beethoven en seconde partie. > Tarifs préférentiels de -30% pour les abonnés de l'Odéon en réservant avec le code «Odéon» au 01 56 35 12 12. Informations sur orchestredeparis.com > Salle Pleyel – 252 rue du Faubourg Saint-Honoré, Paris 8e Musée du Luxembourg PARCOURS CROISÉ «RÊVES DE THÉÂTRE» Fondation Cartier Exposition «Ron Mueck» jeudi 19 septembre à 19h La Fondation Cartier pour l’art contemporain a invité le sculpteur australien Ron Mueck à présenter ses œuvres émouvantes et troublantes, marquant son grand retour institutionnel en Europe. Après le succès de 2005 à la Fondation Cartier, cette nouvelle exposition est la plus complète et la plus actuelle de la production de l’artiste. Elle dévoilera notamment, outre six œuvres récentes, trois sculptures réalisées spécialement pour l’exposition. Ces œuvres, révélées dans l’intimité de leur création à travers un film inédit, réaffirment toute la modernité d’un art à fleur de peau, aussi puissant qu’évocateur. samedi 19 octobre Héros endormis sous de lourdes tentures, figurants complices, décors oniriques : découvrez l’exposition du Musée du Luxembourg puis tirez le fil jusqu’au Théâtre de l’Odéon pour plonger dans l’univers de Joël Pommerat entre jour et nuit. > 10h30 au Musée du Luxembourg, visite-guidée de l'exposition «La Renaissance et le Rêve – Bosch, Véronèse, Greco...» > 14h30 au Théâtre de l'Odéon, spectacle de Joël Pommerat, «Au monde» > Parcours à 40,50€, (place en 1re série à l'Odéon) > Réservation : museeduluxembourg.fr espace «billetterie» puis «parcours croisé» > Musée du Luxembourg – 19 rue de Vaugirard, Paris 6e > Réservation au 01 44 85 41 17 / [email protected] > Fondation Cartier – 261 Boulevard Raspail, Paris 14e Musée d'Orsay Odéon-Théâtre de l'Europe du 24 septembre au 2 janvier Aussi surprenant que cela puisse paraître, il a fallu attendre Nackte Männer (Hommes nus), organisé par le musée Leopold de Vienne cette saison, pour qu'une exposition d'envergure aborde la représentation de l'homme nu, un thème qui constitue pourtant l'une des lignes de force de la création occidentale. Avec Masculin/Masculin, le musée d'Orsay a souhaité poursuivre ce projet et montrer que les professions de foi esthétiques, les dogmes et prises de positions plastiques du XIXe siècle en matière de nudité masculine, trouvent leurs origines dans le classicisme du XVIIIe et demeurent encore présents aujourd'hui. VOIX DE FEMMES lundi 30 septembre à 20h Yasmina Reza / emmanuelle devos (sous réserve) Lecture de Heureux les heureux suivie d’un entretien animé par Jean Birnbaum en partenariat avec France Culture et Le Monde des livres EXILS lundi 7 octobre à 20h Anaïs Nin / catherine millet Textes lus par Valérie Lang Exils se tourne cette saison vers les écrivains américains et anglo-saxons. Animé par Paula Jacques en partenariat avec France Inter > Réservation au 01 44 85 41 17 / [email protected] > Théâtre de l'Odéon – Place de l'Odéon, Paris 6 e Centre culturel suisse Spectacle «Alexandre Doublet Il n’y a que les chansons de variété qui disent la vérité» du 1er au 5 octobre à 20h Épisode 1 le 1er octobre, épisode 2 le 2 octobre, épisode 3 le 4 octobre, intégrale le 5 octobre Il n’y a que les chansons de variété qui disent la vérité (re)visite l’œuvre de jeunesse d’Anton Tchekhov, Platonov. L’auteur n’avait que 18 ans à l’écriture de cette pièce qui ne fut jamais représentée de son vivant. De cette pièce fleuve, inachevée et réputée injouable, dont la durée totale doit approcher les huit heures, est née le projet de faire une série en trois épisodes correspondant aux quatre actes de Platonov : Perfect Day, Sweet Dreams, Sunday Morning dans lesquels on retrouve les mêmes personnages, joués par les mêmes acteurs. > Réservation au 01 44 85 41 17 / [email protected] > Centre culturel suisse – 38 rue des Francs-Bourgeois, Paris 3e Exposition «Masculin/Masculin. L'homme nu dans l'art de 1800 à nos jours» > Laissez-passer valables sur toute la durée de l'exposition > Réservation au 01 44 85 41 17 / [email protected] > Musée d'Orsay – 1 rue de la Légion d'Honneur, Paris 7e 19 Acheter et réserver ses places Ouvertures de location tout public Calendrier 13-14 AU MONDE / LES MARCHANDS theatre-odeon.eu jeudi 29 août guichet / téléphone jeudi 29 août septembre Grande salle / Salon Roger Blin 6e Berthier 17e sam 14Au monde 20h dim 15Au monde 20h lun16 mar17 mer 18 Les Marchands 20h jeu 19 Les Marchands 20h ven 20Au monde 20h Die gelbe... 20h sam 21Au monde 14h30 / Marchands 20h Die gelbe... 20h dim 22Au monde 14h30 / Marchands 20h Die gelbe... 15h lun23 mar 24 Les Marchands 20h Die gelbe... 20h mer 25 Les Marchands 20h Die gelbe... 20h jeu 26Au monde 20h Die gelbe... 20h ven 27Au monde 20h sam 28Au monde 14h30 / Marchands 20h dim 29Au monde 14h30 / Marchands 20h lun 30Voix de femmes / Yasmina Reza 20h Odeon 6 e DIE GELBE TAPETE theatre-odeon.eu jeudi 29 août guichet / téléphone jeudi 29 août concert ahmad jamal theatre-odeon.eu dès à présent guichet / téléphone jeudi 29 août DIE BITTEREN TRÄNEN DER PETRA VON KANT theatre-odeon.eu mercredi 4 septembre guichet / téléphone mercredi 11 septembre octobre les bibliothèques de l'odéon theatre-odeon.eu mardi 10 septembre guichet / téléphone mardi 10 septembre Grande salle / Salon Roger Blin 6e Odeon 6 e Berthier 17e mar 1 Les Marchands 20h mer 2 Les Marchands 20h jeu 3Au monde 20h ven 4Au monde 20h Petra von Kant 20h sam 5Au monde 14h30 / Marchands 20h Petra von Kant 20h dim 6Au monde 14h30 / Marchands 20h Petra von Kant 15h lun 7 Exils / Anaïs Nin 20h mar 8 Les Marchands 20h mer 9 Les Marchands 20h Fantômes en littérature 18h jeu 10Au monde 20h Repenser l'humanisme 18h ven 11Au monde 20h Petra von Kant 20h Festival des OUTRE-MERS 18h sam 12Au monde 14h30 / Marchands 20h Petra von Kant 20h dim 13Au monde 14h30 / Marchands 20h Petra von Kant 15h lun 14Voix de femmes / Virginie Despentes 20h mar 15 Les Marchands 20h mer 16 Les Marchands 20h jeu 17Au monde 20h ven 18Au monde 20h Festival des OUTRE-MERS 18h sam 19Au monde 14h30 / Marchands 20h 01 44 85 40 40 – theatre-odeon.eu ABONNÉs Dans le cas où vous n’auriez pas choisi de date, merci de contacter le service abonnement pour réserver votre place et vérifier la disponibilité sur la date que vous souhaiteriez au plus tard quinze jours avant la première du spectacle. à l’issue de cette réservation téléphonique, retournez votre contremarque. Vous avez la possibilité de réserver des places supplémentaires aux dates d’ouvertures de location de chaque spectacle. Vous bénéficiez d’un tarif réduit pour Les Bibliothèques de l’Odéon, en grande salle novembre Ligne réservée aux abonnés 01 44 85 40 38 Odeon 6 e ven 8Ahmad Jamal 20h sam 9Ahmad Jamal 20h Représentations vacances scolaires zone A zone B zone C / Paris... AU MONDE / LES MARCHANdS voir calendrier détaillé ci-contre DIE GELBE TAPETE du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h, relâche le lundi DIE BITTEREN TRÄNEN DER PETRA VON KANT vendredi et samedi à 20h, le dimanche à 15h CONCERT AHMAD JAMAL vendredi 8 et samedi 9 novembre à 20h Tarifs Tarifs hors abonnement Théâtre de l’Odéon série 1 série 2 série 3 Bibliothèques de l’Odéon série 4Grande salleRoger Blin Ateliers Berthier série unique comme il vous plaira Plein tarif36 € 26 € 16 € 12 € 10 € 6€ 8 € 6 € 6 € — Moins de 26 ans, étudiant, bénéficiaire du RSA*18 € 13 € 8 € 6 € 6 € — Public en situation de handicap*18 € 13 € 6 € 6 € — Demandeur d’emploi*20 € 16 € 10 € 6 € 6 € — 6 € — Élève d’école de théâtre* (2h avant la représentation) 6 € ———6 € — — Lever de rideau (2h avant la représentation) ———— — — Pass 17* (dates spécifiques)** 30 € 15 € 15 € 20 € 6 € — 15 € 36 € 18 € 18 € 20 € 6€ — 18 € 30 € 36 € *Justificatif indispensable **Die gelbe Tapete : dimanche 22 septembre à 15h, mercredi 25 septembre à 20h Die bitteren Tränen der Petra von Kant : samedi 5 octobre à 20h, dimanche 13 octobre à 15h Tarif exceptionnel — Concert Ahmad Jamal90 € CARTE LES BIBLIOTHÈQUES DE L'ODÉON Carte 10 entrées 50€ / À utiliser librement ; 1 ou plusieurs places lors de la même manifestation. 70 € 50 € 30 € — — 20 septembre – 19 octobre / Odéon 6 e 14 Au monde 13/14 Joël Pommerat 18 septembre – 19 octobre / Odéon 6e Les Marchands Joël Pommerat 20 – 26 septembre / Berthier 17 e Die gelbe Tapete Le Papier peint jaune Charlotte Perkins Gilman / Katie Mitchell 4 – 13 octobre / Berthier 17 e Die Bitteren tränen der Petra von Kant Les Larmes amères de Petra von Kant Rainer Werner Fassbinder / Martin Kušej 7 novembre – 15 décembre / Berthier 17 e La Bonne Âme du Se-Tchouan Bertolt Brecht / Jean Bellorini 20 novembre – 1er décembre / Odéon 6e Todo el cielo sobre la tierra. (El síndrome de Wendy) Tout le ciel au-dessus de la terre. (Le syndrome de Wendy) Angélica Liddell 8 janvier – 1er février / Berthier 17 e Platonov Anton Tchekhov / Benjamin Porée 16 janvier – 23 mars / Odéon 6e Les Fausses Confidences Marivaux / Luc Bondy création 14 mars – 1er juin / Berthier 17 e Comme il vous plaira William Shakespeare / Patrice Chéreau création 4 – 30 avril / Berthier 17 e Une année sans été 7 mai – 28 juin / Odéon 6e Cyrano de Bergerac Edmond Rostand / Dominique Pitoiset septembre 2013 – juin 2014 LES BIBLIOTHÈQUES DE L’ODÉON rencontres littéraires et philosophiques Ils sont mécènes la saison 2013-2014 Renseignements et location Par téléphone 01 44 85 40 40 du lundi au samedi de 11h à 18h30 Par internet theatre-odeon.eu ; fnac.com ; theatreonline.com Au guichet du Théâtre de l’Odéon du lundi au samedi de 11h à 18h Contacts Abonnement individuel, jeune, et Carte Odéon 01 44 85 40 38 [email protected] Groupe d’adultes, amis, association, comité d’entreprise, 01 44 85 40 37 / 40 88 [email protected] Public de l'enseignement 01 44 85 40 39 [email protected] Public de proximité des Ateliers Berthier, public du champ social et public en situation de handicap 01 44 85 40 47 [email protected] Toute correspondance est à adresser à Odéon-Théâtre de l’Europe – 2 rue Corneille – 75006 Paris theatre-odeon.eu – 01 44 85 40 40 Théâtre de l’Odéon Place de l’Odéon Paris 6 e Théâtre de l’Odéon Métro Odéon RER B Luxembourg Place de l’Odéon Paris 6 e Métro Odéon RER B Luxembourg Ateliers Berthier Ateliers Berthier 1 rue André Suarès (angle du Bd Berthier) Paris 17e Métro et RER C Porte de Clichy 1 rue André Suarès (angle du Bd Berthier) Paris 17e Métro et RER C Porte de Clichy Salles accessibles aux personnes à mobilité réduite, nous prévenir impérativement au 01 44 85 40réduite, 40 accessibles aux personnes à mobilité Salles nous prévenir impérativement au 01 44 85 40 40 photo de couverture Die gelbe Tapete © Stephen Cummiskey / design Werner Jeker / Licence d’entrepreneur de spectacles 1064581 et 1064582 Catherine Anne / Joël Pommerat