Dès sa création, la pièce plaît à un public « canadien-français » qui s’y reconnaît
dans la satire que Gratien Gélinas propose d’une société hypocrite et corrompue,
alors qu’on se prépare pour la Révolution tranquille. Seulement au cours de la
saison 1959-1960, la Comédie-Canadienne offrira 121 représentations de Bou-
sille et les justes. Dans les mois et les années qui suivent, l’engouement ne se
démentira pas. La pièce est publiée en français dès 1960, puis en anglais en 1961.
En 1962, elle est diffusée dans les deux langues à la télévision de Radio-Canada.
Après avoir conquis les Québécois et les Canadiens, Bousille et les justes
traverse les frontières, fait rare pour la dramaturgie québécoise de l’époque,
pour toucher le cœur des Américains, des Britanniques, des Finlandais, des
Tchèques, des Allemands, etc. Et au Québec, pendant des décennies, le per-
sonnage de Bousille reviendra sur toutes les grandes scènes, que ce soit avec
la Nouvelle Compagnie théâtrale (1975), la Compagnie Jean Duceppe (1976
et 1989), le Théâtre du Trident (1976 et 1991), le Théâtre de la Bordée (1986),
le Théâtre du Rideau Vert (1999) et combien d’autres.
Le vrai visage des « justes »
Toute l’action de la pièce se joue entre les quatre murs d’une chambre d’hôtel
minable de Montréal, située près du Palais de justice. Dans un huis clos en quatre
actes, les membres de la famille Grenon, les « justes », se révèleront sous leur
vrai jour. Ceux qui, dans leur patelin de Saint-Tite, en Mauricie, apparaissent
comme des gens respectables et honnêtes, n’hésitent pas, à l’abri des regards,
à user de violence, d’intimidation, de mensonge pour sauver les appa rences et
éviter le scandale, le tout sous le regard « bienveillant » de Dieu.
Dès leur arrivée à l’hôtel, une des premières préoccupations des Grenon est de
vérifier si on parle du procès dans les journaux. Aurore, en particulier, semble
se soucier davantage de l’atteinte à leur réputation que du sort de son jeune
frère Aimé. Mais Phil, son époux, tente de la rassurer en lui rappelant que la
Providence ne peut qu’être du côté d’une famille qui a toujours su protéger son
apparence de respectabilité :
AURORE : Une famille respectable comme la nôtre, qui n’a jamais eu gros
comme ça à débattre avec la justice !
PHIL : Justement parce qu’on est du bon monde, le petit Jésus ne nous
laissera pas le nez dans la crotte2.
2 Ibid., p. 18.
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LES CAHIERS DE LA BORDÉE / SAISON 2015-2016