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L’Enseignement philosophique - 46e Année - Numéro 5
morceaux épars serait « dia-bolique » (du grec « dia-bolein » qui, à l'opposé de
« syn-bolein », signifie mettre en opposition, séparer), c'est-à-dire sans sens.
Au niveau de la pure pensée, c'est-à-dire abstraction faite de toute métaphore,
nous pouvons dire que ce n'est que lorsqu'un sujet ne réussit pas à appréhender le
lien intrinsèque de déterminations distinctes, opposées, voire contradictoires, et la
place de chacune d'elles dans une totalité signifiante, qu'il se trouve dérouté par elles
et ne comprend pas. Ceci confirme que la condition objective de la compréhen-
sibilité de toute représentation particulière, et plus généralement, de toute significa-
tion partielle, c'est qu'elles recèlent toujours-déjà au moins en soi le Sens total
fondamental, et conjointement, que la condition subjective de toute compréhen-
sion, c'est que le sujet cherchant à comprendre ait également toujours-déjà au moins
en soi le savoir de la totalité dans laquelle s'inscrit tout savoir partiel, c'est-à-dire
qu'il ait précisément toujours-déjà au moins implicitement le savoir de ce Sens total
fondamental.
2) Sens absolu et Subjectivité infinie :
Chaque mot, chaque théorie, chaque doctrine particuliers..., en tant qu'ils ne
sont pas le Sens total, en appellent donc nécessairement, en tant que signifiants, à ce
Sens total absolu, et ce qui produit ces mot, théorie, doctrine...particuliers, à savoir
la pensée, comme conscience ou entendement d'abord, en appellent également
nécessairement à la Pensée absolue productrice de ce Sens absolu ; ce qui revient à
dire, en terminologie proprement hegelienne, que toute pensée finie est toujours-
déjà elle-même, au moins en soi, Pensée infinie ou Raison, ou encore, que tout sujet
fini, quel qu'il soit et quoi qu'il croie, quoi qu'il connaisse, mais aussi quoi qu'il
fasse, quoi qu'il crée, etc., sait nécessairement, du sens déterminant ce croire, ce
faire, ce créer, etc. – et ce, longtemps sans le savoir explicitement –, plus que ce
qu'il se sait savoir, exprime ou fait au delà de ce qu'il a conscience d'exprimer ou de
faire, etc. Dans la Préface des Principes de la philosophie du droit, Hegel dit par
exemple : « En ce qui concerne le droit, la vie éthique et l’État, la vérité est aussi
ancienne que les époques où elle a été formulée et est devenue accessible à tous
dans les lois publiques, la morale publique et la religion. Quand l'esprit pensant ne
se satisfait plus de la posséder sous cette forme immédiate, de quoi a donc besoin
cette vérité ? Il faut seulement qu'elle soit saisie conceptuellement par l'esprit, que
son contenu qui est déjà rationnel en soi puisse acquérir aussi la forme rationnelle,
de sorte qu'il apparaisse justifié au regard de la pensée libre »3.
Il n'est donc pas abusif de dire que la philosophie hégélienne défend l'idée
que « ça » sait en chacun de soi, que « ça » parle en chacun de soi, que « ça » pense
en chacun soi, plus que ce que chacun se sait savoir, a conscience de dire et penser,
etc., « ça » désignant donc le Sens absolu, lequel dans la philosophie hégélienne est
élevé au delà de la simple substance pour se révéler dans sa vérité ultime comme
3. p. 47 Principes de la philosophie du Droit, traduction de R. Derathé, Paris, Vrin, 1975.