GERBAIL Thibault N° Etudiant : 5135025 Mail : [email protected] La République islamique d’Iran face au Mouvement vert L’état de force du régime iranien au lendemain de la contestation électorale de juin 2009 Sous le tutorat de : DUTOUR Julien Master 1 Mention Science Politique – Relations internationales, Spécialité Relations internationales, Sécurité et Défense Université Jean Moulin Lyon 3 Année universitaire 2013/2014 GERBAIL Thibault N° Etudiant : 5135025 Mail : [email protected] La République islamique d’Iran face au Mouvement vert L’état de force du régime iranien au lendemain de la contestation électorale de juin 2009 Sous le tutorat de : DUTOUR Julien Master 1 Mention Science Politique – Relations internationales, Spécialité Relations internationales, Sécurité et Défense Université Jean Moulin Lyon 3 Année universitaire 2013/2014 Table des acronymes ONU : Organisation des Nations Unies Sommaire Introduction ............................................................. ....................................... 1 Partie 1 : Les fondements révolutionnaires de la République islamique d’Iran : facteurs d’exportation ou de socialisation du régime ?................. 6 Chapitre 1 : La République islamique comme synthèse d’un phénomène révolutionnaire reposant sur une idéologie singulière : l’islam politique .................................................. 8 Chapitre 2 : La naissance de la République islamique : entre consolidation interne et tentative d’exportation de la révolution ........................................................................... 18 Partie 2 : L’illustration de la problématique de la compatibilité de l’islam politique avec la modernité : la République islamique face à la libéralisation des sociétés musulmanes ....................................................... 28 Chapitre 1 : La Révolte verte comme incarnation de la remise en cause de la légitimité du régime iranien ............................................................................................................. 29 Chapitre 2 : Le Printemps arabe comme modèle pour une révolution démocratique iranienne ou catalyseur du renforcement de la République islamique ? ......................... 38 Partie 3 : Entre menace d’isolement sur la scène internationale et rupture interne du lien social : la nécessaire réforme de la République islamique ......................................................................................................................... 48 Chapitre 1 : Des conservateurs aux réformateurs : stratégie politique ou affaiblissement de la République islamique ? ........................................................................................... 49 Chapitre 2 : La Révolte verte : catalyseur des oppositions internes et externes à la République islamique ....................................................................................................... 58 Conclusion ...................................................................................................... 68 Introduction « S’il est un fil rouge de la colère, ce n’est pas tant celui de la remise en cause des orientations des gouvernements que celui de la remise en cause de la légitimité des Etats. »1 En 1979, suite à une révolution menée contre le régime dynastique du Shah Mohammad Reza Pahlavi, au pouvoir depuis plus de trente-sept ans, l’Ayatollah Rouhollah Khomeiny leader charismatique de la révolution - instaure la République islamique d’Iran. Si une fois le Shah renversé, le consensus semble être assuré autour de la Révolution islamique et de Khomeiny, très vite certaines personnes ayant participées au mouvement révolutionnaire vont se sentir flouées par le nouveau régime en place. Va alors commencer une vague de répression destinée à taire toute contestation envers le pouvoir2 - principalement les voies libérales estimant que dans les faits aucune de leurs revendications n’avait été appliquée rappelant les pires heures du régime Pahlavi. Bien que muselée, l’opposition à l’autorité du Guide suprême - plus haute autorité de la République islamique3 - Khomeiny ainsi qu’à celle de son successeur Ali Khamenei ne cessera pas, et atteindra son paroxysme lors de l’élection de Mahmoud Ahmadinejad pour un second mandat présidentiel, le 12 juin 2009. Pour plusieurs millions d’Iraniens, le scrutin a été truqué et n’est donc pas valide. S’ensuit alors une vague de contestation inédite depuis la Révolution de 1978, réprimée dans le sang par le régime. Mais bien plus que le résultat des élections, c’est le manque de libertés et l’exercice d’un pouvoir basé sur la charia contre lesquels se révoltait la population. Ce soulèvement sans précédent sous la République islamique prit le nom de « Mouvement vert », le vert étant la couleur représentant les deux leaders de l’opposition, Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi. Si le Mouvement vert s’insère dans une logique purement nationale, son retentissement est quant à lui beaucoup plus large. En effet, il éclate seulement deux ans avant les révolutions ayant abouties à plusieurs renversements de régimes au Moyen-Orient, labellisées « Printemps arabe » mais surtout dans une période où cette région du monde représente un intérêt de tout premier ordre pour les grandes puissances du système international et se 1 BERTHO, Alain, Le temps des émeutes, Montrouge, Bayard, 2009, p. 135. KOSROKHAVAR Farhad ; ROY Olivier, Iran : Comment sortir d’une révolution religieuse, Paris, Seuil, 1999, p. 29. 3 GHANNAD Hervé, Identité et politique extérieure de l’Iran, Levallois-Perret, Studyrama, 2013, p. 116. 2 1 trouve être au carrefour d’un nombre conséquent de conflits internationaux. De plus, l’étude ne se restreint pas au seul moment de la révolte puisque la contestation est toujours d’actualité, comme le montrent les nombreuses références faites à cette dernière lors de l’élection d’Hassan Rohani, en juin 20134. Au-delà de l’étude du phénomène révolutionnaire en lui-même, quels sont les potentiels apports à la Science politique de l’épisode de la « Révolte verte » ? Pour beaucoup, il a, et ce d’autant plus après la survenance du Printemps arabe, rouvert la boîte de pandore sur les questions relatives à la compatibilité entre l’Islam et la démocratie, nourrissant déjà grassement la littérature traitant des implications de la religion dans les affaires politiques5. Toutefois, une telle analyse ne trouverait dans ce devoir aucune pertinence car impliquant une politisation du débat qui n’a pas sa place dans un travail de recherche. Dans la même verve, l’événement s’inscrit parfaitement dans la querelle doctrinale entre Samuel Huntington et Francis Fukuyama. En effet si pour les tenants de la thèse du « Choc des civilisations »6, ce n’est pas tant les ambitions libérales de la population iranienne dont il faut tenir compte mais plutôt de son antiaméricanisme prononcé, justifiant ainsi l’opposition déjà consommée entre l’Occident et le monde musulman ; les adeptes de la « Fin de l’Histoire »7 retrouveront plutôt dans le Mouvement vert l’incarnation de l’occidentalisation du monde et donc de l’évolution du régime iranien vers la démocratie et l’économie de marché. Une fois encore, si ce débat est légitime, il reste beaucoup trop superficiel pour s’appliquer au cas étudié, compte tenu du fait d’une part que l’Iran possède des caractéristiques qui lui sont propres, et ce principalement au sein d’un monde musulman en majorité sunnite, et que d’autre part, il est impossible de rabaisser une révolte aux aspirations libérales à une simple occidentalisation, la réalité étant beaucoup plus complexe. Autre problématique que soulèvent les conséquences de la révolte : celle des relations entre l’Iran et les Etats-Unis et plus largement l’Occident. Si après son accession à la présidence américaine, Barack Obama a renoué un lien diplomatique avec Téhéran enterré depuis 4 Entretien avec Ardeshir Amir Arjomand, « Le Mouvement vert est toujours vivant », France 24, 14/06/2013 (consulté le 04/01/2014). http://www.france24.com/fr/20130614-iran-presidentielle-mouvement-vert-moussavi-khameneiahmadinejad-election/ 5 ARKOUN Mohammed, « Islam et démocratie », Cités, n° 12, 2002, pp. 81-99. 6 HUNTINGTON Samuel P., Le Choc des civilisations, Paris, Odile Jacob, 2000, 545 pages. 7 FUKUYAMA Françis, La Fin de l’Histoire et le dernier homme, Paris, Flammarion, 1993, 448 pages. 2 19798, les relations entre les deux Etats sont restées tendues, principalement à cause de la verve passionnée de Mahmoud Ahmadinejad rappelant de manière cyclique la haine qu’éprouvent le régime et la population contre le « Grand Satan ». Cependant, à la vue du contexte actuel, la confrontation semble inévitable, que ce soit concernant le dossier du nucléaire iranien ou encore celui de la crise syrienne qui de l’avis de bon nombre d’observateurs ne se réglera pas sans la participation de l’Iran à la table des négociations. Là encore, la correspondance s’avère totalement pertinente mais elle commettrait l’erreur de se dissocier complètement du sujet d’étude qui est celui de la révolte iranienne et non ses implications sur la politique étrangère de la République islamique avec l’Occident. Enfin, des questions économiques peuvent également émerger, notamment pour tout ce qui a trait à la problématique de l’exportation de matières fissiles de la République islamique, soumises aux restrictions occidentales. Dans un contexte comme celui de la Révolte verte, l’élévation du coût du baril de pétrole est une conséquence qui pourrait entrainer une réaction en chaîne s’étendant largement au-delà de la sphère économique. Un tel scénario est à envisager mais de nouveau, il restreint l’analyse à un aspect et ne se centre pas sur l’Iran en tant que tel. Le véritable intérêt que soulève l’émergence en Iran du Mouvement vert est beaucoup plus centré sur le phénomène révolutionnaire et s’appréhende au regard de l’actualité récente. Ainsi, la crise ukrainienne débutée en fin d’année 2013 et son prolongement en 2014 met en lumière la problématique de la capacité d’un régime à se maintenir lorsqu’une partie de la population, organisée politiquement s’oppose de manière durable à son autorité et légitimité. Par effet de déduction, le Mouvement vert pose directement la question de la survie de la République islamique. Cependant, répondre à une telle question nécessite un travail de fond conséquent, tant la complexité du sujet étudié est profonde. La première étape est d’analyser la nature de l’action du Mouvement vert avec la Révolution de 1978 ou encore avec le Printemps arabe. Ce travail préalable permettant d’observer les différences entre une révolution – dans le sens entendu par Jean Baechler9 à savoir une remise en cause de l’ordre social – et une simple révolte dans le but de répondre à la question : en quoi le Mouvement vert n’a pas débouché sur un révolution ? 8 Après la prise d’otage de l’ambassade américaine à Téhéran, par un groupe d’étudiants iraniens le 4 novembre 1979 en réaction à l’accueil du Shah sur le territoire des Etats-Unis, ces derniers ont coupé toute relation diplomatique avec l’Iran. 9 BAECHLER Jean, Les phénomènes révolutionnaires, Paris, La Table Ronde, 2006, p. 5. 3 Ensuite, il convient de s’attarder sur la nature du régime iranien. Qu’est-ce donc que la République islamique ? Qui y exerce le pouvoir ? Comment ? Quels sont les rapports de force établis ? L’intérêt de ces questions étant de pouvoir appréhender la réaction du régime face à la révolte de 2009 mais également les dynamiques que cette dernière a pu mettre en marche au sein même du pouvoir. L’Iran est-il toujours un Etat véritablement révolutionnaire ? L’objectif étant ici de connaitre les ambitions de la République islamique hors de ses frontières dans le but d’y déceler un éventuel relâchement du contrôle de la sphère purement domestique. Quelles sont les revendications du Mouvement vert ? Sont-elles matérielles, pouvant être comblées par un changement dans la politique menée par le gouvernement ? Ou alors sontelles plutôt idéologiques, en opposition avec la doctrine énoncée par Khomeiny et donc nécessitant un changement de régime pour qu’elles soient appliquées ? Quelle est la place de la religion en Iran ? Si le Mouvement vert a scandé la mort de la République islamique, a-t-elle aussi crié la mort de l’Islam ? L’écueil à éviter ici est tout amalgame entre Islam et islam politique10. L’objectif est quant à lui de déterminer non pas si l’Islam est compatible avec la démocratie, mais plutôt si l’islam politique est un modèle de gouvernance légitime au XXIème siècle, et comment cela se traduit-il en Iran. In fine, l’objectif de ce devoir n’est pas d’affirmer ou d’infirmer la viabilité par nature d’un régime politique basé sur la religion, cela relevant plus de la philosophie-politique que de la Science politique. L’objectif est d’essayer d’appliquer une théorie à un contexte bien précis, délimité dans le temps et l’espace, dans le but de produire une modélisation. Concrètement, il s’agit d’analyser le fait révolutionnaire dans le contexte de la Révolte verte s’exprimant sous un régime particulier : celui de la République islamique. A partir de là donc, les résultats de l’analyse permettront de mieux saisir la problématique de l’islam politique, de la façon dont il est appliqué en Iran. Ce qu’il est important de comprendre, c’est que ce devoir s’insère dans une analyse bornée dans l’espace (l’Iran) et le temps (de 1978 à aujourd’hui) et n’a aucune ambition de produire de conclusions générales, et encore moins d’essayer de théoriser l’islam politique. Comme cela a été expliqué, il s’agit de produire un travail scientifique permettant de modéliser l’islam politique, de comprendre ses variantes selon là où il est exercé et quand il est exercé mais aussi dans quel contexte. 10 LAMCHICHI Abderrahim, L’islamisme politique, Paris, L’Harmattan, 2001, pp. 14-17. 4 En résumant toutes ces considérations préalables, il est ainsi pertinent de problématiser le devoir de la façon suivante : la Révolte verte peut-elle être comprise comme un signe, un facteur du dépérissement de l’islam politique en Iran ? Pour tenter d’y répondre, le devoir se décomposera en trois parties. La première se chargera de revenir sur les fondements de la République islamique, et sur l’instauration d’un régime érigé au nom de la religion. Si le chapitre 1 restera principalement théorique, le second retracera lui l’histoire du régime, de sa naissance en 1978 à aujourd’hui à travers la tentative des dirigeants iraniens d’exporter la Révolution au-delà des frontières de l’Etat. En deuxième partie, qui représentera le cœur de ce devoir, c’est de la Révolte verte en tant que telle qu’il sera question. Le chapitre premier s’attardera sur le déroulement de la celleci mais également sur sa nature propre, c’est-à-dire sur son idéologie, ses revendications. Le chapitre 2 pour sa part se cantonnera à mettre en relation le cas iranien avec le Printemps arabe survenu deux années plus tard et ayant abouti à des renversements de régimes. Il sera ici question de dégager les ressemblances et les différences entre les deux événements afin de mieux pouvoir apprécier le cas spécifique iranien. Enfin, dans une dernière partie, il sera question d’essayer de dégager ce qu’a pu mettre en lumière la Révolte verte. Cela premièrement au niveau de la perception que peut avoir le régime du pouvoir, et des conséquences qu’il pourra tirer de cet événement sans précédent dans la République islamique (chapitre 1) ; mais également concernant la société iranienne d’une part et internationale d’autre part (chapitre 2). « Les sociétés sûres d’elles se reflètent dans une religion confiante, sereine, ouverte ; les sociétés mal assurées se reflètent dans une religion frileuse, bigote, sourcilleuse. Les sociétés dynamiques se reflètent en un islam dynamique, innovant, créatif ; les sociétés immobiles se reflètent en un islam immobile, rebelle au moindre changement. »11 11 Citation tirée du livre : MAALOUF Amin, Les identités meurtrières, Paris, Le Livre de Poche, 2001 5 Partie 1 : Les fondements révolutionnaires de la République islamique d’Iran : facteurs d’exportation ou de socialisation du régime ? « La justice révolutionnaire et la justice théologale ne sont pas deux puissances qui s’équilibrent, elles sont l’une à l’autre ce que l’idée positive est à l’allégorie, la science au mythe, la réalité au rêve, le corps à l’ombre. »12 Contrairement à la définition commune qui est donnée à une révolution d’ordre politique qui est la remise en question – violente ou pacifique – de cet ordre13, l’origine étymologique du mot, du latin revolutio, suggère au contraire une action de retour en arrière, de recommencement14. De cela découle la question de savoir si une révolution change ou est capable de changer l’ordre établi en proposant une nouvelle lecture de ce dernier qui soit acceptée d’une part dans l’espace (par le plus grand nombre) et d’autre part dans le temps (qui établisse un nouvel ordre pérenne). Dans le cadre de ce devoir, et plus particulièrement de cette première partie, il s’agira d’étudier cette capacité de changement de la Révolution islamique iranienne de 1979. L’intérêt de cet exercice, outre d’apporter un élément de réponse à la problématique générale exposée en introduction, est de permettre d’établir un parallèle entre la Révolution de 1979 et les événements ayant fait suite à l’élection présidentielle de juin 2009, cela dans le but (avec une certaine retenue car s’agissant d’une projection dans le futur), d’observer si ces derniers peuvent prendre à plus ou moins long terme la forme d’une nouvelle révolution. Pour se faire, il convient dans un premier temps d’analyser d’une part – et synthétiquement car relevant d’une littérature conséquente – la théorie du phénomène révolutionnaire, et d’autre part les fondements de l’islam politique, base idéologique de la Révolution islamique (chapitre 1) ; puis par la suite d’observer l’application de cette théorie par le biais de cette même Révolution afin de comprendre le fait révolutionnaire iranien et sa 12 PROUDHON Joseph, De la justice dans la Révolution et dans l’Eglise Tome 1, Paris, Fayard, 1989. BAECHLER Jean, Op. Cit., p. 33. 14 Dictionnaire de français Larousse, version numérique (consulté le 23/03/2014). http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/r%C3%A9volution/69167 13 6 capacité de perdurer aussi bien à l’intérieur de pays qu’à l’extérieur de ses frontières, dans sa quête d’exportation sur la scène régionale et internationale (chapitre 2). 7 Chapitre 1 : La République islamique comme synthèse d’un phénomène révolutionnaire reposant sur une idéologie singulière : l’islam politique « La faiblesse des idéologies révolutionnaires par rapport aux religions, c’est qu’elles promettent un paradis sur terre et que l’on peut vérifier le résultat. »15 Le chapitre suivant s’attardera sur la Révolution islamique de 1978 ayant porté l’ayatollah Rouhollah Khomeiny au pouvoir en Iran, succédant au Shah Mohammad Reza Pahlavi. Cette révolution sera basée sur l’avènement de l’islam politique – représentant « un ensemble de courants politico-religieux de contestation, né dans des contextes de crise socio-économique et de malaise identitaire, qui présente de l’Islam une lecture éminemment idéologique » ou encore une « interprétation politique de l’Islam »16 – et donc sur la concomitance entre politique et religion dans l’exercice du pouvoir. Ainsi la Révolution de 1978 est particulière dans le sens où elle se base sur une relecture religieuse du monde. Pourtant, avant d’étudier la façon dont l’Iran de Khomeiny a réalisé la synthèse entre révolution politique et idéologie religieuse, il convient de se familiariser avec ces notions qui à l’origine ne sont pas spécifiques au cas iranien. De ce fait, il est primordial d’user d’une méthode scientifique adéquate afin de pouvoir réaliser l’étude de cette synthèse. Si la République islamique est issue d’une révolution, qu’est-ce qu’une révolution (section 1)? Si la République islamique se réclame d’une idéologie religieuse, qu’est-ce que l’islam politique (section 2)? 15 LANGLOIS Denis, Ecrivain, Avocat. LAMACHICHI Abderrahim, Op. Cit., p. 11. 16 8 Section 1 : L’étude du phénomène révolutionnaire comme préalable indispensable à la compréhension du régime de la République islamique « Il n’y a pas d’action révolutionnaire sans théorie révolutionnaire. »17 Pour Samuel Huntington, « Une révolution est un rapide, fondamental et violent changement interne dans les valeurs et mythes d’une société, dans ses institutions politiques, ses structures sociales, dans sa direction, et dans ses activités et politiques gouvernementales. Les révolutions sont ainsi distinctes des insurrections, des rébellions, des révoltes, des coups d’Etat, et des guerres d’indépendance. »18 Cette généreuse définition résume à elle seule parfaitement ce qu’est une révolution politique sans qu’il soit nécessaire de s’attarder plus longuement dessus, l’ensemble de la littérature s’y entendant de manière générale. Ainsi l’intérêt de l’étude présente n’est pas de cherche une définition de la notion de révolution, mais plutôt les causes d’une révolution et les processus qui mènent au changement de l’élite dirigeante. Cet exercice nécessite donc de suivre une méthode scientifique rigoureuse afin de ne pas se perdre face à l’imposante production de théories concernant le phénomène révolutionnaire. C’est pourquoi il a été choisi, pour le bien fondé de ce travail, de se baser sur deux ouvrages de référence, à savoir From Mobilization to Revolution de Charles Tilly, ainsi que Les phénomènes révolutionnaires de Jean Baechler, dont la relation avec la théorie marxiste permettra d’incorporer à l’analyse une partie de la littérature ayant longuement occupée une place de premier ordre dans la phénoménologie révolutionnaire. C’est à ce même Jean Baechler que sera dédiée l’articulation de cette section 19 ; qui sera organisée comme la réponse aux questions suivantes : Pourquoi fait-on une révolution ? Comment fait-on une révolution ? Qui fait une révolution ? Quelles sont les conditions de réalisation d’une révolution ? Il s’agira cependant d’actualiser son analyse qui dans cet article, se base principalement sur les modèles révolutionnaires marxien, léniniste, maoïste 17 LENINE. « A revolution is a rapid, fundamental, and violent domestic change in the dominant values and myths of a society, in its political institutions, social structures, leadership, and government activity and policies. Revolutions are thus to be distinguished from insurrections, rebelions, revolts, coups, and wars of independence » in TILLY Charles, From Mobilization to Revolution, New York, Longman Higher Education, 1978, p. 193. 19 BAECHLER Jean, « Les modèles révolutionnaires », Etudes internationales, vol. 3, n°3, 1972, pp. 299317. 18 9 ou encore castriste ; le but étant de proposer un modèle dans lequel la Révolution islamique de 1978 puisse trouver un écho. Pourquoi fait-on une révolution ? Il y a plusieurs raisons pour vouloir une révolution20. Premièrement, l’idée de révolution peut naître dans une situation d’occupation territoriale par une puissance étrangère, entrainant ainsi une haine de l’occupant et une volonté de le repousser en dehors des frontières. L’humiliation subie par une défaite militaire est également une source potentielle de cause révolutionnaire, faisant ainsi germer dans l’esprit de la société que l’élite dirigeante n’est pas capable d’assurer la sécurité de la nation. D’autres sentiments qui peuvent s’apparenter à des mobiles révolutionnaires sont le désespoir après une catastrophe, la peur ou encore l’oppression, qui nécessitent la mise en place d’une nouvelle dynamique sociale. Le refus de la « gabegie », c’est-à-dire l’impuissance et l’incapacité de l’élite à gérer l’Etat est également une des causes des révolutions. Enfin, il faut citer l’envie ou le ressentiment entre groupes sociaux. A ce titre, il est possible de se référer à la taxonomie des crises et plus particulièrement aux crises mimétiques21, c’est-à-dire à des situations dans lesquelles, au sein d’une société donnée la question de la redistribution des richesses se pose, formant ainsi deux pôles bien distincts qui règleront le cas échéant la crise par l’emploi de la force. L’aspect économique a donc également un rôle dans l’origine des révolutions. Il faut finalement noter en remarque que la littérature parle peu des révolutions menées au nom de la libéralisation, c’est-à-dire pour l’octroi de libertés sociales, politiques ou économiques, ce qui étaient pourtant les revendications du Mouvement vert en 2009, et qui risque d’être les revendications de plus en plus exprimée au XXIème siècle. Comment fait-on une révolution ? De manière générale, deux éléments doivent se retrouver en même temps pour qu’une révolution se produise, à savoir d’une part l’effondrement du pouvoir, et d’autre part la prise du pouvoir par un groupe le convoitant. Pour ce qui est de l’effondrement du pouvoir, celle-ci se caractérise soit par un effondrement à proprement parlé de l’Etat, ce qui reste relativement rare ; par une démission de ce dernier, incapable de gérer et d’assumer l’exercice du pouvoir22 ou bien alors par une fragmentation, une division de l’élite dirigeante en deux pôles bien distincts23. A côté de l’affaiblissement de l’Etat se trouve la tentative de prise de pouvoir 20 BAECHLER Jean, Les phénomènes révolutionnaires, Op. Cit., pp. 115-118. Séminaire de M. DANET, Master 1 Relations internationales sécurité et défense, « Taxonomie des crises », année universitaire 2013/2014, Université Jean Moulin Lyon 3. 22 BAECHLER Jean, Les phénomènes révolutionnaires, Op. Cit., pp. 119-121. 23 TILLY Charles, Op. Cit., p. 193. 21 10 par les opposants. Cette dernière prend plusieurs formes. Elle peut se faire suite à un coup d’Etat militaire, à la suite d’une guerre ou par le biais d’un parti révolutionnaire24. Concernant cette dernière méthode, il existe plusieurs variantes25. Premièrement les membres d’un parti peuvent établir un lien de subordination en leur faveur avec la politie au pouvoir. Deuxièmement, les membres du parti peuvent directement prendre le pouvoir. Et enfin, troisièmement, ils peuvent arriver à contrôler le gouvernement en place. In fine, quelle que soit la stratégie employée, elle se déroule en trois étapes26. Une à court terme durant laquelle le contexte joue pour beaucoup ; c’est la phase tactique. Une à moyen terme où c’est la capacité des révolutionnaires à créer des coalitions qui attestera de continuité du mouvement. Enfin, une à long terme comprenant la mise en adéquation des différents intérêts et de l’organisation une fois le pouvoir obtenu. Qui fait une révolution ? D’une manière générale, il est possible de séparer les acteurs d’une révolution en deux catégories bien distinctes. D’une part les masses, spontanées, représentant une force qu’on ne peut que difficilement freiner et qui regroupent des groupes sociaux divers comme les paysans, les ouvriers, les cadres mais aussi ceux dits de la périphérie, comme les minorités, les étudiants ou encore les femmes27. De l’autre côté, les élites, composées des cadres de l’armée, de la bourgeoisie ou encore des chefs du parti révolutionnaire28. Si pour certains (école marxiste), une révolution est la résultante d’un affrontement entre deux pôles distincts, d’autres réfutent cette vision trop simpliste en affirmant, comme Barrington Moore, que la révolution n’est pas le fait d’une classe sociale mais d’une coalition entre plusieurs classes, formant ainsi une masse (comme mentionné plus-haut)29. Quelles sont les conditions de réalisation d’une révolution ? Ces conditions peuvent être regroupées sous ce que Jean Baechler appelle les « corrélations fondamentales »30, c’est-àdire des variables servant en quelque sorte de catalyseur à un phénomène révolutionnaire. Il est possible de dénombrer un certain nombre de variables. La première d’entre elles serait la guerre qui permettrait en cas de victoire (revendications des couches intermédiaires) comme en cas de défaite d’attiser le sentiment révolutionnaire. La seconde est la croissance de l’Etat, couplée au développement de l’armée et de l’Administration. 24 BAECHLER Jean, Les phénomènes révolutionnaires, Op. Cit. pp. 122-126. TILLY Charles, Op. Cit., pp. 1992-193. 26 Ibid., p. 194. 27 BAECHLER Jean, « Les modèles révolutionnaires », Art. Cit., p. 301. 28 BAECHLER Jean, Les phénomènes révolutionnaires, Op. Cit., pp. 143-146. 29 TILLY Charles, Op. Cit., p. 191. 30 BAECHLER Jean, Les phénomènes révolutionnaires, Op. Cit., pp. 165-170. 25 11 Cette croissance peut déboucher sur une crise dite démographique31, voyant l’Etat dépassé par une inadéquation entre la croissance de la population et la croissance de l’économie. Vient ensuite la corruption de l’élite gouvernante ainsi que l’effondrement d’une valeur sociétale. Sur ce dernier point, la correspondance avec la théorie des crises peut encore être faite. En effet, lors des crises dites sacrificielles32, il est démontré que le changement de valeur dominante d’une société peut amener à un bouleversement total de cette dernière, passant donc par un remplacement de l’élite au pouvoir. Enfin, Barrington Moore ajoute deux catalyseurs aux révolutions, à savoir la perte de contrôle de l’élite sur l’armée ainsi que l’émergence d’une mobilisation des masses de façon soudaine résultant d’une exaspération face à une injustice quotidienne insuportable, comme la misère par exemple33. Mais tout mouvement révolutionnaire ne peut pas aboutir à un changement de régime. Il faut ainsi prendre en considérations certaines limites s’imposant à toute tentative de révolution. Pour Jean Baechler, il faut en distinguer trois principales. Un nombre insuffisant de révolutionnaires par rapport aux forces de coercition de l’Etat, des moyens limités et enfin une volonté insuffisante, étant donné que l’Etat se bat pour sa survie, donc fera tout ce qui est en son pouvoir pour réprimer la tentative de révolution, jusqu’à employer une violence extrême contre sa propre population34. Pour conclure sur la théorie révolutionnaire, il est important de traiter de l’idéologie révolutionnaire, c’est-à-dire de la valeur sur laquelle se base une révolution. Il s’agit cependant de distinguer entre idéologie générale et idéologies particulières. Pour ce qui est de l’idéologie générale35, qui se retrouve dans quasiment toute révolution, il faut retenir la présence d’un dualisme entre le bien et le mal ; d’une volonté de retour aux origines ; d’une rupture avec un événement catastrophique ou encore un phénomène d’inversion, un renversement des ordres sociaux (par exemple les riches deviennent pauvres et vice versa). Concernant les idéologies particulières36 – il faut rappeler qu’une révolution se caractérise toujours pas une volonté d’affirmer une valeur particulière contre la valeur officielle d’un régime, d’un Etat37 - il est possible de retrouver selon les contextes pêle-mêle : le conservatisme, le nationalisme, le fascisme, l’anarchisme, le libéralisme, le socialisme 31 Séminaire de M. DANET, Op. Cit. Ibid. 33 TILLY Charles, Op. Cit., p. 201. 34 BAECHLER Jean, Les phénomènes révolutionnaires, Op. Cit., pp. 46-50. 35 Ibid., pp. 224-228. 36 Ibid., pp. 131-133. 37 Ibid., p. 37. 32 12 (prônant la révolution prolétaire)38 et enfin le théocratisme, sur lequel la suite du devoir s’attardera puisque c’est d’une forme de cette idéologie, à savoir l’islam politique que la Révolution islamique de 1978 se revendiquera. Section 2 : Entre religion et politique : l’islam politique comme fondement idéologique de la République islamique d’Iran « Une société sans religion est comme un vaisseau sans boussole. »39 Une étude sur l’islam politique dans un devoir sur la République islamique nécessite forcément une analyse en deux temps compte tenu de la spécificité religieuse de l’Iran. Ainsi, pour bien saisir sur quoi se base la Révolution de 1978, il s’agit de comprendre dans un premier temps ce qu’est l’islam politique compris dans sa globalité (car ce n’est pas une idéologie propre à la République islamique) et dans un second temps s’attarder sur la spécificité religieuse de l’Iran, bien antérieure à la République islamique, à savoir l’Islam chiite. Une fois ce travail préliminaire établi, il sera possible de mieux appréhender la synthèse faite par Khomeiny de ces deux variables pour mener sa révolution, et par la même occasion d’attester de la solidité des bases de cette révolution. Qu’est-donc que l’islam politique ? Pour y répondre, l’analyse se penchera tout d’abord sur le concept en lui-même, afin d’essayer d’en donner une définition acceptable ; puis elle rentrera dans le thème du devoir en essayant dans une perspective sociologique de présenter l’Islam comme potentiellement révolutionnaire par nature. Pour commencer, il faut penser à l’origine de l’établissement de l’islam politique au sein d’un Etat (l’origine historique du concept est beaucoup trop fastidieuse et ne rentre de plus pas dans le cadre du devoir). Le terreau favorable à l’islam politique est donc celui de l’incapacité de certains régimes autoritaires ou impopulaires à répondre aux attentes de la population. Partant de ce constat, les mouvements islamistes deviennent extrêmement actifs dans un premier temps pour assurer un service social de proximité afin de gagner le support des masses les plus pauvres au nom de la piété religieuse, mais également pour 38 BLACKBURN Robin, « Marxism : Theory of proletarian revolution », New Left Review, n°97, 1976, pp. 335. 39 BONAPARTE Napoléon, Extrait de l’Allocution aux curés de Milan, 5/06/1800. 13 soigner leur image auprès des couches plus développées et éduquées40. Mais une fois au pouvoir, qu’est-ce qui caractérise l’islamisme politique ? Premièrement le cadre national. En effet, l’Etat est le canevas principal de l’islamisation de la société, le but ultime de l’islamisme politique étant l’avènement d’un « Etat islamique »41. Cette quête de « l’Etat islamique » se matérialise donc par une « intériorisation de la culture politique nationale ». Cette dernière ce réalise notamment via l’appartenance à un parti politique moderne42 ce qui prouve donc que ce mouvement est fortement attaché au fait politique. Autre constante de l’islamisme politique, il refuse tout espace autonome pouvant contester sa logique, son idéologie et le cas échéant, sa gouvernance43 et par la même occasion toute idéologie contemporaine comme le nationalisme, le socialisme ou encore le modernisme44. L’empirie démontrera (dans la suite du devoir) que la révolte verte de 2009 a été réprimée principalement dans la suivie de cette logique. D’un autre côté, l’histoire de la République islamique montre également que le socialisme d’une part (au moment du renversement du régime du Shah en lui-même) et le nationalisme (lors de la guerre contre l’Irak) ont été des aides idéologiques de circonstances, ce qui prouve le pragmatisme du régime iranien et son orientation peut-être plus politique que religieuse. Enfin, l’islam politique est un phénomène urbain, qui, une fois avoir tiré une légitimité par le biais de son action sociale, n’est plus préoccupé que par des problèmes économiques, idéologiques, et politiques, ce qui le distingue fortement de l’Islam traditionnel par exemple, qui lui s’établit principalement dans les zones rurales faiblement peuplées45. Toutefois, il ne faut pas reléguer au second plan l’importance de la religion dans l’idéologie de l’islamisme politique, qui a vocation à ce que l’islam imprègne tous les moindres aspects de la société46. Mais l’Islam dont se revendique la République islamique n’est pas n’importe lequel. En effet, l’islamisme politique peut se manifester sous plusieurs formes47, qu’il est possible de réunir dans deux grandes familles, le sunnisme et le chiisme. L’islam politique sunnite est celui pratiqué par les Frères musulmans en Egypte, par l’Arabie Saoudite (wahhabisme) ou encore par les Moudjahidin en Afghanistan. De l’autre côté se trouve l’Islam chiite, représenté dans le monde musulman principalement par l’Iran et son modèle d’islam 40 Séminaire de M. SOMDEEP Sen, Master 1 Sciences politiques, « Islamists movements : between violence and social service », année universitaire 2012/2013, Université de Copenhague. 41 LAMACHICHI Abderrahim, Op. Cit., p. 38. 42 Ibid., p. 9. 43 Ibid., p. 9. 44 Ibid., p. 13. 45 Ibid., p. 20. 46 Ibid., p. 38. 47 Ibid., p. 44. 14 politique qu’est la République islamique. Avant de se pencher sur l’analyse du régime iranien, il convient donc d’étudier son idéologie religieuse spécifique : le chiisme. Tout d’abord, il faut aborder le chiisme comme une vision révolutionnaire de l’islam politique. En effet, dès sa création (dont l’explication sera donnée plus tard), il a représenté une dimension contestataire du pouvoir48. C’est cette dimension que reprend Ali Shari’ati dans son ouvrage On the Sociology of Islam. Pour l’auteur, il existerait quatre facteurs de changement dans les sociétés, à savoir l’accident, le déterminisme naturel historique, les personnalités charismatiques et enfin la population49. Or, pour le Coran et l’islam, les masses seraient le principal déterminant de l’histoire des sociétés. Dans un premier temps viendraient les lois immuables édictées par Dieu, créant ainsi un cadre pour l’action de l’homme qui serait responsable et libre de ses propres choix tout en restant dans les limites imposées par Dieu50. Avant de continuer sur les conséquences de cette importance faite aux masses (al-nas), il convient d’ouvrir une parenthèse sur le fait que, selon le Coran, plus les masses seront élevée (éduquées, développées), moins le rôle du leader charismatique sera important51. Si la transposition est faite à la société iranienne, il peut en être déduit, du fait que cette dernière est une des plus modernes et plus développées du Moyen-Orient, que la figure du Guide est discréditée. Tout dépend donc de l’interprétation faite du Coran par le pouvoir politique, ce qui est la base de l’islam politique chiite. Pour revenir à la légitimité du peuple, l’auteur appuie son argumentation en citant directement le Coran et donc Dieu : « Je veux créer un vice régent me représentant sur la Terre »52 pour prouver le rôle qui lui est assigné. Enfin, le caractère révolutionnaire de l’Islam est métaphorisé par Shari’ati dans l’histoire de Caïn et Abel. La vie serait ainsi la lutte entre les dominés, représentés par Abel et les opprimants personnifiés par Caïn. Ainsi le rôle d’Abel serait de se révolter contre un système social « inhumain » prônant la propriété privée et cultivant l’esclavage (métaphore du régime du Shah)53. La conclusion de l’auteur ne laisse enfin plus de doute sur la façon dont l’islam politique doit être érigée en Iran : « La fin des temps viendra quand Caïn mourra et que le ‘système d’Abel’ sera établi à nouveau. Cette inévitable révolution signifiera la fin de l’histoire de Caïn ; l’égalité sera réalisée à travers le monde, et l’unité et la fraternité humaines seront établies par l’équité et la justice. C’est l’inévitable sens de l’histoire. Une révolution universelle se réalisera dans tous les 48 COVILLE, Thierry, Iran, la révolution invisible, Paris, La Découverte, 2007, p. 59. SHARI’ATI Ali, On the Sociology of Islam, New York, Mizan Press, 1979, pp. 45-47. 50 Ibid., pp. 49-51. 51 Ibid., p. 54. 52 «I wish to creat a viceregent for Myself upon earth », Ibid., p. 73. 53 Ibid., pp. 98-107. 49 15 domaines de la vie humaine, les classes opprimées de l’histoire prendront leur revanche. »54 Le chiisme a donc une dimension révolutionnaire, mais il faut comprendre ses autres spécificité et notamment celles propres à l’Iran avant de plonger dans l’étude de la Révolution de 1978. Le chiisme ou Velayat-e Faqîf (Gouvernement des Savants religieux) est issu de la scission majeure au sein de la Communauté musulmane après la mort du Prophète en 632. Les fidèles d’Ali - gendre de Mahomet et initiateur de la scission – c’est-à-dire les Shî’ites vont ainsi forger une théologie politique et un droit religieux55 de manière autonome, basés sur l’interprétation de la charî’a, la parole divine. C’est cette interprétation qui va faire toute la singularité du chiisme iranien puisqu’il va donner un rôle de tout premier ordre au Clergé, chargé de cette interprétation, afin de faire le lien entre Dieu et les croyant. Pour Laurence Louër, les membres du Clergé chiite seraient donc une sorte de « professionnels de la religion »56. C’est donc la cléricalisation de l’islam politique chiite en Iran qui doit retenir l’attention du lecteur avant de continuer ce devoir. Si à l’origine le Clergé chiite est défini comme quiétiste, c’est-à-dire comme relativement distant des affaires politiques et non-critique du pouvoir, il a pris un tournant vers le radicalisme dans les années 1960 en se politisant. C’est l’exil de Khomeiny en Irak et en France qui sera le symbole le plus fort de cette politisation57. En effet, le fait que ce dernier quitte l’Iran marquera sa rupture avec le pouvoir monarchique du Shah et donc de ce fait l’implication du Clergé dans la politique. C’est à partir de ce moment que le Clergé va se constituer comme le deuxième pôle de légitimité pour l’exercice du pouvoir dans les prémisses de la révolution, ce qui se matérialisera par l’énonciation de la doctrine de Khomeiny, celle du wilayat al-faqih, c’est-à-dire la doctrine accordant le droit au Clergé de gouverner et donc d’exercer des fonctions politiques58. C’est donc par la synthèse entre théorie révolutionnaire et application de l’islam chiite que la Révolution de 1978 a accouché sur le régime de la République islamique. Si Olivier Roy 54 « The end of time will come when Cain dies and the ‘system of Abel’ is established anew. That inevitable revolution will mean the end of the history of Cain ; equality will be realized throughout the world, and human unity and brotherhood will be established, through equity and justice. This is the inevitable direction of history. A universal revolution will take place in all areas of human life ; the oppressed classes of history will take their revenge », Ibid., p. 109. 55 LAMACHICHI Abderrahim, Op. Cit., p. 61. 56 LOUËR Laurence, Chiisme et politique au Moyen-Orient. Iran, Liban, monarchies du Golfe, Paris, Autrement, 2008, p. 11. 57 LAMACHICHI Abderrahim, Op. Cit., p. 63. 58 LOUËR Laurence, Op. Cit., p. 12. 16 en parlant de L’échec de l’Islam politique59 fait un constat global de l’échec de cette idéologie politique, dont la pertinence sera discutée en conclusion de ce devoir, force est de constater qu’il s’est imposé depuis maintenant plus de trente années en Iran. Ainsi, il s’agit à ce stade de l’analyse de se pencher sur l’existence de la République islamique, via sa naissance tout d’abord, en 1978 par le renversement du régime du Shah ; puis par son développement par le biais de la tentative d’exportation de son modèle d’islam politique mais également par l’évolution du pouvoir du Clergé au sein de la République islamique. 59 ROY Olivier, L’échec de l’Islam politique, Paris, Seuil, 1999, 249 pages. 17 Chapitre 2 : La naissance de la République islamique : entre consolidation interne et tentative d’exportation de la révolution « Dans l’esprit du contenu islamique de la révolution iranienne, qui fut un moment vers la victoire de tous les opprimés sur les oppresseurs, la Constitution prépare les bases assurant la poursuite de la révolution dans le pays et à l’étranger. »60 Au moment de la réalisation de ce devoir, la République islamique d’Iran a un peu plus de trente années, ce qui, à l’échelle des durées de vie de régimes, est relativement court. De ce fait, il est encore trop tôt pour affirmer l’échec ou bien la réussite de la Révolution de 1978, en entendant par réussite le fait que le régime parvienne à faire prospérer sur la scène internationale sa vision du monde, autrement dit le fait qu’il parvienne à exporter son idéologie au-delà de ses frontières et ce de manière pérenne. Cependant, observer l’évolution de la République islamique depuis son établissement en parallèle avec les changements sociaux internes à l’Iran et soubresauts de la conjoncture régionale mais également internationale permettrait de se familiariser parfaitement avec les défis auxquels devra faire face le régime pour sa survie mais surtout à ceux auxquels il se doit de faire face au moment même où ce devoir est écrit. Cet exercice sera dans un premier temps une application de l’analyse théorique du phénomène révolutionnaire traitée dans le chapitre premier de la présente partie ; c’est-àdire une étude empirique de la Révolution de 1978 et du régime de la République islamique jusqu’à la veille de la révolte de 2009 afin de saisir si l’idée que se faisait Rouhollah Khomeiny de la révolution islamique est toujours la même actuellement, et si les bases de cette révolution sont toujours présentes (section 1). Ensuite, elle tentera de dresser le bilan de la tentative d’exportation de la Révolution hors des frontières de la République islamique, exposant ainsi la légitimité de cette dernière face aux autres formes d’islamisme politique au Moyen-Orient ; ainsi que des relations qu’elle aura pu établir auprès des puissances occidentales. Les ambitions, les acteurs, les moyens mais également les limites de l’exportation de la Révolution seront ainsi exposées (section 2). 60 Préambule de la Constitution de la République Islamique d’Iran de 1979, version numérique, Jurispolis (consulté le 24/04/2014). http://www.jurispolis.com/dt/mat/dr_ir_constit1979/dt_ir_constit1979_index.htm 18 Section 1 : La tentative de consolidation interne de la Révolution face à l’évolution socio-politique de la République islamique « Dans les révolutions, les hommes n’ont de durée que celle où ils peuvent être utiles. »61 En 1978, après le renversement de la dynastie Pahlavi, suite à la Révolution iranienne, le pays devient une République islamique sous l’impulsion de l’Ayatollah Rouhollah Khomeiny qui donnera à l’Iran le 24 octobre 1979 une nouvelle Constitution révolutionnaire. La mise en place de ce nouveau régime implique donc une nouvelle façon de gouverner, basée sur la religion. Avant d’analyser comment la République islamique a pu prospérer dans le temps, il convient d’appréhender la vision même de Khomeiny de la Révolution et de la manière d’exercer le pouvoir. Dans l’Islam chiite, Dieu attribue à des hommes, les prophètes, une Souveraineté divine afin qu’ils puissent gouverner à sa place sur Terre et qui à leur tour, léguèrent leur pouvoir à des héritiers, les imams, afin de révéler le message divin au plus grand nombre62. Pour Khomeiny, l’imam ne doit pourtant pas avoir qu’une fonction religieuse et se doit aussi de gouverner. C’est ainsi qu’il fit connaître sa doctrine dite du wilayat al-faqih al-mutlaqa, prônant l’interférence entre les données religieuse, politiques, ou encore économiques permettant à l’interprète de la loi divine d’exercer un pouvoir politique63. Pour lui, Islam et politique sont donc indissociables : « L’Islam est une religion politique […] celui qui dit qu’il n’y a pas de rapport entre la religion et la politique n’a pas compris la religion et n’a pas connu la politique. »64 En prenant le pouvoir, Khomeiny met fin à l’affrontement entre le sultan et le faqïh65, c’est-à-dire entre la sphère politique et la sphère spirituelle : c’est l’idée même de l’islam politique. Un problème est survenu à la mort de l’Ayatollah, puisque son successeur, Ali Khamenei n’était pas reconnu en tant que Source d’imitation comme telle (marga). Un compromis a donc dû être fait : au marga l’administration de la religion et au wali al-faqih celle de la politique66. De cela peut donc être conclu que l’idée que se faisait du pouvoir Khomeiny et l’évolution orchestrée par la nomination de 61 BOUHELIER Saint-Georges, Le sang de Danton, 5ième tableau, 2ième acte, Paris, Comédie-Française, 3 juin 1931. 62 DIAB EL HARRAKE Hassan, Les fondements religieux du pouvoir politique dans la République islamique d’Iran, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 85. 63 Ibid. 64 Ibid., p. 86. 65 Ibid., p. 149. 66 Ibid., p. 151. 19 Khamenei atteste de la politisation du pouvoir en République islamique. Une limite intrinsèque à l’islam politique ? La Révolution, si elle est menée au nom de la religion, reste avant toute chose politique. De plus, le fait que la quasi-totalité de la société iranienne se porte derrière elle, a dès ses premières heures consolidé sa légitimité. Ainsi, à travers l’ouvrage de Rouzbeh Sabouri, Les révolutions iraniennes, il est possible de faire une radiographie des acteurs révolutionnaires. Cinq catégories peuvent être distinguées. Premièrement les intellectuels (bureaucrates, écrivains, journalistes, enseignants…) qu’ils soient islamiques ou bien modernistes67. Ce consensus intellectuel pour la révolution – s’il présente tout de même certaines divergences quant à ce que doit être le prochain régime de l’Iran – se retrouvera après 2009 pour réclamer une nécessité urgente de réforme au sein de la République islamique. La deuxième catégorie est celle du clergé, représentant à l’heure de la Révolution une véritable entité politico-économique indépendante de l’Etat, ayant sa propre hiérarchie et ses propres sources de revenus. C’est grâce à son rôle, et principalement celui de Khomeiny que le mouvement révolutionnaire a réussi à réunir en son sein les masses populaires, littéralement « excitées » par le prêche religieux du mouvement68. Troisième force : le bazar. Ce dernier s’est rallié à Khomeiny principalement à cause du harcèlement et de la répression qu’il a subie de la part du régime impérial69. L’importance du bazar est ici de tout premier ordre puisqu’il constitue une force économique conséquente. La Révolution a donc de son côté l’économie, l’intelligentsia et l’institution religieuse. Viennent ensuite les femmes. L’ironie veut que ce soit les femmes qui furent les plus actives au niveau de la société civile lors de la révolution, afin de réclamer droits et libertés – en étant mises à l’avant des cortèges avec les enfants – et qui furent également les plus touchées par l’application de la nouvelle Constitution basée sur la charia, qu’elles avaient aidé à ériger70. Enfin, la dernière catégorie de la société iranienne à prendre part à la révolution est le groupe des déshérités, c’est-à-dire des franges les plus pauvres du pays, n’ayant aucun accès à la participation politique et se trouvant écarté de la redistribution des richesses et de l’éducation. Pour ces derniers, ce n’est pas tant l’appel religieux que la volonté de voir leur statut amélioré qui a primé dans leur engagement 71. Une remarque importante peut être faite concernant ce groupe. C’est sur celui-ci que se reposera le pouvoir dans les moments difficiles pour récupérer un regain de légitimité, 67 SABOURI Rouzbeh, Les révolutions iraniennes, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 126. Ibid., p. 151. 69 Ibid., p. 152. 70 Ibid., p. 155. 71 Ibid., p. 158. 68 20 notamment grâce à des promesses d’aides politiques, comme le fera Ahmadinejad avant ses deux élections à la présidence de la République Islamique. Malgré le consensus des premières heures de la révolution, le nouveau régime de la République islamique s’est vite retrouvé face à une vague de contestations face à la politique mise en place. Sentant la Révolution en danger, Khomeiny a tout de suite œuvré à la consolidation de cette dernière. Par quels moyens s’y est-il pris ? Tout d’abord en reprenant la technique si utilement exercée sous le régime précédent à savoir celle de la répression. En effet, chacun voulant bénéficier de la révolution en accédant à la sphère politique, une forte instabilité gouvernementale s’installa assez précocement. Chaque faction au pouvoir était contestée par une autre plus radicale se revendiquant des véritables idéaux révolutionnaires72. C’est dans ce contexte d’instabilité galopante que Khomeiny prit le parti de réprimer toute opposition à la Révolution, s’adonnant à des arrestations, des mises à pieds ainsi qu’à des exécutions sommaires, et cela grâce à l’aide du Hezbollah, le nouveau Parti de la République islamique chargé de faire régner la terreur afin de préserver la Révolution73. Toujours dans l’esprit de préserver la Révolution, Khomeiny a créé une milice proche du clergé : le corps des pasdarans devenu progressivement une des institutions les plus importantes du régime dont le but sera de préserver les intérêts de la République islamique « sur la voie de la Révolution »74. Mais Khomeiny va surtout se servir de deux événements conjoncturels pour consolider définitivement la Révolution dans les années 1979 et 1980. Le premier est la prise d’otage de l’ambassade américaine à Téhéran, le 4 novembre 1979 par des étudiants, en protestation de l’accueil du Shah fait par les Etats-Unis. Si ce mouvement n’a pas été prévu par Khomeiny, ce dernier va s’empresser de le soutenir, voyant dans l’antiaméricanisme un moyen de fédérer la société derrière le régime alors même que la République était vivement contestée à l’intérieur du pays75. Le deuxième est la guerre entreprise contre l’Irak en 1980. Si c’est le voisin baathiste qui dans un premier temps envahit le territoire iranien ; Khomeiny a très vite perçu l’opportunité qu’il pourrait saisir en prolongeant la guerre une fois l’ennemi repoussé. Ainsi, si cette guerre fut coûteuse matériellement, économiquement et humainement, elle permit avant tout de renforcer le sentiment nationaliste des Iraniens et de s’unir face à un adversaire désigné comme le plus grand danger pour la Révolution à 72 KHOSROKHAVAR Farhad ; ROY Oliver, Op. Cit., p. 27. Ibid., p. 28. 74 GAUVRIT Eric, « Les forces armées conventionnelles de l’Iran : état des lieux », Outre-Terre, n°28, 2011, p. 129. 75 KHOSROKHAVAR Farhad ; ROY Oliver, Op. Cit., p. 28. 73 21 cette période donnée76. Pour conclure, le constat peut être fait que ces deux événements étaient (mais pas uniquement) des subterfuges pour détourner l’attention des forces s’opposant à la République islamique. Cependant, à la mort de Khomeiny, beaucoup se sont demandés si son successeur, Ali Khamenei, serait capable de préserver aussi bien la Révolution que l’avait fait le premier Guide suprême. Si les références à l’antiaméricanisme et à l’antisionisme du régime ont été rappelées à maintes reprises par Khamenei, et le sentiment de fierté nationale exalté via les négociations concernant le programme nucléaire iranien, l’ère Khamenei semble plutôt être celle de la multi polarisation des centres de pouvoirs internes que celle d’une solidification univoque du régime. Certes la répression et la censure n’ont jamais cessées, et ce encore plus sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad, mais les divisions au sein du clergé ainsi qu’au sein du clan conservateur montrent que l’excitation du sentiment national ne suffit plus à apaiser les tensions couvant dans la société iranienne, ce que prouve la révolte de juin 2009. Dans ce contexte-là, la solution pour le régime se trouve peut-être en dehors de ses frontières. L’Islam chiite fait la différence entre dar al- ‘islam (demeure de l’Islam) et dar al- harb (demeure de la guerre). Selon l’interprétation de Khomeiny, cela signifierait que l’Iran aurait le droit d’intervenir en dehors de son territoire pour administrer les populations chiites des Etats voisins77. Le problème étant que cette interprétation a forcément créée des tensions, Khomeiny a poursuivi son explication en précisant que sa vision de l’Islam n’était pas nationale mais universelle, et qu’elle avait vocation à s’appliquer dans le monde entier. C’est principalement pour ne pas se mettre à dos les autres Etats arabes qu’il a donc fait le choix de ne pas constitutionnaliser les compétences des wali al- faqih (les interprètes de la loi divine) pour ne pas leur donner une connotation nationale.78 En suivant cette logique, le renforcement de la République islamique d’Iran passe-t-il également par une exportation de la Révolution ? 76 COVILLE, Thierry, Op. Cit., p. 54. DIAB EL HARRAKE Hassan, Op. Cit., p. 159. 78 Ibid., p. 160. 77 22 Section 2 : L’exportation de la Révolution comme condition sine qua non à la quête d’hégémonie régionale iranienne « Le radicalisme d’alors s’illustrait dans une politique qui, apparemment, se distinguait par son objectif de créer un mouvement révolutionnaire et tiers-mondiste, soit un cocktail que l’on a retrouvé dans bien d’autres dimensions du régime. »79 Avant toute chose, il s’agit de proposer un cadre théorique à l’exportation du modèle révolutionnaire de la République islamique d’Iran, car, si elle répond de la synthèse de l’Islam chiite, elle répond également à des dogmes plus généraux. Premièrement, le fait même que cette révolution soit d’origine religieuse veut qu’elle soit amenée à être exportée. C’est ce qu’explique Alexis de Tocqueville dans L’Ancien Régime et la Révolution, lorsqu’il compare la Révolution française à une révolution religieuse qui aurait vocation à se répandre au-delà des frontières nationales du fait de son caractère universel et grâce à la prédication et à la propagande effectuée par les révolutionnaires80. Ainsi une révolution considérant l’Homme, l’individu en lui-même serait applicable partout. En d’autres termes, plus le caractère d’une idéologie révolutionnaire est abstrait, plus cette dernière aura vocation à s’étendre81. Toutefois, l’Islam chiite par sa nature n’a pas vocation à s’implanter dans l’ensemble du monde musulman à forte dominance sunnite, ce qu’il faudra prendre en compte dans l’analyse. Le deuxième cadre théorique est apporté par Laurent Rucker. Selon ce dernier, les Etats révolutionnaires doivent faire face au « dilemme de la socialisation », c’est-à-dire par une alternance entre phases de confrontations à l’ordre internationale et phases de repli ; les premières relevant de la nature même de l’Etat révolutionnaire, cherchant à renverser l’ordre, les secondes répondant à la priorité de survie face à des éventuels conflits avec les puissances voisines82. C’est donc également face à ce dilemme que la République islamique se trouvera confrontée dans sa tentative d’exportation de la Révolution de 1978. Le point de départ de la tentative d’exportation de la Révolution peut être considéré comme la prise d’otage de l’ambassade américaine à Téhéran le 4 novembre 1979. En 79 COVILLE, Thierry, Op. Cit., p. 188. TOCQUEVILLE Alexis, L’Ancien Régime et la Révolution, édition numérique, pp. 13-15 (consulté le 20/03/2014). http://dev.ulb.ac.be/sciencespo/dossiers_supports/ancien-regime-et-revolution1.pdf 81 Ibid. 82 RUCKER Laurent, « La contestation de l’ordre international : les Etats révolutionnaires », Revue internationale et stratégique, n° 54, 2004, pp. 116-117. 80 23 effet, de cet épisode est né un fort sentiment antiaméricain, venant s’ajouter à un antisionisme déjà fortement présent en Iran. L’exportation de la Révolution rentrait donc dans sa phase de confrontation avec l’Occident – plus précisément les Etats-Unis – qui s’empressa d’afficher une crainte et un rejet du nouveau régime, l’associant sans détour au terrorisme, et ce jusqu’à aujourd’hui83. Mais ce n’est pas uniquement contre l’Occident que l’Iran parti en croisade. Pour la République islamique, l’objectif est alors de reconstituer la « Communauté des croyants » (Ummah), dépassant ainsi la frontière entre sunnisme et chiisme84. Pour y parvenir, la stratégie du régime se concentre sur le Moyen-Orient, dans lequel il veut s’opposer aux gouvernements musulmans corrompus85 (comme celui de l’Arabie Saoudite) et de manière plus globale en adoptant une idéologie tiers-mondiste, en associant révolution islamique et libération nationale86, un peu à la manière de l’URSS durant la Guerre froide lorsque le régime communiste alliait libération nationale et communisme. Cette exportation révolutionnaire va même jusqu’à s’institutionnaliser avec la création du Conseil de la révolution islamique, chargé de coordonner l’action de régime à l’étranger87. Sur quels terrains la République islamique a donc-t-elle pu, si tenté qu’elle ait réussi, atteindre son but d’exportation d’un Etat islamique ? La réponse est sans appel : nulle-part. A ce titre, Farhad Khosrokhavar parle de « véritable fiasco », en ajoutant que « toute la région, avec les révolutions arabes, s’inscrit dans un contre-modèle à celui de la révolution islamique de 1979 »88. Où l’Iran a-t-il donc échoué, et pour quelles raisons ? Le principal lieu où la République islamique a été en réelle mesure d’exporter sa révolution est le Liban. Ses autres tentatives n’ont été qu’échecs et leur étude n’a aucune réelle importance pour le devoir présent. Ainsi, la tentative libanaise s’est effectuée dans le cadre de la lutte armée contre Israël, afin de se battre pour la cause palestinienne. Etant donné le fait que l’Iran se soit dès les premières heures de la Révolution affirmé comme héraut de l’antisionisme, la lutte dans le Sud-Liban permettait à Khomeiny de faire une pierre deux coups : renforcer son image auprès des gouvernements et opinions arabes en se portant 83 JOSCELYN Thomas, « State department : Iran Supports Al Qaeda, Taliban », The weekly stantard, 31/07/2012 (consulté le 02/02/2014). https://www.weeklystandard.com/blogs/state-department-iran-supports-al-qaeda-taliban_649167.html 84 COVILLE, Thierry, Op. Cit., p. 188. 85 Ibid., p. 191. 86 Ibid., p. 189. 87 Ibid., p. 191. 88 Article, « 35 ans de la révolution en Iran : quel bilan pour l’Iran ? », Atlantico, 13/02/2014 (consulté le 03/04/2014). http://www.atlantico.fr/decryptage/35-ans-revolution-islamique-quel-bilan-pour-iran-iran-1979-khomeynihezbollah-syrie-ahmadinedjad-nucleaire-iranien-980246.html?page=0,0 24 comme leader de la lutte face au « Grand Satan » tout en s’implantant au Liban. Cette lutte s’est faite par le biais de la création de groupes chiites pro-iraniens, dont les deux principaux sont le Mouvement Amal islamique ainsi que le Hezbollah89. Pourtant, du fait de la rivalité entre les deux organisations, et du fait de la complexité ethnique et confessionnelle du Liban, l’idée de créer un Etat islamique a vite été abandonnée par Téhéran, se cantonnant à la lutte armée contre Israël90. Mais les limites à l’exportation de la Révolution ne se cantonnent pas à « l’échec » libanais. Une entrave caractéristique de l’Iran dans sa quête de reconnaissance des gouvernements musulmans est le fait que dans l’exercice de sa politique étrangère, la République islamique faisait avant tout attention de préserver ses intérêts nationaux91. C’est donc naturellement que la tentative de constitution d’une « Communauté de croyants » n’a pas trouvé l’adhésion escomptée, puisque le prosélytisme chiite iranien, fortement imprégné de nationalisme, ne pouvait trouver un écho favorable auprès des gouvernements sunnites92. Cette division entre sunnites et chiites est un autre élément des difficultés rencontrées par l’Iran. En effet, profitant de la guerre entre l’Iran et l’Irak ainsi que du ressentiment occidental pour le nouveau régime islamique suite à la prise d’otage de l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran, l’Arabie Saoudite a réussi à développer sa propre idéologie et ses propres réseaux révolutionnaires qui connaîtront un rayonnement régional et également international93, substituant ainsi à l’Iran son leadership révolutionnaire au Moyen-Orient94. La dernière limite (ou plutôt frein) conjoncturelle à l’expansion de la Révolution de 1978 est la guerre qu’a menée le régime contre l’Irak, entre 1980 et 1988. Si cette dernière a permis de renforcer le sentiment national et révolutionnaire au sein même de l’Iran et plus particulièrement auprès de l’armée des Gardiens de la Révolution (pasdarans) ; les conséquences humaines, matérielle et économiques de la guerre, qui s’était étendue sur le front irakien dans le but de faire tomber le régime de Saddam Hussein et d’instaurer en Irak une République islamique pro-iranienne, ont prouvé l’incapacité de la République islamique d’Iran de mener des campagnes armées dans le but d’exporter son idéologie95. Pour finir, il ne faut pas oublier que si l’Iran n’a pas réussi à exporter sa Révolution, c’est avant tout pour des raisons politiques internes. En effet, dans le nouveau régime où le nationalisme occupe une place importante, la politique étrangère est 89 COVILLE, Thierry, Op. Cit., p. 192. LOUËR Laurence, Op. Cit., p. 61. 91 COVILLE, Thierry, Op. Cit., p. 194. 92 Ibid., p. 195. 93 GUIDERE Mathieu, Les nouveaux terroristes, Paris, Autrement, 2010, 156 pages. 94 COVILLE, Op. Cit., p. 198. 95 Ibid., p. 202. 90 25 entièrement soumise à la politique domestique, qui elle-même est soumises à des tensions se manifestant par l’émergence de plusieurs centres de décisions politiques96 (ce qui se manifestera quelques années plus tard avec l’opposition d’Ahmadinejad à Khamenei). La conséquence directe de cette phase de confrontation (et de son échec plutôt avéré) sera une normalisation de l’Iran avec la communauté internationale dès 1985 avec l’élection d’Hachemi Rafsandjani à la présidence de la République islamique, le nouvel objectif n’étant plus la révolution mais de s’ériger en tant que puissance régionale par le biais de la coopération et de la diplomatie97. Après l’échec de l’exportation violente et militaire de la Révolution, l’Iran parviendra-t-il à diffuser son influence au Moyen-Orient et à se faire accepter en tant que puissance normalisée du système international par l’Occident dans le but de s’affirmer en tant que puissance dominante régionale ? Si l’Iran ne peut plus user de son hard power, il peut toujours s’appuyer sur son soft power, notamment auprès des populations musulmanes afin de se faire considérer notamment via sa culture persane riche mais également par la fertilité de son milieu intellectuel (bien qu’il soit de manière générale hostile au régime). Aussi il bénéficie d’atouts lui permettant de faire un usage opportuniste de sa diplomatie avec l’Occident, comme ses réserves de pétrole ou encore son dossier nucléaire. In fine, l’intérêt de cette étude réside dans l’observation future du comportement de l’Iran en tant que régime révolutionnaire. Entrera-t-il dans une nouvelle phase de confrontation, où se socialisera-t-il encore plus dans l’ordre international établi ? S’il est bien évidemment trop tôt pour y répondre, l’analyse de la protestation de juin 2009 ayant abouti à l’élection d’un modéré (Hassan Rohani) devrait cependant permettre d’établir des éléments de réponse. L’étude de ce chapitre montre que du fait que la République d’Iran soit un Etat « révolutionnaire » au sens de Laurent Rucker (chapitre 1), la survie de sa Révolution dépend donc d’une dimension interne mais également d’une dimension extérieure. Ce constat constitue ainsi un parfait outil méthodologique pour étudier la situation de l’Iran dans le futur, et d’établir le bilan de son évolution. Toutefois, il faudra faire attention à ce que le recul d’analyse soit assez important pour ne pas déboucher sur des conclusions purement conjoncturelles. 96 Ibid., pp. 195-196. Ibid., pp. 203-204. 97 26 « D’autres contestations, en particulier celles produites par les mouvements et les Etats révolutionnaires et/ou totalitaires, ne cherchent pas seulement à améliorer leur position relative dans la configuration de l’équilibre des puissances. Elles rejettent l’ordre international, ses institutions, ses normes et ses pratiques et visent à les remodeler à partir d’une autre grille de lecture du monde, qu’elle soit sociale, raciale ou religieuse. »98 Depuis 1978, la République islamique d’Iran est entrée dans la catégorie des Etats révolutionnaires, proposant une nouvelle vision du monde basée sur la religion, et dont l’émanation politique est l’islam politique. L’étude de cette première partie a été consacrée – mis appart une parenthèse théorique nécessaire à la compréhension du sujet tout au long du devoir – à la révolution menée par le régime de la République islamique. La Révolution de 1978 est à appréhender via le prisme, quelle que soit la période, de l’équipe gouvernante. Cette révolution a dû ainsi pour subsister renforcer son assise au sein même de l’Iran mais également sur la scène internationale, en essayant de s’exporter dans d’autres Etats. Mais les constats selon lesquels dès sa création, la République islamique a été contestée en interne, et que ses dirigeants n’ont pas réussi à l’exporter attestent cependant de sa relative fragilité. Ainsi la suite de ce devoir s’intéressera au phénomène révolutionnaire compris cette fois-ci via l’angle de la population et de la société civile, c’est-à-dire via la contestation du pouvoir, cela dans un contexte de libéralisation du monde musulman. L’analyse s’attardera, en outre de la Révolte verte, sur le Printemps arabe – exemple de révolution terminée (mais pas forcément réussie) dans la région – afin de savoir si l’Iran est capable de mener sa deuxième révolution en un peu moins de quarante ans. Ici également, il faudra tenir compte des aspects socio-politique et économique de la société iranienne ainsi que de la radiographie stratégique de la République islamique, sur la scène Moyen-Orientale d’une part, et internationale d’autre part. Selon Ted Gurr, « dans les sociétés caractérisées par des privations flagrantes, quand les populations commencent à formuler des aspirations à une vie meilleure et qu’elles en perçoivent la possibilité, la frustration de ces aspirations les pousse à se rebeller contre les régimes en place »99. Le Printemps arabe et le Mouvement vert résultent d’aspirations à une vie meilleure. La question est de savoir si, dans le cas de la République islamique, la population a réellement l’opportunité et les moyens de l’acquérir. 98 RUCKER Laurent, Art. Cit., p. 109. MESSARI Nizar, « A propos de la complexité des révoltes dans les pays arabes », Cultures & Conflits, n° 85-86, 2012, p. 189. 99 27 Partie 2 : L’illustration de la problématique de la compatibilité de l’islam politique avec la modernité : la République islamique face à la libéralisation des sociétés musulmanes « L’essentiel est de veiller à ce que la référante symbolique à la charria, à l’islam ou au Coran n’entre pas en conflit avec les grands principes universels : liberté, égalité, citoyenneté, démocratie… »100 La compatibilité de l’Islam avec la démocratie est une des questions qui ait le plus nourri la littérature occidentale traitant de la religion musulmane, et ce encore aujourd’hui101. Cela principalement en raison de l’association faite au sein du monde industriel et développé entre cette religion et une sorte d’obscurantisme, d’arriération culturelle et politique ; mais également à cause des nombreuses confrontations entre puissances occidentales et acteurs musulmans depuis la fin de la Guerre froide, qu’ils soient étatiques (République islamique d’Iran, pays de « l’axe du mal »102) ou transnationaux (assimilation entre islam et terrorisme à la suite du 11 septembre). Pourtant, la recherche de réponse à cette question semble vaine, tant il est inapproprié de s’avancer sur un tel sujet sans connotation politique ni jugement de valeur, c’est-à-dire en tout objectivité. Ainsi la réelle question n’est pas tant celle de la compatibilité entre Islam et démocratie, que celle de la capacité de gouverner au nom de la religion, autrement dit, celle de la légitimité de l’islam politique ; de plus en plus abordée chez les intellectuels musulmans eux-mêmes103. C’est à cette question que se trouve confrontée la République islamique d’Iran, et ce plus que jamais après la révolte aux aspirations libérales de millions d’Iraniens suite aux élections électorales de juin 2009 (chapitre 1) ainsi que face à l’observation d’un élan révolutionnaire chez la majorité des populations du monde musulman, s’opposant tant aux régimes répressifs qu’à l’instrumentalisation de la religion à des fins politiques (chapitre 2). 100 OUBROU Tareq, Un imam en colère, entretien avec Samuel Liven, Paris, Bayard, 2012. IRIBARNE Philippe, L’islam devant la démocratie, Paris, Gaillard, 2013, 192 pages. 102 RIGAL-CELLARD Bernadette, « Le président Bush et la rhétorique de l’axe du mal », Etudes, Tome 399, 2003, pp. 153-162. 103 KHOSROKHAVAR Farhad ; ROY Olivier, Op. Cit., pp. 75-113. 101 28 Chapitre 1 : La Révolte verte comme incarnation de la remise en cause de la légitimité du régime iranien Si selon Laurent Rucker104 chaque Etat révolutionnaire perd au bout d’un certain moment cette même substance révolutionnaire et se retrouve contraint, pour sauvegarder sa propre existence, de se socialiser au sein du l’ordre international établi, l’analogie avec la République islamique peut rapidement être faite. Cependant, comme pour les autres puissances révolutionnaires, l’intégration est un processus continu et non instantané, conséquence d’une série d’événements aussi bien intrinsèques qu’extérieurs au régime et de la conjoncture internationale de l’époque donnée. Ainsi, il faut comprendre le mouvement de protestation de plusieurs millions d’Iraniens à la suite des élections présidentielles du 12 juin 2009 comme l’arrivée à maturation d’un sentiment d’exaspération face à un régime liberticide et oppresseur. La question principale qui doit alors être posée, au regard de la théorie présentée par Rucker, est de savoir de quelle manière l’Iran de Rouhollah Mousavi Khomeiny se « socialisera-t-il ». Abandonnera-t-il son aspect autoritaire et l’islam politique face à l’ouverture de sa population sur le reste du monde et l’avancée galopante de la démocratie qui est en voie de devenir la norme consensuelle pour la nature des régimes politiques ? Ou bien sera-t-il à nouveau secoué par une révolution est subira un violent regime change, orchestré par les Iraniens eux-mêmes ou par des puissances étrangères ? L’étude de la Révolte verte de 2009 s’intéresse aux dynamiques internes à la société iranienne, c’est-à-dire aux capacités des Iraniens de changer les choses et à leurs aspirations les plus fortes. Le constat est déjà établi, cette dernière n’a pas abouti sur une révolution au sens stricte du terme entendue comme une totale remise en cause de l’ordre social105. Cependant, elle est le signe indiscutable qu’une barrière a été franchie, c’est-àdire que la population, malgré ses nombreuses cicatrices, s’est décidée à entrer en confrontation directe avec le régime (section 1) et que ses aspirations, assimilables à celles de toute société moderne contemporaine, ne sont plus adaptées à l’exercice du pouvoir de la République islamique et que tôt ou tard, un changement devra s’opérer, la violence étant devenue une option envisageable (section 2). 104 RUCKER, Laurent, Art. Cit., pp. 109-118. BAECHLER, Jean, Les phénomènes révolutionnaires, Op. Cit., p. 5. 105 29 Section 1 : La révolte verte : signe de la fin de la sanctuarisation de la révolution de 1978 « Le pouvoir islamique a perdu, ce jour-là, le contrôle politique de la rue qu’il utilisait depuis sa création pour légitimer sa souveraineté aussi bien à l’intérieur qu’à la face du monde. »106 Suite aux élections du 12 juin 2009 offrant à Mahmoud Ahmadinejad un second mandat présidentiel (après celui effectué entre 2005 et 2009), l’Iran a connu son plus fort soulèvement populaire depuis la Révolution de 1978. L’origine de ce mouvement, qui prendra rapidement le substantif de « Révolte verte », réside dans la contestation desdites élections, qui, pour une partie de la population iranienne, ont été clairement entachées de fraude. Ainsi, ce sont près de trois millions d’Iraniens qui descendent dans les rues à l’issue du scrutin pour demander au régime « Où est mon vote ? »107. Si l’étude de ce mouvement a été rendue compliquée par la censure et la propagande du pouvoir en interne ainsi que par le musellement des médias internationaux qui ont dû quitter l’Iran dès le début de la contestation108, l’ampleur du phénomène et la diversité des sources d’information modernes ont permis de prendre acte de l’ensemble du déroulement de la révolte, de son organisation et de sa répression par le régime. Le 12 juin 2009, Mahmoud Ahmadinejad est réélu à la présidence de la République islamique d’Iran. Près de trente-neuf million d’Iraniens - nombre sans précédent depuis 1978 - se sont exprimés, portant à nouveau le président sortant conservateur au pouvoir à la faveur de 62,63% des suffrages. Les candidats réformateurs eux, Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi, pourtant donnés favoris par les analystes, n’obtiennent respectivement que 23,75% et 0,85% des votes109. Pour le Guide suprême, Ali Khamenei, la forte participation électorale n’est autre que le signe de la totale confiance de la population envers le régime ; une contestation, le cas échéant, aurait revêtu la forme de l’abstention 110. Cependant, la présence de millions d’Iraniens dans les rues de Téhéran à la suite des résultats montre 106 SALAMATIAN Ahmad, La révolte verte. La fin de l’islam politique ?, Paris, Delavilla, 2010, p. 163. En anglais « Where is my vote », in MILANI Abbas, « The Green Movement », United States Institute of Peace (consulté le 30/04/2014). http://iranprimer.usip.org/resource/green-movement 108 Article, « Les médias internationaux muselés », Le Monde, 16/06/2009 (consulté le 30/04/2014). http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2009/06/14/la-bbc-se-dit-victime-d-un-brouillage-electroniquevenu-d-iran_1206762_3218.html#ens_id=1190750 109 SALAMATIAN Ahmad, Op. Cit., p. 32. 110 Film, Iran : cri d’un peuple indigné, Jamshid Golmakani, 2013. 107 30 clairement le contraire. Selon eux, le régime aurait littéralement volé leur vote pour les candidats réformateurs afin de permettre à Ahmadinejad de s’installer quatre années de plus au Palais Sa’dabad111. Ainsi, les slogans - dont le plus connu restera « A bas le dictateur ! »112 - les plus marquants des manifestants étaient directement désignés à l’encontre de ce dernier. Si ce mouvement vert, dont les origines remontent à l’élection du président réformateur Mohammad Khatami en 1997, et ces hérauts (les candidats Moussavi et Karoubi) ont fait éclater au grand jour le feu d’une contestation sociale qui couvait depuis une vingtaine d’années113, il convient toutefois d’analyser la légitimité de la révolte, c’est-à-dire de se pencher d’un peu plus près sur les allégations de fraude de cette dernière mais aussi sur sa composition, afin d’attester de son ampleur. Qui le Mouvement vert représente-t-il ? Y-a-t’ il eu fraude ? Une liste non exhaustive de cinq éléments permet de croire en la véracité de cette thèse. Premièrement, sept des douze membres du Conseil des Gardiens de la Constitution114 ont manifestement pris position avant le scrutin pour Ahmadinejad115. Deuxièmement, ce dernier, dans les mois précédant l’élection, a procédé à une réorganisation du ministère de l’intérieur en plaçant à sa tête des membres de son sérail politique116. Troisièmement, le pouvoir a réalisé l’encadrement idéologique et politique progressif de la société grâce à l’aide de sa milice d’Etat, les bassidjis117. Quatrièmement, l’absence de cadre législatif et de contrôle des élections est certainement l’élément le plus marquant. Ainsi, aucune liste électorale n’est publiée et pas loin de soixante millions de bulletins sont imprimés, soit beaucoup plus que nécessaire118. Enfin et cinquièmement, il n’y avait aucun observateur international pour attester de la validité des élections119. Si ces éléments rappellent les caractéristiques des régimes autoritaires voir totalitaires, il n’y a cependant aucune preuve irréfutable d’une éventuelle fraude, faute de transparence, même si la convergence contextuelle des points évoqués ci-dessus ne semblent pas permettre le doute. 111 Résidence officielle du Président de la République islamique. Film, Iran : cri d’un peuple indigné, Op. Cit. 113 ADELKHAH Fariba, « Le Mouvement vert en République islamique d’Iran », Savoir/Agir, n°12, 2010, pp. 118-121. 114 Equivalent du Conseil Constitutionnel en France. C’est l’organe chargé de contrôler et organiser l’ensemble du processus électoral en Iran. 115 SALAMATIAN, Ahmad, Op. Cit., p. 80. 116 Ibid., p. 82. 117 Ibid., p. 83. 118 Ibid., p. 85. 119 Ibid., p. 89. 112 31 Pour ce qui est de la topographie de la révolte, force est de constater que ce sont les étudiants qui ont fortement garni les rangs. En effet, sur une population d’environ soixantedix millions d’habitants, l’Iran compte pas moins de quatre millions d’étudiants120, ces mêmes étudiants qui avaient étaient réprimés lors du premier mandat de Mahmoud Ahmadinejad. Mais plus globalement, ce sont tous les mostazaf121, les oubliés du régime qui se sont soulevés. C’est donc ainsi que les étudiants se sont retrouvés rejoints par les femmes, autre force dynamique contestataire envers le pouvoir122 et dont le statut au sein de la société et les revendications face à l’ordre patriarcal sont de plus en plus disputés123 ; mais également par la majorité de la classe moyenne. Toutefois, il est faux de clamer que l’Iran tout entier s’est soulevé. Premièrement, les couches les plus pauvres de la société sont restées en dehors du mouvement, car, rurales, elles n’ont pas pu être intégrées à la « révolution twitter »124. Deuxièmement et surtout, certaines strates sont restées fortement solidaires du régime et du président. Ce fut le cas des fonctionnaires, des commerçants du bazar et des religieux rattachés au Clergé radical125. Au final, ce processus a abouti à une bipolarisation de la société iranienne, un camp supportant le régime et Ahmadinejad, l’autre le contestant ; ce qui d’un point de vue théorique, représentait un terreau favorable pour l’éclosion d’une révolution126. Cependant, révolution il n’y a pas eu. Cela d’une part à cause de la forte répression orchestrée par le régime, et d’autre part du fait de l’épuisement du mouvement. Dès le début des rassemblements, qui prennent de plus en plus d’ampleur, une sévère répression se met en place afin d’éviter la « révolution de velours verte »127. Ainsi, la milice des bassidjis accompagnée du corps des Gardiens de la révolution128 vont rapidement s’adonner à des arrestations nombreuses et à des excès de violence dont des tirs à balles réelles face à la vitalité du mouvement. Les autorités iraniennes dénombreront trente-six victimes et l’opposition plus de cent-cinquante. Très rapidement, les victimes vont se voir labélisées « nouveaux martyres de l’Iran » et les cimetières et prisons vont devenir de facto les nouveaux lieux de résistance contre l’Etat 129. La répression prendra 120 Ibid., p. 93. En français : les déshérités. 122 Documentaire, Nous sommes la moitié de la population iranienne, Rakshan Baniatemad, 2009. 123 Film, Une séparation, Asghar Farhadi, 2011. 124 KIAN Azadeh, L’Iran : un mouvement sans révolution ? La vague verte face au pouvoir mercantomilitariste, Paris, Michalon, 2011, p. 27. 125 Documentaire Chroniques d’un Iran interdit, Manon Loizeau, diffusé sur Arte le 14 juin 2011. 126 BAECHLER Jean, Les phénomènes révolutionnaires, Op. Cit., p. 224. 127 SALAMATIAN Ahmad, La révolte Op. Cit., p. 160. 128 Véritable armée secondaire du pays créée au lendemain de la révolution de 1978 pour protéger la révolution islamique. Elle peut compter jusqu’à 350 000 personnes. 129 Documentaire, Chroniques d’un Iran interdit, Op. Cit. 121 32 enfin une dimension stalinienne à la suite de grands procès qui condamneront pas moins de quatre-vingt-huit personnes, dont cinq à la mort. In fine, cette répression marquera la forte militarisation du régime orchestrée sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad, si bien qu’il est possible de se demander si le régime n’est pas dans les mains des militaires et non des religieux130. Toutefois, c’est également le manque d’organisation politique du mouvement qui l’a rendu incapable de produire des effets concrets. En effet, outre ses deux leaders, Moussavi et Karoubi - qui face à la répression se sont finalement rangés implicitement du côté du régime en rappelant leur fidélité au Guide – la Révolte verte était dépourvue de toute organisation pour trouver un écho dans la sphère politique131. En effet, outre le soutien d’intellectuels, d’artistes, ou de la diaspora, le mouvement s’apparentait plus à un chien enragé auquel on aurait coupé la tête. C’est ainsi que le Mouvement vert s’est petit à petit épuisé même si les cendres de la révolte ne sont pas totalement éteintes comme le prouve les manifestations du 14 février 2011 à Téhéran et dans toutes les grandes villes du pays 132. Si c’est donc grâce à une jeunesse (qui représente près de 70% de la population iranienne) dynamique et prête aux plus durs sacrifices pour que lui soit accordée les libertés auxquelles elle aspire ainsi qu’à ses moyens d’action, par le biais des réseaux sociaux (Twitter, Facebook, YouTube, blogs)133 que le phénomène a pris une dimension planétaire ; c’est au niveau interne, dans son intégration de la population dans son ensemble et dans son organisation politique que ce dernier pourra se muer en véritable danger pour le régime de Téhéran. Si les événements de l’été 2009 représentent la plus forte opposition à laquelle le régime ait dû faire face depuis sa création, son importance dépasse grandement l’étude empirique. Il s’agit donc d’étudier la nature profonde de ses revendications et, à l’aune de la révolution de 1978, de la constitution institutionnelle et sociale du pays ainsi que de la conjoncture internationale de ce début de XXIème siècle, se poser la question de la possibilité que la Révolte verte se transforme en une véritable révolution, capable d’ébranler le régime de la République islamique. 130 SALAMATIAN Ahmad, Op. Cit., pp. 155-175. Iran : cri d’un peuple indigné, Op. Cit. 132 Article, « Le mouvement vert vit encore », Courrier international, n° 1059, 17/02/2011 (consulté le 01/05/2014). http://www.courrierinternational.com/article/2011/02/17/le-mouvement-vert-vit-encore-en-iran 133 DARANI Mahsa Yousefi ; HARE Isabelle, « The Iranian presidential election in 2009 on Twitter and Facebook : the contemporary forms of the militancy », Journal for Communication Studies, n°6, 2010, pp. 93-115. 131 33 Section 2 : La République islamique face à l’épreuve de la modernité « Ne pas être heureux est un pêché. »134 Le film d’Abbas Kiarostami, Le Goût de la cerise, dépeint assez bien à lui seul le tableau de la société Iranienne à la veille de la Révolte verte. Un pays marqué par un métissage ethnique prononcé, par un chômage galopant et une jeunesse porteuse d’espoir face aux influences de l’armée et de la religion. La morale du film peut être tirée du discours d’un homme au visage caché, prônant l’éclatement des tabous dans une société ayant soif de liberté mais fortement réprimée. « Mais que faut-il donc faire ? Parler de loin ; ou bien se taire »135. Les événements qui ont suivi la réélection de Mahmoud Ahmadinejad ont montré que la société iranienne été prête pour parler directement au régime. Mais quelle était la nature de ce soulèvement ? Etait-il spontané, dirigé uniquement contre une fraude électorale ? Etait-il une rébellion face aux huit années passées sous la présidence d’Ahmadinejad ? Ou était-il un désaveu du Guide, un rejet de la République islamique ? Ce qu’il s’agit de bien saisir avant toute chose, c’est que c’est une société tournée vers la modernité qui s’est soulevée, constat qui aura toute son importance pour la continuité de l’analyse. Ainsi, de façon non exhaustive, les transformations de l’Iran depuis une dizaine d’années sont considérables. Recul du taux de fécondité, hausse du niveau d’éducation, mise en place d’un système de protection sociale, urbanisation et développement du monde rural, intellectualisation de débats sur l’hypothèse d’un Iran postislamique, relative libéralisation de la presse, influence de la diaspora sur les idées politiques internes, élévation de voix pour un Etat de droit ou encore adoption de modes de consommation à l’occidentale sont tant de marqueurs pouvant attester de la mutation de la société136. Une société tournée vers la modernité donc, mais également marquée par de nombreux bouleversements depuis 1978, à savoir une guerre longue, meurtrière et coûteuse menée face au voisin irakien entre 1980 et 1988, mais surtout un isolement diplomatique et économique dû aux sanctions énoncées par l’Occident envers l’Etat perse suite d’une part à la prise d’otage de l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran en 1979 mais aussi aux velléités iraniennes concernant la production d’énergie nucléaire. De tout cela découle donc que la société, et notamment ses couches les plus pauvres, n’était pas prête pour un nouvel 134 Citation tirée du film Le Goût de la cerise, Abbas Kiarostami, 1997. Jean de La Fontaine, l’Homme et la Couleuvre, les fables de la Fontaine (consulté le 25/04/2014). http://www.lesfables.fr/livre-10/l-homme-et-la-couleuvre 136 COVILLE, Thierry, Op. Cit., pp. 129-166. 135 34 ébranlement137. C’est donc dans ce contexte ambivalent qu’éclate la Révolte verte, entre désirs de changement, de liberté mais également de stabilité, ce qui explique certainement pourquoi le phénomène n’a pas été révolutionnaire. Mais pour comprendre si cet événement est ou non réellement porteur de changement, il est primordial d’étudier sa philosophie, son idéologie propre. Il s’agit d’essayer de répondre à la question : quel type de société désirent les iraniens ? Le premier domaine sur lequel il importe de s’attarder est celui de la religion. En effet force est de constater que ce n’est pas contre l’Islam que la population s’est soulevée mais contre l’islam politique, c’est-à-dire contre la collusion entre la religion et la politique, contre l’instrumentalisation de la religion par le pouvoir à des fins politiques138. L’objectif des Iraniens est une société ou l’Islam pourrait être compatible avec l’égalité, la liberté et la démocratie. Ainsi, si la religion ne représente plus le symbole unique de l’identité iranienne, les revendications n’en sont pas pour autant antireligieuses, ce que démontre clairement Asef Bayat139. Cela ouvre donc la porte sur les débats concernant une société iranienne postislamique et la place de la religion dans un Etat qui a connu ses heures les plus glorieuses à l’époque préislamique, quand le chiisme ne s’était pas encore imposé en Perse. L’idée principale du post-islamisme, terreau des revendications de l’été 2009, est que l’islamisme a été incapable de trouver des solutions concrètes aux problèmes de la société et que de ce fait, la « religion ne peut être sauvée que par une forme de sécularisme »140. C’est une idéologie issue d’intellectuels religieux qui pensent que la séparation de la religion et de l’Etat est faite pour préserver la première des contingences du second et non pour l’affaiblir141. De ce fait, elle n’est pas révolutionnaire et ne vise donc pas la remise en cause du pouvoir mais plutôt l’ouverture d’un espace public de discussion. C’est dans cette veine que le post-islamisme va acquérir petit à petit son autonomie au sein des sciences sociales et humaines et devenir une source scientifique de savoir reconnue et légitime en Iran142. Pour les penseurs de cette nouvelle « école », que sont notamment Soroush et Kadivar, la religion relèverait de l’intériorité, de l’individu plutôt que de la société, et cette dernière devrait être régie par des lois non islamiques mais non anti-islamiques143. Ici, 137 KIAN Azadeh, Op. Cit., p. 16. Ibid., p. 21. 139 Ibid., pp. 182-183. 140 KHOSROKHAVAR Farhad ; ROY Olivier, Op. Cit., p. 75. 141 Ibid., p. 81. 142 Ibid., p. 83. 143 Ibid., p. 89. 138 35 l’accent est mis sur la « démocratie islamique »144, c’est-à-dire sur le rôle du peuple dans la détermination de la place de l’Islam. C’est exactement ce que revendique le Mouvement vert, à savoir réclamer la place légitime du peuple au sein de l’Etat iranien tout en rappelant son identité musulmane. Mais ce qui montre que cette révolte peut dépasser le cadre d’action de la rue et gangrener les plus hautes sphères du pouvoir est que ce renouveau intellectuel touche également le Clergé chiite, conscient du danger de l’assimilation des désillusions de la population avec l’incapacité de l’Islam. C’est donc du Clergé que l’appel pour une « société civile-religieuse » dans laquelle les « devoirs religieux sont codifiés par la loi qui est l’expression de l’assentiment de la majorité »145 a été lancé de la manière la plus vigoureuse. Cette brève analyse du post-islamisme atteste d’une volonté d’associer – dit vulgairement – Islam et démocratie mais montre également que poussé à l’extrême, ce processus pourrait éventuellement déboucher sur une sécularisation de la religion et que l’idéologie post-islamiste ne serait qu’un prélude à la laïcisation de l’Etat. Toutefois, la Révolte verte est un mouvement qui a dépassé la question religieuse à bien des égards. Ainsi, au premier plan, la revendication qui ressort le plus nettement du tumulte populaire est un désir de modernisation, d’évolution et de grandeur pour l’Iran et ce, quelle que soit la nature du régime en place146. Ces aspirations sont principalement celles de la classe moyenne moderne, ouverte sur le monde et dont l’identité antioccidentale est depuis maintenant longtemps dépassée. Une classe moyenne qui aspire également à dépasser son désenchantement face au manque d’ouverture du pays sur l’échiquier international, face à la gestion économique désastreuse de l’élite au pouvoir mais également face à la répression stalinienne organisée par le régime aiguisant le pragmatisme se la population sur la situation : « Mon rêve le plus fort ? Je n’en ai pas. Je ne peux rien faire »147. Mais plus globalement, c’est le sous-développement politique que la société critique, c’està-dire l’absence totale de lien entre le régime et les différentes classes sociales de plus en plus diverses. Pour être synthétique, c’est l’autarcie du régime qui est critiquée, sa déconnexion avec la réalité iranienne et son désintéressement pour la majorité de la 144 Ibid., p. 93. Ibid., p. 105. 146 HOURCADE Bernard, Géopolitique de l’Iran, Paris, Armand Colin, 2010, p. 81. 147 Podcast, « L’Iran version 2013 », France inter, 14/06/2013 (consulté http://www.franceinter.fr/emission-partout-ailleurs-liran-version-2013 145 36 le 02/05/2014). population qu’il est en train de se mettre à dos148. C’est enfin la grandeur de l’Iran qui est recherchée unanimement par l’ensemble de la société, et ce à travers l’évocation de thèmes certes sources de tensions mais qui relèvent du rayonnement du pays à l’étranger et de son statut au sein du système international (et son rôle de leader régional), comme la question du nucléaire qui est pour les Iraniens le moyen de se faire respecter par les autres Etats149. Cependant, cela présuppose un dialogue avec l’Occident et donc indirectement une reconnaissance de ce dernier comme partenaire diplomatique, ce que semble plutôt refuser le régime. In fine, si la Révolte verte n’a pas abouti à un changement concret dans l’exercice du pouvoir en Iran, ni dans celui des libertés pour la population, elle a permis de rendre compte de l’évolution de la société iranienne depuis la naissance même de la République islamique. Si les Iraniens ne se sont pas encore tous fédérés pour mener une véritable révolution (divergences entre la population urbaine et rurale) et n’ont pas réussi à organiser une structure politique capable de mener leurs revendications dans le débat politique, force est de constater que le régime est clairement délégitimé et qu’il rentre dans une phase de crise avérée. Cependant, le risque d’un détournement de la révolution est également fortement ancré chez les iraniens, qui en ont déjà fait l’expérience en 1978 et qui ont eu le loisir de l’observer chez leurs voisins arabes lors du Printemps arabe. A ce titre, les révolutions qui se sont produites, principalement en Egypte et en Tunisie en 2011 relèvent d’une importance primordiale dans l’analyse de la révolte iranienne. En effet, si les événements de 2009 ont certainement inspiré les populations arabes de se défaire des dictateurs héréditaires, il n’en reste pas moins vrai que les Iraniens se seront à leur tour imprégnés de ces renversements de régime « réussis ». En quoi ces phénomènes se ressemblent-ils ? La République islamique doit-elle craindre la « prolifération » du Printemps arabe ? Ces questions sont sans aucun doute pertinentes compte tenu du fait que « les iraniens aspirent toujours à la liberté »150. 148 COVILLE Thierry, Op. Cit., p. 40. Vidéo, « Elections en Iran : une nouvelle révolution ? », Geopolitis, RTS, 02/06/2013 (consulté le 27/04/2014). http://www.rts.ch/video/emissions/geopolitis/4920091-elections-en-iran-une-nouvelle-revolution.html 150 Article, « Les iraniens aspirent toujours à la liberté », Courrier international, n° 1113, 17/02/2012 (consulté le 02/05/2014). http://www.courrierinternational.com/article/2012/02/17/les-iraniens-aspirent-toujours-a-la-liberte 149 37 Chapitre 2 : Le Printemps arabe comme modèle pour une révolution démocratique iranienne ou catalyseur du renforcement de la République islamique ? « Quand les populations commencent à formuler des aspirations à une vie meilleure et qu’elles en perçoivent la possibilité, la frustration de ces aspirations les pousse à se rebeller contre les régimes en place. »151 Quand le Printemps arabe a éclaté durant l’année 2011, bon nombre d’observateurs ont pensé à un changement politique radical au Moyen-Orient, s’arrimant enfin aux standards démocratiques de l’Occident. Pourtant, près de trois ans plus tard, le constat est beaucoup plus mitigé. D’une part la démocratie ne s’est toujours pas implantée dans la région, et, pis encore, l’islamisme politique continue à faire feu de tout bois. La République islamique, quant à elle, semble avoir traversé cet épisode sans encombre, sans que la population se soulève, alors qu’elle l’avait fait deux ans plus tôt, lors de la réélection de Mahmoud Ahmadinejad. Pourtant, dire que l’Iran est resté désintéressé du Printemps arabe serait une ineptie. Cela d’une part car les révolutions de 2011, ayant entraîné la chute de la plupart des régimes dans lesquels elles ont eu lieu, se sont trouvées être des avatars des soulèvements iraniens de 2009, ce qui a donc laissé planer l’inquiétude à Téhéran d’une éventuelle récupération du Printemps arabe par le Mouvement vert (section 1). D’autre part, il a forcé la République islamique à ne pas rester inactive, c’est-à-dire à considérer l’opportunité qui s’offrait à elle de faire accepter son idéologie comme modèle au sein d’un espace politique totalement remodelé ainsi que de renforcer son emprise sur la population (section 2). 151 MESSARI Nizar, Art. Cit., p. 189. 38 Section 1 : Des émeutes à la révolution : le Printemps arabe comme dépassement de la Révolte verte ? « L’évènement est fugace : quelques heures, quelques jours pendant lesquels des femmes et des hommes, souvent jeunes, mettent en danger leur corps, leur vie peut-être, leur liberté souvent, sans préavis, en sachant clairement ou confusément, que sur ce terrain-là, ils ne seront pas les plus forts. »152 Le Printemps arabe, se revendiquant des mêmes aspirations - à la liberté et à la démocratie - que le Mouvement vert iranien, n’a pourtant pas débouché sur les mêmes conséquences qu’en Iran. Si le schéma du soulèvement populaire reste le même, l’évolution des régimes a quant à elle été beaucoup plus multiforme, allant du regime change à la guerre civile. L’intérêt de la section présente est donc de constater de quelle(s) manière(s) le Printemps arabe a-t-il dépassé la révolte iranienne. L’étude montrera que ce dépassement s’est caractérisé d’une part par des changements de régimes – il conviendra d’étudier en quelles circonstances ainsi que la nature des nouveaux gouvernements – mais également par une escalade des affrontements entre autorités politiques et population (cas syrien). Il convient au préalable de partir de la base commune entre le Mouvement vert et le Printemps arabe, à savoir les soulèvements populaires, via le prisme de la théorie, avant de s’engager dans l’empirie et les divergences. Cette étude s’applique d’aller du général au particulier. L’apport théorique sera ici apporté par Alain Bertho et de son travail sur les émeutes populaires. A la lecture de ce dernier, il peut être déduit que le Mouvement vert et le Printemps arabe répondent de base à la même logique car faisant tous deux partie de la « communauté subjective de l’aspiration à la démocratie et aux libertés »153. L’écueil à éviter, toujours selon l’auteur, est donc de faire attention aux médias étrangers qui substituent leur propre subjectivité à celle des manifestants, ce qui peut rendre le but fondamental de leur action parfaitement « invisible »154, ce qui explique que les populations ne voient pas d’un très bon œil l’ingérence occidentale dans leurs révolutions. Quels sont donc les autres points communs entre ces divers mouvements populaires ? Le premier est qu’ils ont pour origine la volonté d’extériorisation de « ce qui n’est pas dit ou 152 BERTHO Alain, Op. Cit., p. 50. Ibid., p. 16. 154 Ibid., p. 42. 153 39 pas bien dit »155 dans un pays ; la volonté de briser un tabou. Ainsi l’émeute devient un « construit collectif qui transforme l’individu en participant d’une aventure collective »156. D’une certaine manière, elle est l’outil permettant à chaque individu d’exprimer son ressentiment face au régime en place. Ce qui est également frappant dans tous les évènements étudiés est la place primordiale faite aux jeunes dans la contestation (se référer au chapitre précédent). A cet égard, Bertho avance : « Un spectre hante toujours le monde. Ce n’est plus celui de la classe ouvrière industrielle. Ce n’est plus celui du communisme. C’est celui de la jeunesse. »157 C’est donc sous l’impulsion de cette jeunesse que partout dans le monde musulman les populations ont pris de siège les places publiques pour manifester pacifiquement contre les autorités, et, face à la répression, ont engagé un combat inégal. Ce combat n’a pas abouti aux mêmes résultats d’une part en Egypte, Lybie ou Tunisie, et d’autre part en Syrie qu’en Iran. Quels ont été ces résultats, et pourquoi ? « Si l’émeute vient là où le politique s’absente, il est légitime de se demander dans quelle mesure elle prend sa place, si elle en position de la refonder ou de préparer son renouvellement. »158 En Tunisie, Lybie, et Egypte, le Printemps arabe a débouché sur des changements de régime. En ce sens, il est possible de dire que le Printemps arabe a dépassé la Révolte verte qui n’a pas vu le départ d’Ali Khamenei. Cependant, cette différence ne tient pas dans un manque de volonté de la population iranienne par rapport aux Egyptiens ou aux Libyens, loin s’en faut. Dans ces pays, la révolution a été possible car la population a été aidée par des forces capables de prendre leur relai afin de faire basculer les régimes en place. A travers les cas égyptien et libyens, il est possible de faire une synthèse de la forme qu’a pu prendre cette aide. Premièrement, en Libye, le changement de régime a pu être réalisé grâce à une aide étrangère, principalement occidentale. De cela découlent deux conséquences. La première est que malgré ce que certains peuvent bien dire, l’influence de l’Occident au Moyen-Orient et ses intérêts y sont toujours fortement ancrés 159. La deuxième est qu’une révolution, pour être réussie, doit résulter d’un rapport de force militaire favorable aux acteurs de la révolution. En Egypte maintenant, l’analyse montre que c’est grâce à l’armée que le départ d’Hosni Moubarak a été réalisable, celle-ci sentant qu’elle pouvait gagner, en venant au soutien de la population réprimée par le régime, une légitimité lui permettant de récupérer une légitimité politique. En conséquence, ce que 155 Ibid., p. 58. Ibid., p. 51. 157 Ibid., p. 225. 158 Ibid., p. 187. 159 SALAME Ghasan, « Un autre Moyen-Orient », Courier international, n° 1060, 24/02/2011, p. 17. 156 40 montre le Printemps arabe, est que l’action et les revendications des manifestants ont été accaparées par des forces s’appuyant sur ce soutien populaire dans le but de prendre à leur tour le pouvoir. Autrement dit, le Printemps arabe, c’est la révélation d’une bipolarisation du pouvoir dans les pays musulmans, qui souhaitaient pourtant l’affirmation d’une troisième force, démocratique160. C’est donc ici la première limite au dépassement du Mouvement vert iranien. Tout comme en Iran, les millions d’Egyptiens qui ont souhaité le départ de Mohamed Morsi n’ont pas été capable de s’organiser en tant que force politique ce qui a eu pour conséquence une récupération politique des Frères musulmans qui ont rapidement mis en œuvre leur programme d’islamisation de la société161. In fine, si la gouvernance de la confrérie a également été contestée, c’est l’armée qui a une nouvelle fois pris les rênes du pouvoir en 2013, marquant encore un peu plus la bipolarisation des gouvernements musulmans dont la pluralité politique est finalement absente162. La deuxième limite est celle du cas de la crise syrienne. En effet, l’enlisement de la situation en Syrie, où la révolte contre le régime s’est mue en une véritable guerre civile, est une autre variante du dépassement du Mouvement vert. Il est en effet le résultat d’une multi polarisation de la crise, troublant les rapports de force, et accentuant un peu plus le « flou de la guerre ». Cette dernière a ainsi engendré une « désyrianisation »163 du conflit, rendant sa résolution d’autant plus compliquée. Cette « désyrianisation » de la crise s’explique premièrement du fait de la complexité confessionnelle de la Syrie et surtout par la totale désorganisation de l’opposition au régime de Bachar el-Assad qui, étant divisée en une multitude de groupes, ne peut fédérer ses forces. De plus, le fait que la Syrie se trouve être un pays isolé dans la région fait qu’elle ne peut compter sur l’aide d’aucun Etat au Moyen-Orient (excepté l’Iran) et pousse donc le régime à se battre jusqu’au dernier moment pour sa survie. L’autre cause de l’enlisement de la situation est l’influence étrangère dans la crise164. Cette influence se manifeste par une divergence d’intérêts des grandes puissances concernant l’évolution de la situation en Syrie. Si une intervention humanitaire occidentale n’est pas aussi intéressée que ce qu’elle put l’être en Libye, le vote d’une résolution contre le régime syrien se heurte également aux vétos de la Russie et de la 160 Podcast, « Egypte : retour à la case départ ? », Du Grain à moudre, France culture, 10/12/2013 (consulté le 16/04/2014). 161 Ibid. 162 Ibid. 163 Dossier de recherche, « From the Arab Spring to civil war : attempt to explain the syrian crisis » réalisé dans le cadre du séminaire Conflicts in the Middle East, M. SOULHAIL DAND Salem Ben, année universitaire 2012/2013, Université de Copenhague. 164 Ibid. 41 Chine, soucieuses de leurs intérêts stratégiques dans la région et de l’éventuelle prolifération du Printemps arabe au sein de leur société civile. La conséquence de tout cela résulte en une incapacité d’un des deux camps à s’imposer de façon pérenne sur l’autre, se traduisant par une répression massive de la population syrienne165 et la destruction partielle du pays. Quelles conclusions peuvent-elles être tirées concernant le cas d’étude iranien ? Tout d’abord que le Printemps arabe a confirmé que ce qu’il manque au Mouvement vert pour réussir une véritable révolution démocratique est une organisation politique, une troisième force qui ne soit ni militaire, ni religieuse (en Iran les deux dimensions sont assimilées). Ensuite que cette organisation politique était indispensable en l’absence d’un consensus international concernant l’évolution à donner concernant l’histoire du pays concerné par le phénomène révolutionnaire ; cela étant d’autant plus vrai pour ce qui est de l’Iran, compte tenu du fait que la population ne souhaite pas s’engager dans un conflit interminable avec le régime du fait de l’histoire récente déjà éprouvante de la République islamique depuis 1978 (se référer au premier chapitre de la présente partie). Le fait donc que le Mouvement vert n’ait pu s’organiser politiquement, couplé au manque de pugnacité de la révolte face à la répression s’est soldé par le retour au statu quo et la confirmation du Guide suprême comme garant de la Révolution. Néanmoins, le Printemps arabe est la consécration indéniable de la création d’un espace public au sein des pays musulmans166 qui est capable de légitimer ou délégitimer les régimes (Egypte, Tunisie), constat duquel la République islamique d’Iran ne peut faire abstraction. Une même République islamique qui ne peut rester donc neutre face aux évènements de 2011 et qui devra les analyser pour y percevoir une opportunité pour réactiver son rêve d’exportation de la Révolution ; ou au contraire se sentir menacer par un reflux révolutionnaire dans ses frontières. 165 Site officiel de Human Rights Watch, Rapport mondial 2014 : Syrie, (consulté le 14/03/2014). https://www.hrw.org/fr/node/121984 166 Podcast, « Egypte : retour à la case départ ? », Op. Cit. 42 Section 2 : Entre désir de récupération politique et crainte de prolifération : l’ambivalence de la stratégie iranienne face au Printemps arabe « La realpolitik est la politique étrangère fondée sur l’estimation des rapports de force et l’intérêt national »167 Si la Révolte verte a pu trouver un écho au-delà des frontières de l’Iran ; les bouleversements ayant eu cours en 2011 au Moyen-Orient et qui ont abouti sur des renversements de régimes – ou encore Printemps arabe – ont également eu un impact fort au sein de la République islamique. Ainsi, face à cette redistribution des cartes dans la région, le régime d’Ali Khamenei a usé d’une diplomatie des plus actives pour en tirer le maximum de profit. Ainsi, dans sa quasi-totalité, le Printemps arabe se présente comme une opportunité inédite pour l’Iran afin d’étendre son influence dans la région et de tenter d’affirmer son modèle d’islam politique aux autres Etats. C’est dans cette veine révolutionnaire que le Guide suprême a comparé cet événement comme le fait d’un « réveil islamique qui résulte de la révolution islamique »168. Sur quels terrains l’Iran cherché des gains stratégiques ? Tout d’abord en Tunisie, où Téhéran a appuyé la révolution en dénonçant l’influence de l’Occident à Tunis par le biais de Ben Ali. Ici, le bénéfice escompté pour l’Iran est avant tout symbolique, compte tenu de l’éloignement conséquent entre les deux Etats. Pour Khamenei, le but est de montrer qu’un régime démocratique arabe est enclin à entretenir des relations avec l’Iran, espérant ainsi ouvrir la porte à d’autres coopérations169. Ensuite en Egypte où là encore, Khamenei parle de « réveil d’une nation musulmane face au régime du dictateur-pharaon appuyé par les forces de l’hégémonie »170. Cependant, l’Iran s’est heurté malgré un rapprochement économique de façade, à la volonté de puissance de l’Egypte afin de compter à nouveau parmi les grandes puissances de la région, mais également à un rejet du Caire d’une coopération dans le domaine nucléaire et à son 167 Henry Kissinger in GERE François, « Henry Kissinger. Diplomacy », Politique étrangère, Volume 60, n°4, 1995, p. 1030. 168 DJALILI Mohammad-Reza ; KELLNER Thierry, « L’Iran et la question syrienne. Des « printemps arabes » à Genève II », les rapports du GRIP, 2014, p. 5. 169 DJALILI Mohammad-Reza ; KELLNER Thierry, L’Iran et la Turquie face au « printemps arabe ». Vers une nouvelle rivalité stratégique au Moyen-Orient ?, GRIP, Bruxelles, 2012, p. 19. 170 Ibid., p. 20. 43 désaveu quant au soutien de Téhéran à Damas171. Il est intéressant de montrer que la stratégie à long terme est fortement entravée dans cette région du monde compte tenu de son instabilité chronique. A ce titre, le renversement de pouvoir en Egypte par la junte militaire et la mise au ban de la confrérie des Frères musulmans semble indiquer une nouvelle période de refroidissement diplomatique entre les deux Etats. Pour ce qui est de la Lybie, la réaction de l’Iran aux bombardements du colonel Kadhafi montre parfaitement la difficulté stratégique que représente le Printemps arabe pour la République islamique. En effet, si cette dernière a fortement critiqué la répression du régime sur la population libyenne, elle s’est aussi inquiétée du fait que l’intervention occidentale constitue un précédent, crainte renforcée par les mouvements et les inquiétudes de la communauté internationale à propos de la situation en Syrie172. En effet, si la répression du mouvement vert en 2009 avait été critiquée en Occident, l’éventualité d’une intervention militaire en Iran n’a pour autant jamais été évoquée. Pourtant, la tendance pour les puissances du Nord pour des guerres « humanitaires » depuis l’intervention en Lybie là où leurs intérêts sont présents173 pourrait inquiéter l’Iran en cas de nouvelle vague de protestation. Enfin à Bahreïn et au Yémen où l’Iran a avant tout cherché à déployer son influence suite à la déstabilisation des régimes en place dans le but de concurrencer celle de l’Arabie Saoudite notamment. Cependant, cet exercice reste délicat vu la proximité géographique entre ces deux Etats et cette même Arabie Saoudite, couplée à l’instabilité politique qu’ils subissent174. Mais mis à part l’étude de ces cas d’espèce, il est possible de dire que l’Iran a tiré trois avantages principaux du Printemps arabe175. Premièrement, ces événements ont permis à l’Iran de détourner l’attention de la communauté internationale de son programme d’enrichissement nucléaire, et de progresser sur ce dossier sans un réel contrôle occidental. Deuxièmement, ils ont également permis de détourner l’attention de la répression exercée par le régime de la République islamique sur les opposants, et principalement sur les tortures auxquelles s’adonnent les pasdarans (Gardiens de la évolution) dans la désormais tristement célèbre prison de Kahrizak176. Enfin, troisièmement, le Printemps arabe a eu des répercussions sur les cours du pétrole, qui ont fortement augmenté, ce qui a donc été favorable à l’Iran, dont les exportations sont en grande partie assurées par la vente d’hydrocarbures. 171 Ibid., pp. 23-28. Ibid., p. 29. 173 GAUTIER Louis, « Le Front moral de la guerre », in CHALMIN Stéphane (dir.), Gagner une guerre aujourd’hui ?, Paris, Economica, 2013, pp. 103-117. 174 DJALILI Mohammad-Reza ; KELLNER Thierry, L’Iran et la Turquie face au « printemps arabe ». Vers une nouvelle rivalité stratégique au Moyen-Orient ?, Op. Cit., p. 42. 175 Ibid., p. 112. 176 Documentaire Chroniques d’un Iran interdit, Op. Cit. 172 44 Mais d’un autre côté, le Printemps arabe s’avère être un défi pour la légitimité de la République islamique, aussi sur le plan interne que sur l’échiquier international. Ainsi, si le « réveil islamique » des peuples arabes a été perçu à Téhéran comme une opportunité d’exporter l’influence du régime au-delà de ses frontières, celle-ci se trouvera toutefois fortement limitée par le fait que partout, les intérêts iraniens se heurteront à ceux d’autres puissances, ces derniers venant supplanter les premiers. En effet, que ce soit en Tunisie, en Egypte, en Lybie ainsi qu’au Yémen ou à Bahreïn, les liens unissant les anciens et nouveaux gouvernements aux Etats-Unis, l’Union Européenne, Israël ou l’Arabie Saoudite selon les cas forceront les nouveaux régimes à prendre leurs distances avec la République islamique177. Si en théorie un renversement de régime rend caduque les anciennes alliances et relations stratégiques, ce n’est pas ce qui s’est passé lors du Printemps arabes, où les garanties économiques et sécuritaires des Etats-Unis notamment sont plus que vitales. L’autre dossier épineux est celui de la Syrie. A ce titre, Mohammad-Reza Djalili et Thierry Kellner ne se trompent pas quand ils affirment que : « Ce choix qui associe Téhéran aux pires exactions du régime de Bachar el-Assad pourrait in fine s’avérer extrêmement contreproductif pour la République islamique. Son image est fortement dégradée dans l’ensemble du monde sunnite et le sera pour longtemps en Syrie auprès de la population sunnite »178. En effet, si Mahmoud Ahmadinejad a appelé plusieurs fois la communauté internationale à aider le gouvernement syrien pour trouver un accord avec l’opposition et à déplorer le sort réservé à la population, il a également rappelé l’indéfectible soutien de Téhéran à Damas. Ainsi, depuis le début de la crise et également depuis l’arrivée au pouvoir d’Hassan Rohani, l’Iran procure au régime de Bachar al-Assad une aide multiforme, qu’elle soit économique, logistique mais aussi militaire (grâce aux pasdarans et au Hezbollah)179. Le soutien de l’Iran à la Syrie semble donc naturel du fait que la Syrie est l’unique allié arabe de la République islamique, faisant encore front contre l’islam sunnite dans la région. Toutefois, quelle que soit l’issue de la crise, Téhéran se retrouvera délégitimé par ce soutien, tant au niveau de sa population, de celle du Moyen-Orient mais également de la communauté internationale. Pour étayer cela, une enquête réalisée en octobre 2011 auprès des populations arabes sur leur sentiment à propos du Printemps arabe 177 DJALILI Mohammad-Reza ; KELLNER, Thierry, L’Iran et la Turquie face au « printemps arabe ». Vers une nouvelle rivalité stratégique au Moyen-Orient ?, Op. Cit., pp. 17-50. 178 Ibid., p. 56. 179 BOOTH Robert ; MAHMOOD Mona ; HARDING Luke, « Exclusive: secret Assad emails lift lid on life of leader’s inner circle », The Guardian, 14/03/2012 (consulté le 06/02/2014). http://www.theguardian.com/world/2012/mar/14/assad-emails-lift-lid-inner-circle 45 révélait qu’une part de plus en plus importante de ces populations considérait l’Iran comme une menace de plus en plus sérieuse pour la stabilité de la région180. En analysant le Printemps arabe via le prisme de la Révolte verte, il s’agit de conclure sur deux remarques dont la pertinence ne doit pas être négligée. La première est que ces événements ont montré que sans leadership politique, les révolutions (donc apolitiques) pouvaient débouchées sur des régimes à l’idéologie totalement contraire de celle des personnes ayant participé aux soulèvements, comme cela a pu être le cas en Egypte avec l’élection des Frères musulmans, dont la vision du pouvoir fortement empruntée de religiosité ne coïncide pas vraiment avec les aspirations libérales des Egyptiens181. Cela ne fait donc que renforcer l’idée selon laquelle une organisation politique manquait cruellement au Mouvement vert pour parvenir à renverser le pouvoir, et aussi que les iraniens, craintifs des conséquences d’une révolution et lassés par les bouleversements subis lors des trente dernières années ne sont pas si enclin que les populations arabes à défier l’ordre. La deuxième est inversement que le Printemps arabe a permis de faire subsister l’esprit du Mouvement vert, comme le montre la manifestation à Téhéran du 14 février 2011 en guise de solidarité avec les peuples égyptiens et tunisiens, malheureusement sèchement réprimée par le régime182. 180 Article, « Opinion publique arabe : sondage 2011 », Israël flash, 25/11/2011 (consulté le 23/04/2014). http://www.israel-flash.com/2011/11/opinion-publique-arabe-sondage-2011/ 181 Entretien avec Farhad Khosrokhavar, « Le Printemps arabe à la lumière de la révolution iranienne…et retour », nonfiction, 10/10/2011 (consulte le 17/04/2014). http://www.nonfiction.fr/article-5066le_printemps_arabe_a_la_lumiere_de_la_revolution_iranienne_et_retour.htm 182 DJALILI Mohammad-Reza ; KELLNER Thierry, L’Iran et la Turquie face au « printemps arabe ». Vers une nouvelle rivalité stratégique au Moyen-Orient ?, Op. Cit., p. 113. 46 « Le contexte socio-économique interne et la situation régionale et internationale serontils en mesure de façonner les conflits sociaux transformant le mouvement sans révolution en une révolution sociale ? »183 Que faut-il retenir du Printemps arabe ? Le constat qu’en Egypte, Libye ou Tunisie, les révolutionnaires ont réussi a chassé du pouvoir les despotes qui s’y trouvaient mais que les iraniens ont échoué est ici réducteur. Au contraire, il faut comprendre que toute concession accordée par le pouvoir aux insurgés peut s’avérer fatale pour ce dernier, et que contrairement à ce qu’expliquait Charles Tilly à propos de l’Europe de l’Est communiste, qui avait vu les régimes renversés par des mouvements organisés réagissant suite aux diverses réformes menées ; c’est le manque de réforme qui entraine aujourd’hui le ressentiment des individus184. Ainsi, suite au changement irréversible établi par le Mouvement vert, il est indispensable que la République islamique instaure des réformes. Mais paradoxe, cela pourrait ainsi ouvrir la boite de pandore à une société civile se développant à une vitesse soutenue. Se pose alors la question de la condamnation du régime iranien. A court terme, rien de l’étude du Printemps arabe ne laisse présager que le régime de la République islamique se trouve désarmé face à un éventuel mouvement révolutionnaire. D’une part car il n’y a aucune raison de penser que l’islam politique puisse disparaitre dans les années à venir, comme le prouve la récente entrée des Frères musulmans dans l’arène politique en Egypte185 ou encore le succès de l’AKP en Turquie ou du wahhabisme en Arabie Saoudite. D’autre part, la répression reste également un outil de contrer une révolution, comme le montre les agissements de Kadhafi ou de Bachar el-Assad envers les populations libyennes et syriennes, bien que ce ne soit jamais une solution efficace à long terme (intervention occidentale ; épuisement du pouvoir). Pour autant, dans une perspective beaucoup plus large, il est possible que la République islamique subisse les conséquences d’un mimétisme musulman vers la libéralisation. En effet, pour Nizar Messari186, c’est de cette manière dont le Printemps arabe s’est propagé. Il ne reste donc plus à l’Iran qu’à subir ou gérer la tendance inexorable à la libéralisation qui s’est développée dans le monde musulman. 183 KIAN Azadeh, Op. Cit., p. 188. MESSARI Nizar, Art. Cit., 208-211. 185 Podcast, « Egypte : retour à la case départ ? », Op. Cit. 186 MESSARI Nizar, Art. Cit., p. 210. 184 47 Partie 3 : Entre menace d’isolement sur la scène internationale et rupture interne du lien social : la nécessaire réforme de la République islamique « Quand on veut changer et innover dans une république, c’est moins les choses que le temps que l’on considère. Il y a des conjonctures où l’on sent bien qu’on ne saurait trop attenter contre le peuple ; et il y en a d’autres où il est clair qu’on ne peut trop le ménager. Vous pouvez aujourd’hui ôter à cette ville ses franchises, ses droits, ses privilèges ; mais demain ne songez pas même à réformer ses enseignes. »187 La République islamique d’Iran est-elle ressortie renforcée ou affaiblie à la suite de la répression réussie de Mouvement vert ? Au regard du Printemps arabe, d’aucun pourrait être tenté de dire renforcée puisque elle n’a pas eu à essuyer de révolte majeure et n’a donc pas été inquiétée dans son établissement ; ce qui voudrait dire qu’elle a su après 2009 réformer sa politique pour qu’un scénario à l’égyptienne ne se produise pas. Mais le contraire peut également être affirmé, du fait du conséquent isolement régional auquel le régime a dû faire face faire une fois le Printemps arabe consommé. Pourtant, le 14 juin 2013, la République islamique élisait un nouveau président, Hassan Rohani, présenté comme modéré par rapport à son prédécesseur Mahmoud Ahmadinejad, signe apparent d’une alternance politique réclamée par la population iranienne. De plus, sur la scène internationale, Ali Khamenei permettait de faire retrouver à l’Iran un statut de puissance qui compte, principalement au travers du dossier concernant l’enrichissement nucléaire iranien mais également grâce à l’atout stratégique de ses exportations de matières fissiles. Qu’en est-il alors réellement de l’état de force du régime ? Pour ce qui est de la scène iranienne (chapitre 1), il convient d’aller au-delà du simple résultat à l’élection présidentielle de 2009 afin de saisir le réel sens de l’alternance politique dans ce pays. Sur l’échiquier international, bien plus que de s’intéresser à la conjoncture diplomatique de la République islamique, l’important sera de mettre en lumière le lien qui unit la transformation de la société et l’édiction de la politique étrangère iranienne, véritable reflet des changements internes du pays. 187 LA BRUYERE Jean, Les caractères, Paris, Le Livre de Poche, 1976. 48 Chapitre 1 : Des conservateurs aux réformateurs : stratégie politique ou affaiblissement de la République islamique ? « Peu à peu, j’ai découvert que la ligne de partage entre le bien et le mal ne sépare ni les Etats ni les classes ni les partis, mais qu’elle traverse le cœur de chaque homme et de toute l’humanité. »188 Dès les premières heures de la Révolution, Khomeiny a fait de l’élection présidentielle une des représentations politiques les plus fortes de la République islamique. Ainsi, en moyenne, l’Iran a élu un nouveau président tous les cinq ans. Toutefois, dans un régime où la Constitution décèle l’autorité suprême au Guide, la question du réel poids du chef de l’Etat se pose. Du fait que les relations entre les deux hommes ne soient pas clairement définies, Hervé Ghannad explique que le rôle du second se détermine en fonction de sa personnalité et des rapports qu’il établit avec le premier189. Ainsi l’importance du chef de l’Etat ne serait pas institutionnelle mais conjoncturelle. L’élection d’Hassan Rohani en juin 2013 répond-elle alors d’une logique conjoncturelle ? Outre les pressions exercées par l’environnement extérieur, à savoir le danger d’une exportation du Printemps arabe et la nécessité de renouer une diplomatie avec les puissances occidentales afin de pouvoir tirer pleinement profit des exportations pétrolières, l’alternance politique s’est rendue indispensable d’une part à cause de la mauvaise gestion de Mahmoud Ahmadinejad, principalement en matière économique, générant ainsi un consensus national sur sa capacité à diriger le pays (section 1) ; mais également à cause de l’évolution du rapport de force face au Guide que souhaitait faire évoluer Ahmadinejad en sa faveur, mettant ainsi en danger la République islamique dans son institutionnalisation (section 2). 188 SOLJENISTYNE Alexandre, L’archipel du Goulag, Tome 2, Paris, Fayard, 2011, p. 510. GHANNAD Hervé, Op. Cit., p. 117. 189 49 Section 1 : Le deuxième mandat présidentiel de Mahmoud Ahmadinejad et le besoin vital pour la République islamique d’alternance politique « Elle est élastique, la démocratie, elle apparait quand ça arrange les dirigeants et se rétracte quand ils en ont moins besoin. »190 François Mitterrand disait de l’alternance politique qu’elle est l’oxygène de la démocratie. Au lendemain de la répression de la Révolte verte par le régime de la République islamique, jamais cette expression n’a autant pris tout son sens, que ce soit pour les victimes, ou pour le régime lui-même. Si le régime a pu faire croire le temps d’une élection, que l’Iran était une république respectueuse du choix populaire, la vitrine s’est brisée sous le joug de la répression. Si cette dernière était nécessaire pour rappeler que Khamenei était le seul véritable décideur en Iran ; la prise en compte de ce mouvement d’opposition était également nécessaire, symbole d’une gestion étatique tombée en faillite dont le Guide devrait tirer les conséquences. Comment se sont alors déroulées les quatre années du deuxième mandat de Mahmoud Ahmadinejad ? Ont-elles été influencées par la révolte de juin 2009 ? Qu’ont-elles apportées à l’évolution de la République islamique ? « A l’opposé, ne faut-il pas voir dans le retour des conservateurs en Iran que le produit de la désaffection de la vie politique qui ne profite qu’aux extrêmes, le résultat imparable de l’indifférence grandissante du plus grand nombre devant les luttes claniques internes à un système avec lequel la rupture est désormais irréversible ? »191 En réagissant ainsi après la première élection de Mahmoud Ahmadinejad en tant que président de la République islamique, en 2005, Frédéric Tellier ne s’imaginait sans doute pas le scénario de juin 2009 possible. Pourtant, ces derniers montrent bien que le « grand nombre » s’intéresse dorénavant à la gestion du pays. Elles permettront de montrer également a posteriori la renaissance d’une compétition politique iranienne. Cependant, la réponse d’Ahmadinejad à la Révolte verte fut bien de condamner toute opposition. La première marque de son deuxième mandat est donc celle de la répression. Bien que lors de la campagne électorale de 2009, l’espace public en Iran avait connu une certaine libéralisation, montrant que l’embryon d’une société civile existait bel et bien192, les quatre 190 RAMSEIER, Mikhaïl W., Nigrida, Montréal, Coups de tête, 2012, p. 140. TELLIER Frédéric, « L’Iran d’Ahmadinejad », Le débat, n°137, 2005, p. 145. 192 Documentaire Chroniques d’un Iran interdit, Op. Cit. 191 50 années qui ont suivi furent celles du musellement de cette société. Intellectuels, étudiants, presse, artistes, tous furent mis au pas de la République islamique193 amenant des milliers d’Iraniens à quitter le pays 194. A ce titre, il faut noter que la diaspora iranienne est de plus en visible quant à sa critique du régime depuis 2009, mais que sa distance avec l’Iran minimise son impact sur les dynamiques de révolte au sein même du pays. La répression a donc créée une micro société civile active hors du territoire mais feutrée en Iran. Cette répression va donc de pair avec une militarisation du régime orchestrée par Ahmadinejad en personne. En effet, c’est sous ses huit années de présidence mais particulièrement les quatre dernières qu’il a permis aux Gardiens de la révolution d’occuper les postes les plus importants de l’Administration iranienne195, étant lui-même issu de ce corps dont la légitimité provient de son implication dans la guerre contre l’Irak en 1980 et 1988196. Par le biais à cette « promotion » des pasdarans, Ahmadinejad en a fait le corps d’armée principal de l’Iran, devant l’armée régulière dont la structure était héritée de la période du Shah, faisant ainsi des conservateurs les détenteurs de tous les leviers du pouvoir en Iran197 (les Gardiens de la révolution étant le corps armé créé par l’Ayatollah Khomeiny pour préserver la Révolution). Mais le secteur de l’économie a également fortement été touché par la présidence d’Ahmadinejad, rendant nécessaire le changement de politique dans ce domaine. C’est en menant une politique populiste et clientéliste que le président a mené une économie au bord de la crise198. Pour ce qui est du populisme, Ahmadinejad s’est présenté comme le « petit père du peuple » en redistribuant les bénéfices de la rente pétrolière aux plus pauvres, les fameux déshérités. Cependant, si cette stratégie l’a rendu extrêmement populaire auprès des couches les plus défavorisées, ce fut surtout une manœuvre servant à occulter l’absence de réformes nécessaires pour relancer l’économie iranienne. De plus, en compensant la redistribution de la rente pétrolière par un taux d’imposition bas, le régime se prive de recettes importantes mais pis encore, rompt le lien avec les différentes classes sociales et fragilisant de cette manière le contrat social sur lequel est bâti la société 199. Le résultat est donc désastreux pour l’économie, à l’instar de la situation au Venezuela sous la 193 DJALILI Mohammad-Reza, « L’Iran d’Ahmadinejad : évolutions internes et politique étrangère », Politique étrangère, 2007/1, p. 31. 194 Vidéo, « Les grandes vagues de la diaspora iranienne », Euronews, 09/06/2013 (consultée le 06/03/2014). http://fr.euronews.com/2013/06/09/les-grandes-vagues-de-la-diaspora-iranienne/ 195 TELLIER Frédéric, Art. Cit., p. 145. 196 DJALILI Mohammad-Reza, Art. Cit., p. 28. 197 TELLIER Frédéric, Art. Cit., p. 149. 198 DJALILI Mohammad-Reza, Art. Cit., p. 30. 199 SCOTT James C., Seeing Like a State. How Certain Schemes to Improve the Human Condition Have Failed, London, Yale University Press, 1999, pp. 53-85. 51 politique d’Hugo Chavez200. De plus, en pratiquant une politique clientéliste, en favorisant principalement les fondations religieuses mais surtout les pasdarans201, Ahmadinejad a utilisé l’argent iranien à des fins politiques au lieu de mener les réformes nécessaires au développement des secteurs en difficulté, comme celui de l’industrie. Ainsi en 2012, l’Iran connaissait des taux d’inflation et de chômage respectivement de 30% et 20%202. Le deuxième mandat d’Ahmadinejad est aussi celui de l’isolement diplomatique de l’Iran sur la scène régionale et internationale203 à cause du ton hostile du président sortant envers notamment les Etats-Unis et Israël mais plus globalement pour sa vindicte contre l’influence néfaste de l’Occident au Moyen-Orient et sa confrontation avec les grandes puissances sur le domaine du nucléaire, en rappelant le droit pour l’Iran d’accéder à cette technologie. Enfin, la nécessité d’alternance est devenue vitale pour le Guide Ali Khamenei lorsqu’Ahmadinejad est entré progressivement en conflit avec lui. En effet, l’ancien maire de Téhéran, laïc, était soupçonné par le Guide de vouloir faire passer la légitimité populaire avec la légitimité religieuse, voyant en cela un danger immédiat pour la République islamique204. Alors qu’à l’origine présenté comme le « fils même » du Guide, Ahmadinejad a essayé lors de ses mandats de donner de plus en plus de prérogatives au Président ce qui aboutira à ce que Khamenei fasse en sorte que le successeur désigné d’Ahmadinejad, Esfandiar Rahim Mashaie, ne soit pas élu lors des élections de 2013 (section 2). Ainsi donc s’est déroulé le deuxième mandat de Mahmoud Ahmadinejad. La nécessité d’un changement politique à la tête du gouvernement iranien (dont les conséquences seront étudiées dans la suite du devoir) marque donc la primauté du Guide dans la détention du pouvoir en République islamique d’Iran. En effet, Ahmadinejad bénéficiait malgré tout officiellement d’une forte légitimité démocratique puisqu’il avait été déjà largement plébiscité en 2005, avant d’être reconduit comme Président en 2009. L’ironie veut que ce soit le Guide lui-même qui ait souhaité une alternance à la mouvance Ahmadinejad alors 200 Article, « Hugo Chavez-Mahmoud Ahmadinejad : les frères siamois en populisme ! », Agoravox, (consulté le 06/05/2014). http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/hugo-chavez-mahmoud-ahmadinejad-57669 201 COVILLE Thierry, « L’économie sous Ahmadinejad : des promesses à la réalité…, Revue internationale et stratégique, n°70, 2008, p. 94. 202 Vidéo, « Iran : l’héritage controversé de Mahmoud Ahmadinejad », Euronews, 08/06/2013 (consultée le 06/05/2014). http://fr.euronews.com/2013/06/08/iran-l-heritage-controverse-de-mahmoud-ahmadinejad/ 203 Ibid. 204 Vidéo, « Elections en Iran : une nouvelle révolution ? », Op. Cit. 52 que des fraudes ont manifestement été commises lors des deux scrutins présidentiels dans le but qu’il soit élu205. La fin du deuxième mandat de Mahmoud Ahmadinejad s’ouvre donc sur un paradoxe, à savoir qu’il a sans doute été le président de la République islamique le plus fortement attaché au nationalisme iranien et dont les ambitions de puissance pour le pays étaient affirmées dans chacune de ses prises de parole, mais dont le zèle l’a conduit à se mettre à dos le Guide suprême et voir son idéologie politique enterrée. Le mandat d’Hassan Rohani, son successeur, montrera si la fonction du président est capable d’évoluer vers plus d’autonomie vis-à-vis de la figure du Guide. Dans le cas contraire, cela pourrait vouloir dire que l’esprit révolutionnaire est en train de quitter petit à petit la République islamique, et que l’idée khomeyniste de fonder une « Communauté de croyants » se vide de sa substance. L’objectif principal du Guide serait alors dorénavant de conserver le pouvoir le plus longtemps possible, et ce quel qu’en soit le prix, à l’image des despotes de la région, dont Bachar el-Assad est le plus parfait exemple actuel. D’aucun pourront arguer que cette direction était à prévoir avec la nomination d’Ali Khamenei en tant que Guide suprême, se résumant à une politisation du religieux en République islamique d’Iran. Section 2 : L’élection d’Hassan Rohani comme symbole de la marchandisation de la politique iranienne « On ne compte les poussins qu’à la fin de l’automne. »206 Le 14 juin 2013, Hassan Rohani devenait le septième président de la République islamique d’Iran, succédant à huit années marquées par la répression et la dégradation de l’économie sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad. Elu dès le premier tour en récoltant 50,71% des suffrages, c’est-à-dire 18,6 millions de votes sur les 36,7 millions exprimés207, Rohani et le régime n’ont pourtant pas eu à faire face à une vague de protestation comme cela fut le cas en 2009. Il s’agit ici de comprendre pourquoi mais également de chercher les éventuelles implications de la Révolte verte sur l’élection de 2013. Parallèlement, il 205 DJALILI Mohammad-Reza, Art. Cit., p. 27. Proverbe iranien. 207 Site officiel : Iran Election Watch, Profile : Hassan Rohani http://iranelectionwatch.com/profile-hassan-rowhani/#.UbydzeuJBwI/ 206 53 (consulté le 4/04/2013). conviendra aussi de s’attarder sur les dossiers auxquels devra se frotter le nouveau président pour relever économiquement le pays et redonner une aura diplomatique à un régime au tournant de son histoire. Tout d’abord, ce qui est frappant en comparant les élections de 2009 et de 2013 c’est que les dernières ont été acceptées comme telles par la société. En effet, de tous les candidats sélectionnés par le Conseil des Gardiens de la Constitution pour participer à l’élection, Rohani était celui qui faisait office de « réformateur » étant donné que le camp des modérés, muselés par le pouvoir depuis 2009 (Moussavi et Karoubi) ou désabusé n’avait pas présenté de candidat susceptible d’être élu. L’acceptation du scrutin semble donc plus résulter du soulagement de la fin de l’ère Ahmadinejad. Toutefois, pour le mouvement vert, l’élection d’Hassan Rohani semble s’apparenter à une victoire à la Pyrrhus. Pourquoi ? Premièrement, les soupçons de fraude, s’ils n’ont pas été repris par une frange importante de la population entourent une fois de plus l’élection de 2013. Ainsi, lors des élections municipales qui ont fait suite aux présidentielles, les conservateurs en sont ressortis majoritairement vainqueurs, ce qui montre que le régime aurait peut-être voulu éviter une répétition du scénario de 2009208. Deuxièmement, parce qu’en Iran, même si l’élection est la légitimité du caractère républicain du régime209, elle reste sous l’égide du Guide suprême210. Ainsi, le rôle du président semble ne pas avoir tant d’importance tant qu’il continuera d’exercer sous le modèle politique de la République islamique. Pour que ce dernier puisse avoir de véritables moyens d’action, il faudrait qu’il se trouve dans une position d’indépendance par rapport au Guide, ce qui n’est évidemment pas du tout le cas. Dans cet ordre des choses, Rohani, mais également Moussavi et Katoubi avant lui avaient rappelé leur allégeance au Guide et à la République islamique. Troisièmement, car l’élection d’Hassan Rohani semble résulter d’un marchandage politique entre d’une part le Guide, et d’autre part les anciens présidents Khatami et Rafsandjani afin d’obtenir la paix sociale. En effet, Khamenei ne désirant pas de président issu du mouvement pro Ahmadinejad mais se devant d’éviter l’élection d’un conservateur sous risque de révolte, a profité de son soutien de circonstance avec les deux anciens présidents afin qu’ils lui apportent une garantie en terme de participation électorale. Pour résumer, Khamenei s’est résolu à accepter l’élection de Rohani, favori de Khatami et de Rafsandjani afin de 208 LADIER-FOULADI Marie, « La présidentielle iranienne de juin 2013 : enjeux et décryptages », Confluences Méditerranée, n°88, p. 48. 209 Podcast, « L’Iran : forces et souffrances », Affaires étrangères, France Culture, 08/06/2013 (consulté le 06/04/2013). 210 BOYER, Julien, « Les présidents changent, Khamenei reste », Courrier international, n°1180, 1319/06/2013, p. 39. 54 bénéficier d’un contrôle sur le nouveau président tout en apaisant l’opinion publique et en soufflant sur les cendres de 2009211. Ensuite, Hassan Rohani semble être le parfait candidat pour perpétuer le caractère révolutionnaire du régime. Publiquement « réformateur » mais fondamentalement fidèle aux institutions religieuses et au Guide, Rohani est l’homme pour allier ouverture vers l’international et phases de repli212, véritable empreinte d’un Etat révolutionnaire. Cependant, cette politique d’équilibrage reste quelque chose de dangereux, car à un moment donné, la nécessité d’ouverture risque de devenir trop grande au sein même de la République islamique. Mis à part cela, Rohani reste un homme pragmatique, un véritable technocrate qui connait parfaitement les rouages de l’appareil d’Etat et dont l’idéologie se fond parfaitement dans la vision de la politique étrangère de Khamenei, à savoir une opposition viscérale à Israël, aux Etats-Unis, ou encore à Al-Qaeda213. La politique étrangère est donc un terrain sur lequel Rohani aura énormément de travail suite à la ligne forte employée par son prédécesseur. Premièrement, il devra user de diplomatie afin de faire tomber les sanctions qui pèsent sur l’Iran concernant ses exportations pétrolières214, en négociant notamment sur le dossier du nucléaire. A ce titre, en tant qu’ancien négociateur en chef de ce dossier entre 2003 et 2005, il semble donc être le mieux placé pour servir au mieux les intérêts de l’Iran tout en évitant la confrontation avec les grandes puissances. De plus, sa ligne de conduite semble être bien définie, et il est clair qu’il ne sera pas l’homme du compromis sur ce qui est du dossier nucléaire. D’un côté il ne veut pas commettre à nouveau l’erreur de ses prédécesseurs d’accepter de collaborer avec l’Occident en démantelant ses installations nucléaires afin de voir ses sanctions économiques retirées (chose qui n’a pas été faite)215. De l’autre, il a compris que l’acquisition de l’arme nucléaire bénéficie d’un fort consensus en Iran, cette dernière permettant ainsi au pays de pouvoir négocier à armes égales avec les autres puissances nucléaires. Nul doute donc que l’Iran cherchera à dépasser le cadre du TNP pour obtenir une technologie nucléaire à fin militaire et non plus civile216. 211 LADIER-FOULADI Marie, Art. Cit., pp. 50-60. Podcast, « L’Iran : forces et souffrances », Op. Cit. 213 Podcast, « Hassan Rohani va-t-il changer la donne en Iran ? », Du grain à moudre d’été, France Culture, 05/08/2013 (consulté le 14/03/2014). 214 Ibid. 215 Ibid. 216 Cours de « Politique et stratégie nucléaires », M. GODINEAU, Master 1 Relations internationales sécurité et défense, Année universitaire 2013/2014, Université Jean Moulin Lyon 3. 212 55 Mais Rohani devra également s’atteler au niveau interne à redresser l’économie iranienne, mise à mal après les deux mandats successifs d’Ahmadinejad et sa politique populiste qui au final n’a fait qu’aggraver les données macro-économiques en Iran. Si après l’élection d’Hassan Rohani donc, la confiance des acteurs économiques a retrouvé une certaine vitalité, notamment avec une tendance à la hausse pour la Bourse de Téhéran, la situation économique et sociale, moins d’un an après son investiture, reste toujours tendue217. Ainsi, il faudra donc réaliser un véritable effort du côté de l’équipe au pouvoir pour aller au-delà de la suppression des sanctions pour espérer redresser la situation économique du pays. Concernant les relations avec le Mouvement vert et ses revendications, c’est au niveau des libertés que le nouveau président devra lâcher l’emprise d’un régime oppresseur. S’il est encore beaucoup trop tôt pour tirer un bilan ou une analyse détaillée de l’action ou non du gouvernement en ce sens, certains indices et faits montrent cependant déjà que la société civile est prise en compte depuis les événements de 2009. Ainsi, pêle-mêle, dans les universités, symboles de la répression de la République islamique, les associations d’étudiants sont désormais autorisées ; la presse connait une certaine libéralisation ; Rohani a proposé une « charte des droits civils » destinée à garantir les mêmes droits pour tous les citoyens mais d’une part, le pouvoir judiciaire a refusé de l’appliquer, et, d’autre part, la société n’est pas encore prête pour la parfaite égalité sociale218. Enfin, si une des critiques les plus virulentes qui était faite au Mouvement vert était son manque d’organisation politique, une telle lacune pourrait être comblée ou du moins préparée à l’être, compte tenu du fait que la justice soit en train de réfléchir quant à une éventuelle libération de Moussavi et Karoubi219. In fine, l’objectif de Rohani n’est pas de changer la nature du régime mais bien sa politique. De ce fait, il semble que le temps pour un regime change en Iran ne soit pas encore venu. Le clan des modérés, et plus largement le Mouvement vert l’a bien compris, conscient que les rapports de force au pouvoir n’étaient pas en sa faveur, et que le changement doit être progressif220. Ce qui risque également d’être une des grandes réussites du régime, est que le révolte initie à l’été 2009 se fasse absorber par la politique du nouveau président de la République islamique. Pour éviter cela, et donc l’essoufflement 217 COVILLE Thierry, « L’économie iranienne après l’élection de Hassan Rohani », Confluences Méditerranée, n°88, pp. 63-73. 218 Interview de Thierry Coville, « Iran : Hassan Rohani, l’homme du changement ? », TV5Monde, 12/02/2014 (consulté le 11/03/2014). http://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/info/Les-dossiers-de-la-redaction/Iran-2014/p-27457-IranHassan-Rohani-l-homme-du-changement-.htm 219 Ibid. 220 Podcast, « L’Iran : forces et souffrances », Op. Cit. 56 voir la disparition du mouvement, son organisation doit évoluer en parallèle de l’évolution de la société vers la modernité. Les sciences politiques ont tendance à emprunter énormément à l’économie. A ce titre, l’analyse de Daniel Cohen sur le fait qu’un Etat peut se développer en tant que puissance majeure du système international uniquement grâce à une croissance économique suffisamment importante par rapport à son évolution sociale, et non pas juste selon le poids de son économie221 montre bien la dynamique à suivre pour le mouvement vert. Son succès ne dépendra pas de la libéralisation effectuée par Rohani, mais de la correspondance entre ses actes et les réelles attentes de la population iranienne. En conclusion, si la personnalité du nouveau président et ses rapports avec le Guide importeront dans la manière dont l’Iran évoluera, c’est avant tout la conjoncture, aussi bien sociale, diplomatique ou économique qui fera qui la République islamique entame une nouvelle phase de confrontation ou au contraire préfère se replier sur elle-même. La période qui s’ouvre est à ce titre tout de même intéressante dans le fait qu’elle permettra certainement d’y voir un peu plus claire dans cette évolution que sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad, puisque même si l’élection de Hassan Rohani a été indirectement souhaitée par le Guide suprême Ali Khamenei, le fait qu’il appartienne à une mouvance modérée permettra automatiquement une libéralisation de la société en interne, principalement dans le domaine de la liberté d’expression ; ainsi que des relations plus transparentes et surtout nombreuses avec l’Occident. Cela ne donnera peut-être pas une réponse sur le futur proche de la République islamique, mais certainement sur un état des forces d’oppositions à cette dernière, et sa capacité à gérer son nouvel environnement. 221 Vidéo, « La prospérité du vice », Daniel http://www.les-ernest.fr/la-prosperite-du-vice-3/ Cohen, 57 Les Ernest (consulté le 05/04/2014). Chapitre 2 : La Révolte verte : catalyseur des oppositions internes et externes à la République islamique Aux vues des événements de ces dernières années, à savoir respectivement la révolte de 2009, le Printemps arabe et l’élection d’Hassan Rohani, nombreux sont ceux qui prédisent la fin plus ou moins proche de la République islamique. Si le Mouvement vert n’a pas trouvé la force (ou l’envie222) de se muer en une véritable révolution, il reste néanmoins un signe avant-coureur, telles des secousses avant un séisme, des difficultés auxquelles vont devoir faire face le régime. Cette révolte apparait donc comme l’outil idéal pour se pencher sur la stabilité du pouvoir, sur sa capacité à survivre. En effet, elle est la brèche dans les lignes de défense du régime, la preuve de sa vulnérabilité. L’objectif alors n’est pas de s’arrêter à cet unique constat mais de se pencher sur les réelles oppositions à la République islamique, latentes avant 2009 et dorénavant reconverties en véritables menaces susceptibles de faire de l’islam politique en Iran un épisode appartenant au passé. En d’autres termes, il s’agit d’étudier l’état de force du régime, tant sur le plan interne (section 1) qu’au niveau de sa projection sur la scène internationale (section 2), c’est-à-dire analyser les dynamiques capables de le déstabiliser, au lendemain du traumatisme de la Révolte verte. Ce chapitre doit permettre de se poser la question de savoir si cette même révolte a été le catalyseur des oppositions au pouvoir de Téhéran. Section 1 : La fragmentation du pouvoir et l’émergence de pôles contestataires au sein de la République islamique « Que se passe-t-il lorsque l’on pousse jusqu’au bout la logique de l’identification du champ religieux au champ politique ? Vingt ans de régime islamique permettent de répondre : le second mouvement est bien celui d’une sécularisation. »223 222 Se référer au chapitre premier de la seconde partie. KHOSROKHAVAR Farhad ; ROY Olivier, Op. Cit., p. 8. 223 58 Deux éléments principaux attestent de la fragilité de la République islamique, de sa relative instabilité au sein même de l’Iran. Le premier est sa Constitution même. Si elle fait de l’Islam chiite son pilier fondamental, elle institue l’islam politique, faisant de la religion un précepte indissociable de la politique, ne pouvant occulter le fait que l’Iran est avant tout une République. Cela favorise donc inexorablement l’émergence d’une compétition politique au sein d’institutions démocratiques ce qui remet grandement en question le fondement même de l’islam politique. Le second est l’apparition, depuis un certain nombre d’années, d’une société civile active, que la Révolte verte a permis de mettre en pleine lumière, et dont les aspirations démocratiques ne sont plus cachées. L’Iran est-il prêt pour la démocratie ? Si l’exercice du pouvoir en Iran résulte d’une double légitimité depuis la révolution de 1978, religieuse et politique, l’importance que prend le deuxième sur le premier est conséquente. En effet, il faut commencer par rappeler que si la souveraineté absolue appartient à Dieu selon la Constitution, la légitimité de la révolution est populaire et donc politique, puisque cette même Constitution a été approuvée par référendum par 98,2% de la population, ce qui rend l’assise démocratique importante224. De plus, si Khomeiny représentait parfaitement la synthèse entre la religion et la politique, sa mort a déclenché un schisme dans la perception de l’exercice du pouvoir, entre les clercs prônant le primat de la religion, et ceux favorables au primat de la politique. La désignation de Khamenei comme successeur de Khomeiny au poste de Guide suprême marque le basculement de la République islamique dans le versant politique. En effet, Khamenei n’étant pas ayatollah, il a fallu réviser la Constitution pour que son investiture soit possible. De plus, ce dernier représentait le côté politique du régime puisqu’il était au moment de la mort de Khomeiny, Président de la République islamique225. De cela découle un constat qui a toute son importance dans l’analyse présente : le personnage le plus haut placé de l’Etat, le Guide donc, n’est pas le plus compétent en matière religieuse, ce qui porte un coup certain au caractère religieux de la République islamique d’Iran226. Cette supériorité du politique par rapport au religieux se manifeste de deux façons : par la crise du Clergé chiite et par l’émergence d’une compétition politique pour l’exercice du pouvoir. La crise du clergé en Iran prend différentes formes. La première est une critique d’une fraction de ce dernier concernant la gestion du pouvoir, et son exercice calamiteux. C’est le 224 Ibid., pp. 50-51. Ibid., p. 49. 226 Ibid., p. 54. 225 59 cas notamment de l’Ayatollah Jalaleddine Tahéri, qui, pour justifier sa démission du poste d’imam expliquait : « Tout cela menace l’existence même de notre pays et de notre peuple. »227 Ce qui est frappant est également la bipolarisation du Clergé qui est en train de se mettre en place, comme pour les hommes politiques, autour des clercs réformateurs et des clercs conservateurs, ce qui atteste de la fragilité de plus en plus grande de l’institution228. Mais ce qui caractérise le plus la crise du clergé est l’étatisation de ce dernier qui est en train de s’opérer depuis que Khamenei a accédé au poste de Guide suprême. Ainsi ce dernier opère en « décléricalisant » les institutions politiques229, en procédant à la « marchandisation » du Clergé230 en le rendant dépendant des financements de l’Etat mais aussi en employant une partie du clergé moyen dans les institutions publiques231. Enfin, la nationalisation de la vie politique iranienne porte un coup de plus à son aspect religieux, mais cela se remarque beaucoup plus en terme de politique étrangère232. Concernant l’émergence d’une compétition politique en Iran, il s’agit de modérer les propos qui peuvent être tenus. Si les iraniens ont la culture démocratique la plus ancienne de la région depuis 1906233 et que le nombre d’acteurs politiques va croissant à chaque nouvelle élection, polarisés entre conservateurs et réformateurs à l’instar d’une certaine façon des républicains et des démocrates aux Etats-Unis (le parallèle n’est bien évidemment fait que par rapport à la forme et non pas au fond)234 ; la vie politique reste toutefois encadrée par l’institution religieuse du Conseil des Gardiens de la Constitution, qui veille à ce que tout exercice politique en Iran soit conforme aux règles de l’Islam et aux valeurs prônées par la révolution islamique235. Enfin, c’est la Constitution même de la République islamique qui semble occidentaliser l’Iran, le moderniser, et l’éloigner d’une théocratie. En effet, elle met en place, en s’inspirant fortement de la Constitution française par exemple, des institutions dignes d’un 227 PERRIN Jean-Pierre, « Le clergé divisé ébranle l’Iran », Libération, 13 juillet 2002 (consulté le 03/05/2014). http://www.liberation.fr/monde/2002/07/13/le-clerge-divise-ebranle-l-iran_410075 228 GHAZI Siavosh, « Dissensions au sein du clergé », RFI, 11/07/2002 (consulté le 03/05/2014). http://www1.rfi.fr/actufr/articles/031/article_15945.asp 229 KHOSROKHAVAR Farhad ; ROY Olivier, Op. Cit., p. 59. 230 Ibid., p. 62. 231 COVILLE Thierry, Op. Cit., p. 74. 232 KHOSROKHAVAR Farhad ; ROY Olivier, Op. Cit., p. 66. 233 HOURCADE Bernard, Op. Cit., p. 5. 234 Article, « Les acteurs du jeu politique iranien », Courrier international, n° 1113, 1/03/2012 (consulté le 03/05/2014). http://www.courrierinternational.com/article/2012/03/01/les-acteurs-du-jeu-politique-iranien 235 SALAMATIAN Ahmad, Op. Cit., pp. 61-66. 60 Etat de droit, avec une séparation des pouvoirs de façade et des mécanismes de contrôles. Ainsi, la Constitution prévoit la mise en place d’un Président et d’un Gouvernement (exécutif), d’un Parlement (législatif) et d’un pouvoir judiciaire mais aussi des institutions d’arbitrage parallèles236. In fine, ce que le Constitution met en évidence, c’est que la légitimité du pouvoir est partagée entre la religion et la souveraineté populaire mais que la dernière est en train de prendre de plus en plus d’importance. A ce titre, l’émergence d’une société civile et de groupes de pression montre que le pouvoir en Iran ne peut plus être exercé de façon autoritaire et monolithique. C’est cette société civile que la Révolte verte a permis de mettre en lumière. Farhad Khosrokhavar résume parfaitement la forme que revêt le renouveau de la société iranienne. Selon lui, trois mouvements sociaux principaux sont à l’origine de la contestation du pouvoir, à savoir les étudiants, les femmes, et enfin les intellectuels, faisant de l’Iran une véritable protodémocratie237. Pour ce qui est des premiers, il ne fait pas de doute qu’il est le plus virulent et le plus ancien. En effet, avec 70% de la population, la jeunesse iranienne, qui est de plus en plus scolarisée représente un vivier de contestation considérable pour la période actuelle mais également pour le futur. Mais ce qui est intéressant avec les événements de l’été 2009, réside dans le fait que ce sont ces mêmes étudiants qui ont été les hérauts du combat contre le régime, et ceux qui ont été les plus directes dans leur dénonciation de la corruption de ce dernier. Cela alors que ce groupe social subit une tradition de répression récurrente sous la République islamique, que ce soit en 1980 lors de la révolution culturelle ayant aboutie à de nombreuses purges estudiantines au niveau des professeurs notamment, mais également en 1999 quand de violentes répressions se sont abattues sur des soulèvements d’étudiants un peu partout dans le pays238. Pour ce qui est du mouvement des femmes, ce dernier peut être qualifié d’ambivalent. En effet, d’un côté, bien que depuis la révolution islamique en 1978 leur statut légal a été fortement diminué par l’institution religieuse, leur accès à l’éducation a quant à lui été renforcé, ce qui a donné naissance à une conscience militante et démocratique chez les femmes. C’est ainsi que de plus en plus de voix se sont élevées pour une émancipation par rapport aux hommes dans la société mais également au sein du cercle restreint de la 236 GHANNAD Hervé, Op. Cit., pp. 112-134. KHOSROKHAVAR Farhad, « L’Iran, la démocratie et la nouvelle citoyenneté », Cahiers internationaux de sociologie, n°111, 2001, pp. 291-317. 238 Ibid., pp. 298-302. 237 61 famille, ou que le nombre de femmes (aussi bien laïques que musulmanes et islamistes) rejoignant les ONG ou organisant la lutte par le biais de la diaspora en Occident a grandement augmenté ces dernières années. D’un autre côté, cet activisme et cette volonté de reconnaissance trouve un écho encore très faible chez les hommes et dans les textes législatifs qui continuent à perpétuer la différence de statut entre les deux sexes239. Enfin les intellectuels. Ils émergent à partir des années 1990 afin de critiquer la théocratie chiite et dans le but de proposer un Iran et un islam plus démocratiques. Ces intellectuels sont laïques mais également religieux – qui pensent qu’une séparation entre le politique et la religion ne peut être que bénéfique à l’islam – et exercent des professions aussi variées que professeurs, artistes, journalistes, poètes ou encore cinéastes. Cependant, il existe également des intellectuels dits « néoconservateurs », des sortes de chiens de garde de la République Islamique dont les voix mettent en garde contre une trop grande ouverture du régime aussi bien au niveau de la société civil que dans ses relations avec l’étranger240. Il apparait donc que le régime de la République islamique, tant dans sa structure que dans la diversité de la contestation interne à son égard, se trouve bien moins forte que sous l’égide de l’ayatollah Khomeiny. Il est vrai que la disparition d’un leader charismatique compte beaucoup dans la perte d’un esprit révolutionnaire (Che Guevara, Staline) mais il ne faut pas minimiser l’impact des groupes de pressions à l’encontre du pouvoir, qui ont montré toute leur vitalité lors des manifestations des mois de juin et juillet 2009. Pour autant, du fait de son caractère révolutionnaire, le régime est également chamboulé par le biais de sa politique étrangère. 239 KHOSROKHAVAR Farhad, « Le mouvement des femmes en Iran », Cahiers du genre, n°33, 2002, pp. 137-154. 240 KHOSROKHAVAR Farhad, « Les nouveaux intellectuels en Iran », Cahiers internationaux de sociologie, n°125, 2008, pp. 347-363. 62 Section 2 : La Révolution de 1978 à l’épreuve de l’importance stratégique contemporaine de l’Iran au sein du système international « L’Iran fait certainement partie de ces pays dont l’importance stratégique n’a d’égale que leur méconnaissance par le reste de la planète, et notamment par les pays occidentaux. »241 Du fait de son caractère d’Etat révolutionnaire, l’Iran a une double contrainte à affronter quant à sa projection sur la scène internationale. Premièrement il doit assumer son statut de « fauteur de trouble », c’est-à-dire qu’il se heurte à un ordre international accepté comme tel par la majorité des Etats. Soit il parvient à exporter sa révolution, soit il se plie in fine à l’ordre établi. Deuxièmement, il se heurte, comme chaque Etat du système international anarchique, aux velléités de puissance et de statut. Dans le cas de l’Iran, sa position est rendue encore plus délicate du fait qu’il aspire à devenir un hégémon régional, poussant les autres puissances du Moyen-Orient à s’inquiéter pour leur sécurité et les puissances étrangères à employer une posture offensive pour éviter l’avènement d’un tel hégémon242. Il s’en suit donc que l’Iran a de nombreux défis à relever sur la scène internationale, et que ces derniers, compte tenu de l’instabilité interne grandissante du régime s’apparentent à l’ouverture d’un second front pour la République islamique. La question sous-jacente est donc de savoir si la politique étrangère de l’Iran peut s’apparenter à une parade à la protestation interne ou bien au contraire à un écho de cette dernière. Une première thèse présente la politique étrangère iranienne comme un véritable atout pour redorer le blason du régime, et donc étouffer la révolte qui croit à l’intérieur du pays. Cette confiance de la République islamique dans sa projection en dehors de son territoire résulterait de l’histoire du pays, de son sentiment d’appartenir aux grandes civilisations et de sa foi en sa capacité à se relever à chaque fois face aux invasions d’envahisseurs243 mais également dans l’Islam chiite qui se base sur la contestation du pouvoir en attendant le retour du douzième Imam244. Une capacité renforcée une fois de plus lors de la guerre face à l’Irak entre 1980 et 1988, qui a vu les armées de Téhéran repousser celles de Bagdad hors de leur territoire tout en cristallisant le sentiment national de la population autour du 241 COVILLE Thierry, Op. Cit., p. 5. MEARSHEIMER John J., The Tragedy of Great Power Politics, New York, W. W. Norton & Company, 2011, p. 40. 243 GHANNAD Hervé, Op. Cit., p. 61. 244 COVILLE Thierry, Op. Cit., p. 59. 242 63 pouvoir en place : « Le nationalisme a ainsi été instrumentalisé avec efficacité par le régime […] par le Guide dont l’autorité était à la fois islamique et nationale ».245 Cette assurance se traduit donc par une visibilité importante de Téhéran au niveau international. L’Iran étant un Etat dont la situation géopolitique le place au centre des dossiers les plus épineux qui animent les relations internationales et qui doit donc prendre en compte une myriade d’acteurs en considération, il convient d’essayer de synthétiser de la manière la plus claire possible les bénéfices que peut tirer la République islamique de sa politique étrangère. En effet, ce domaine d’étude a déjà fait, et fait toujours l’objet d’un nombre important de travaux en sciences politiques et il n’est pas le thème central de ce devoir. C’est pourquoi la bibliographie dans cette approche (et pour le reste de cette section) s’axera autour de l’ouvrage d’Hervé Ghannad, Identité et politique extérieure de l’Iran, dont les enseignements sont complets et synthétiques. En observant la politique extérieure de l’Iran donc, via le prisme de la Révolte verte, deux dossiers semblent mettre le régime en position de force pour rassurer la population quant à sa capacité de rayonnement. Premièrement celui concernant ses relations avec les Etats-Unis. En effet, depuis l’élection de Barack Obama à la présidence en novembre 2008, la diplomatie entre les deux Etats s’est nettement améliorée. Réduite à néant après la prise d’otage de l’ambassade américaine à Téhéran en 1979, Obama l’a rétablie en tendant la main vers le régime islamique. Si cela semble s’apparenter à une victoire diplomatique pour l’Iran, certains relativiseront toutefois ce succès en précisant que ce rapprochement n’a pu s’effectuer uniquement grâce à un déplacement des intérêts des Etats-Unis vers l’Extrême-Orient et la Chine246. Deuxièmement ensuite, l’antisionisme avéré du régime iranien. Cette idéologie permet en effet à Khamenei de faire persister l’esprit révolutionnaire de 1978, notamment grâce à ses branches armées à l’étranger, le Hamas et le Hezbollah. En effet, l’opposition viscérale et millénariste affichée à Israël de la part de l’Iran reste encore aujourd’hui l’unique moyen de fédération des populations arabes autour du projet chiite dans un monde musulman à forte dominance sunnite247. Une autre remarque importante doit être faite. Si l’Iran est capable de faire valoir ses positions politiques sur la scène internationale, c’est parce qu’il dispose d’atouts lui servant de levier non négligeable. Le premier de ces atouts est qu’il bénéficie d’importantes ressources fissiles et notamment en pétrole (deuxième producteur mondial)248 ce qui lui 245 HOURCADE Bernard, Op. Cit., p. 44. GHANNAD Hervé, Op. Cit., p. 157. 247 Voir Annexe n° 1. 248 CHAUTARD Sophie, L’Iran face au monde, Levallois-Perret, Studyrama, 2006, p. 18. 246 64 rapporte une manne économique importante et un atout stratégique par rapport à ces clients les plus importants. Toutefois, l’Iran reste à ce jour un Etat rentier, à l’instar de la Russie. Ainsi, le bénéficie qu’il peut tirer de l’exportation pétrolière est conditionnée d’une part à la levée des sanctions concernant cette exportation de la part des Etats occidentaux 249 - ce qui est en train de se produire à la suite d’un marchandage sur la question du nucléaire 250 et d’autre part à la bonne gestion de l’économie iranienne et à la redistribution des profits à la population. Un autre atout réside dans les moyens militaires conséquents (conventionnels et humains) de l’Iran face aux autres Etats de la région mais aussi dans sa capacité stratégique à fermer le détroit d’Ormuz ; tout cela faisant de l’Iran le potentiel gendarme du golfe Persique251. Enfin, l’atout nucléaire. En restant évasif sur ses objectifs en matière de nucléaire (acquisition civile ou militaire), l’Iran procède d’une dissuasion passive lui permettant d’être considérée par les puissances rivales comme une menace importante252. Toutefois, la politique étrangère est aussi un domaine dangereux pour la République islamique, car, affaiblie intérieurement par le Mouvement vert, elle pourrait être vulnérable face à l’activisme de nombreux acteurs. Depuis l’éclatement de la guerre en Syrie, l’espoir pour l’Iran de voir se créer un axe chiite Syrie-Iran-Irak semble de plus en plus compromis. En effet, si Téhéran a affirmé son soutien à Bachar el-Assad à maintes reprises, cela risque de lui nuire, quelle que soit l’issue du conflit, étant donné l’isolement diplomatique de l’Iran qui risque de découler de son entente avec Damas253. Si la Russie et la Chine continuent à apporter leur soutien indirect à Khamenei indirectement via le biais de l’ONU, nul ne peut prédire s’il perdurera selon les aléas de la conjoncture. La timide ouverture de Téhéran vers Washington depuis l’élection d’Hassan Rohani est peut-être également le signe que l’Iran, acculé par la pression interne, est en train de réviser sa vision de la realpolitik. « Et quand on regarde une carte détaillée, on s’apperçoit que les forces étrangères sont bien réelles, sur terre, sur mer, comme dans les airs, avec l’incursion constante de drones ou d’appareils de surveillance satellitaires. L’Iran se sent encerclé »254. L’Iran se sent encerclé, cela est une 249 Site officiel : U.S. Energy Information Admonistration, « Sanctions reduced Iran’s oil exports and revenues in 2012 », 26/04/2013 (consulté le 02/05/2014). http://www.eia.gov/todayinenergy/detail.cfm?id=11011 250 Article, « Iran : la levée des sanctions va commencer », Le Point, 20/01/2014 (consulté le 02/05/2014). http://www.lepoint.fr/monde/iran-l-enrichissement-d-uranium-a-20-suspendu-des-lundi-20-01-20141782110_24.php 251 GHANNAD Hervé, Op. Cit., pp. 214-226. 252 GERE François, Iran, l’état de crise, Paris, Karthala, 2010, p. 143. 253 DJALILI Mohammad-Reza ; KELLNER Thierry, « L’Iran et la question syrienne. Des « printemps arabes » à Genève II », Op. Cit., p. 29. 254 GHANNAD Hervé, Op. Cit., p. 251. 65 réalité255 que le régime ne peut plus nier et se doit d’assumer depuis qu’il exerce une diplomatie offensive et provocatrice. Le swaggering256 est peut-être pour le moment la stratégie du régime, mais l’éventualité d’un nouveau soulèvement populaire devrait forcer les dirigeants à opter pour plus de pragmatisme sur la scène internationale, de même que Gorbatchev l’avait fait en lançant ses réformes politiques et économiques, la glasnost et la perestroïka257. Ainsi pêle-mêle l’Iran doit faire front contre Israël et gérer l’éventualité d’une escalade nucléaire258, mais aussi porter attention au relâchement des liens avec l’Irak voisin du fait de ses aspirations nationales259 ou encore aux tensions pouvant monter dans sa rivalité avec l’Arabie Saoudite pour le leadership de la région260. A la fin de ce chapitre, il apparait clairement que la République islamique est défiée aussi bien à l’intérieur de l’Iran qu’à l’extérieur. La difficulté pour le régime est donc de faire face à ces deux fronts simultanément. Cependant, il semble également clair que les aspirations de la population iranienne, et la politisation de l’exercice du pouvoir - amenant sans aucun doute in fine à une multi polarisation de la vie politique et à l’émergence de contre-pouvoirs – aillent indéniablement dans le sens contraire de la politique étrangère menée par Téhéran. En toute vraisemblance, c’est une socialisation de l’Iran au système international qui est en train de se dessiner lentement par le bas, c’est-à-dire par le réveil des classes sociales opprimées. La réponse du régime à cette double opposition sera donc à étudier avec importance. En effet, s’il ne prend pas acte des changements qui ont court, sa survie semble remise en question, à plus ou moins long terme, et ce par le biais d’une démocratisation continue via la politique étrangère ou via une révolution, ce qui est tout-àfait possible comme l’a montré la Révolte verte. Son salut semble donc résider dans une prise de conscience de la nécessité d’opérer une limite de plus en plus opaque entre les domaines de la religion et de la politique. Cependant, compte tenu du fait que la population reste malgré tout fortement attachée à la religion (l’Islam chiite), qui, à la vue de l’isolement diplomatique de l’Iran au sein d’un monde à dominante sunnite reste un des facteurs principaux d’identité nationale ; mais aussi de la puissance du pays sur la scène 255 Voir Annexe n° 2. ART Robert J., « To What Ends Military Power ? », International Security, Volume 4, Issue 4, 1980, p. 11. 257 Cours d’ « Histoire des relations internationales », M. CUMIN, Master 1 Relations internationales sécurité et défénse, année universitaire 2013/2014, Université Jean Moulin Lyon 3. 258 COHEN Samy, « Israël et l’Iran : la bombe ou le bombardement ? », Politique étrangère, 2010/1, pp. 111123. 259 GHANNAD Hervé, Op. Cit., p. 207. 260 Ibid., p. 191. 256 66 régionale du fait de la militarisation croissante du régime au cours des dernières années couplée aux atouts qu’il peut faire valoir sur la scène internationale (nucléaire, pétrole), nul ne peut prévoir avec certitude la direction qu’il décidera de prendre ni de quelle manière il réagira à la marche forcée de sa population vers la modernité, comme le démontre la situation en Syrie et la gestion de la crise par Bachar el-Assad. « La modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable. Il y a eu une modernité pour chaque peintre ancien. »261 L’étude de cette dernière partie permet de conclure d’une part que ce n’est pas l’alternance politique en Iran qui sera intrinsèquement synonyme de changement. Tant que le régime de la République islamique se maintiendra en place, il est peu probable de voir la situation de la société civile et de la population s’améliorer. Cependant, le précédent du Printemps arabe montre que la possibilité d’un renversement du régime est envisageable ; et qu’avec une conjoncture favorable - aussi bien interne que régionale et internationale - une force politique organisée pourrait être en capacité de porter le Mouvement vert vers la révolution. La question est donc moins celle de la réforme de la République islamique que celle de la réforme de la société iranienne, se devant d’évaluer le moment opportun pour attaquer le régime. Cette « tactique » révolutionnaire est plus que jamais applicable sous la présidence d’Hassan Rohani, modéré, à condition que ce dernier concède certaines concessions à la société civile pour se développer et s’organiser. 261 BAUDELAIRE Charles, Le peintre et la vie moderne, version électronique (consultée le 05/05/2014). http://charles.baudelaire.perso.sfr.fr/LePeintreDeLaVieModerne/LePeintreDeLaVieModerne4.php 67 Conclusion « Le dernier visage qu’un gouvernement puisse montrer à sa population, c’est celui de la violence. Après cela, il n’y a plus rien. »262 L’objectif de ce devoir était d’essayer d’apporter des éléments de réponse quant à l’éventuel déclin de l’islam politique en Iran, observé via le prisme de la Révolte verte de juin 2009. L’étude aura ainsi permis de récolter un certain nombre d’indices pour y parvenir. Tout d’abord, la Révolte verte est le signe qu’une contestation existe bel et bien en Iran. Même si cette dernière a été réprimée violemment et n’a pas durée, sa visibilité – grâce notamment à l’usage des réseaux sociaux – internationale et l’activisme de la diaspora en Occident a montré que la République islamique ne résultait plus d’un consensus, comme lors des premières heures de la Révolution de 1978. Ensuite, l’échec du Mouvement vert à renverser le régime (si tenté que ce fut son objectif principal) d’Ali Khamenei est le signe que ce dernier n’avait pas d’organisation politique, pas de relai pour le représenter dans l’arène du pouvoir, ce qu’a ensuite confirmé le Printemps arabe en donnant l’exemple pour une révolution réussie (ce qui ne veut pas dire aboutie). Mis à part cela, cet échec fut aussi le signe que la population iranienne n’était pas prête à tous les sacrifices pour arriver à leurs fins, symbole d’un pays épuisé par les bouleversements depuis plus de trente ans. Quels enseignements peuvent être également tirés de l’étude théorique de ce devoir ? Tout d’abord qu’il n’existait pas en Iran en 2009 de légitimité politique autre que celle du régime qui puisse éventuellement se rallier au Mouvement vert. De ce fait, outre l’aspect politique, le régime était et reste le seul bénéficiaire de la violence physique légitime en Iran (Weber) ce qui assoit sa légitimité quoi qu’il en soit. D’un autre côté la période allant de la révolte à l’élection d’Hassan Rohani, le successeur d’Ahmadinejad, montre clairement que l’élite au pouvoir commence doucement à se diviser (conflit entre le Président et le Guide ; conflits au sein du clan conservateur). De plus, l’impossibilité pour le régime de récupérer à profit les renversements de régimes lors du Printemps arabe ancre encore plus l’échec de la République islamique d’exportation de la Révolution. 262 Documentaire Chroniques d’un Iran interdit, Op. Cit. 68 Que peut-il en être conclu concernant l’islam politique ? Si l’expérience égyptienne des Frères musulmans a montré l’impossible développement d’un tel type de régime dans une société ayant déjà entamé sa course pour la liberté, il faut cependant notifier que l’expérience politique de ce mouvement est récente et donc qu’il est impossible de se prononcer sur son incapacité à exercer une fonction politique. De plus, la stabilité du régime wahhabite en Arabie Saoudite prouve également que l’islam politique ne s’analyse pas sans prendre en compte le contexte dans lequel il s’insère. Ainsi, même si l’islam politique est critiqué par des voix de plus en plus nombreuses, et ce même par les islamiques eux-mêmes (se référer à la Partie 3, Chapitre 2, Section 1), s’avancer sur son éventuel déclin semble prématuré compte tenu du peu de recul historique que l’analyse possède (il faut rappeler que la République islamique, à l’échelle des régimes politiques est relativement jeune). Si d’un point de vue théorique – et l’Histoire est là pour le prouver – le régime est voué à disparaître tôt ou tard du fait de sa nature révolutionnaire263 reste à savoir de quelle manière. Ce sera soit d’une manière violente, et la Révolte verte est le signe de la viabilité de cette hypothèse – pour autant quelle sera la nature du pouvoir en Iran après la chute des religieux ? – soit d’une manière plus douce, déguisée, par le biais d’une réforme de la République islamique, qui devra de toute manière considérer qu’en Iran, l’exercice du pouvoir basé sur la religion n’est pas viable à long terme. Cette réforme, la République islamique semble déjà l’avoir amorcée, d’une part lors de la succession de Khomeiny. En effet, la nomination de Khamenei comme Guide suprême a été unanimement commenté comme le signe d’une politisation du régime. Elle s’est poursuivie certainement en 2013 avec l’élection d’Hassan Rohani, un président modéré, dans le but d’une part de renforcer la position du Guide par rapport à la présidence (jurisprudence Ahmadinejad) mais aussi pour refroidir les braises du Mouvement vert et de la contestation sociale iranienne, toujours présente depuis 2009, même si réprimée. Si en introduction il a été rappelé l’importance de ne pas tomber dans une dérive « fukoyamesque » ou « huntingtonienne », le Mouvement vert s’inscrit malgré tout dans le XXIème siècle et le processus de mondialisation. Ainsi, si l’étude s’en tient à une analyse réaliste de laquelle découle que chaque Etat où l’islam politique est pratiqué est à la recherche de puissance et de statut sur la scène internationale, la conclusion peut être faite que face à l’interdépendance étatique caractéristique du système international, ayant – actuellement – pour standards la démocratie et les libéralisations sociales et économiques, 263 RUCKER Laurent, Op. Cit. 69 ce n’est pas tant la question du déclin de l’islam politique que celle de sa compatibilité avec la modernité qu’il s’agit de discuter. 70 Table des annexes Annexe n° 1 : Répartition entre populations sunnites et chiites au sein du monde musulman Annexe n° 2 : Le complexe iranien de l’encerclement 71 Annexe n° 1 : Répartition entre populations sunnites et chiites au sein du monde musulman Source : Répartition des chiites et des sunnites dans le monde, Alternatives internationales, Hors-série, n° 003, 2005 (consulté le 01/02/2014). http://www.alternatives-internationales.fr/repartition-des-chiites-et-dessunn_fr_art_294_29225.html Annexe n° 2 : Le complexe iranien de l’encerclement Source : Article, « Moyen-Orient le retour », Xavier Martin, 23/11/2009 (consulté le 18/02/2014). http://www.xaviermartin.fr/index.php?post/2009/11/23/MOYEN-ORIENT-LE-RETOUR Sources, documents et bibliographie Ouvrages BAECHLER Jean, Les phénomènes révolutionnaires, Paris, La Table Ronde, 2006, 260 pages. 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......................... 38 80 Section 1 : Des émeutes à la révolution : le Printemps arabe comme dépassement de la Révolte verte ? .............................................................................................................. 39 Section 2 : Entre désir de récupération politique et crainte de prolifération : l’ambivalence de la stratégie iranienne face au Printemps arabe ................................ 43 Partie 3 : Entre menace d’isolement sur la scène internationale et rupture interne du lien social : la nécessaire réforme de la République islamique ......................................................................................................................... 48 Chapitre 1 : Des conservateurs aux réformateurs : stratégie politique ou affaiblissement de la République islamique ? ........................................................................................... 49 Section 1 : Le deuxième mandat présidentiel de Mahmoud Ahmadinejad et le besoin vital pour la République islamique d’alternance politique ........................................... 50 Section 2 : L’élection d’Hassan Rohani comme symbole de la marchandisation de la politique iranienne ........................................................................................................ 53 Chapitre 2 : La Révolte verte : catalyseur des oppositions internes et externes à la République islamique ....................................................................................................... 58 Section 1 : La fragmentation du pouvoir et l’émergence de pôles contestataires au sein de la République islamique .......................................................................................... 58 Section 2 : La Révolution de 1978 à l’épreuve de l’importance stratégique contemporaine de l’Iran au sein du système international ........................................... 63 Conclusion ...................................................................................................... 68 Table des annexes .......................................................................................... 71 Annexe n° 1 : Répartition entre populations sunnites et chiites au sein du monde musulman ...................................................................................................................... Annexe n° 2 : Le complexe iranien de l’encerclement ................................................. Sources, documents et bibliographie ........................................................... 72 Table des matières ......................................................................................... 80 81