DANIEL BARBU ET ANNE-CAROLINE RENDU LOISEL
I QUADERNI DEL RAMO D’ORO ON-LINE n. 2 (2009)
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préfigurant à quelques siècles près ce qui sera l’explication chrétienne du paganisme : « Toutes les
divinités des nations sont des démons »16.
Dans la LXX17, les daimónia apparaissent encore au côté d’onokéntauroi (‘ centaures-
ânes18’), comme traduction de ces figures du désordre et du chaos19 que sont les ‘ chats sauvages ’
(TM tsiym), ‘ hyènes ’ (TM ’iym) et ‘ satyres ’ (TM sa‘irim) – qui font eux aussi l’objet d’un culte
inapproprié20 –, errant dans le désert avec Lilith : une ‘ démone ’ qui, si elle n’est mentionnée
qu’une fois dans la Bible hébraïque, deviendra la première femme d’Adam dans la tradition juive21).
Dans la Bible grecque, Lilith aussi devient un onokéntauros ; cette traduction à priori surprenante
prend peut-être tout son sens en regard de la tradition iconographique mésopotamienne, où l’on voit
la Lamaštu (qui comme la Lilith juive s’en prend aux enfants nouveau-nés), montée sur un âne
précisément22. Toujours dans la LXX, daimónion est aussi le terme désignant le fameux ‘ démon de
midi ’ qui devait fasciner le jeune Roger Caillois, produit en vérité moins par un phénomène
‘ démonologique ’ universel que par une traduction fautive du verbe shadad (‘ ravager ’) dans le
Psaume 9123.
Le processus de traduction de la Bible hébraïque vers le grec est néanmoins éminemment
théologique, travaillant au passage les catégories destinées à penser la ‘ religion des autres ’, en
regroupant sous le terme qui nous intéresse un vocabulaire originellement plus vaste et plus
complexe. Dans le même temps, il est des termes hébraïques, que nous serions tentés de traduire par
‘ démon(s) ’, qui n’ont précisément pas été rapportés aux daimónia par les Septante. Il s’agit en
particulier des ‘ esprits ’. Ruach, en hébreu, désigne littéralement le vent, le souffle. Le sens du mot
n’est toutefois pas toujours aussi littéral. En Genèse 1, avant que ne soit initiée la Création, « le
souffle (ruach) de Dieu planait à la surface des eaux »24. Ce ‘ souffle ’ ne devient évidemment pas
un daimónion dans la traduction grecque de la Bible hébraïque, mais un pneuma. Un ruach, tel est
également l’ ‘ esprit de Yahvé ’ qui anime les héros que sont les Juges, les prophètes ou le jeune
16 Pantes oi theoi tôn ethnôn daimonia ; LXX Ps 96,5 ; cf. aussi Bar 4,7 ; 1 Cor 10,20. Au sujet de l’imitatio diabolica
chez les pères de l’église cf. CLERC 1915, pp. 147-168 ; BORGEAUD 2004, pp. 200-203.
17 Isa 34,14.
18 Cf. Ael. NA VII,9, qui offre la seule attestation du terme en dehors de la LXX.
19 Cf. Isa 13,21.
20 Cf. Lev 17,7 ; 2 Chr 11,15.
21 On renverra à ce sujet au premier volume des Legends of the Jews de GINZBERG 1909. Cf. aussi HUTTER 1999b.
22 On pense notamment à la plaque apotropaïque en bronze, dite ‘ plaque des Enfers ’, conservée au Musée du Louvre :
remontant à l’époque néo-assyrienne, au premier millénaire avant notre ère, elle représente, dans le registre inférieur, la
démone léontocéphale, avec des serres à la place des pieds. Lamaštu est montée sur un âne, tenant un serpent dans
chaque main, et allaitant un cochon à son sein droit et un chien à son sein gauche. Elle est pourchassée par Pazuzu le
chef des démons. Lamaštu, sur son âne, est dans une barque qui vogue sur les eaux du fleuve qui mène aux Enfers où
elle doit rester en exil.
23 Cf. Ps 91,6. Le concept de ‘ démon de midi ’ fut appelé à connaître un grand succès, devenant en histoire des
religions, et sous la plume de R. Caillois, une catégorie précise d’entités semi-divines. Les études de Caillois ont été
rassemblées dans CAILLOIS 1991. A ce sujet cf. BORGEAUD 2000 ; cf. aussi RILEY 1999.
24 Gen 1,2.