Numerus
Voyage au centre de la Terre avec Virgile…
Au cours de ses périlleuses aventures, le héros troyen Enée et ses compagnons arrivent enfin en Italie, près de Cumes où, dans
une immense caverne, officie la Sibylle, prêtresse d’Apollon. Enée obtient d’elle qu’elle le guide, vivant, au royaume des morts,
afin qu’il puisse rencontrer son père Anchise, décédé au cours du voyage. Commence alors la terrifiante « catabase », la
descente aux Enfers… qui a nourri l’imaginaire de nos cultures occidentales, de Dante à Harry Potter.
Ibant obscuri sola sub nocte per umbram
Perque domos Ditis vacuas et inania regna :
Quale per incertam lunam sub luce maligna
Est iter in silvis, ubi caelum condidit umbra
Juppiter, et rebus nox abstulit atra colorem.
Vestibulum ante ipsum primisque in faucibus Orci
Luctus et ultrices posuere cubilia Curae ;
Pallentes habitant Morbi tristisque Senectus
Et Metus et malesuada Fames ac turpis Egestas
Terribiles visu formae, Letumque Labosque ;
Tum consanguineus Leti Sopor et mala mentis
Gaudia, mortiferumque adverso in limine Bellum,
Ferreique Eumenidum thalami et Discordia demens,
Vipereum crinem vittis innexa cruentis.
In medio ramos annosaque bracchia pandit
Ulmus opaca, ingens, quam sedem Somnia vulgo
Vana tenera ferunt, foliisque sub omnibus haerent.
Multaque praeterea variarum monstra ferarum,
Centauri in foribus stabulant Scyllaeque biformes
Et centumgeminus Briareus ac belua Lernae,
Horrendum stridens, flammisque armata Chimaera,
Gorgones Harpyaeque et forma tricorporis umbrae.
Corripit hic, subita trepidus formidine, ferrum
Aeneas strictamque aciem venientibus offert,
Et, ni docta comes tenues sine corpore vitas
Admoneat volitare cava sub imagine formae,
Inruat et frustra ferro diverberet umbras.
Virgile (70-19 av. J-C.), Enéide, chant VI, vers 268-294.
Ils marchaient, solitaires, dans la nuit obscure, à travers l’ombre et à
travers les demeures vides et les vains royaumes de Pluton : pareil
est le chemin dans la forêt sous la faible lumière d’une incertaine
lune, lorsque Jupiter a enténébré le ciel et que la nuit noire a ôté
leurs couleurs aux choses. Juste devant l’entrée, là où commence la
gorge du royaume d’Orcus, les Chagrins et les Soucis vengeurs ont
installé leurs demeures ; c’est là qu’habitent les maladies blafardes
et la triste Vieillesse, la Peur, la Faim mauvaise conseillère, le
honteux Dénuement, le Trépas et la Peine, formes horribles à voir ;
et puis la Torpeur, parente du Trépas, et les mauvaises Joies de
l’âme et, de l’autre côté du seuil, la Guerre qui apporte la mort, la
demeure de fer des Euménides et la Discorde folle, s’étant noué de
bandeaux sanguinolents les cheveux faits de serpents. Au milieu, un
orme sombre, énorme, étale ses rameaux et ses bras noueux, séjour
que, dit-on, occupent en foule les Songes vains, accrochés à toutes
ses feuilles. Devant les portes, ont en outre leurs tanières bien des
bêtes sauvages variées et monstrueuses, les Centaures, les Scyllas à
double nature, le centuple Briarée et l’hydre de Lerne aux
sifflements horribles, Chimère armée de flammes, les Gorgones et
les Harpyes, et la forme d’une ombre à trois corps. Tremblant d’une
soudaine épouvante, Enée saisit alors son épée et présente aux
monstres qui s’approchent l’arme qu’il a prise en main, et si sa
docte compagne ne l’avait pas averti que c’était des êtres ténus et
sans vie qui s’agitaient autour de lui, il se précipiterait sur eux et
frapperait vainement les ombres de son fer.
L’Enéide est une épopée latine en 12 chants qui
raconte les pérégrinations du Troyen Enée après
la victoire des Grecs suite à la guerre de Troie. Le
poète latin Virgile (Publius Vergilius Maro, 70 av
JC - 19 av JC) y célèbre la gloire de l’Empire
romain à travers le destin du héros éponyme.
Les Enfers (1622) de François De Nomé (1593-1650),
huile sur toile, Musée des Beaux Arts de Besançon.
Traversée du monde souterrain (1515-1524) du peintre flamand
Joachim Patenier ou Patinir (1480-1524), huile sur bois, Musée du
Prado, Madrid.