Théâtre dans le débat politique Elf, la pompe Afrique de Nicolas Lambert Du théâtre documentaire à l’engagement militant Alexandre Le Quéré Sous la direction de M. Georges Banu et Mme Chantal Meyer-Plantureux Juin 2006 Mémoire de première année de master Institut d’Etudes Théâtrales Université Paris III – Sorbonne Nouvelle Introduction au master Elf, la pompe Afrique, écrit, mis en scène et interprété par un seul homme, Nicolas Lambert, joue avec différentes notions dans un spectacle à la démarche complexe. Théâtre documentaire, politique, engagé, militant… Dans son écriture, dans son jeu, sa mise en scène, et jusqu’à sa diffusion, ce spectacle se situe à la croisée des chemins, empruntant des esthétiques aussi diverses qu’anciennes. Après avoir expliqué ces différents termes, je compte essayer de faire la part du théâtre documentaire, du théâtre politique et du théâtre militant dans Elf, la pompe Afrique. Je souhaite voir si ces domaines s’interpénètrent ou au contraire sont en contradiction et ce qu’il en est dans le cas de la pièce de Nicolas Lambert. Le processus de création d’Elf a débuté en 2003. Au mois de mars, ce comédien, membre de la compagnie Charlie Noé, s’intéresse au procès de l’affaire Elf qui s’ouvre à la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Une idée lui trotte dans la tête : faire une émission de radio, où il raconterait le basculement de ces grands patrons dans la délinquance. Nicolas Lambert se présente au tribunal, mais il n’est pas accepté dans la salle d’audience. Grâce à ses contacts dans le monde de la radio, il obtient un laissezpasser de RFI. À partir de ce moment, le comédien peut régulièrement observer les débats du procès. Il prend des notes chaque jour et dévore la presse. Frappé par les personnages de l’affaire et par le système Elf, il décide d’en tirer une production artistique. Nicolas Lambert pense d’abord à une fiction. Il s’agirait de la rencontre de Loïk Le Floch-Prigent et d’un jeune délinquant dans une cellule de la prison de Fresnes. Mais il abandonne l’idée et décide que le contenu du procès se suffit à lui-même. Armé de ses notes, Nicolas Lambert rédige une synthèse des débats. Ce qui au départ ne devait être qu’une lecture se transforme en un spectacle dans lequel le comédien interprète tous les personnages : le président du tribunal (Michel Desplan, qui n’est pas nommé), Loïk Le Floch-Prigent, André Tarallo, Alfred Sirven, André Guelfi, le directeur des affaires immobilières d’Elf, 2 le procureur de la République, un avocat, un gendarme, un huissier et enfin le personnage du raconteur, dont les interventions ne sont pas toutes écrites ― du moins dans le texte publié par les éditions Tribord en 2005. La pièce est découpée en quatre tableaux, ou plus précisément quatre audiences, précédés d’un prologue et suivis d’un épilogue. Le spectacle commence par l’entrée au cœur du public du personnage du raconteur. Il échange quelques mots avec le gendarme en faction devant la salle d’audience. Celui-ci lui explique que les places libres sont réservées à la presse. Le raconteur s’éclipse, revient quelques secondes plus tard, un téléphone à l’oreille. Il se fait passer pour un journaliste très occupé qui a oublié son accréditation. Le gendarme le laisse passer. La première audience, intitulée « Plongeons ! » débute par une présentation des trois principaux prévenus : André Tarallo, Loïk Le Floch-Prigent et Alfred Sirven. Le président du tribunal les convoque les uns après les autres à la barre et rappelle en quelques phrases leur biographie. Le président expose ensuite l’enjeu des débats : à chaque gros contrat conclut par la société Elf, des versements de commissions occultes alimentaient plusieurs caisses noires, destinées à rémunérer des informateurs, des chefs d’Etat africains ainsi que des hommes politiques français. Certaines sommes auraient été détournées de ces caisses noires pour alimenter d’autres fonds, destinés eux au profit personnel des dirigeants de l’entreprise. Le président commence l’audition des trois prévenus. Il essaie de comprendre comment fonctionne le système des commissions pétrolières, et plus particulièrement en Afrique. Nous apprenons que sur chaque transaction, chaque contrat, une somme est prélevée. Cette commission occulte sert à financer des chefs d’Etat africains en échange de perspectives de nouveaux contrats. Mais nous découvrons aussi qu’André Tarallo, le « monsieur Afrique » du groupe, ainsi qu’Alfred Sirven, bras droit de Le Floch-Prigent, disposaient de nombreux comptes bancaires à l’étranger, particulièrement bien fournis et alimentés par de l’argent d’Elf. Le Floch-Prigent dit ne pas avoir été au courant de l’existence des comptes secrets de ses subordonnés. Il affiche son dégoût pour ce système de commissions et de financements cachés. Nous découvrons aussi les tensions qui existent entre André Tarallo, dirigeant historique du groupe, présent dès la création de la société, et les deux autres prévenus, qui doivent leur poste à François Mitterrand, alors 3 président de la République. L’audience s’achève. Un intermède musical fait le lien avec le tableau suivant. La deuxième audience, intitulée « Ces choses là », est précédée d’une intervention du raconteur, qui décrit le déroulement des audiences, avec la disposition du public. Il fait remarquer la présence clairsemée des journalistes. Ce passage ne figure qu’en partie dans la pièce publiée en 2005. Lors de cette deuxième audience, nous apprenons qu’Elf a financé grâce à ses caisses noires des hommes politiques français, afin d’avoir l’appui de l’Etat et des partis politiques dans les manœuvres du groupe à l’étranger. Loïk Le FlochPrigent explique qu’il n’était pas au courant du détail de ces opérations. Selon lui, les caisses noires étaient gérées par Sirven et Tarallo. Pour mieux comprendre le système des commissions, le président du tribunal invite à la barre André Guelfi, un homme d’affaire qui a prêté une de ses sociétés basées en Suisse pour faire transiter de l’argent d’Elf. Cet argent était en fait une commission prélevée sur le contrat du rachat d’une raffinerie en Allemagne. S’ensuit un dialogue aux accents comiques, dans lequel nous découvrons qu’une part de la commission, plusieurs millions de francs, a finalement été versée à André Guelfi sur son compte personnel. Loïk Le Floch-Prigent continue à expliquer qu’il connaissait ces pratiques mais pas le détail des opérations. En revanche, Alfred Sirven et André Tarallo contestent cette version des faits. L’un comme l’autre expliquent qu’ils ne pouvaient pas intervenir sans l’accord du PDG. L’entracte intervient à la fin de cette deuxième audience. Le début de la troisième partie (« Déballages ») est consacré à la politique immobilière du groupe. Le directeur des affaires immobilières d’Elf est appelé à la barre. Celui-ci est interrogé tout d’abord sur la propriété du docteur Raillard, rachetée par Elf à la demande de François Mitterrand, puis sur un terrain vendu à Issy-les-Moulineaux, en périphérie de Paris. Là encore il y a eu une commission. Au profit de qui ? Le président du tribunal évoque le nom de Charles Pasqua, mais ni Alfred Sirven ni André Guelfi ne se risquent à confirmer. Puis le patrimoine des trois prévenus est passé au crible. Le président du tribunal s’arrête successivement sur l’appartement parisien de M. Tarallo, qui appartient en réalité au président du Gabon, Omar Bongo, puis à sa villa corse de Bonifacio. Puis le président s’intéresse à la maison d’Alfred Sirven avant d’interroger Loïk Le Floch-Prigent sur sa résidence en Normandie et surtout sur son hôtel particulier dans le XVIe arrondissement de Paris. L’ex-président du groupe avoue que les éventuels scandales 4 provoqués par son divorce avec Fatima Belaïd, sa seconde femme, ont été étouffés grâce à des fonds secrets. Le procureur de la République prend la parole en fin d’audience pour poser à M. Le FLoch-Prigent une question au sujet d’un retrait d’une facture très importante de meubles de jardin le jour même de son départ d’Elf. Loïk Le Floch-Prigent se rengorge : « j’ai eu une réaction de gamin. » Fin de la troisième audience, intermède musical. La dernière audience, « Comptes et règlements », est consacrée à la recherche des réels bénéficiaires de détournements des caisses noires. Le président du tribunal explique qu’à chaque nouvelle opération, la répartition des versements occulte était la même : un tiers pour André Tarallo, deux tiers pour Alfred Sirven. À travers l’exemple d’une transaction ratée au Venezuela, le président du tribunal arrive à faire témoigner Sirven contre Le Floch-Prigent. Selon Alfred Sirven, l’ex-président d’Elf était au courant de tous ces mouvements d’argent, c’était même lui qui passait les ordres et surtout un tiers des commissions occultes lui revenait personnellement. Nous apprenons donc que les trois principaux prévenus partageaient les sommes à parts égales. Sirven confirme qu’avec ces caisses noires, Elf participait au financement des partis politiques. L’ex-président Le Floch-Prigent récuse les accusations de son bras droit. Il dit penser qu’Alfred Sirven cherche à protéger les véritables bénéficiaires des fonds occultes, des hommes politiques notamment. Le Floch-Prigent reconnaît seulement avoir utilisé de l’argent d’Elf pour acheter une propriété en Normandie et régler son divorce. Il explique aussi que les vrais bénéficiaires des caisses noires étaient des hommes ou des partis politiques. À un avocat qui lui demande si Elf servait dès sa création à financer le monde politique français, Le Floch-Prigent répond que le groupe pétrolier a constitué de tous temps une diplomatie parallèle. Pour garantir ses intérêts en Afrique, Elf dégage des fonds occultes sur ses contrats. Ces sommes sont destinées à graisser la patte des dirigeants des pays pétroliers, mais aussi de faire vivre les partis politiques français. Loïk Le FlochPrigent rappelle que l’affaire des frégates Thomson vendues à Taiwan est un autre exemple de ce système, mais que le monde des marchands d’armes est beaucoup plus dangereux que celui du pétrole. Toujours à la demande de son avocat, Le Floch-Prigent précise qu’il estime que si Philippe Jaffré, son successeur, l’a poursuivi, c’était pour garantir le soutient d’Elf à Edouard Balladur en vue des élections présidentielles de 1995. L’ex-PDG finit son intervention en racontant que les principaux hommes d’Etat français, de droite comme de gauche, sont au courant de tout ce qu’il sait sur le système Elf. Le 5 président du tribunal ne souhaite visiblement pas que Le Floch-Prigent aille plus loin dans ses révélations. Il conclut le spectacle en refermant le dossier qu’il a devant lui. La Marseillaise retentit sur scène. Dans l’épilogue, le raconteur reprend la parole. Il revient sur les événements qui ont déclenché le procès, et notamment sur l’attitude de Philippe Jaffré, le successeur de Le Floch-Prigent. Il explique par exemple qu’avec la prime de départ de la présidence d’Elf que s’est accordé Jaffré, il aurait pu racheter les patrimoines immobiliers des trois principaux prévenus du procès. Le raconteur rappelle ensuite les condamnations des prévenus. Il raconte aussi la façon dont le président du tribunal a demandé un mandat de dépôt pour André Tarallo, ce qui signifie que ce dernier, qui comparaissait libre, est reparti de l’audience entre deux gendarmes. Le raconteur conclut en expliquant que ce sont des hommes qui ont été jugés, pas le système Elf, ni la Ve République. Et que ce système a « contribué à la dépossession des peuples africains de leur richesse en stimulant des guerres, et [en] dévastant les biens publics au nom de notre République. »1 J’ai découvert Elf, la pompe Afrique courant 2004, à la Fenêtre, une petite salle dans le XIe arrondissement de Paris. C’est un ami, membre de l’association Survie (association dont nous reparlerons plus loin) qui m’a fait découvrir le spectacle. Ne m’étant intéressé que de très loin à l’affaire Elf, j’ai trouvé la pièce particulièrement intéressante et remarquablement interprétée. Au printemps 2005, alors que je réalisais un stage au magazine Théâtres, j’ai appris que Nicolas Lambert présenterait sa pièce dans le festival Off d’Avignon. J’ai profité de cette occasion pour rédiger une courte critique dans le numéro 21 du magazine, publié à la fin du mois de juin 2005. Paradoxalement, cet article était l’un des premiers consacrés à cette pièce par une publication culturelle. Elf avait à cette date déjà été l’objet de nombreuses coupures de presse, mais de la part de journalistes spécialisés dans le judiciaire, comme Pascale Robert-Diard du Monde ou Karl Laske de Libération. 1 Nicolas LAMBERT, Elf, la pompe Afrique, Bruxelles, éditions Tribord, 2005, p. 88 6 Mon intérêt pour cette pièce a donc été révélé par deux facteurs : le militantisme d’un côté, le journalisme de l’autre. Ce sont deux aspects que je chercherai à traiter dans la partie consacrée à la réception du spectacle. Mais tout d’abord, en prenant appui sur le texte et la représentation je poserai la question de savoir si Elf, la pompe Afrique s’inscrit ou non dans le cadre du théâtre documentaire. Comme son nom l’indique, le théâtre documentaire est une dramaturgie née du document et de l’actualité. Dans les années 1920 en Allemagne, le metteur en scène Erwin Piscator pose les bases de cette forme. Il crée des revues d’actualité, dans lesquelles il utilise un montage de discours réels, de photographies, de films d’actualité, d’articles de presse… Dans le spectacle Malgré tout (1925), Piscator utilisait toutes ces sources, tous ces documents historiques ou d’actualité pour créer une revue traitant des grandes révoltes de l’Histoire humaine. Mais il s’agissait là des ambitions d’un metteur en scène, pas d’un auteur dramatique. Quarante ans plus tard, dans les années 1960, un auteur comme Peter Weiss utilise pour plusieurs de ses pièces cet apport des documents, afin de traiter de sujets choisis dans l’histoire contemporaine. Il écrit en quelques années quelques pièces parmi les plus remarquables du théâtre documentaire : l’Instruction (1965), sur le procès d’anciens criminels nazis, le Chant du fantoche lusitanien (1967), à propos de la décolonisation portugaise, et le Discours sur la guerre du Vietnam (1967). Il théorise le genre sous le titre « Quatorze thèses à propos du théâtre documentaire », publié notamment en France dans les Lettres françaises en 1968. Dans le premier de ses quatorze articles, Peter Weiss indique que cette forme est avant tout un « théâtre du compte-rendu ». Avec ce texte influencé par le théâtre politique de Bertolt Brecht, l’auteur allemand pose les bases théoriques d’une dramaturgie à part mais aussi de ses conditions de représentation et des objectifs qu’elle doit atteindre. Il conclut ses quatorze thèses par ces mots : « Le théâtre documentaire affirme que la réalité, qu’elle qu’en soit l’absurdité dont elle se masque elle-même, peut s’expliquer dans 7 le moindre détail. »1 Le théâtre documentaire est pour Peter Weiss un montage basé sur la réalité politique, économique, historique d’une société. Comme le formule David Lescot, ce théâtre « repose sur la mise en tension dialectique d’éléments fragmentaires prélevés à même la réalité politique. (…) Il n’aspire pas à reproduire exactement un morceau du réel, mais à soumettre les événements historiques et actuels à une explication structurelle (…) »2. On voit ainsi la distinction qui s’opère entre le théâtre naturaliste, qui comptait placer sur scène des « tranches de vie » fidèles à la réalité, et le théâtre documentaire, qui cherche à apporter des explications à une situation réelle en s’appuyant sur des éléments empruntés à l’actualité. Mais dans la forme comme dans le fond, ces explications peuvent différer d’un spectacle à un autre. Il est intéressant à ce titre de comparer le mode de travail de Peter Weiss dans l’Instruction, qui traite d’un grand procès sous la forme d’un oratorio et celui de Nicolas Lambert. L’un fait un travail qui tend vers la choralité, l’effacement de l’individu : les victimes n’ont pas de nom, les acteurs jouent plusieurs personnages, les accusés sont nommés mais traités sous la forme du chœur. De son côté, Nicolas Lambert semble être allé dans le sens de la caractérisation des personnages, par l’imitation physique et vocale notamment. Pourtant, les deux auteurs ont assisté à leurs procès respectifs, ont pris des notes et effectué un montage à partir de ces matériaux textuels. Dans les deux cas, il reste à déterminer quel est le rapport entre la réalité du procès et le compte-rendu qui nous en est donné sur scène. Le rapport aux sources, à la réalité, se pose comme une des questions centrales de ce travail. En France, il est interdit d’enregistrer sur bande vidéo ou audio les débats d’un procès. Les magnétophones et caméras des journalistes sont confisqués à l’entrée des salles d’audiences. Il faut par conséquent prendre des notes à la main. Nicolas Lambert explique qu’il a noté des échanges en direct lors du procès, et qu’il les a ensuite complétés avec les comptes-rendus de la presse. Il a aussi ajouté des extraits de livres publiés avant ou après le procès. Quelques temps avant la création du spectacle, il a fait le choix de n’utiliser que 1 Peter WEISS, « Notes sur le théâtre documentaire » trad. Michel Bataillon, in Discours sur la guerre du Vietnam…, Paris, éditions du Seuil, 1968, p. 15. 2 David LESCOT, « Théâtre documentaire » in Lexique du drame moderne et contemporain, sous la direction de Jean-Pierre SARRAZAC, Paris, éditions Circé-Poche, 2005, p. 219. 8 des extraits déjà publiés dans la presse, afin de ne pas être taxé d’invention et poursuivi pour diffamation. À ce jour, aucun procès n’a été intenté contre lui. Ce montage est par définition partiel. Il y a donc dans l’écriture d’Elf toute une différence à faire entre la réalité d’une affaire, d’un procès, et sa retranscription en une « lecture » (la pièce est sous-titrée ainsi) qui s’attarde sur quelques épisodes en particulier (les commissions, les dérives immobilières) et une thématique en général (le système Elf et ses conséquences pour le continent africain). Je tenterais de mettre en lumière les choix de Nicolas Lambert en m’appuyant sur les coupures de presse du procès mais aussi, éventuellement, sur la retranscription des audiences par le greffe, autrement dit les « minutes » du procès Elf. Ensuite je chercherai à savoir si le montage au cœur de la pièce sert une vision en particulier, et laquelle. Nicolas Lambert, dans les prises de parole du personnage du raconteur, a manifestement un avis à donner sur cette affaire, ses protagonistes, ses conséquences pour notre société. Je tenterai de comprendre ce qui influence Nicolas Lambert dans sa lecture de ce procès. J’essaierai de voir si, comme le soulignait Bernard Dort, ce genre de théâtre peut dans certains cas se transformer en une pièce à thèse fermée sur elle-même1. Cette retranscription du procès Elf s’accompagne de tout le travail de mise en scène et d’interprétation de la part de Nicolas Lambert. Le spectacle, au dispositif très simple, fait appel à des esthétiques très différentes, qui tiennent au parcours de cet acteur comme à ses intentions. Le décor est excessivement léger. Côté jardin : une balance, représentant la justice, et les trois portraits présidentiels de Charles de Gaulle, François Mitterrand et Jacques Chirac. Au centre du plateau, un bidon bleu et blanc portant le sigle d’Elf, qui sert de pupitre au président du tribunal. Le jeu de lumières met en valeur les différents personnages, suivant leur position sur le plateau : à chaque personnage son emplacement et sa lumière. Je verrai tout d’abord si l’on peut parler de « one-man-show » en ce qui concerne le spectacle. Nicolas Lambert interprète tous les personnages en les imitant et les caricaturant. L’humour tient une place très importante dans le spectacle. Ce sont des 1 Bernard DORT, « Une propédeutique de la réalité », in Théâtre réel : Essais critiques 1967-1970, Paris, Seuil, 1971. 9 critères de comédie que l’on peut retrouver dans les spectacles de certains humoristes et chansonniers. Lambert emprunte aussi à la commedia dell’arte : les personnages ont des traits physiques immédiatement reconnaissables, des tics de langage qui les caractérisent et renvoient à ce type de jeu. Il s’agit là de l’apport du travail du comédien Lambert, qui a fait plusieurs stages de commedia dans sa carrière et s’en est servi pour créer ses personnages. Le cas d’André Tarallo est à ce titre tout à fait intéressant. Ayant oublié dans un premier temps les attitudes de M. Tarallo au procès, Nicolas Lambert s’est servi de techniques de la commedia dell’arte pour mettre en place son personnage. Il l’a ensuite retravaillé à l’aide de documents vidéo. Elf peut aussi être apparenté à une lecture : il s’agit d’ailleurs du sous-titre de la pièce. Durant toute la durée du spectacle, Nicolas Lambert passe un temps important derrière son pupitre et lit sa pièce, tournant sans cesse les pages des dossiers placés sous ses yeux. Nicolas Lambert joue Elf depuis près de deux ans, mais s’appuie toujours sur cette base écrite, qu’il ne cesse de consulter pendant toute la durée du spectacle. C’est aussi la lecture qui structure la représentation. Au fur et à mesure de la pièce, il tourne les pages des dossiers qu’il a devant lui. Et lorsqu’il a terminé une audience, c'est-à-dire une des quatre parties du spectacle, Nicolas Lambert referme son dossier, qui n’est autre que le texte du spectacle. Il y a aussi dans l’esthétique générale du spectacle un dispositif aux influences brechtiennes, dans lequel le comédien est un passeur, un raconteur, qui représente les personnages plus qu’il ne les interprète. J’étudierai particulièrement à ce sujet la place du personnage dit du raconteur. Est-il le simple « porte-voix » de Nicolas Lambert ou un personnage à part entière ? Est-ce le raconteur qui rentre dans la peau du président du tribunal et interprète les prévenus ? Je chercherai à démêler ces différentes hypothèses de jeu en s’appuyant sur l’analyse du spectacle et les entretiens menés avec Nicolas Lambert. À cette occasion, je m’interrogerai sur la forme du procès et sa représentation dans le théâtre politique et le théâtre de Brecht en particulier. Elf pose enfin la question de l’agit-prop, puisque ce théâtre parle d’actualité et véhicule dans son discours un message politique. Là encore je m’interrogerai sur le personnage du raconteur et de ses prises de position à la fin de la représentation. Si le spectacle se joue la 10 plupart du temps dans des théâtres, il faut prendre en compte la mobilité du dispositif d’Elf et ce que cela implique dans sa recherche d’un public différent. Je chercherai enfin à déterminer si ce théâtre documentaire n’est pas avant tout un théâtre politique, militant, et comment il est perçu. Le théâtre de Nicolas Lambert doit aussi être envisagé du point de vue de ses conditions de représentation, de la composition de son public et de la perception que celui-ci a du spectacle. Pour cela je chercherai également à étudier la façon dont Nicolas Lambert fait diffuser sa pièce. Elf ne bénéficie ni de subventions, ni du circuit de diffusion que la plupart des spectacles ont habituellement. La structure qui entoure Nicolas Lambert est réduite à quelques personnes. Ses moyens de production sont modestes. Au début de l’exploitation de la pièce, il semble ne pas s’être appuyé sur un réseau de programmateurs culturels. Il aurait par contre eu recours à des relais militants puis associatifs pour faire connaître puis jouer Elf partout en France. Depuis bientôt deux ans, on peut parler de vrai succès public pour Elf, la pompe Afrique. La pièce s’est jouée à de multiples reprises dans de petites salles parisiennes, comme les Déchargeurs ou la Fenêtre. Elle a été présentée dans le festival off d’Avignon en 2005 et doit l’être de nouveau en 2006. Un passage d’un mois au Théâtre du Chaudron, à la Cartoucherie est prévu à l’automne prochain, avant une tournée en Afrique de l’Ouest en mars 2007. Je souhaite m’interroger sur les relais d’opinion qui ont conduit à ce succès à la fois critique et public : associations, partis politiques, journalistes. Je chercherai à mettre en perspective l’influence de ces relais : font-ils d’Elf un spectacle engagé, une pièce politique ou une entreprise de propagande ? La réponse peut se chercher du côté des spectateurs. Le public de Nicolas Lambert est-il fait de militants, d’habitués du théâtre ou bien de gens qui viendraient s’informer différemment ? Retiennent-ils la dénonciation politique ou bien simplement les caricatures de personnages publics ? Je tenterai de répondre à ces question à travers une enquête réalisée à l’issue de la représentation, mais aussi en interrogeant des spectateurs au profil particulier : militants, animateurs en milieu carcéral, journalistes. Grâce à leur point de vue, j’essaierai de situer la limite entre l’entreprise artistique et la propagande. Nous verrons quel rôle peut jouer Elf la pompe Afrique, entre l’apport d’une information différente et l’engagement militant. 11 LA RÉCEPTION DU SPECTACLE Elf, la pompe Afrique est une proposition qui s’appuie sur le public à différents niveaux. Lors de la représentation, Nicolas Lambert le prend à parti lors de courts passages de transition. Les spectateurs sont physiquement impliqués dans le spectacle, puisque Nicolas Lambert invite les gens à se lever lors de chaque reprise d’audience, comme dans un vrai tribunal. Elf est aussi un spectacle qui fait réagir. Lors des représentations, on entend très souvent des réflexions outrées ou amusées, des soupirs et des interjections. Les spectateurs ne semblent jamais étrangers et simples voyeurs de ce procès. On a beaucoup parlé à ce titre d’un théâtre citoyen, qui fait appel au sens civique des gens. Elf appelle à la discussion et Nicolas Lambert le recherche, lui qui est présent à la sortie du spectacle, toujours prêt à débattre des thèmes abordés ou plus simplement à rappeler les raisons qui l’ont poussé à monter la pièce. I - Rapport au public et médiation 1) Les spectateurs D’après les réponses obtenues à la Fenêtre, et dont j’ai détaillé les résultats en annexe de ce travail (étude globale et étude au cas par cas), on peut tracer à grands traits les contours de ce public venu assister à Elf, la pompe Afrique lors des représentations de novembre et décembre 2005. Il s’agit manifestement d’un public jeune, qualifié, urbain et féminin. Les cadres et professions intellectuelles supérieures (dans lesquelles j’inclus les artistes et intermittents) sont surreprésentés. Il y a un nombre relativement important d’étudiants, ce qui semble logique au vu de la jeunesse du public (près de 25% a moins de 26 ans). Ces spectateurs déclarent aller régulièrement au théâtre, ce qui encore une fois semble cadrer avec leur origine géographique et sociale. Ce sont des urbains, habitant dans ou près de Paris, c'est-à-dire là où les propositions culturelles sont les plus nombreuses en France. 12 Toutes ces données permettent de penser que le public d’Elf à la Fenêtre n’est pas un public issu des couches populaires venu pour comprendre la marche du monde à travers un spectacle. Même si ce public ne semble pas être un public d’habitués au sens strict du terme : il est certainement plus jeune qu’ailleurs. Il faut aussi préciser que Nicolas Lambert ne se contente pas de jouer à Paris ou en région parisienne. Il fait tourner sa pièce partout en France, souvent dans des petites villes et des zones rurales, où la proportion d’habitués du théâtre doit sans doute être plus faible. C’est dans ce sens que l’on peut avancer qu’Elf s’adresse à un public légèrement différent de celui que l’on rencontre d’habitude dans les salles du théâtre subventionné et du théâtre privé parisien. Le spectacle, léger et mobile, peut aller à la rencontre de ses spectateurs. Nicolas Lambert ne se contente pas de jouer dans des théâtres : il est présent dans des salles des fêtes, des squats, des cafés, des assemblées générales d’association. La question de la politisation de son public est délicate. Dans le cas de la Fenêtre, on ne peut pas parler d’un public militant à proprement parler. Le pourcentage des spectateurs venus sur les conseils d’une association (comme ATTAC ou Survie) est négligeable. Mais l’écrasante majorité des spectateurs se déclare de gauche ou d’extrême gauche. À cela j’avancerai deux explications : avant le spectacle, on s’attend à une dénonciation du pouvoir et de l’argent, surtout en référence au titre de la pièce. En ce sens, l’horizon d’attente des spectateurs est en règle générale centré sur deux aspects : la reconstitution du procès et la dénonciation d’un système politico-financier jugé (ou pré-jugé) inacceptable. Ces éléments font que le public de gauche ou d’extrême gauche, plus sensibilisé à ces questions de dénonciation de l’argent et du pouvoir, se déplace plus facilement pour le spectacle. Il y a aussi le contexte de la représentation du spectacle : dans le hall d’entrée du théâtre on peut trouver une petite table sur laquelle sont disposés des tracts de l’association Survie et des livres consacrés à la Françafrique. Il y a ensuite les déclarations finales de Nicolas Lambert, qui peuvent résonner comme un appel politique, puis les discussions qui se poursuivent dans le hall. Même si la Fenêtre n’est pas un lieu politisé, comme pourrait l’être un squat d’artiste ou une salle de réunion d’ATTAC, ce contexte incite certainement les gens à être plus attentifs à une vision sociale et politique du monde. 13 2) Attentes du public En ce qui concerne le succès public de la pièce, la première chose à prendre en compte reste le bouche à oreille. Elf a bénéficié d’une couverture médiatique importante eu égard à son sujet et à la modestie de son économie. Mais une majorité des spectateurs se rend d’abord au spectacle parce qu’un ami leur en a parlé. C’est ce qui fait une des forces de ce spectacle. Comme il est à la marge des circuits de diffusion classique, mais qu’il a du succès, on est fier d’y assister, de le découvrir. C’est un secret bien mal gardé. D’ailleurs cette perception est en partie fausse, car si Elf disposait dans les premiers temps de son exploitation d’un réseau de diffusion pour partie aléatoire, du moins, le spectacle a rapidement eu un écho dans la presse. Et cela a continué pendant de larges mois : les articles et les passages radio et télé s’étalant sur une longue période, au gré des passages de la pièce à Paris. On peut parler d’une vraie attente en ce qui concerne l’affaire Elf. C’est le premier élément cité parmi les raisons qui ont poussé les spectateurs à se déplacer. Il est vrai que cette affaire et le procès qui en a découlé semblent intéresser les Français. Pour preuve le succès de l’Ivresse du pouvoir, le film de Claude Chabrol sorti en 2006 : plus d’un million d’entrées. Cette affaire a occupé l’actualité pendant de longues années (souvent pour ses aspects les plus sensationnels, il faut l’avouer). Cependant une très grande partie des spectateurs se considéraient comme « pas du tout informés » sur le procès avant de voir la pièce. Conséquence : lorsqu’ils assistent au spectacle, ils sont d’abord face à une source d’information. La représentation du procès est une des raisons principales qui pousse le spectateur à venir. Elf est donc clairement perçu comme un document, comme un fragment de vérité. D’ailleurs, malgré la caricature, les personnages campés par Nicolas Lambert sont jugés « proches de la réalité » dans toutes les réponses que j’ai eu à répertorier. C’est la preuve que cette prégnance du réalisme, du documentaire, est perçue par le public, dont une partie peut ne pas remettre en cause l’origine des sources ou l’interprétation qu’en fait Nicolas Lambert. 3) Rapport aux médias Les médias et les journalistes sont d’après les sondages sujets de toujours plus de méfiance de la part des Français. Ici, un comédien explique simplement qu’il a assisté au procès et qu’il va nous le représenter tel qu’il s’est déroulé. Le spectacle, la caricature, la 14 musique… Pour le public, il n’en reste pas moins que ce comédien, ce citoyen, a tout vu, tout entendu et qu’il est certainement plus crédible qu’un journaliste. Une spectatrice le formule très bien dans un des questionnaires, sous la forme d’une adresse directe au comédien : « Merci d’avoir suivi pour nous les quatre mois de procès et d’en avoir fait une reconstitution si ludique ; et de mettre en perspective l’attitude du PDG suivant. » « Reconstitution » : c’est l’action de rétablir dans sa forme, dans son état d’origine, en réalité ou par la pensée, une chose disparue. On parle de reconstitution historique, ou de la reconstitution d’un crime. Pour cette spectatrice d’Elf, Nicolas Lambert ne représente pas l’action du procès, il la reconstitue. Ses personnages, même caricaturaux, sont perçus comme proches de la réalité. En posant dès le début de la pièce la question du témoignage (avec la mise en scène de l’introduction du comédien raconteur dans la salle d’audience) Nicolas Lambert imprime l’idée que ce qu’il va jouer est un document en direct. Et beaucoup de spectateurs le perçoivent comme tel. L’impression donnée d’une affaire incroyable, hors du commun, peut renforcer une certaine défiance à l’égard de la presse traditionnelle, qui serait coupable d’avoir passé sous silence le procès. Le « merci d’avoir suivi pour nous les quatre mois du procès » que je citais plus haut, devrait en principe être adressé à un journaliste, dont le métier est précisément d’assister à un événement puis de le retranscrire pour le public. Nicolas Lambert adresse quelques critiques envers les médias dans le spectacle. Entre la première et la seconde audience, le Raconteur s’adresse au public. Le passage n’est pas présent dans le texte publié par les éditions Tribord, mais dit à peu de choses près ceci : « Je me suis installé dans les rangs réservés à la presse parce que c’est à cet endroit qu’il restait de la place. Il existe aujourd’hui peu de médias qui ont les moyens de payer des journalistes pour suivre un procès pendant quatre mois comme je l’ai fait. Et puis peut-être que certains médias ont pu penser que ça pouvait ne pas intéresser leurs lecteurs. À l’époque c’était le Loft qui faisait la Une… » Cette prise de parole accrédite la thèse selon laquelle Nicolas Lambert, grâce à son spectacle, nous parle de quelque chose auquel nous n’avons pas eu accès. Sa critique ne s’adresse pas aux journalistes en tant qu’individus : sur les bancs de la presse, il les a côtoyé et a pu apprécier leur travail. De plus son spectacle est essentiellement constitué de coupures de presse. Ceci étant dit, Nicolas Lambert reproche aux médias, aux entreprises de presse, de ne pas s’être suffisamment intéressés à ce procès. 15 Nicolas Lambert a raison sur un point : la plupart de ses spectateurs ignorent totalement ce dossier. D’après mes statistiques, plus de 80% du public de la Fenêtre ne s’estimaient pas bien informés sur cette affaire. C’est ce que confirme Pascale Robert-Diard, journaliste, chroniqueuse judiciaire du Monde, qui a à la fois suivi les audiences et le spectacle Elf, la pompe Afrique. « Ce qui m’a frappée quand je suis allée voir son spectacle, c’était le public. Il y avait beaucoup de jeunes. Il s’agissait d’un public très militant, manifestement alerté par tous ces réseaux-là. J’ai bien vu qu’ils se marraient et je me suis dit : « Mais ils n’ont donc rien lu ? Ils découvrent l’affaire ! » Ils ont eu l’impression de découvrir quelque chose qu’on leur avait caché. On ne leur a pas caché : ils ne l’ont pas lu. »1 Pour le grand public (et accessoirement pour moi-même) l’affaire Elf se limitait à une histoire de luttes d’influence au sommet de l’État, avec son lot de scandales et de manipulations, qui se sont cristallisés autour de l’affaire Roland Dumas. Nicolas Lambert a suivi le procès « principal » d’Elf, celui qui a trait au système des caisses noires de l’entreprise pétrolière. Ce procès a fait l’objet d’une couverture qui semble relativement importante pour une affaire de ce genre, au regard des nombreux articles qu’il a suscités dans la presse nationale. Si finalement le public, dans sa très grande majorité, a eu le sentiment de découvrir cette affaire à la vision Elf, la pompe Afrique, c’est peut-être que son attention était portée ailleurs au moment du procès. Nicolas Lambert émet l’hypothèse que les grands médias ont considéré que cela n’intéressait pas leurs lecteurs. Le 17 mars 2003, lorsque le procès s’ouvre à Paris, l’actualité est en fait largement focalisée sur l’ultimatum accordé par l’administration américaine au régime de Saddam Hussein en Irak. Les premiers bombardements de la coalition menée par les Etats-Unis ont lieu le 20 mars. Or, aujourd’hui, sur la plupart des procès, y compris les plus médiatisés, les médias ne se déplacent dans leur ensemble qu’à certains moments clés, comme lors de l’ouverture par exemple. Seuls les grands quotidiens d’informations effectuent un travail de suivi. Il est donc vrai que pour une personne ne s’informant que par la télévision par exemple, ce procès a pu passer totalement inaperçu. Cette polarisation de l’actualité, qui n’a pas forcément eu lieu en faveur d’une émission de téléréalité en ce mois de mars 2003, Pascale Robert-Diard la reconnaît totalement : 1 Entretien avec Pascale Robert-Diard, Annexes, p.37 16 « Il faut rappeler aussi que le procès commence au moment du déclenchement de la guerre en Irak. Moi je suis au procès et il s’y passe des choses incroyables ! Je suis excitée comme une puce ! Sauf qu’on me dit que j’exagère, parce que le Monde fait six pages International sur la guerre. Et puis un procès, quand il s’ouvre, c’est toujours pareil. Nous sommes en 2003 et on parle de faits qui ont eu lieu de 1989 à 1995. Tout ça paraît être l’Antiquité. Alors après on vient nous dire : « C’est incroyable cette histoire et ça a été censuré. » Pas du tout ! (…) Il y a plein de gens qui sont passés à côté des deux premières semaines parce que la polarisation de l’actualité était ailleurs. »1 4) Un vecteur d’information Les médias auraient donc rempli leur rôle dans le suivi de l’affaire Elf et de son procès. Il n’empêche que le spectacle de Nicolas Lambert semble répondre à un vrai besoin : celui d’assister à une affaire politico-financière hors du commun afin d’en comprendre les tenants et les aboutissants. Comme l’explique Pascale Robert-Diard, Nicolas Lambert « a été un vecteur d’information. C’est comme le Net, comme un blog : il s’est créé un public, un public qui ne lit pas les journaux. Mais ce n’est pas de la faute des journaux. »2 Si ce dernier point (« ce n’est pas la faute des journaux ») pourrait être nuancé, le fait est que Nicolas Lambert a effectivement trouvé son public. En ce sens, et comme le souligne Pascale Robert-Diard, il participe d’un mouvement d’appropriation des structures de l’information qui s’est considérablement accéléré depuis l’apparition de l’Internet. Les blogs, ou blogues, sont des sortes de journaux personnels mis à la disposition de tous sur la Toile. Les auteurs peuvent faire part de leurs expériences personnelles mais aussi évoquer l’actualité. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que beaucoup de journalistes disposent de leur propre blog, comme si l’espace traditionnel d’un journal ou d’une chaîne de télévision ne suffisait plus. Dans le cas de Nicolas Lambert, c’est le théâtre qui est le relais de son message, de sa version du procès, mais l’intérêt du public (bouche à oreille, interrogations sur la citoyenneté, débats) peut être rapproché de ce qui se déroule dans la sphère de l’Internet. 1 2 Idem, p. 37 Idem, p. 37 17 Nicolas Lambert se place dans le rôle du témoin, posture qui évoque évidemment le théâtre de Bertolt Brecht. Avec cette posture, il s’est trouvé un public, en attente d’informations sur un procès qui avait été partiellement oublié. Je souhaite maintenant m’intéresser à la perception par le public de la justice que Nicolas Lambert représente. 18 II La perception de la justice Elf, la pompe Afrique est aussi la représentation d’un procès. La justice a souvent été mise en scène au théâtre, et notamment dans le théâtre documentaire, comme dans l’Instruction de Peter Weiss ou le Dossier Oppenheimer de Jean Vilar. L’intérêt n’est pas de faire ici une comparaison de ces représentations mais de voir quelle est la perception des spectateurs devant la justice présentée ici. 1) Un condensé du procès La représentation du procès en tant que tel est un des aspects que les spectateurs de la Fenêtre ont retenu, d’après les réponses au questionnaire. Il y a dans Elf une représentation partielle de la justice, due à la forme même du spectacle. Nicolas Lambert est seul en scène, il interprète tous les personnages à tour de rôle. Il ne peut donc pas retranscrire sur scène toute la théâtralité d’un grand procès : le nombre important de personnes présentes dans une salle d’audience, les robes des magistrats, toutes les procédures… Il semble par contre avoir saisi l’essence du procès Elf, selon Pascale Robert-Diard, qui a assisté aux mêmes audiences que lui : « J’ai retrouvé les meilleurs moments de ce procès, y compris les plus anecdotiques, mais qui étaient très significatifs. (…) On voit surtout qu’il y avait des échanges, des dialogues extraordinaires. Nicolas Lambert aurait pu en faire dix fois plus ! Il n’a pris que le meilleur : il avait l’embarras du choix. »1 Ce témoignage d’une journaliste qui a assisté au procès montre qu’Elf peut être perçu comme une bonne synthèse de ce qui a été dit lors de ces quatre mois. Même si le terme de « reconstitution », évoqué plus haut par une spectatrice, paraît amplement exagéré, Nicolas Lambert a, pour son public, mené ce qu’on pourrait appeler une opération de « condensation ». La condensation est un phénomène physique par lequel une vapeur diminue de volume et augmente d’intensité. Cela semble le propos de la pièce : ramasser tout un procès sur quelques épisodes clés, pour en donner une vision globale. Dans Elf, la 1 Entretien avec Pascale Robert-Diard, p.34 19 pompe Afrique, la condensation donne aussi une image de la justice, du judiciaire, que Jean-Pierre Dufranc, conseiller d’insertion pour les détenus de la prison de Fresnes, résume en ces mots : « La justice infantilise énormément. (…) Ce que j’ai trouvé drôle (…) c’est que le côté théâtral de la justice fait des personnages des sortes de bouffons, alors que ce sont en principe des gens qui « présentent bien ». Ce n’est pas le cas des gens que l’on suit à Fresnes : 99,9 pour cent sont blacks et beurs. Mais dans cette façon d’être démuni, au moins on se rend compte que tout le monde est égal face à la justice. » 1 2) Des personnages transformés en bouffons Pour Jean-Pierre Dufranc, qui a vu le spectacle et peut le mettre en résonance avec son expérience du milieu pénitentiaire, cette histoire de délinquance en col blanc permet une mise à distance du judiciaire. Selon ce spectateur, tout est tourné en ridicule dans le spectacle : le président du tribunal, les avocats, les prévenus. Il met ainsi en avant le fait que Elf donne à voir une justice face à ses propres contradictions, ses propres doutes. On pense au passage dans lequel le président du tribunal arrête implicitement Loïk Le FlochPrigent dans ses révélations sur le financement du monde politique. Jean-Pierre Dufranc fait partie de ces spectateurs qui voient dans Elf un jeu de massacre dans lequel les personnages ne sont que des pantins ridicules. Ces gens qui « présentent bien » sont pris la main dans le sac, comme de vulgaires voleurs de friandises. Cette vision du spectacle est accentuée par la dimension comique des caricatures physiques de Nicolas Lambert, mais avant tout par les dialogues et les situations pittoresques du procès, notamment lors des interventions du personnage d’André Guelfi. 3) Des hommes qui sortent du quotidien Ces personnages hauts en couleur, ces dialogues comiques accentuent à l’opposé l’impression d’être face à des personnages d’une humanité profonde. C’est très clairement l’impression qui se dégage des questionnaires distribués à la Fenêtre. La dimension humaine des personnages et de la justice en général est quelque chose qui revient 1 Entretien avec Jean-Pierre Dufranc, p.41-42 20 beaucoup dans les réponses des spectateurs. Le spectateur C, par exemple : « La caricature des personnages du procès révèle une tendresse à l’égard de leur faute et leur comportement. Un zoom sur l’humanité malgré tout. » Ou le spectateur D : « Comment réagirions-nous dans cette folie des grandeurs ? Ces hommes, rendus devant leur responsabilité dans l’histoire, ont piètrement réagi. » 1 « Faute », « Folie des grandeurs », « Responsabilité » : ces spectateurs se placent évidemment dans une posture morale. Le public est pris à parti par le spectacle de Nicolas Lambert, comme s’ils étaient spectateurs d’un procès : on le fait se lever à chaque reprise d’audience, comme dans un vrai tribunal. Les spectateurs deviennent en quelque sorte les jurés imaginaires de ce procès en correctionnelle2. Ce qui explique peut être aussi les termes de « tendresse », « faute », et surtout d’« humanité » qui se trouvent dans ces témoignages. À l’opposé de la sensation d’assister au dernier tour de piste de pantins désarticulés, Elf, la pompe Afrique nous place dans la peau d’un juge de moralité qui aurait face à lui des individus exceptionnels à juger. Il est difficile de faire la part entre l’admiration et le dégoût face à des personnages comme celui d’Alfred Sirven ou d’André Guelfi. Pascale Robert-Diard a rencontré ces prévenus, dans la même situation que Nicolas Lambert. Elle a eu la sensation d’être en contact avec des personnages hors du commun. « La vie d’un homme ne se résume pas à ce qu’il a fait les dix dernières années de sa vie professionnelle. (…) Ce sont des gens qui sont extrêmement respectables, pas au sens des conventions mais ils ont fait des choses de leur vie, même si par ailleurs ils ont fait d’énormes erreurs. »3 Nicolas Lambert lui-même ne cache pas sa sympathie, toute relative, pour ses personnages : « Quand je les joue, je les défends, quand je ne les joue pas ils m’énervent. Je suis sincère quand je dis que je veux les défendre. Je crois qu’il ne faut pas s’acharner sur Le Floch Prigent. Et la mort d’Alfred Sirven m’a vraiment fait quelque chose ! (…) J’ai essayé 1 Etude spectateurs, p. 55 Le recours à un jury populaire n’existe qu’en cour d’assises. 3 Entretien avec Pascale Robert-Diard, p.35 2 21 d’être objectif pour que le public se fasse son opinion. C’est suffisamment accablant pour eux. »1 En ce qui concerne l’appréciation des personnages du spectacle, il me semble donc qu’il se dégage de grandes disparités. D’un côté, il y a le rejet et la mise à distance de figures qui peuvent paraître ridicules. Ils n’assument pas leurs actions passées, se défaussent sur les autres et sont finalement pris au piège de la justice. Mais ce sont des puissants, des hommes qui ont été à la tête de grandes entreprises françaises. Le public peut avoir l’envie de prendre à parti ces personnages. D’ailleurs les réflexions fusent dans les rangs des spectateurs. Lors des représentations, il n’est pas rare d’entendre des cris d’indignation. Le spectacle est aussi très drôle : une part des rires est de l’ordre de la moquerie à l’attention de ces hauts dirigeants transformés en bouffons. Mais d’un autre côté, Elf, la pompe Afrique nous met en contact avec l’humanité profonde de ces hommes. Nicolas Lambert le dit lui-même : il a besoin de défendre chacun de ses personnages. Loïk Le Floch-Prigent ou Alfred Sirven ne sont pas que ridicules. Lors d’un procès, on juge des faits, mais on prend aussi en compte la personnalité des prévenus. Nicolas Lambert a fait le choix de conserver ces passages, où les personnages s’expliquent sur leur passé. De ce fait les spectateurs sont dans une posture de juré. Dans les réponses au questionnaire, les avis sont très tranchés sur la sympathie ou l’antipathie supposée de Le Floch, Sirven ou les autres. Le procureur de la République a par exemple été cité à de nombreuses reprises par les spectateurs comme étant très antipathique, alors que sa présence est réduite à deux interventions en fin d’audience. Mais au bout du compte, force est de constater qu’aucun personnage ne sort indemne. Par exemple Alfred Sirven est parfois noté comme étant un individu sympathique, parfois antipathique. Dans ces réponses, je n’ai pas pu tirer de règle d’or. Tout est à l’appréciation toute subjective et personnelle du spectateur. Nicolas Lambert, dans sa représentation du procès, semble avoir laissé la place au public, qui conserve la liberté de défendre ou de condamner tel ou tel. Elf, la pompe Afrique, par le biais du théâtre documentaire, laisse le spectateur seul juge des hommes présents au procès et que Nicolas Lambert interprète à tour de rôle. Comme 1 Entretien avec Nicolas Lambert, p.29 22 le comédien l’explique à la fin de la représentation, ce sont des hommes qui répondaient de leurs actes devant la justice. Ce sont eux que l’on a condamnés. Mais Elf, la pompe Afrique a une autre ambition : celle de mettre en question le système Elf dans son entier. Ce système « qui a contribué à la dépossession des peuples africains de leur richesse en stimulant des guerres et dévastant les biens publics au nom de notre République. »1 Dans cette conclusion à son spectacle, Nicolas Lambert prend très clairement parti. Je chercherai à déterminer si ces prises de position tirent Elf du côté de l’entreprise militante et si cela est perçu par le public. 1 Nicolas LAMBERT, op. cit. , p.88 23 III La dimension militante Elf, la pompe Afrique, semble se singulariser par la dimension ouvertement militante de son auteur et du spectacle en général. À la sortie, les spectateurs, galvanisés par la pièce, paraissent enthousiastes devant la portée politique de la représentation, à l’image de la spectatrice C : « Je ne sais pas si ce théâtre-là doit devenir un genre, cependant c’est aussi le rôle du théâtre, c’est salutaire et cela nous prend pour des citoyens, un public citoyen. À programmer pour tous, pour les ados aussi, pour les forums-débats que cela peut générer. »1 1) Un théâtre citoyen ? Théâtre citoyen : ce terme revient fréquemment à propos du spectacle. Je ne tenterai pas ici de définir ce qui pourrait être constitutif de ce « théâtre citoyen ». Mais il me semble important de souligner que le mot « citoyen » est aujourd’hui très souvent accolé à toute initiative d’ordre social ou politique. Faire s’intéresser le plus grand nombre aux affaires de la cité, c’est faire quelque chose de citoyen, mais c’est surtout faire de la politique au sens premier. Elf semble participer de ce mouvement « citoyen » : il met le spectateur face à une situation judiciaire mais il s’agit d’un prétexte pour parler de problèmes politiques. Les spectateurs, même les moins politisés, semblent avoir conscience de cette entreprise politique. Comme nous l’avons évoqué plus haut, Nicolas Lambert ne se contente finalement pas de mettre en éveil ses spectateurs. Il les incite de façon succincte dans le spectacle à s’intéresser aux problèmes liés au rapport de la France avec ses anciennes colonies africaines. La table de presse présente dans le hall de la Fenêtre, mais aussi dans la plupart des endroits dans lesquels Nicolas Lambert se produit, est un prolongement du spectacle. On y trouve des livres en rapport avec le développement de l’Afrique et ses problèmes. 2) Le compagnonnage de l’association Survie 1 Etude spectateurs, p.55 24 Ces ouvrages sont ceux édités par l’association Survie, qui dénonce les dérives des rapports franco-africains depuis 1984. Son secrétaire général, Fabrice Tarrit, a découvert la pièce en 2004, lors des premières représentations. Il a compris que Nicolas Lambert cherchait à compléter sa pièce par des sources d’information militantes. Survie et Nicolas Lambert ont commencé une sorte de compagnonnage. Dans l’esprit de Nicolas Lambert, le spectacle méritait d’avoir des compléments d’information, car le procès Elf n’a fait qu’effleurer le thème de l’exploitation de l’Afrique, qui constitue le cœur du scandale selon lui. Pour Survie, le spectacle donne une visibilité différente à l’association et permet de sensibiliser de nouveaux publics, comme l’explique Fabrice Tarrit. « Les milieux militants sont venus parce que c’était un spectacle militant. Les personnes qui sont dans l’univers artistique sont venues parce qu’on leur a dit que c’était un bon spectacle, indépendamment du sujet qu’il traite. Des personnes qui ne se sentaient pas forcément militantes ont pu avoir envie de connaître plus le sujet en regardant le stand de l’association. Nous avons eu pas mal d’écho à ce niveau-là. »1 Dans cette démarche de sensibilisation, les différents groupes régionaux de l’association Survie ont invité le spectacle un peu partout en France. Lors des premiers mois de l’exploitation d’Elf, ces quelques dates ont constitué un soutien non négligeable pour Nicolas Lambert, qui ne bénéficiait d’aucune subvention. Depuis, même s’il n’est pas adhérent de l’association, il est devenu une sorte de compagnon de lutte, prêt à faire connaître les combats de Survie. C’est notamment ce qui s’est passé lors de l’enregistrement de l’émission de Daniel Mermet sur France Inter. Pour Fabrice Tarrit, il n’y a pas nécessairement de mélange des genres entre ce spectacle et les missions de l’association Survie : « Nicolas Lambert ne parle pas au nom de Survie. On ne lui demande pas ça ! (…) Il a participé à des débats avec Survie, il fait partie de cet univers-là, mais avec sa légitimité d’artiste et son identité. (…) Il y a des gens qui découvrent l’association grâce à la pièce, mais il n’y a pas de passage obligatoire par le stand. Parfois, quand la représentation est organisée par Survie, il y a quelqu’un qui vient présenter l’association. Mais chacun respecte la démarche de l’autre. Ce n’est pas fusionnel. Nicolas Lambert n’est pas là pour 1 Entretien avec Fabrice Tarrit, p.46 25 faire la pub de l’association. Après il est vrai qu’il vient très rapidement après le spectacle voir les gens, leur parler de Survie, leur parler d’Elf. Mais il ne fait pas de propagande : il n’est pas derrière le stand, il se met à côté, il répond aux questions. »1 Nicolas Lambert et Survie se soutiennent mutuellement, collaborent ensemble à la réalisation de projets communs, comme l’édition du texte ou la future tournée africaine. Ces projets semblent se faire au coup par coup. Il n’y a pas de pacte scellé entre les deux partis. Comme dans le milieu militant, on fonctionne en réseau, on met en commun les compétences tout en restant dans ses objectifs particuliers. À plus grande échelle, le mouvement altermondialiste dans son ensemble fonctionne sur ces mêmes principes. En offrant une vitrine à une association comme Survie, Nicolas Lambert participe-t-il à cette action militante ? Est-ce perçu comme tel par le public ? Les spectateurs semblent réceptifs à la dimension citoyenne, politique de son travail. Le spectacle amène un certain nombre de questions, il appelle à la discussion. L’attitude de Nicolas Lambert à l’issue du spectacle est à la fois celle du citoyen, qui se met à la hauteur de ses spectateurs pour discuter avec eux, et celle du militant, qui conseille aux personnes qui le souhaitent d’approfondir le sujet par des lectures. Le spectacle devient le lieu de rencontre entre ces deux univers : le citoyen et le militant. C’est ce qui fait d’Elf, la pompe Afrique, une proposition théâtrale passionnante, parce que singulière, entre le Document, le Politique et le Militant. 1 Idem, p.45-46 26 ANNEXES 1) Entretiens : a - Nicolas Lambert, auteur, metteur en scène et interprète d’Elf, la pompe Afrique. b - Pascale Robert-Diard, journaliste, chroniqueur judiciaire au Monde c - Jean-Pierre Dufranc, conseiller d’insertion au SPIP 94 d- Fabrice Tarrit, secrétaire général de l’association Survie 2a) Questionnaire distribué aux spectateurs de la Fenêtre 2b) Analyse statistique des réponses au questionnaire 2c) Etude au cas par cas 3) Bibliographie commentée 27 Entretien réalisé avec Nicolas Lambert le 1er février 2006. Question : Quelle était votre intention en écrivant Elf, la pompe Afrique ? Nicolas Lambert : J’avais une idée de départ : Le Floch Prigent et un gamin responsable d’un petit larcin dans une cellule. Je voulais voir comment la délinquance des élites et celle de la rue pouvaient se rencontrer. J’ai d’abord pensé que ça pourrait donner lieu à une émission de radio. Et puis finalement j’ai écrit quelque chose directement sur le procès, avec un avant-propos plus développé. À force d’en parler, on m’a un peu forcé à le jouer. J’ai recentré le tout et la première version a été une lecture du texte : une lecture du procès. Les deux passages principaux d’adresse au public étaient-ils écrits depuis le début ? Ce sont des improvisations qui sont devenues récurrentes. Celle du milieu a été imaginée dès l’écriture. Il s’agissait de réussir à faire se lever les spectateurs. Cela structure la pièce. Comme elle est écrite en audiences, le public devient le public du tribunal. Cela justifie aussi la position du raconteur. Comment est né ce personnage du raconteur ? J’ai utilisé mon clown, mon moi profond de gars qui hésite. Je l’avais déjà utilisé dans un spectacle de mon ancienne compagnie, Charlie Noé, qui s’appelait l’Apéro Opéra. J’étais le guide qui racontait l’histoire de l’opéra aux spectateurs. Ce raconteur reste un personnage. Je l’ai nourri de ma personnalité, mais ce n’est pas que moi. Il peut être repris par d’autres acteurs, je ne les oblige pas à avoir tous mes tics de jeu ! Le raconteur est-il le personnage le plus proche de vous ? Je suis entièrement dans la peau de tous mes personnages quand je les joue. Sauf à la fin, quand les gendarmes emmènent André Tarallo en cellule et que je précise que c’est extrêmement rare comme procédure. 28 Alors le personnage du président peut-il être vu comme votre représentant sur scène, lui qui mène les débats et structure la pièce ? C’est vrai que les résumés du président du tribunal sont faits avec mes mots. Durant les audiences, un président de tribunal ne rappelle pas autant les faits. Il annonce juste au tout début sur quels dossiers vont porter les questions, là où on va. Mais des baratins comme celui sur le procès Dumas, ça n’arriverait pas à l’audience. Je me suis donc servi de lui comme d’un guide. Il avait ce côté pédagogue. D’ailleurs, d’après des journalistes comme Pascale Robert-Diard qui ont assisté au procès puis au spectacle, le président Desplan était le plus ressemblant. Comment les différentes caricatures, les imitations, sont-elles nées ? J’ai modifié, retravaillé les personnages depuis les premières représentations. J’ai arrêté de faire Le Floch Prigent qui se gratte la barbe1. Les problèmes de peau de Le Floch sont connus du grand public, mais ça ne rajoutait rien, c’était anecdotique. Et d’ailleurs, aux audiences, il ne le faisait jamais. En fait, chaque personnage a un tic. J’ai eu un vrai problème avec André Tarallo. D’abord, je n’aime pas ce type. Or il faut que j’aime mes personnages pour pouvoir les défendre. Là, je n’arrivais pas à trouver le biais pour me mettre à l’aimer. Du coup j’en ai fait un personnage de commedia dell’arte, un vieillard ridicule. Des journalistes qui ont vu le spectacle m’ont dit que Tarallo était complètement raté. Et un jour, l’un d’entre eux m’a donné une cassette dans laquelle il parlait. J’ai tout retravaillé grâce à ça. Votre position sur les protagonistes de cette affaire a-t-elle changée ? Quand je les joue, je les défends, quand je ne les joue pas ils m’énervent. Je suis sincère quand je dis que je veux les défendre. Je crois qu’il ne faut pas s’acharner sur Le Floch Prigent. Et la mort d’Alfred Sirven m’a vraiment fait quelque chose ! Même Tarallo je le défends. Le directeur financier reste à mes yeux le plus sympathique, parce qu’il est le seul à prendre ses responsabilités. Le directeur financier a le mérite de reconnaître qu’il a profité du système. Mais je ne voulais par pour autant imposer ma vision des personnages. 1 Note de l’auteur : lors d’une représentation en avril 2006 j’ai pu constater que Nicolas Lambert avait réintroduit dans son spectacle les grattements de barbe de Loïk Le Floch-Prigent. 29 J’ai essayé d’être objectif pour que le public se fasse son opinion. C’est suffisamment accablant pour eux. Je voulais vraiment faire un documentaire. Quelle place tient la pédagogie dans ce documentaire ? Je ne voulais pas faire une tranche de vie, mais quelque chose d’extrêmement pédagogique. Je voulais notamment qu’on comprenne qu’avant le procès, il y a l’instruction. La première demi-heure du spectacle c’est l’exposition. On plonge dans un truc mais pourtant cela reste accessible à tous. J’ai appris ça chez Marivaux. J’ai toujours trouvé la première demi-heure des pièces de Marivaux très chiante mais très intéressante. Il y a des intermèdes musicaux dans le spectacle. Existent-ils depuis le début des représentations ? Oui, mais pas tout le temps avec les mêmes musiciens. Nicolas Bacchus a participé, Seydina Insa Wade et Hélène Billard aussi. Les chansons sont originales et ont un rapport avec le procès Elf. La musique est cantonnée à ces intermèdes, mais au départ je pensais que les personnages du procès allaient chanter eux-mêmes. J’avais trouvé une chanson pour Alfred Sirven. Quand le président lui demande comment il a pu en arriver là, Sirven aurait entonné une chanson de Léo Ferré, Le Temps du tango : « Moi je suis du temps du tango / Où même les durs étaient dingos… » Mais je n’ai pas eu le temps de trouver une chanson pour tous. Je voulais trouver un moyen de révéler leur moi profond. La musique a pour moi ce quelque chose de supérieur et d’immédiatement efficace. Pendant que j’assistais au procès je me disais : « Là Sirven pourrait se mettre à chanter. » Ce sont ces parenthèses que j’aurais aimé exprimer. Dans Elf, il y a des instants un peu décalés, notamment grâce au personnage d’André Guelfi… Le coup du placard de la grand-mère et du piment de Cayenne, ce sont les premiers propos que j’ai notés. Le lendemain, je ne l’ai lu nulle part dans la presse. J’ai trouvé ça dommage. Guelfi, c’est un personnage, mais c’est surtout le genre de gens qui permettent de comprendre tout le système. 30 Entretien réalisé le 27 avril 2006 avec Pascale Robert-Diard, journaliste judiciaire au Monde. Elle a assisté aux audiences du procès Elf et a réalisé une critique du spectacle Elf, la pompe Afrique, publié le 9 janvier 2005. Question : Comment avez-vous suivi le procès Elf ? Pascale Robert-Diard : Je suis sans doute la seule à être restée du début à la fin. C’est la tradition du journal. Pour le procès Elf, il était évident pour nous qu’on ne pouvait pas en lâcher une seule audience. Le principe de la chronique judiciaire dans ce journal, c’est que quand on commence une affaire on la suit. D’une part on assiste à toutes les audiences de débat, et quand on a assisté au réquisitoire de l’accusation on doit aussi écouter les plaidoiries. Ce principe est en train de connaître de plus en plus d’exceptions, pour des problèmes de moyen et de temps parce que tous les procès s’allongent. Ils durent maintenant au minimum trois semaines. Sur Elf, j’ai assisté à tout, comme le journaliste de l’AFP (Agence France Presse). Libération a beaucoup suivi aussi. En ce qui concerne les autres médias, l’erreur à ne pas commettre serait de penser qu’Elf a connu un traitement particulier. Je pense qu’il y a peu de procès qui ont été autant suivis. Mais aujourd’hui, pour tous les procès, vous aurez tous les journalistes à l’ouverture et le lendemain il n’y aura plus personne, à l’exception de la presse écrite, qui a une tradition de chronique judiciaire. Les chaînes de télé n’ont pas les moyens aujourd’hui, d’envoyer une équipe pendant deux mois sur un procès. Durant ces quatre mois, vous alliez aux audiences tous les jours ? Ce n’était pas tous les jours. Le procès a duré quatre mois au rythme de trois après-midi par semaine. L’audience commençait à 13 heures et se poursuivait jusqu’à 19 heures, les lundi, mardi et mercredi. Est-ce que vous vous souvenez de la présence de Nicolas Lambert ? Bien sûr ! J’étais assise à côté de lui tout le temps. Je me suis demandé qui c’était. Je le voyais prendre des notes, des tas de notes. Il ne prenait pas forcément les mêmes que moi, parce qu’évidemment, au bout d’un moment, il y a des choses que j’ai acquises. Et puis je sais ce dont j’ai besoin pour mes articles. Nicolas Lambert n’était pas là au début du 31 procès. Il est arrivé au bout de deux ou trois semaines. Il est venu parce qu’il a lu nos articles. Je crois qu’il a eu du mal à avoir accès à la salle d’audience, mais ensuite il a été tout le temps là. C’est vrai qu’il m’intriguait ! Je pensais que c’était un journaliste qui écrivait un livre. Je l’ai croisé quelques temps après au procès Juppé et c’est là qu’il m’a dit qu’il préparait un spectacle. J’ai trouvé ça formidable. Comment se passe votre prise de note ? Sur quoi vous focalisez-vous ? L’intérêt de la chronique judiciaire c’est d’abord que c’est le temple de la presse écrite : les caméras ne rentrent pas. On assiste à six heures d’audience, et à un moment donné il faudra en donner le plus important. Ce n’est pas forcément dans les mots, c’est aussi l’atmosphère. Il faut en raconter le plus possible. Une audience c’est surtout un combat. Ce qui est intéressant c’est de montrer à chaque fois, et surtout dans des procès de quatre mois, comment les forces s’équilibrent, comment certains prennent le pas sur d’autres, comment une ligne de défense se modifie… C’est une guerre ! Pour Elf, c’était une vraie guerre, parce qu’il y avait des avocats très forts, des magistrats exceptionnels, un président comme je n’en ai pas vu deux fois en affaire correctionnelle. Il y avait aussi un très bon parquet. Et puis les mis en examen étaient formidables. C’étaient les Tontons flingueurs ! Donc c’était un procès rare. C’était cela « l’ambiance si particulière » du procès Elf dont vous parlez dans votre critique du spectacle de Nicolas Lambert ? L’ambiance était particulière d’abord parce que c’était un procès de quatre mois. Il se noue beaucoup de haines, de menaces… L’ambiance était très rare pour un procès correctionnel et pour un procès sur une « affaire ». J’ai suivi tous les procès politicofinanciers des dernières années, notamment le procès d’Alain Juppé, les HLM de Paris, la MNEF, les marchés publics d’Ile de France… C’est la seule fois que j’ai vu au deuxième jour du procès le président prendre le pas sur ceux qu’il avait en face de lui. Or il s’agissait de gens qui étaient surdiplômés, décorés de la Légion d’honneur, beaucoup plus âgés que lui pour la plupart, qui avaient eu des carrières absolument incroyables… Et s’il ne les marquait pas de son autorité dès le début, ils lui échappaient. La guerre s’est jouée le deuxième jour. Il y a eu un rapport de force et le président l’a gagné. Et le troisième jour il a obtenu en une après-midi d’Alfred Sirven ce que personne 32 n’avait obtenu de lui : des aveux. C’était incroyable ! Il y a eu, je pense, un respect immense des prévenus pour ceux qui les jugeaient, ce qui est rare. Ces gens-là, comme Tarallo, n’ont que du mépris pour les juges. Les magistrats, pour eux, ce sont des petits fonctionnaires à trente mille balles par mois. Cette fois-ci, la justice a été à la hauteur, intellectuellement et en terme de pouvoir. D’habitude, la justice est à la hauteur en cour d’assise, mais rarement en affaire correctionnelle, dans les procès d’affaires. Dans le procès Elf, le président s’est fait respecter parce qu’il n’a pas essayé d’écraser les prévenus. Dans le spectacle, comment avez-vous trouvé le personnage du président, Michel Desplan ? Formidable ! Je pense que c’est le personnage que Nicolas Lambert a le plus réussi. Il avait un regard très particulier, un peu étrange, fixe, avec des yeux écarquillés. Un regard qui ne fuyait jamais. Je pense que c’est aussi comme ça qu’il les a accrochés. Il avait les bras écartés, presque christique ! Et il organisait en permanence des confrontations. C’est le personnage que physiquement Nicolas Lambert incarne le plus. Il faut dire qu’il y a une vraie ressemblance avec Desplan. Il est long et mince, les yeux clairs. Et en ce qui concerne les autres personnages ? Je sais qu’il a eu beaucoup de mal à faire Tarallo. Dans son film, l’Ivresse du pouvoir, Claude Chabrol a retrouvé au fond la même difficulté. Il n’a pas cherché la ressemblance physique, mais l’acteur a bien perçu cette manière d’être : c’est un serpent. On n’arrive pas à l’attraper. Il est toujours en train de faire des digressions pour éviter de répondre aux questions. Un homme redoutablement intelligent. Ce qui est étrange, c’est que Lambert donne à Sirven l’accent de Charles Pasqua. Mais c’est vrai que je peux le comprendre : c’est la même génération et le même parcours. Le Floch est plutôt réussi aussi, mais celui qu’il fait le mieux, c’est sans conteste Desplan. D’ailleurs, accessoirement, c’est normal, puisque à la place où l’on était, le seul en face de nous, c’était le président. Les autres sont à la barre, de dos. Celui dont il a pu s’empreindre complètement, dont on voyait toutes les mimiques, c’était Desplan. C’est une difficulté pour vous aussi ? 33 Bien sûr. Moi je raconte beaucoup les gestes. Dire que quelqu’un lève les yeux au ciel quand il est de dos, c’est compliqué. Mais un sourire, ça s’entend, à défaut de se voir. Je suis derrière, mais on voit plein de choses. Sirven avait le tic de toujours se frotter la lèvre supérieure avec son majeur, par exemple. Par contre, là où on était placé, on pouvait voir les réactions de Le Floch ou de Sirven dans la salle, lorsque quelqu’un était à la barre. C’est très important de voir ces réactions physiques. Tout n’est pas dans les mots. Est-ce que la pièce rend bien compte de l’organisation d’un procès ? Je ne pense pas que ce soit son but de « rendre bien compte ». Si c’était le cas, on aurait fait Au Théâtre ce soir, avec un vrai décor et soixante-dix acteurs ! Ce que j’ai trouvé formidable, c’est qu’il avait tout saisi des moments importants. J’ai retrouvé les meilleurs moments de ce procès, y compris les plus anecdotiques, mais qui étaient très significatifs. Nicolas Lambert n’a pas à reproduire le procès. Par exemple le Parquet n’est pas présent. Donc ça ne ressemble pas à un procès. Mais ce qui me semble incroyable c’est de faire, sans rien inventer, avec des guillemets, un spectacle. On voit surtout qu’il y avait des échanges, des dialogues extraordinaires. Nicolas Lambert aurait pu en faire dix fois plus ! Il n’a pris que le meilleur : il avait l’embarras du choix. Il y a dans la pièce toute la dénonciation des rapports politico-financiers entre la France et l’Afrique. Est-ce que cela a été traité au procès ? C’est l’aspect militant de son travail. Nous n’étions pas tous d’accord entre journalistes au procès. Il y a deux aspects importants du procès : le financement des partis politiques et la colonisation. La colonisation, ça ne se juge pas. Cela a été évoqué, mais un procès en correctionnelle, ce n’est pas là qu’on va faire le procès de la colonisation. Ça n’a pas de sens. Les historiens sont là pour ça. Heureusement que ce sont eux et pas les juges qui font l’histoire. C’était évidemment sous-jacent, c’était la toile de fond du procès et ça en faisait tout l’intérêt. Mais dire que ça n’a pas été dénoncé n’a pas de sens. La justice n’est pas là pour dénoncer. La justice est là pour dire si tel fait est délictuel ou pas. En revanche, le débat est différent sur le financement des partis politiques. Nicolas Lambert pense qu’il y avait vraiment matière à enquêter, à juger et à condamner 34 potentiellement sur le financement des partis politiques. Il laisse entendre que les magistrats ne l’ont pas voulu. C’est vrai qu’il y a un moment du procès où Loïk Le Floch Prigent va tendre plusieurs fois la perche sur le financement des partis politiques. On sent qu’il est prêt à parler. En fait c’est beaucoup plus compliqué que ça. Ses deux avocats sont en désaccord : il y en a un qui veut qu’il parle et l’autre qui veut qu’il ne parle pas. À un moment donné, Le Floch veut mouiller Chirac et Desplan l’arrête. Ça a été perçu comme ça. Les plus critiques ont dit qu’il avait peur pour la suite de sa carrière. J’ai une autre interprétation. D’abord c’est un débat qui montait beaucoup plus dans les couloirs qu’à l’audience. Je pense que si le président avait voulu pousser Le Floch, il aurait eu des déclarations. Il ne l’a pas fait. Je pense que Le Floch allait en dire un petit peu mais pas suffisamment pour ouvrir une information judiciaire. Dans mes articles j’ai appelé ça un « leurre ». Ça lui permettait de faire oublier son hôtel particulier. Il savait très bien que toute la presse était là pour entendre toutes les histoires de financement des partis politiques et que pendant ce temps là on parlerait moins de son divorce. C’est une stratégie de défense légitime. J’ai donc l’impression qu’on aurait eu un effet d’audience, une petite phrase politique mais pas plus. C’est vrai que le président Desplan a freiné. Mais de toute façon ça n’aurait rien changé : c’est l’interprétation que j’en ai fait. Dans le spectacle, les personnages peuvent paraître sympathiques. Est-ce que cette dimension était aussi présente au procès ? La vie d’un homme ne se résume pas à ce qu’il a fait les dix dernières années de sa vie professionnelle. À ce titre-là le personnage le plus impressionnant c’était Alfred Sirven. André Guelfi par exemple, c’est un type de quatre-vingts ans, bronzé, qui arrivait de l’île de Malte avec son propre avion, qui racontait qu’il n’avait pas eu le certificat d’études parce qu’il avait échoué à l’oral… Ce sont des gens qui sont extrêmement respectables, pas au sens des conventions mais ils ont fait des choses de leur vie, même si par ailleurs ils ont fait d’énormes erreurs. Et puis il y a toutes les énormités de Guelfi au procès… À un moment il va dire : « Mais je vous le jure ! Vous n’avez qu’à me passer au détecteur de mensonge ! » Le passage sur Marie-Antoinette, ça se passe en fait dans un taxi, mais son avocat le dit dans sa plaidoirie. 35 J’ai aussi fait des papiers sur le vocabulaire de Sirven. C’est un français totalement suranné, avec des expressions comme « Je ne porterai pas la mappemonde sur mon dos » ; « C’est ça ou la Terre est carrée. » Et puis il avait tout son latin de cuisine. Le nom des comptes en banque aussi… C’est au procès qu’on a compris que le compte que tout le monde appelait « Prome » était en en fait « Promé » pour Prométhée, parce que c’est un mythe qu’il aimait bien ! J’ai un souvenir incroyable de tout ça, parce qu’on ne s’est jamais ennuyé. J’ai découvert des personnages extraordinaires : les traders, les intermédiaires… Le mélange entre les services secrets, le pétrole… Comment avez-vous été chargée d’écrire l’article sur le spectacle Elf, la pompe Afrique ? Quand Nicolas Lambert m’a prévenu de son projet, je suis allée en parler au service culture du Monde. Mais ce n’était pas dans leurs critères, parce que c’était un tout petit truc, quoi ! Je suis allée voir le spectacle par curiosité je me suis dit que c’était épatant. D’ailleurs l’article n’a pas paru dans les pages Culture, parce qu’en fait je ne l’ai pas traité comme une œuvre culturelle. S’il y avait eu un emplacement où l’article aurait du être, c’est en pages Politique. C’est vraiment un objet politique. Accessoirement, je suis incapable de juger de la qualité d’une œuvre d’art : ce n’est pas mon métier. Je trouve que c’est un acte politique, ce qu’il a fait. C’est citoyen. Comment la décision de faire passer l’article sur le spectacle en Une a été prise ? J’avais écrit le papier au moins un mois avant. Je l’avais fait pour le service Société. C’était pendant le procès en appel. Il ne passait toujours pas. Alors je l’ai renvoyé et puis le secrétariat de rédaction a trouvé ça bien, rigolo. Ils l’ont mis en une. C’est un concours de circonstances. Le spectacle diffuse des informations. Est-ce que Nicolas Lambert joue le même rôle que les journalistes ? Je suis en désaccord avec ceux qui disent : « Heureusement qu’il était là parce que les gens n’avaient pas accès à cette information ». En revanche, il a informé des gens qui manifestement n’avaient lu aucun journal ou ne regardaient pas les infos à la télé. Il a été 36 un vecteur d’information. C’est comme le Net, comme un blog : il s’est créé un public, un public qui ne lit pas les journaux. Mais ce n’est pas de la faute des journaux. Ce qui m’a frappée quand je suis allée voir son spectacle, c’était le public. Il y avait beaucoup de jeunes. Il s’agissait d’un public très militant, manifestement alerté par tous ces réseaux-là. J’ai bien vu qu’ils se marraient et je me suis dit : « Mais ils n’ont donc rien lu ? Ils découvrent l’affaire ! » Ils ont eu l’impression de découvrir quelque chose qu’on leur avait caché. On ne leur a pas caché : ils ne l’ont pas lu. Par le moyen qui a été le sien, l’objet théâtral, Nicolas Lambert a trouvé un public qui n’était pas là au moment du procès. Mais pourquoi ce public n’était pas à l’écoute à ce moment-là ? Je ne sais pas… Parce que c’était judiciaire. Ce qui a été formidable c’est qu’effectivement, y compris dans le Monde, il y avait un traitement de l’affaire Elf cantonné au volet Dumas – Deviers-Joncourt. Quand on est entré dans l’affaire Elf proprement dite, c'est-à-dire dans le système des bonus et des commissions, on s’est aperçu que c’était tout autre chose. C’était cinquante ans de vie politique française ! Mais tout ça, c’est austère. Je comprends que ce public n’ait pas été là. Tout d’un coup, Nicolas Lambert présente ça de façon complètement ludique. Dans les journaux, c’était un papier par jour. Il y avait des personnages incroyables, les petites phrases… Mais le reste était austère. Il faut rappeler aussi que le procès commence au moment du déclenchement de la guerre en Irak. Moi je suis au procès et il s’y passe des choses incroyables ! Je suis excitée comme une puce ! Sauf qu’on me dit que j’exagère, parce que le Monde fait six pages International sur la guerre. Et puis un procès, quand il s’ouvre, c’est toujours pareil. Nous sommes en 2003 et on parle de faits qui ont eu lieu de 1989 à 1995. Tout ça paraît être l’Antiquité. Alors après on vient nous dire : « C’est incroyable cette histoire et ça a été censuré. » Pas du tout ! Les gens avaient sans doute leur attention focalisée sur plein d’autres choses. Je l’ai bien vu : j’ai reçu des courriers de lecteurs sur cette affaire comme jamais je n’en ai reçu. Les lecteurs ont adoré ce procès : ils l’ont suivi comme un feuilleton. Or beaucoup de lettres commençaient par « C’est formidable mais j’ai raté les premiers articles… » Il y a plein de gens qui sont passés à côté des deux premières semaines parce que la polarisation de l’actualité était ailleurs. 37 Avez-vous suivi le procès en appel ? Oui mais moins. Tout l’enjeu de l’appel c’était Tarallo et il n’est pas venu. Sirven avait tout donné au premier procès. Le président du tribunal était une femme. Ce sont des gens qui sont totalement misogynes. En plus de cela elle ne connaissait pas le dossier. On a tout de suite compris qu’elle n’aurait rien. Ces prévenus là sont très forts et en plus ils sont entourés par les meilleurs avocats d’affaire. Pour obtenir quelque chose d’eux, il faut les serrer. Si l’on ne crée pas de rapport de force, ils ne diront rien. L’appel, c’était mort. De toute façon on ne refaisait pas deux fois ce procès. 38 Entretien avec Jean-Pierre Dufranc, conseiller d’insertion au Service pénitentiaire d’insertion et de probation du Val-de-Marne (SPIP 94), réalisé le 5 mai 2006. Son service a eu affaire à Loïk Le Floch-Prigent, incarcéré à la maison d’arrêt de Fresnes. JeanPierre Dufranc fait aussi venir de nombreux spectacles dans cette prison. Question : Qu’est-ce que le SPIP ? Jean-Pierre Dufranc : Le SPIP est un service qui dépend du ministère de la justice et de l’administration pénitentiaire et qui gère l’après condamnation. Le droit français fait qu’une fois la peine prononcée, on essaie d’adapter la condamnation au profil de la personne. Ça demande un suivi personnalisé de chaque détenu. On doit prendre en compte sa situation personnelle et savoir faire confiance à la personne qu’on suit. On peut aménager la peine selon ces critères. C’est le juge d’application des peines qui prend ces décisions, mais il faut que ça soit justifié et contrôlé. Le SPIP s’occupe de ça. On s’occupe aussi des gens qui sont condamnés mais qui ne vont pas en prison : sursis avec mise à l’épreuve, travaux d’intérêt général… De combien de personnes vous occupez-vous ? Nous sommes quarante-cinq personnes, et nous traitons à peu près soixante-dix dossiers chacun. C’est inférieur à la moyenne nationale. En fait, en ce qui concerne la détention, nous gérons le stock : on doit faire de la place. On incarcère de plus en plus aujourd’hui, mais nous devons faire sortir les gens plus rapidement. Quelle est la situation pénitentiaire du Val-de-Marne ? Je m’occupe principalement de la maison d’arrêt de Fresnes. Les maisons d’arrêt, à la différence d’une centrale, c’est pour les gens qui, comme Le Floch-Prigent, attendent le jugement. C’est ce qu’on appelle la détention préventive et c’est relativement rare. Pour les grosses affaires, j’entends les affaires politiques, une fois les gens condamnés ils ne restent pas longtemps en prison. Mais maintenant ils restent très longtemps en attendant l’instruction. En général, trente pour cent de la population d’une maison d’arrêt sont des prévenus, en attente de jugement. Le reste, ce sont des personnes jugées. En général, pour 39 les longues peines, les détenus vont dans les centrales. Pour les autres, la grosse majorité, c’est la maison d’arrêt. À Fresnes, nous accueillons aussi des gens en longue peine qui attendent qu’il y ait de la place en centrale. Comment se passe la détention d’un détenu comme Loïk Le Floch-Prigent ? Ils sont placés en quartier d’isolement : ils sont seuls en cellule et ils n’ont pas la pression de la détention. Ils ont beaucoup plus de facilité de recevoir des livres. Le Floch-Prigent avait un ordinateur par exemple. Ce sont des statuts demandés auprès du directeur de la prison. Par contre ils ont les mêmes contraintes d’isolement face à l’extérieur que n’importe qui. Mais un détenu qui a de l’argent vit bien en prison. À condition de payer, on peut avoir une meilleure alimentation, l’abonnement à un journal… La prison ne fait que refléter les disparités de la société française. Dans une prison, la population est en majorité soit étrangère, soit issue de l’immigration. Le SPIP s’occupe-t-il aussi de faire venir des spectacles en prison ? Nous avons une mission de réinsertion, que nous menons avec des partenaires. En général, cela tourne autour de la santé et de la réinsertion professionnelle. La culture permet de détendre les gens, parce que l’incarcération, surtout en maison d’arrêt, est très difficile. Les détenus sont enfermés tout le temps. On ne les fait sortir que quand ils sont appelés ou quand ils ont une activité. On a mis des télés dans les cellules, on leur fait faire du sport, il y a des bibliothèques et des activités culturelles. Mais en général ce qu’on appelle « activités culturelles », ce sont des jeux d’échecs, des actions socio-éducatives. Nous sommes entre le judiciaire et le social. Ces actions culturelles nous ont été données comme responsabilité, tout simplement parce qu’il n’y a personne pour le faire. Il y a en moyenne un travailleur social pour cent détenus et un détenu pour deux surveillants. Dans ce contexte, la culture n’est pas une priorité. Nous n’avons pas non plus à la mettre trop en avant, parce qu’on va nous dire que les détenus ne sont pas là pour assister à des spectacles ! On a développé un projet assez expérimental dans le Val-de-Marne. Nous avons commencé par bien faire la distinction entre la culture et le socioculturel. Si on parle de culture, on s’adresse à des professionnels. En 2003, nous avons passé une convention avec vingt-trois structures culturelles du Val-de-Marne. On a appelé ça le parcours culturel d’insertion. On a multiplié les partenaires pour avoir un dynamisme. 40 Parce que sinon on a toujours les mêmes, qui se spécialisent dans la culture pénitentiaire, qui n’ont aucune légitimité mais ont trouvé ce créneau. Ils font des interventions sur l’alcool, le sida… Mais les détenus en ont marre d’être épinglés tout le temps sur ces problèmes. Ce mois-ci, on avait trois ou quatre spectacles. Nous avons créé de vraies habitudes. Les détenus s’inscrivent pour la représentation : c’est sur la base du volontariat. Ensuite il y a l’aspect sécuritaire qui fait que ce sont uniquement les plus sages qui ont le droit d’y aller. En général, on ne choisit pas les spectacles, ce sont nos partenaires qui décident de la programmation. C’est d’ailleurs grâce à mes contacts au théâtre Romain-Rolland de Villejuif que j’ai entendu parler d’Elf, la pompe Afrique. J’aimerais faire venir le spectacle à Fresnes, mais j’ai besoin de l’accord du directeur de l’établissement, parce que ça touche à des sujets un peu délicats. Quel effet pensez-vous qu’il pourrait produire sur des détenus ? Parler de la justice ça fait partie de la vie de tous les jours et je ne vois vraiment pas pourquoi on ne pourrait pas en parler à l’intérieur d’une prison. C’est un spectacle qui amène à penser et à parler. Ce qui est vraiment extraordinaire quand on reçoit un spectacle dans une prison (et ce qui n’existe pas dans les théâtres, sauf exception) c’est qu’il y ait cet espace, à la fin du spectacle, où tu peux discuter. Nicolas Lambert s’y prête très bien. C’est quelque chose de magique, en prison. La majorité des gens ne sont jamais allés au théâtre, ils sont dans une remise en cause personnelle et une sensibilité à fleur de peau qui font que, chaque fois qu’il y a une rencontre avec des artistes, avec quelqu’un de l’extérieur, il y a un vrai échange qui se fait et une vraie écoute. C’est un public qui n’est pas inhibé. Il n’a rien d’autre à faire que d’aller à un spectacle. C’est le seul moment où il est considéré de façon normale. Est-ce que vous avez retrouvé sur scène des attitudes par rapport à la justice que vous connaissiez ? Oui : la justice infantilise énormément. Je ne sais pas si c’est le fait de devoir rendre compte, ou d’avoir quelqu’un en face de soi sur lequel tu projettes une fonction, une image quasi-paternelle. On le voit dans le spectacle : en tant que personne extérieure, en tant que public, on est toujours en train de donner des leçons. Je le vois aussi dans mon 41 travail. On n’est pas la victime, on n’est pas non plus le juge, puisqu’on n’a pas la responsabilité de décider de la peine. J’ai retrouvé aussi l’attitude du déni chez les prévenus. C’est quelque chose que je vois tout le temps ! « Monsieur c’est pas moi qui l’ai fait… » C’est systématique. Ce que j’ai trouvé drôle dans le spectacle, c’est que le côté théâtral de la justice fait des personnages des sortes de bouffons, alors que ce sont en principe des gens qui « présentent bien ». Ce n’est pas le cas des gens que l’on suit à Fresnes : 99,9 pour cent sont blacks et beurs. Mais dans cette façon d’être démuni, au moins on se rend compte que tout le monde est égal face à la justice. Je me dis que c’est ce qui peut être intéressant à voir pour les détenus. C’est une affaire très complexe. Je trouve que le mérite du spectacle, aussi, c’est de la rendre plus compréhensible parce qu’on est dans l’humain. Moi je n’avais jamais rien compris à cette histoire, parce que j’avais toujours renoncé à m’y intéresser… À part les chaussures de Roland Dumas ! Cette approche est intéressante aussi dans le contexte de la prison. Nous, on voit les gens après le jugement. Mais en réalité ils n’ont rien compris aux mesures, au jargon juridique… C’est important de le dire, parce que la justice se prend énormément au sérieux. Là, même le juge est ridicule. Cette façon de tout mettre à plat, je trouve que c’est bien. Le spectacle s’attarde sur le procès, mais la justice, c’est une chaîne. La personne va rencontrer des tas de gens qui vont s’occuper de lui, depuis l’instruction jusqu’à l’application de la peine. Enfin le spectacle dit la même chose que nous, travailleurs sociaux : c’est un appel à être responsable. C’est bien aussi parce que le spectacle évoque autre chose que les délits d’une maison d’arrêt. Ça met les choses à distance et ça permettrait aux détenus d’être plus critiques. Il ne suffit pas d’être dans l’autosatisfaction, où ils se diraient « ils sont pire que nous » mais de voir tout le ridicule de ces gens qui ne veulent pas être responsables. Ça les concerne au premier plan. 42 Entretien avec Fabrice Tarrit, secrétaire général de l’association Survie, réalisé le 18 mai 2006. Survie est une association française créée en 1984. On distingue Survie France et les différentes associations locales. L'association affirme compter 1650 cotisants, une centaine de militants et six salariés. Le thème privilégié de Survie est la « Françafrique », terme tiré du titre d'un des livres de François-Xavier Verschave, fondateur de l’association. Mais, s'il l'a popularisée sous forme d'un jeu de mot (la France à fric), François-Xavier Verschave a pastiché Félix Houphouët-Boigny qui est le véritable créateur de cette expression, la France-Afrique, qui désignait alors dans sa bouche les relations cordiales entre la France et ses anciennes colonies. Quand et comment avez-vous commencé à travailler avec Nicolas Lambert ? Fabrice Tarrit : En 2004, j’étais responsable de la campagne que nous avons menée contre les dictateurs africains amis de la Françafrique. L’événement de lancement de cette campagne était une journée organisée dans un squat, le Carosse, avec des projections, des débats et en conclusion Elf, la pompe Afrique. C’était la première fois qu’il faisait quelque chose pour Survie. Nous l’avions découvert tout simplement en suivant l’agenda culturel de Paris, aux alentours de janvier 2004. Il s’est avéré que je connaissais très bien la personne qui assurait les intermèdes musicaux du spectacle : Nicolas Bacchus. C’est par son biais que j’ai rencontré Nicolas Lambert, à l’issue de son spectacle que j’ai vu à la Fenêtre. On s’était appelé au téléphone quelques jours avant. Il m’avait dit que des gens de Survie étaient déjà venus le voir et qu’il trouverait ça bien si on pouvait mettre de l’information à la disposition de ses spectateurs. Il était déjà dans la démarche de compléter son spectacle par de l’information militante. Quand je suis allé voir pour la première fois le spectacle, il m’avait demandé de présenter un peu l’association à la sortie. J’ai distribué les premiers tracts de la campagne contre le soutien de la France aux dictateurs africains, ainsi qu’un petit document sur l’affaire Elf. Nicolas Lambert connaissait-t-il déjà Survie et les livres de François-Xavier Verschave ? Je pense qu’il avait lu Verschave après avoir assisté au procès. Dans le procès Elf il est finalement très peu question de l’Afrique. Lui a eu la démarche de lire des livres pour 43 faire le rapport entre ces deux thèmes et il est tombé sur Survie. Nous, nous pensions que le spectacle manquait un peu sa cible s’il n’y avait pas des compléments d’information sur ce que les gens subissent réellement en Afrique. Dans Elf, on voit des millionnaires qui parlent d’argent, mais on évoque assez peu l’Afrique. Il cite Omar Bongo, sans dire qu’il s’agit d’un dictateur et que des populations entières vivent dans la misère. Il parle un peu d’Elf au Congo, sans dire qu’il y a eu une guerre civile au Congo et que c’est Elf qui a payé les balles. C’est normal : ça n’a pas été dit au procès non plus ! Donc forcément, si ce n’était pas dans le procès, ce n’est pas dans le spectacle. Comment cet accompagnement à son spectacle s’est t-il mis en place ? Il n’y a rien eu de vraiment concerté, ça s’est fait au coup par coup, comme souvent à Survie. Nous avons vingt-deux groupes locaux qui ont une marge d’autonomie et qui fonctionnent eux aussi au coup de cœur. Nous, nous avons vu et aimé le spectacle. On en a fait la pub dans notre petit bulletin interne. Par bouche à oreille, les militants en province ont su que ce spectacle existait et que nous le recommandions. Certains groupes locaux ont commencé à inviter Nicolas Lambert. En général, c’était des gens qui avaient l’habitude d’organiser des manifestations un peu importantes : à Survie nous n’avons pas l’habitude de ce type d’événements. Le théâtre, ça coûte relativement cher. Nicolas proposait des conditions intéressantes mais pour un groupe de militants, faire venir un spectacle cela reste difficile. Autant un théâtre subventionné peut se permettre de perdre de l’argent, autant eux ne le peuvent pas étant donné leur budget annuel. C’était une prise de risque. Mais une fois qu’un groupe était content du spectacle, il le disait aux autres. Finalement je crois que presque tous les groupes de Survie ont fait venir le spectacle. Dans quelles conditions un groupe de Survie fait-il venir Elf ? Cela dépend complètement. Survie-Paris a commencé par le faire jouer à la fac de SaintDenis, mais d’autres groupes l’ont accueilli en partenariat avec un théâtre, d’autres dans le cadre de la Semaine de la solidarité internationale, avec d’autres associations. Le spectacle se prête à cela. Il est très facile à déplacer : un seul comédien, un musicien, pas de régisseur… En termes de coûts c’était très intéressant aussi. La disponibilité de Nicolas Lambert et sa capacité à s’adapter à n’importe quel lieu, c’est très adapté à l’action militante en fait. 44 Pendant longtemps, ce qui a fait que ce spectacle a vécu, alors que les théâtres ne s’y intéressaient pas, c’est que les spectateurs se le sont approprié. Nicolas Lambert a beaucoup insisté sur le bouche à oreille, en disant : « ce spectacle n’est pas subventionné, le chargé de communication c’est vous ! » Nous, nous avons fait une partie du travail, mais nous n’avions pas de stratégie de diffusion de spectacle. Comment s’est organisée l’émission de Daniel Mermet sur France Inter, avec François-Xavier Verschave et Nicolas Lambert ? François-Xavier Verschave a rencontré Nicolas Lambert lorsqu’il a joué dans le squat du Carosse, mais il n’a jamais pu voir le spectacle. Il était déjà très malade à cette époque. Il avait lu la pièce et il était complètement séduit par la démarche. Il aimait beaucoup les initiatives personnelles novatrices. Il a été le premier à galvaniser ses troupes par rapport à ça. C’est aussi pour cela qu’il a accepté de faire la préface du texte. Et c’est moi qui ai trouvé à Nicolas Lambert un éditeur, Tribord, avec qui Survie avait déjà travaillé. En ce qui concerne l’émission, Nicolas Lambert avait ses propres contacts à Radio France. Il disposait déjà d’un joli bouche à oreille dans la presse nationale (le Monde, Libération) et militante. Quand Nicolas Lambert a eu la possibilité de faire cette émission, il nous a contactés pour proposer que François-Xavier Verschave l’accompagne pour parler de la Françafrique. Nous nous sommes dit que c’était une bonne solution pour faire connaître nos campagnes du moment et le lancement de notre disque de soutien, intitulé Africa wants to be free. Nicolas Lambert avait aussi participé à un morceau de cette compilation, au titre d’une association qu’il a avec Antoine Chao : Fréquence éphémère. Ces deux émissions sur France Inter ont été un temps fort pour lui comme pour nous. Nicolas Lambert a-t-il adhéré à Survie ? Non, mais sa femme, Hélène, qui joue parfois du violoncelle dans le spectacle, l’a fait. Mais Nicolas Lambert ne parle pas au nom de Survie. On ne lui demande pas ça ! Il est de tous les combats qui le touchent directement. Il a participé à des débats avec Survie, il fait partie de cet univers-là, mais avec sa légitimité d’artiste et son identité. Il n’y a pas besoin de mélanger les genres. Nous ne sommes pas présents sur l’affiche. Il y a des gens qui découvrent l’association grâce à la pièce, mais il n’y a pas de passage obligatoire par le stand. Parfois, quand la représentation est organisée par Survie, il y a quelqu’un qui vient 45 présenter l’association. Mais chacun respecte la démarche de l’autre. Ce n’est pas fusionnel. Nicolas Lambert n’est pas là pour faire la pub de l’association. Après il est vrai qu’il vient très rapidement après le spectacle voir les gens, leur parler de Survie, leur parler d’Elf. Mais il ne fait pas de propagande : il n’est pas derrière le stand, il se met à côté, il répond aux questions. Le spectacle a-t-il eu un impact pour Survie ? Je pense que ça a eu un impact vraiment important cette année. Ça nous a permis de toucher de nouveaux publics. Les milieux militants sont venus parce que c’était un spectacle militant. Les personnes qui sont dans l’univers artistique sont venues parce qu’on leur a dit que c’était un bon spectacle, indépendamment du sujet qu’il traite. Des personnes qui ne se sentaient pas forcément militantes ont pu avoir envie de connaître plus le sujet en regardant le stand de l’association. Nous avons eu pas mal d’écho à ce niveau-là. Si on compte la trentaine de représentations initiées directement par Survie, plus toutes celles où il y avait une table et des livres, l’impact est important. Rien n’a été conçu dans les détails sur cette collaboration : pas d’arrangement financier, pas de projet spécifique. C’était vraiment au cas par cas, tout s’est joué sur une relation de confiance que Nicolas a établie avec les groupes locaux de Survie. Pour notre association, ce spectacle a été un événement important de notre action sur les années 2004, 2005 et même 2006. Existe-t-il des gens qui ont adhéré après avoir vu le spectacle ? Pour nous c’est assez rare de savoir pourquoi les gens adhèrent. Mais il faut reconnaître que cela a beaucoup contribué à faire connaître Survie cette année. Depuis deux ans nous citons la pièce parmi nos activités militantes, non pas pour dire qu’elle est partie intégrante de nos campagnes, mais qu’elle a aidé à faire connaître nos mobilisations. Cet accompagnement d’artistes est-il nouveau pour Survie ? Jusqu’à présent, il y a peu de nos groupes locaux qui étaient en capacité d’organiser un événement culturel. En général on fait venir des conférenciers, des projections de films suivis de débats. Mais il y a eu la sortie d’un recueil de textes, Dernières nouvelles de la 46 Françafrique, qui a permis de s’élargir en direction des écrivains. Et puis la compilation de soutien… À chaque fois ce sont des petits pas. Les groupes locaux arrivent à se convaincre qu’il n’y a pas que les militants des droits de l’homme que l’on peut toucher, mais aussi d’autres personnes, à travers d’autres supports. Il faut dire aussi que les médias traditionnels ont toujours été difficiles d’accès pour nous : nous avons toujours eu le besoin de toucher le public par d’autres moyens. Le jour où Tiken Jah Fakoly1 a sorti son album intitulé Françafrique, nous avons intéressé d’autres personnes. C’était un peu la même situation qu’avec Nicolas Lambert. Tiken avait lu François-Xavier Verschave mais il ne l’a rencontré qu’après la sortie du disque. Les artistes, ce sont à la fois des compagnons de lutte et des moyens de diversifier le public. Nous avons essayé de développer cela cette année, notamment en proposant des documents faciles d’accès pour le grand public, ce qui n’était pas le cas il y a trois ou quatre ans. Nous avons des petites brochures, le disque de soutien… Cette possibilité que nous avons de proposer des documents à un public novice, comme celui de Nicolas Lambert, ça a beaucoup aidé l’association. Avez-vous des projets en commun avec Nicolas Lambert ? Déjà il faut préciser que Nicolas Lambert aime beaucoup jouer pour les groupes de Survie. Il faut dire que si le spectacle a bénéficié à l’association, Survie lui permettait d’avoir des dates à une époque où il n’en trouvait pas beaucoup en dehors des milieux militants. Ce n’est plus le cas maintenant. Mais il y a des relations amicales qui se sont créées. Quand il passe me voir à mon bureau, ce n’est pas purement professionnel. Nous avons eu l’idée d’aller en Afrique. Nous avons eu deux premières tentatives, au Contre-sommet de la Françafrique en novembre 2004 à Bamako puis au Forum social mondial, à Bamako toujours, début 2005. Les deux n’ont pas pu se faire. Aujourd’hui, on a l’idée de faire une tournée avec un camion, de beaucoup travailler avec les radios locales, pour faire des petites résidences dans chaque ville afin de ne pas uniquement diffuser un spectacle mais d’instaurer un dialogue avec la population. On peut essayer de traduire tout ça en wolof ou en bambara. Je pense qu’il faut qu’on se donne les moyens de faire quelque chose de bien au mois de mars 2007. Pour l’instant, c’est un projet un peu informel, un peu collégial. L’idéal serait de faire quatre ou cinq pays en 1 Chanteur de reggae ivoirien. Son album Françafrique a obtenu une Victoire de la musique en 2003. François-Xavier Verschave a écrit un des texte de son dernier album, paru en 2004 : Coup de gueule. 47 Afrique de l’Ouest en alternant des lieux de diffusion culturelle officiels et puis des lieux un peu symboliques des relations culturelles françafricaines : aller à côté d’usines qui exploitent l’or au Mali par exemple. Quel est l’intérêt de ce spectacle pour un public africain selon vous ? Montrer premièrement le contenu de l’affaire Elf. Ils savent qu’Elf était là pour prendre le pétrole et que si Elf n’existe plus, ces mécanismes sont encore là. Le théâtre est un bon moyen pour faire passer des idées : en Afrique, la tradition orale est très importante. Elf, la pompe Afrique, malgré le côté très technique de l’affaire, reste un spectacle assez visuel. Les gens risquent de ne pas comprendre tous les détails de l’affaire, mais la pièce est drôle. Et puis il s’agit de montrer comment on parle de l’Afrique en France, susciter des réactions, dire qu’il y a eu un procès, dire qu’il y a des gens qui se mobilisent. Dire aussi que ce pillage-là se produit avec d’autres matières premières. Après le spectacle, les gens vont parler spontanément. C’est pour ça que j’imaginais, avant même la pièce, de rencontrer des journalistes locaux, de faire des émissions de radio avec des syndicalistes, afin de susciter un dialogue. La pièce est un accompagnement de tout ça. Il ne s’agit pas juste d’une tournée de la pièce à mon avis. Nicolas Lambert est-il dans une démarche militante ? Il n’a pas découvert le militantisme avec Survie, loin de là. Il a une réflexion sur les médias, sur la finance, sur la politique… C’est un citoyen. Il pourrait se laisser prendre au piège des relations françafricaines, mais ce n’est pas le sujet principal de sa pièce. Son équipe est en train de se structurer, il a maintenant une personne qui lui cherche des dates. Avant il faisait tout. Il négociait les contrats, il installait les décors, il jouait… Il vendait presque les bouquins à la fin ! Maintenant il a une petite équipe. C’est plus facile pour lui de se projeter sur 2007. Son spectacle tourne, il s’est organisé. Effectivement, il joue son spectacle plus longtemps que prévu, mais c’est parce qu’il prend toujours du plaisir à le jouer. Je pense qu’il aura le sang-froid pour arrêter de courir, enchaîner trois dates, jouer dans des toutes petites villes. Le succès arrivant, je pense qu’il essaiera de jouer dans de meilleures conditions qu’avant. Mais il vient de là : avec Fréquence Ephémère il montait des radios dans tous types de terrains. 48 Madame, Monsieur, Vous avez accepté de répondre à un questionnaire dans le cadre d’une recherche de mémoire de maîtrise de théâtre, dont le sujet est le spectacle Elf, la pompe Afrique de Nicolas Lambert. D’avance, nous vous remercions de votre collaboration. Cette enquête est réalisée avec l’accord de la Fenêtre et de Nicolas Lambert. Alexandre Le Quéré ************************************************************************ *** Vous Vous êtes : un homme Votre âge : - de 25 une femme de 26 à 44 de 45 à 60 plus de 60 Votre profession : agriculteur artisan, commerçant ouvrier cadre, profession intellectuelle supérieure employé retraité étudiant chômeur sans profession Vous habitez : à Paris (__e ardt.) en région parisienne : _____________ ailleurs : _________________________ Politiquement, vous vous sentez proche de : extrême gauche gauche écologistes droite extrême droite Le théâtre et vous Combien de fois êtes-vous allé au théâtre au cours de ces douze derniers mois ? 0 1 ou 2 3à5 5 à 10 + de 10 Quel genre de théâtres fréquentez-vous habituellement ? Théâtres nationaux (Comédie-Française, Odéon, Théâtre de Chaillot, de la Colline) Autres théâtres publics (Théâtre de la Ville, du Rond-Point, Cité Internationale…) Théâtres publics de région parisienne (Nanterre-Amandiers, MC93 Bobigny…) Théâtres privés (Comédie des Champs Elysées, Théâtre de la Madeleine…) Autres (précisez) : _____________________________________________________ Le spectacle et vous Avant de voir Elf… Comment avez-vous appris l’existence de ce spectacle ? par la presse par une association 49 par un(e) ami(e) par l’affichage ou les tracts par le programme de la Fenêtre Pour quelle(s) raison(s) avez-vous décidé de venir le voir ? le travail du comédien le compte-rendu du procès Elf le sujet de la politique de la France en Afrique autre (précisez) : _________________________________________ Sur l’affaire Elf, vous vous considériez comme : très bien informé bien informé informé Après avoir vu Elf… De manière générale, vous avez été : très satisfait plutôt satisfait satisfait pas bien informé pas vraiment satisfait pas du tout pas du tout Quels sont les éléments du spectacle qui ont retenu votre attention ? la reconstitution du procès l’explication du système Elf l’approche de la politique de la France en Afrique l’humour, la caricature la musique autre (précisez) :________________________________________________________ ________________________________________________________________________ ________________________________________________________________________ ______ Sur l’affaire Elf, ce spectacle vous a-t-il : confirmé ce que vous saviez déjà apporté un complément d’information fait changer d’avis fait découvrir une affaire jusque ici inconnue Les personnages vous ont-il semblé : proches de la réalité éloignés de la réalité sympathiques - si oui, lesquels : ___________________________________________ antipathiques - si oui, lesquels : ___________________________________________ Si vous deviez conseiller ce spectacle à quelqu’un, ce serait pour : les informations sur l’affaire Elf les thèmes politiques abordés le jeu de l’acteur Vous souhaitez ajouter quelque chose ? 50 Commentaire, observation, contact… C’est à vous ! ________________________________________________________________________ ________________________________________________________________________ ________________________________________________________________________ ________________________________________________________________________ ________________________________________________________________________ ________________________________________________________________________ ________________________________________________________________________ _____________________ 51 ANALYSE ÉTUDE DES SPECTATEURS Sur la base des réponses fournies au questionnaire distribué à l’issue des représentations de la Fenêtre, nous pouvons tenter d’esquisser un profil du spectateur d’Elf. Mais il convient de replacer cette enquête dans son contexte. L’exemplaire type d’un de ces questionnaires se trouve ci-joint. Les réponses ont eu lieu en novembre et décembre 2005, c'est-à-dire plus d’un an après la création du spectacle. La Fenêtre est un tout petit lieu d’une centaine de places, situé rue de Charonne, dans le onzième arrondissement de Paris. C’est une salle qui programme le plus souvent des petits concerts. Il s’agit donc d’un lieu particulier, à l’économie réduite, qui n’est pas ni un théâtre connu ni un lieu tout à fait marginal. En outre, le public décrit ici n’est qu’un des publics de la pièce, qui tourne beaucoup, dans la France entière et dans des conditions très différentes. Première interrogation : le public de Nicolas Lambert serait-il féminin ? Près de 65% des personnes qui ont répondu au questionnaire sont des femmes. Pour avoir assisté à plusieurs représentations, il semble que ce premier point soit à nuancer : il y avait sans doute à peu près autant d’hommes que de femmes dans la salle. Mais je dispose de 139 questionnaires remplis, ce qui représente un échantillon tout à fait conséquent. Nous dirons donc que le public de la Fenêtre qui a répondu à l’enquête était en majorité féminin. C’est aussi un public jeune (près de 80% ont moins de 45 ans) et ayant un travail qualifié. Les cadres et professions intellectuelles supérieures représentent 54 % du public, loin devant les étudiants (18%) et les employés (11%). Par contre, les emplois peu qualifiés sont peu représentés, avec seulement 1,4% d’ouvriers et 2,1% d’artisans et commerçants. Ce sont en majorité des Parisiens (61%) et des Franciliens (24%). 12% viennent tout de même d’ailleurs en France ou à l’étranger. Enfin ces spectateurs se sentent très majoritairement proches de la gauche au sens large : 46% pour la gauche parlementaire, 23% pour les écologistes. Le pourcentage des personnes se réclamant de l’extrême gauche est minoritaire mais non négligeable : 17%. Enfin 2,9% se sont déclarés proches de la droite, personne de l’extrême droite. 10% des personnes interrogées ne se prononcent pas sur cette question. 52 C’est aussi un public qui a l’habitude de fréquenter les salles de spectacle : seulement 5% déclarent ne pas être allé au théâtre lors des douze derniers mois. Les personnes répondant au questionnaire sont visiblement des habitués : 17% disent même être allé plus de dix fois au théâtre cette année. Par contre les endroits fréquentés sont assez éclectiques. Si les théâtres publics se taillent la part la plus importante (19% pour les théâtres nationaux, 25% pour les théâtres parisiens subventionnés, 23% pour les centres dramatiques nationaux de région parisienne), de nombreux spectateurs ont tenu à préciser sur leurs questionnaires qu’ils se rendaient dans des lieux indépendants, plus petits, parfois amateurs. Étant donné les listes d’attente chaque soir pour assister au spectacle, on peut dire que le bouche à oreille a très bien fonctionné lors de ces représentations à la Fenêtre. 65% des spectateurs interrogés précisent qu’ils ont appris l’existence d’Elf par l’intermédiaire d’un ami. Loin derrière, les spectateurs prévenus par la presse et les affiches (14%). Il y a aussi une petite frange de spectateurs venus grâce aux communications d’associations qui soutiennent le spectacle Elf. Le public est sans aucun doute curieux des thèmes de la pièce avant la performance de l’acteur. 37% sont intéressés par le procès Elf, 32% par les rapports franco-africains. Ils sont aussi 25% à s’être déplacés pour le comédien. Ces spectateurs, dans leur majorité, ne s’estimaient « pas bien » ou « pas du tout » informés sur cette affaire (82%). À l’inverse, les spectateurs « très bien informés » représentent moins de 5%. Conséquence logique : 26% du public estiment que ce spectacle lui a fait « découvrir une affaire jusqu’ici inconnue » et 60% qu’il lui a apporté des informations supplémentaires. Seul 13% pensent que le spectacle a confirmé ce qu’ils connaissaient déjà. Personne n’a changé d’avis à la vision du spectacle. C’est l’explication du système Elf, au cœur du procès et de la pièce, qui a le plus retenu l’attention des spectateurs : près de 25% des réponses. Il y a aussi la représentation en elle-même du procès (21%), l’humour et la caricature (21%), devant les rapports politiques entre la France et l’Afrique (17%). 11% des réponses concernent la musique. Les personnes ayant répondu sont en tous cas enthousiastes sur le spectacle : 87% se déclarent très satisfaits par Elf, les « pas du tout satisfaits » représentant 1,5% des réponses. 53 ÉTUDE AU CAS PAR CAS Dans toutes les réponses obtenues lors de l’enquête à la Fenêtre, j’ai choisi d’en distinguer quelques unes, à la fois parce qu’elles me paraissent exemplaires mais aussi parce que les personnes ont fait des commentaires plus précis sur la pièce. SPECTATEUR A Le spectateur A est un étudiant de moins de 26 ans, habitant Paris (14e arrondissement), écologiste. Il ne fréquente que rarement les théâtres (1 ou 2 fois lors de l’année passée). S’il s’est déplacé, c’est pour apprécier le travail du comédien, dont il a eu vent par la presse. Le spectateur A doit être sensibilisé aux problématiques franco-africaines, puisque c’est aussi une des raisons de son déplacement et l’un des éléments qui a retenu son attention. Il ne se considérait pas comme bien informé sur l’affaire Elf mais trouve que les personnages sont proches de la réalité. Et il précise : « après avoir vu le procès Marchiani ». Le procès de l’ancien préfet Jean-Charles Marchiani, au cours duquel il était aussi question d’un système de commissions occultes, se déroulait un peu avant les représentations et l’enquête. Il est intéressant de remarquer que ce jeune spectateur a assisté à ces audiences avant le spectacle, et qu’il a visiblement retrouvé le même type de problématiques et de personnages sur scène. « Très satisfait » par Elf, il a retenu du spectacle l’explication du procès, qui lui a apporté un complément d’information. Le spectateur A est donc venu voir Elf pour son sujet et y a trouvé une proposition crédible et fidèle sur les détournements financiers et les grands procès en correctionnelle. SPECTATEUR B Le spectateur B a un profil assez singulier, puisqu’il fait partie de l’infime minorité des personnes se réclamant de droite. Il précise aussi qu’il se considérait comme très bien informé sur l’affaire Elf. Ce cadre de 26 à 44 ans, habitant dans le 7ème arrondissement de Paris, va occasionnellement au théâtre (3 à 5 fois), dans les salles privées et dans les théâtres parisiens subventionnés. Le spectateur B est ressorti très satisfait du spectacle. Elf a confirmé ce qu’il savait déjà et il retient du spectacle aussi bien la reconstitution du procès que l’humour et la musique. On peut en conclure que le spectateur B, qui conseillerait Elf pour le jeu de l’acteur (mais pas pour les thèmes politiques abordés, par exemple) a assisté à un divertissement sur un sujet d’actualité, qu’il connaît et qu’il 54 maîtrise. L’aspect politique et militant du spectacle n’a, semble t-il, que peu retenu son attention. SPECTATEUR C Le spectateur C est une comédienne (elle l’a précisé) entre 45 et 60 ans, qui habite en Seine-et-Marne et vote à gauche. Elle va régulièrement au théâtre, dans des « petits théâtres de quartiers ou communes » et dans les salles publiques d’Ile de France. Elle a découvert Elf grâce à un ami, ainsi que dans les pages de Charlie Hebdo. Si elle s’est déplacée, c’est pour le comédien, mais aussi par « militantisme ». L’affaire Elf lui est jusqu’ici inconnue, elle n’est pas bien informée. Ce qui la touche, c’est que « la caricature des personnages du procès révèle une tendresse à l’égard de leur faute et leur comportement. Un zoom sur l’humanité malgré tout. » D’ailleurs, les personnages lui ont semblé « tous sympathiques, parce que pathétiques. » Pour autant, la spectatrice C n’oublie pas la dimension politique du texte, même si elle s’interroge : « Je ne sais pas si ce théâtre-là doit devenir un genre, cependant c’est aussi le rôle du théâtre, c’est salutaire et cela nous prend pour des citoyens, un public citoyen. À programmer pour tous, pour les ados aussi, pour les forums-débats que cela peut générer. L’humanité du comédien est à partager. » Deux mots à retenir dans ce témoignage : humain et citoyen. La spectatrice C voit dans ce spectacle une démarche citoyenne, militante (c’est par ce terme qu’elle désigne une des raisons qui l’ont menée à la porte du théâtre) mais qui n’oublie pas l’humain et la peinture des comportements des personnages. SPECTATEUR D Le spectateur D ne met jamais les pieds dans un théâtre. C’est un chômeur entre 26 et 44 ans, qui vit en Charente Maritime. Il se sent proche des écologistes. Ce spectateur est venu après avoir aperçu des affiches. Il voulait voir le travail du comédien mais aussi le compte-rendu du procès Elf, dont il est par ailleurs bien informé. Le spectacle lui a apporté un complément d’information. Lequel ? L’approche de la politique française en Afrique, qui est le seul élément qu’il ait retenu du spectacle. Le spectateur D a lui aussi été touché par l’humanité des personnages. Il a trouvé Alfred Sirven et Loïk Le FlochPrigent sympathiques et précise : « Comment réagirions-nous dans cette folie des grandeurs ? Ces hommes, rendus devant leur responsabilité dans l’histoire, ont piètrement réagi. » Le spectateur D, qui ne va pas au théâtre mais connaissait l’affaire Elf, est lui 55 aussi touché par la représentation des acteurs du procès. Il éprouve lui aussi de la sympathie à leur égard. Le spectacle semble donc plutôt lui rendre ces hommes proches plutôt que de les transformer en pantins ridicules. SPECTATEUR E C’est une femme de 26 à 44 ans, cadre, habitant Paris et se sentant proche de l’extrême gauche. La spectatrice E est surtout une très grande habituée des salles de spectacle : elle va plus de dix fois par an au théâtre. Elle fréquente les théâtres subventionnés parisiens et franciliens, ainsi que les squats d’artistes et le théâtre universitaire. Elle a appris l’existence du spectacle par la presse (Radio libertaire, précise t’elle, ce qui laisse penser qu’elle est assez impliquée à l’extrême gauche). Elle ne se considérait pas comme bien informée sur l’affaire et elle a d’ailleurs retenu du spectacle l’explication du système Elf et l’approche de la politique française en Afrique. La spectatrice E a visiblement apprécié de voir conjugué sur scène un engagement politique à une démarche artistique. Elle précise : « Bravo à ce théâtre engagé, si rare et si précieux. J’en ai la nausée. » La spectatrice E peut être considérée comme la plus réceptive à ce type de pièce, puisqu’elle est à la fois une habituée des théâtres et très politisée. C’est le fond du spectacle qui paraît l’avoir captivée plus que la forme (jeu du comédien, humour, caricature, musique…). SPECTATEUR F La spectatrice F est aussi une femme de 26 à 44 ans, cadre habitant Paris et proche de la gauche, elle fréquente régulièrement les théâtres. C’est avant tout le commentaire qu’elle fait du spectacle qui est intéressant : « Bravo pour le comédien, son jeu, son engagement. Il nous montre les jeux politiques avec simplicité et beaucoup de clarté. La qualité du spectacle est telle qu’on ne peut dissocier le travail de scène de la politique et de la réalité Elf. » La spectatrice F fait le lien entre le jeu de Nicolas Lambert et les jeux politiques. Ce qu’il donne à voir, pour elle, ce ne sont pas des personnages à prendre dans toute leur humanité, mais bien les pions d’un système politique (et économique, aurais-je envie de rajouter) qui les dépasse. La spectatrice F touche là un point sensible. En les mettant dans le contexte du procès, les personnages sont-ils humanisés ou au contraire réduits à leur rôle politique ? Cette spectatrice a visiblement été attentive à la deuxième proposition. 56 Bibliographie commentée CONTEXTE HISTORIQUE ET POLITIQUE L’AFFAIRE ET LE PROCÈS ELF Livres Eric DECOUTY et Loïk LE FLOCH-PRIGENT, Affaire Elf, Affaire d’Etat, Paris, Gallimard, Folio documents, 2002. - Livre d’entretiens avec l’ancien PDG d’Elf. Des extraits de déclarations contenues dans ce livre ont été inclues dans le spectacle, lorsque Le Floch-Prigent résume les missions d’Elf à la fin de la quatrième audience. Eva JOLY, Est-ce dans ce monde là que nous voulons vivre ? Paris, Gallimard, Folio documents, 2004. - La juge d’instruction de l’affaire Elf livre un récit de ses longues années d’enquête. Le livre ne concerne pas la période du procès, mais rend compte de l’atmosphère particulièrement pesante (les menaces notamment) et des jeux de pouvoir qui ont accompagnés l’instruction. Omar BONGO et Airy ROUTIER, Blanc comme nègre : Entretiens avec Airy Routier, Paris, Grasset, 2001. - Le président du Gabon, mis en cause dans l’affaire Elf et pointé du doigt par les détracteurs de la Françafrique, se défend dans un livre d’entretiens. Il revient sur son enfance, son accession au pouvoir et la gestion de son pays. Son rapport avec l’entreprise Elf et sa filiale Elf-Gabon est évoqué. Karl LASKE, Des coffres si bien garnis : Enquête sur les serviteurs de l’Etat-voyou, Paris, Denoël, Impact, 2004. André GUELFI, L’Original, Paris, Robert-Laffont, 1999. 57 Gilles GAETNER, Jean-Maris PONTAUT, L’homme qui en sait trop : Alfred Sirven et les milliards de l’affaire Elf, Paris, Grasset, 2000. Articles de presse avant et pendant le procès (sélection) Stéphane DURAND-SOUFFLANT, « Le procès de l’affaire Elf s’ouvre enfin » in Le Figaro, 17 mars 2003. Stéphane DURAND-SOUFFLANT, « Le tribunal ouvre le livre de recettes d’André Tarallo » in Le Figaro, 25 mars 2003. Stéphane DURAND-SOUFFLANT, « Des pots-de-vin au nom de l’amitié francoallemande » in Le Figaro, 29 avril 2003. Stéphane DURAND-SOUFFLANT, « Le Monopoly immobilier du groupe Elf » in Le Figaro, 15 mai 2003. Stéphane DURAND-SOUFFLANT, « Sirven règle son compte à Le Floch-Prigent » in Le Figaro, 22 mai 2005. Gilles GAETNER et Jean-Marie PONTAUT, « Elf : Les langues se délient » in L’Express, 10 avril 2003. Hervé GATTEGNO, « L’affaire Elf s’achèvera sur un procès-fleuve sans politiques » in Le Monde, 25 décembre 2002. Karl LASKE, « Le Floch nie en bloc », in Libération, 24 janvier 2001. Karl LASKE, « La "bombe atomique" d’André Tarallo » in Libération, 25 mars 2003. Karl LASKE, « Elf, le déballage » in Libération, 1er avril 2003. Renaud LECADRE, « Une ficelle immobilière digne de débutants » in Libération, 27 mai 2003. Renaud LECADRE, « Procès Elf : la politique perdue de vue » in Libération, 15 novembre 2003. Didier NASSOUX, « A droite comme à gauche, des "princes" blancs comme neige » in Libération, 1er avril 2003. Pascale ROBERT-DIARD, « Au premier jour du procès Dumas, Alfred Sirven a joué avec la peur qu’il inspire aux autres prévenus », in Le Monde, 6 novembre 2002. Pascale ROBERT-DIARD, « Le début du procès Elf a déstabilisé ses principaux prévenus » in Le Monde, 1er avril 2003. Pascale ROBERT-DIARD, « La cuisine, l’opaque et l’occulte » in Le Monde, 1er avril 2003. 58 Pascale ROBERT-DIARD, « Le président Desplan a su d’emblée imposer le respect » in Le Monde, 1er avril 2003. Pascale ROBERT-DIARD, « Alfred Sirven : "J’ai donné de l’argent à Loïk Le FlochPrigent. Oui. Bien entendu" » in Le Monde, 9 mai 2003. Pascale ROBERT-DIARD, « Le tribunal n’a pas laissé les second couteaux au vestiaire » in Le Monde, 1er juin 2003. Pascale ROBERT-DIARD, « Procès Elf : trois hommes, un système et des mœurs politiques » in Le Monde, 1er juin 2003. Pascale ROBERT-DIARD, « Colette, Tomate ou Seccotine : de l’art de baptiser un compte en Suisse » in Le Monde, 1er juin 2003. POLITIQUE DE LA FRANCE EN AFRIQUE François-Xavier VERSCHAVE, La Françafrique : le plus long scandale de la République, Paris, Stock, 1999. François-Xavier VERSCHAVE, Noir silence, Paris, Les Arènes, 2000. Philippe HAUSER, François-Xavier VERSCHAVE, Au mépris des peuples : le néocolonialisme Franco-Africain, Paris, La Fabrique, 2004. - François-Xavier Verschave (1945-2005), ancien président de l’association Survie, estime que la France, via des réseaux d’influence affairistes, continue d’entretenir avec ses anciennes colonies d’Afrique des rapports de domination. Cela passe par un soutien implicite à des régimes dictatoriaux (comme celui d’Omar Bongo au Gabon, ou d’Eyadema au Togo) dans le but de conserver la mainmise sur les matières premières de ces pays ainsi qu’un rayonnement diplomatique international. Selon François-Xavier Verschave, les réseaux de la Françafrique maintiennent sciemment les populations locales dans la pauvreté et le sous-développement. Stephen SMITH, Négrologie : Pourquoi l’Afrique meurt, Paris, Calmann-Lévy, 2003. - Pour ce journaliste spécialisé passé par Libération et le Monde, les Africains sont les principaux responsables de l’état lamentable de leur continent (guerres, épidémies, corruption). Les politiques occidentales d’aide au développement n’ont fait qu’encourager les Etats africains à se « laisser vivre » sans prendre les réformes nécessaires. Sa thèse est totalement opposée à celle de François-Xavier Verschave. Elle est par conséquent vivement combattue par l’association Survie, qui a initié un livre en forme de réponse : 59 Négropobie, de Boubacar Boris DIOP, Odile TOBNER et François-Xavier VERSCHAVE (Paris, les Arènes, 2005). « Mitterrand et l’Afrique » Politique Africaine n°58, sous la direction de Philippe Marchesin, Paris, Karthala, juin 1995. LES MÉDIAS Fabrice d’ALMEIDA et Christian DELPORTE, Histoire des médias en France de la Grande Guerre à nos jours, Paris, Flammarion, Champs Université, 2003. - Une histoire des journaux et des grandes entreprises de presse depuis le début du XXe siècle. Erik NEVEU, Sociologie du journalisme, Paris, La Découverte (Repères), 2001. - Quelques clés sociologiques sur la pratique du journalisme en France et la composition de la profession. THÉÂTRE LE PROCÈS AU THÉÂTRE Représentation du procès : Droit, Théâtre, Littérature, Cinéma, sous la direction de Christian BIET et Laurence SCHIFANO, Nanterre, Université Paris X, collection Représentations, 2003. - Ouvrage collectif réunissant les travaux d’universitaires de plusieurs disciplines dans le domaine de la représentation du procès. Plusieurs articles rapprochent la forme du procès du théâtre militant (Oliver NEVEUX), du théâtre épique (Jean-Pierre SARRAZAC) ou de l’agit-prop soviétique (Christine HAMON-SIREJOLS). Jean VILAR, Le dossier Oppenheimer, Genève, Gonthier, 1965. Le metteur en scène s’est basé sur le compte-rendu officiellement publié d’une commission d’enquête sur les activités du Docteur Oppenheimer, un des pères de la 60 bombe nucléaire américaine. Il s’agit d’un exemple intéressant de retranscription non fictionnelle d’un procès sur scène. Peter WEISS, L’Instruction, trad. Jean Baudrillard, Paris, L’Arche, 2000. - Un des auteurs les plus importants du théâtre documentaire reprend les débats du procès de Francfort. En décembre 1963, une vingtaine d’anciens responsables du camp d’Auschwitz sont jugés par un jury populaire. Peter Weiss assiste au procès, qui dure vingt mois. Il en tire un oratorio dans lequel la parole des victimes et des bourreaux est traitée de façon plus poétique que naturaliste. THÉÂTRE POLITIQUE ET THÉÂTRE DOCUMENTAIRE Ouvrages théoriques principaux Erwin PISCATOR, Le théâtre politique, trad. Arthur Adamov, Paris, L’Arche, 1972. Maria PISCATOR et Jean-Michel PALMIER, Piscator et le théâtre politique, Paris, Payot, 1983. - L’œuvre de Piscator est indissociable du théâtre politique et du théâtre documentaire. Dans son ouvrage Le théâtre politique, Piscator relate le début de ses recherches et de ses réflexions, parmi lesquelles l’introduction du document sur scène. La biographie de Maria Piscator et Jean-Michel Palmier retrace le parcours du metteur en scène, y compris aprèsguerre. Erwin Piscator a alors monté Peter Weiss en Allemagne (l’Instruction) et les auteurs font le lien entre ses recherches des années 1920 et ses projets des années 1960. Bertolt BRECHT, Théâtre épique, théâtre dialectique : Ecrits sur le théâtre, trad. JeanMarie Valentin, Paris, L’Arche, 1999. Walter BENJAMIN, Essais sur Brecht, trad. Philippe Ivernel, Paris, La Fabrique, 2003. - Le théâtre politique de Brecht a beaucoup nourri Peter Weiss et le théâtre documentaire des années 1960. Brecht lui-même s’est beaucoup inspiré de l’actualité de son époque dans ses pièces (guerre d’Espagne, montée du nazisme). On peut estimer que le principe de distanciation et plus largement la position critique du spectateur face au spectacle, caractéristique de Brecht, est celle que recherche aussi le théâtre documentaire. 61 Peter WEISS, « Quatorze thèses à partir du théâtre documentaire » trad Michel Bataillon, Les Lettres françaises, 9-5 mai 1968. « Le théâtre documentaire », in Théâtres dans le monde, volume n°17, 1968 « Notes sur le théâtre documentaire » in Discours sur la genèse et le déroulement de la très longue guerre de libération du Vietnam illustrant la nécessité de la lutte armée des opprimés contre leurs oppresseurs ainsi que la volonté des Etats-Unis d’Amérique d’anéantir les fondements de la révolution, trad. Jean Baudrillard, Paris, Seuil, 1968. - Il s’agit du même texte publié dans différentes conditions : dans des revues ou en introduction à sa pièce sur la guerre du Vietnam. Le quatorze points de Peter Weiss sont particulièrement détaillés et permettent de donner une définition très précise du théâtre documentaire. Peter Weiss à Paris, sous la direction de Günter SCHÜTZ, Paris, Kimé, collection Détours littéraires, 1998. - L’article d’André Giselbrecht intitulé « Rencontre avec le théâtre documentaire ; L’Instruction à Aubervilliers et ses suites » rend compte de l’accueil fait à la pièce de Peter Weiss lors de sa création en France. Essais sur le théâtre son rapport au réel Bernard DORT, « Une propédeutique de la réalité », Théâtre réel : Essais critiques 19671970, Paris, Seuil, 1971. Bernard DORT, « Le jeu du théâtre et de la réalité » in Les Temps Modernes, avril 1968. - Bernard Dort a écrit plusieurs textes consacrés au théâtre politique à Brecht et plus largement aux questions de la réalité, du réel et de la représentation. Dans certains de ses passages, il évoque le théâtre documentaire de Peter Weiss, qui devrait être pour lui comme une « critique de nos idéologies et [une] préparation à l’action. » « C’est l’activité théâtrale elle-même, explique Dort, dans sa spécificité, qui devient accession au politique. » Maryvonne SAISON, Les théâtres du réel, pratique de la représentation dans le théâtre contemporain, Paris, L’Harmattan (L’art en bref), 1998. - Recherche sur la dimension politique de la pratique théâtrale et de la représentation. Maryvonne Saison évoque un « retour au réel » en opposition avec la représentation classique de « la Réalité ». 62 Denis GUÉNOUN, Le théâtre est-il nécessaire ? Paris, Circé, 1997. - Denis Guénoun mène une réflexion sur le théâtre et la représentation. Quel rôle le théâtre joue t’il aujourd’hui, alors que les codes de représentation les plus admis sont ceux du cinéma et de la télévision ? Là encore, le rapport entre réalité et représentation est abordé de façon approfondie. Lexique du drame moderne et contemporain, sous la direction de Jean-Pierre SARRAZAC, Paris, éditions Circé-Poche, 2005. - Ouvrage reprenant les termes-clés et les notions centrales de la dramaturgie contemporaine. Travaux universitaires Claire RUFFIN, L’intrusion du réel au théâtre : Réflexions sur le théâtre documentaire à partir de Rwanda 94, DEA sous la direction de Georges Banu, université Paris III, 2002. Margaux VAILLANT, Le théâtre face au monde d’aujourd’hui : Réflexion autour de trois créations présentées à Paris en 2002-2003 : Rwanda 94 du Groupov ; The Children of Herakles de Peter Selars et le Dernier Caravansérail du Théâtre du Soleil, mémoire de Maîtrise sous la direction de Georges Banu, université Paris III, 2004. Monique BRACHOTTE, Recherches sur les formes du théâtre politique en France depuis la deuxième guerre mondiale, maîtrise sous la direction de Bernard Dort, université Paris III, 1970. Dominique MBOUKOU, Le théâtre, l’histoire et la politique : Quelques exemples du cas de l’Afrique sub-saharienne, DEA sous la direction de Jacques SCHERER, 1982. JEU DE L’ACTEUR Bertolt BRECHT, L’art du comédien, trad. Jean-Louis Besson, Paris, L’Arche, 1999. Michelle CLAVILIER et Danièle DUCHEFDELAVILLE, Commedia dell’arte, le jeu masqué, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1994. Irène MAMCZARZ, Le masque et l’âme : de l’improvisation à la création théâtrale, Paris, Klincksieck, 1999. 63 Michelle ROBERT, Etudes du one-man-show en France à partir de 1970, DEA sous la direction de Daniel Lemahieu, université de Paris III, 2002. LE SPECTACLE ELF, LA POMPE AFRIQUE LE TEXTE DE LA PIÈCE Nicolas LAMBERT, Elf, la pompe Afrique ; Lecture d’un procès, Bruxelles, éditions Tribord, collection Autrement dit, 2005. - Il s’agit du texte de la pièce édité, assorti d’une préface de François-Xavier Verschave, d’un avant-propos de l’auteur, de quelques références bibliographiques, d’une chronologie de l’affaire Elf et de la déclaration de Paris (un appel contre la corruption initié par la juge Eva Joly). Un CD contenant des extraits de l’émission de France Inter animée par Daniel Mermet est distribué avec le livre. La version du texte édité diffère sur certains points de ce que Nicolas Lambert a joué et joue aujourd’hui sur scène. Je dispose aussi de versions de la pièce plus anciennes, fournies par Nicolas Lambert. LA RÉCEPTION DU SPECTACLE 139 questionnaires remplis entre le 23 novembre et le 20 décembre 2005 à l’issue des représentations d’Elf, la pompe Afrique, distribuées à la Fenêtre, Paris (11e arrondissement). Marie-Madeleine MERVANT-ROUX, Assise du théâtre : Pour une étude du spectateur, Paris, CNRS Editions, Collection Arts du spectacle, 1998. 64 - Un ouvrage de référence pour appréhender le spectateur et les conditions de la représentation. Philippe COULANGEON, Sociologie des pratiques culturelles, Paris, La Découverte, Collection Repères, 2005. - Cet ouvrage détaille les pratiques culturelles des Français, chiffres à l’appui. La part consacrée au théâtre est mince mais révélatrice de la place accordée à l’art dramatique aujourd’hui. Articles de presse (sélection) Pascale ROBERT-DIARD, « Sur la scène du théâtre des Déchargeurs, Elf, la pompe Afrique » in Le Monde, 9 janvier 2005. Karl LASKE, « Elf digne d’audience » in Libération, 26 mars 2004. Alexandre LE QUÉRÉ, « Molotov sur la République » in Théâtres, juin 2005. Anne Cécile ROBERT, « Elf, une affaire d’Etat » in Le Monde diplomatique, janvier 2006. Sylvie COMA, « Elf, la pompe Afrique : spectacle militant pas chiant » in Charlie Hebdo, 7 décembre 2005. Ayoko MENSAH, « Un système monstrueux » et « Elf, la pompe Afrique, un documentaire théâtral explosif » in Africulture, 17 février 2005. Anna BORREL, « Le procès Elf au théâtre » in Le Gri-Gri International, 11 novembre 2004. Christian TROUBÉ, « Nicolas Lambert, Elf est comique » in La Vie, 27 octobre 2005. Danièle BARTHE, « Les dérives d’Elf », in Réforme, 10 novembre 2005 Eric BERBUDEAU, « Le procès d’une pompe à fric raconté par un comédien citoyen » in La Nouvelle République, 12 novembre 2005. Denis BONNEVILLE, « Et les Shadoks pompaient » in La Marseillaise, 2 avril 2005. Isabelle GLORIFET, « Acteur militant » in L’Alsace, 31 août 2005. David LANGLOIS-MALLET, « Succès d’audience » in Politis, 10 février 2005. Stéphanie POURQUIER, « Elf, une comédie pour rire ou pour pleurer ? » in La Provence, 17 juillet 2005. Bertrand RUIZ, « Elf passe à l’acte » in Sud Ouest, 12 avril 2004. 65 Radio Daniel MERMET, Là bas si j’y suis, diffusés le 15 et le 16 février 2005 sur France Inter. - Deux émissions où les thèses de François-Xavier Verschave sont illustrées par des extraits du spectacle Elf, la pompe Afrique et des interventions de Nicolas Lambert. La relation entre le travail de l’association Survie et Nicolas Lambert apparaît clairement. Des extraits de l’émission sont distribués avec le texte du spectacle sous forme de CD audio. José ARTHUR, Le pop club, diffusé le 14 février 2005 sur France Inter. Nelly DAYNAC, Entre nous, diffusé en mars 2005 sur Voice of America. David SERVENAY, le Journal de la culture, diffusé le 24 avril 2004 sur RFI. Télévision Mathieu FIRMIN, sujet télévisé dans différentes éditions, diffusé en octobre 2004 sur ITélé. Olivier LANGUEPIN, le Journal de la culture, diffusé le 10 novembre 2004 sur Arte. Federico NICOTRA, Journal Afrique diffusé le 14 mars 2006 sur TV5 Monde. 66 Remerciements Georges Banu et Chantal Meyer-Plantureux pour avoir conduit mes recherches. Toute l’équipe de la bibliothèque Gaston Baty de Paris III. L’équipe d’Elf : Nicolas Lambert, Hélène Billard, Seydina Insa Wade, Erwan Temple. Fabrice Tarrit et Olivier Timonier de l’association Survie. Pascale Robert-Diard et Jean-Pierre Dufranc pour leur disponibilité. Mes parents Jean-Marie et Claire Le Quéré pour leur soutien de toujours. Pierre Notte pour son soutien professionnel. Mes amis Nina Chataigner, Clémence Hérout, Laurence Vintejoux, Sabrina Benhamouche, Amanda Castillo, Aymeric Furon, Benoit Furic, Mathieu Gorse, Julien Lenne. 67