Elf, la pompe Afrique, du théâtre documentaire à l`engagement militant

Théâtre dans le débat politique
Elf, la pompe Afrique
de Nicolas Lambert
Du théâtre documentaire à l’engagement militant
Alexandre Le Quéré
Sous la direction de
M. Georges Banu et Mme Chantal Meyer-Plantureux
Juin 2006
Mémoire de première année de master
Institut d’Etudes Théâtrales
Université Paris III – Sorbonne Nouvelle
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Introduction au master
Elf, la pompe Afrique, écrit, mis en scène et interprété par un seul homme, Nicolas
Lambert, joue avec différentes notions dans un spectacle à la démarche complexe. Théâtre
documentaire, politique, engagé, militant… Dans son écriture, dans son jeu, sa mise en
scène, et jusqu’à sa diffusion, ce spectacle se situe à la croisée des chemins, empruntant
des esthétiques aussi diverses qu’anciennes. Après avoir expliqué ces différents termes, je
compte essayer de faire la part du théâtre documentaire, du théâtre politique et du théâtre
militant dans Elf, la pompe Afrique. Je souhaite voir si ces domaines s’interpénètrent ou
au contraire sont en contradiction et ce qu’il en est dans le cas de la pièce de
Nicolas Lambert.
Le processus de création d’Elf a débuté en 2003. Au mois de mars, ce comédien, membre
de la compagnie Charlie Noé, s’intéresse au procès de l’affaire Elf qui s’ouvre à la 11e
chambre du tribunal correctionnel de Paris. Une idée lui trotte dans la tête : faire une
émission de radio, il raconterait le basculement de ces grands patrons dans la
délinquance. Nicolas Lambert se présente au tribunal, mais il n’est pas accepté dans la
salle d’audience. Grâce à ses contacts dans le monde de la radio, il obtient un laissez-
passer de RFI. À partir de ce moment, le comédien peut régulièrement observer les débats
du procès. Il prend des notes chaque jour et dévore la presse. Frappé par les personnages
de l’affaire et par le système Elf, il décide d’en tirer une production artistique. Nicolas
Lambert pense d’abord à une fiction. Il s’agirait de la rencontre de Loïk Le Floch-Prigent
et d’un jeune délinquant dans une cellule de la prison de Fresnes. Mais il abandonne
l’idée et décide que le contenu du procès se suffit à lui-même. Armé de ses notes, Nicolas
Lambert rédige une synthèse des débats. Ce qui au départ ne devait être qu’une lecture se
transforme en un spectacle dans lequel le comédien interprète tous les personnages : le
président du tribunal (Michel Desplan, qui n’est pas nommé), Loïk Le Floch-Prigent,
André Tarallo, Alfred Sirven, André Guelfi, le directeur des affaires immobilières d’Elf,
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le procureur de la République, un avocat, un gendarme, un huissier et enfin le personnage
du raconteur, dont les interventions ne sont pas toutes écrites du moins dans le texte
publié par les éditions Tribord en 2005. La pièce est découpée en quatre tableaux, ou plus
précisément quatre audiences, précédés d’un prologue et suivis d’un épilogue.
Le spectacle commence par l’entrée au cœur du public du personnage du raconteur. Il
échange quelques mots avec le gendarme en faction devant la salle d’audience. Celui-ci
lui explique que les places libres sont réservées à la presse. Le raconteur s’éclipse, revient
quelques secondes plus tard, un téléphone à l’oreille. Il se fait passer pour un journaliste
très occupé qui a oublié son accréditation. Le gendarme le laisse passer.
La première audience, intitulée « Plongeons ! » débute par une présentation des trois
principaux prévenus : André Tarallo, Loïk Le Floch-Prigent et Alfred Sirven. Le président
du tribunal les convoque les uns après les autres à la barre et rappelle en quelques phrases
leur biographie. Le président expose ensuite l’enjeu des débats : à chaque gros contrat
conclut par la société Elf, des versements de commissions occultes alimentaient plusieurs
caisses noires, destinées à rémunérer des informateurs, des chefs d’Etat africains ainsi que
des hommes politiques français. Certaines sommes auraient été détournées de ces caisses
noires pour alimenter d’autres fonds, destinés eux au profit personnel des dirigeants de
l’entreprise. Le président commence l’audition des trois prévenus. Il essaie de comprendre
comment fonctionne le système des commissions pétrolières, et plus particulièrement en
Afrique. Nous apprenons que sur chaque transaction, chaque contrat, une somme est
prélevée. Cette commission occulte sert à financer des chefs d’Etat africains en échange
de perspectives de nouveaux contrats. Mais nous découvrons aussi qu’André Tarallo, le
« monsieur Afrique » du groupe, ainsi qu’Alfred Sirven, bras droit de Le Floch-Prigent,
disposaient de nombreux comptes bancaires à l’étranger, particulièrement bien fournis et
alimentés par de l’argent d’Elf. Le Floch-Prigent dit ne pas avoir été au courant de
l’existence des comptes secrets de ses subordonnés. Il affiche son dégoût pour ce système
de commissions et de financements cachés. Nous découvrons aussi les tensions qui
existent entre André Tarallo, dirigeant historique du groupe, présent dès la création de la
société, et les deux autres prévenus, qui doivent leur poste à François Mitterrand, alors
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président de la République. L’audience s’achève. Un intermède musical fait le lien avec le
tableau suivant.
La deuxième audience, intitulée « Ces choses là », est précédée d’une intervention du
raconteur, qui décrit le déroulement des audiences, avec la disposition du public. Il fait
remarquer la présence clairsemée des journalistes. Ce passage ne figure qu’en partie dans
la pièce publiée en 2005. Lors de cette deuxième audience, nous apprenons qu’Elf a
financé grâce à ses caisses noires des hommes politiques français, afin d’avoir l’appui de
l’Etat et des partis politiques dans les manœuvres du groupe à l’étranger. Loïk Le Floch-
Prigent explique qu’il n’était pas au courant du détail de ces opérations. Selon lui, les
caisses noires étaient gérées par Sirven et Tarallo. Pour mieux comprendre le système des
commissions, le président du tribunal invite à la barre André Guelfi, un homme d’affaire
qui a prêté une de ses sociétés basées en Suisse pour faire transiter de l’argent d’Elf. Cet
argent était en fait une commission prélevée sur le contrat du rachat d’une raffinerie en
Allemagne. S’ensuit un dialogue aux accents comiques, dans lequel nous découvrons
qu’une part de la commission, plusieurs millions de francs, a finalement été versée à
André Guelfi sur son compte personnel. Loïk Le Floch-Prigent continue à expliquer qu’il
connaissait ces pratiques mais pas le détail des opérations. En revanche, Alfred Sirven et
André Tarallo contestent cette version des faits. L’un comme l’autre expliquent qu’ils ne
pouvaient pas intervenir sans l’accord du PDG. L’entracte intervient à la fin de cette
deuxième audience.
Le début de la troisième partie (« Déballages ») est consacré à la politique immobilière du
groupe. Le directeur des affaires immobilières d’Elf est appelé à la barre. Celui-ci est
interrogé tout d’abord sur la propriété du docteur Raillard, rachetée par Elf à la demande
de François Mitterrand, puis sur un terrain vendu à Issy-les-Moulineaux, en périphérie de
Paris. encore il y a eu une commission. Au profit de qui ? Le président du tribunal
évoque le nom de Charles Pasqua, mais ni Alfred Sirven ni André Guelfi ne se risquent à
confirmer. Puis le patrimoine des trois prévenus est passé au crible. Le président du
tribunal s’arrête successivement sur l’appartement parisien de M. Tarallo, qui appartient
en réalité au président du Gabon, Omar Bongo, puis à sa villa corse de Bonifacio. Puis le
président s’intéresse à la maison d’Alfred Sirven avant d’interroger Loïk Le Floch-Prigent
sur sa résidence en Normandie et surtout sur son hôtel particulier dans le XVIe
arrondissement de Paris. L’ex-président du groupe avoue que les éventuels scandales
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provoqués par son divorce avec Fatima Belaïd, sa seconde femme, ont été étouffés grâce à
des fonds secrets. Le procureur de la République prend la parole en fin d’audience pour
poser à M. Le FLoch-Prigent une question au sujet d’un retrait d’une facture très
importante de meubles de jardin le jour même de son départ d’Elf. Loïk Le Floch-Prigent
se rengorge : « j’ai eu une réaction de gamin. » Fin de la troisième audience, intermède
musical.
La dernière audience, « Comptes et règlements », est consacrée à la recherche des réels
bénéficiaires de détournements des caisses noires. Le président du tribunal explique qu’à
chaque nouvelle opération, la répartition des versements occulte était la même : un tiers
pour André Tarallo, deux tiers pour Alfred Sirven. À travers l’exemple d’une transaction
ratée au Venezuela, le président du tribunal arrive à faire témoigner Sirven contre Le
Floch-Prigent. Selon Alfred Sirven, l’ex-président d’Elf était au courant de tous ces
mouvements d’argent, c’était même lui qui passait les ordres et surtout un tiers des
commissions occultes lui revenait personnellement. Nous apprenons donc que les trois
principaux prévenus partageaient les sommes à parts égales. Sirven confirme qu’avec ces
caisses noires, Elf participait au financement des partis politiques.
L’ex-président Le Floch-Prigent récuse les accusations de son bras droit. Il dit penser
qu’Alfred Sirven cherche à protéger les véritables bénéficiaires des fonds occultes, des
hommes politiques notamment. Le Floch-Prigent reconnaît seulement avoir utilisé de
l’argent d’Elf pour acheter une propriété en Normandie et régler son divorce. Il explique
aussi que les vrais bénéficiaires des caisses noires étaient des hommes ou des partis
politiques. À un avocat qui lui demande si Elf servait dès sa création à financer le monde
politique français, Le Floch-Prigent répond que le groupe pétrolier a constitué de tous
temps une diplomatie parallèle. Pour garantir ses intérêts en Afrique, Elf dégage des fonds
occultes sur ses contrats. Ces sommes sont destinées à graisser la patte des dirigeants des
pays pétroliers, mais aussi de faire vivre les partis politiques français. Loïk Le Floch-
Prigent rappelle que l’affaire des frégates Thomson vendues à Taiwan est un autre
exemple de ce système, mais que le monde des marchands d’armes est beaucoup plus
dangereux que celui du pétrole. Toujours à la demande de son avocat, Le Floch-Prigent
précise qu’il estime que si Philippe Jaffré, son successeur, l’a poursuivi, c’était pour
garantir le soutient d’Elf à Edouard Balladur en vue des élections présidentielles de 1995.
L’ex-PDG finit son intervention en racontant que les principaux hommes d’Etat français,
de droite comme de gauche, sont au courant de tout ce qu’il sait sur le système Elf. Le
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