correspondaces Correspondances en médecine L. Chneiweiss* Psychiatre, Paris. Faire face à… cette personnalité en proie au doute M. L est un homme de teur de stress avait été un 56 ans que vous avez projet de réorganisation de a prise en charge médicale d'un patient souffrant connu il y a 5 ans, lorssa société où il était question d'une personnalité obsessionnelle est difficile et qu’il avait présenté un de supprimer son poste. nécessite de respecter un certain nombre de règles accident ischémique tranAujourd'hui, M. O vient à sitoire. Depuis cet accidans la conduite de la consultation et dans le suivi du nouveau vous solliciter, en dent vasculaire, M. L est principe, pour discuter de patient. venu vous consulter à l’opportunité d’interrompre deux ou trois reprises, car son traitement. Au cours de tion, très investi, ne l'intéressait plus. il voulait être rassuré sur des phénocet entretien, vous découvrez un homme C'est sa femme qui avait pris l'initiative mènes paresthésiques, ne relevant finaledifférent, en fait conforme au portrait du rendez-vous après le constat d’une ment que de l’anxiété. Environ 6 mois que vous faisait depuis longtemps son perte de poids d'environ 6 kg. Vous aviez avant cet entretien, M. O est à nouveau épouse. C’est un homme à la tenue soifacilement diagnostiqué un trouble venu vous consulter, car il n'avait plus de gneuse qui entre dans votre cabinet et dépressif majeur et vous l’aviez orienté goût à rien. Alors que son entourage pose avec délicatesse son parapluie contre vers son médecin de famille. L'état de louait sa capacité à se maîtriser, il lui le bord de sa chaise. Ses ongles sont de M. O s'était alors rapidement amélioré arrivait régulièrement de se mettre en toute évidence manucurés très souvent. sous antidépresseur. Son principal faccolère. Son travail de contrôleur de gesLe regard de M. L semble désapprouver L * Psychiatre, âgé de 41 ans, le Dr Laurent Chneiweiss est un spécialiste des troubles anxieux. Après un cursus hospitalier classique (internat, clinicat à Paris), il poursuit sa formation aux États-Unis, en particulier auprès de David Barlow et de Donald Klein. En 1990, il fonde l’IFSA (Institut français de l’anxiété et du stress) qu’il quittera en 1998. Il partage aujourd’hui son temps entre la clinique et l’évaluation des troubles anxieux et dépressifs et du stress en milieu professionnel dans le cadre d’une nouvelle société : Preventis. Pour le grand public, il a publié “L’anxiété” (éd. Odile Jacob, 1999) et “Dormir n’est plus un rêve” (éd. Albin Michel, 1994). Act. Méd. Int. - Neurologie (4) n° 1, janvier 2002 La personnalité obsessionnelle selon le DSM Un pattern comportemental marqué par le perfectionnisme, l’ordre, la recherche constante du contrôle de soi et des relations interpersonnelles (…), comme en témoignent au moins 4 des éléments suivants : ✓ Préoccupations pour les détails, les règles, les listes, l’ordre, l’organisation au point d’en perdre l’élément essentiel. ✓ Perfectionnisme pouvant aller jusqu’à empêcher la réalisation de certaines tâches. ✓ Implication excessive dans le travail et la productivité aux dépens des loisirs et des relations amicales (…). ✓ Rigidité exacerbée en ce qui concerne la morale, l’éthique, les valeurs (…). ✓ Incapacité à jeter des objets (quelle que soit leur valeur). ✓ Difficulté à déléguer (…). ✓ Avarice ✓ Démonstration de rigidité et d’entêtement. 142 en médecine Correspondances en médecine le désordre (relatif) qui règne sur votre bureau (quelques dossiers y sont présents, et un trognon de pomme, dans une petite assiette, témoigne de vos difficultés à trouver un moment pour vous alimenter correctement). Ayant préparé la consultation, M. L développe longuement les avantages et les inconvénients de la poursuite du traitement, sans pouvoir donner sa conclusion. Plusieurs fois au cours de l'entretien, il tente en vain de donner la bonne position au cendrier posé sur votre bureau. Au moment de régler vos honoraires, il dit vous trouver “bon mais cher” (alors que vous êtes en secteur 1 !). À faire Laissez-le exprimer sa personnalité dans un premier temps. Si vous bloquez l’obsessionnel d’emblée, il ruminera en silence, et l’entretien ne vous apprendra rien. Devenez un peu obsessionnel vous-même : obligez-vous à ne faire que des remarques précises. Soyez fiable (et à l’heure). Ce tableau clinique évoque, bien entendu, une personnalité obsessionnelle Sur le plan clinique, le caractère obsessionnel rassemble une tendance à la méticulosité, au souci de l'ordre, une manie de la propreté, de l'obstination qui confine à l'entêtement ainsi qu'une grande parcimonie (avarice). Il s'y associe classiquement une forte tendance au doute. Dans l'esprit du grand public, on retrouve cette figure sous le terme de “maniaque de la propreté” ou “maniaque de l'ordre”. L’obsessionnel n’est pas un paranoïaque, bien que l’on y pense souvent. Le paranoïaque se méfie des autres et les suspecte systématiquement de malveillance à son égard. L’obsessionnel pense que les autres sont trop insouciants pour bien faire. Il redoute donc que la tâche ne soit pas correctement effectuée, et non un acte mal intentionné dirigé contre lui. M. L doute, hésite : il pèse chacun des arguments pour poursuivre ou arrêter son traitement. Si son médecin le laisse faire, il y perdra des heures. M. L s’attachera aux détails, sans faire de distinction entre les arguments essentiels et les autres. Finalement, l’obsessionnel se retranche Act. Méd. Int. - Neurologie (4) n° 1, janvier 2002 À ne pas faire Ne vous moquez pas d’emblée de ses hésitations Ne commencez pas à argumenter vos décisions. Soucieux du débat, l’obsessionnel vous posera une première question sur votre décision puis une deuxième sur le pourquoi du premier argument, puis une troisième sur le second, etc. Sachez être concis et dire “stop” ! Ne sortez pas votre plus beau sourire. L’obsessionnel se méfie de ses propres sentiments et de ceux des autres. Il est mal à l’aise lorsque l’affectif se mêle au rationnel. Psychopathologie pour les nuls Le développement de l'individu s'effectue par étape. Le jeune enfant évolue et traverse, tout d'abord, un stade où l'ensemble des plaisirs passe par la bouche, c’est le stade oral. Le premier type de communication est le sourire, puis vient la période où l'enfant sera capable de devenir propre. Il n'y a qu'à voir la figure réjouie des parents annonçant que leur enfant est (enfin ou déjà, c'est selon) propre pour comprendre l'importance, en termes de communication, de ce stade (le stade anal). En effet, pour la première fois, l'enfant va pouvoir agir de par sa propre volonté sur le monde extérieur. Il va avoir tout loisir pour retenir ses matières ou les donner. Pour Freud, cette étape signe le premier échange. Elle initie la symbolique du cadeau et de l'argent. Donner ses matières, c'est faire plaisir (tout comme donner un cadeau ou de l'argent). C'est le passage pathologique de ce stade qui pourrait déterminer le caractère. En effet, l'éducation du comportement sphinctérien vise, en partie, à obtenir de l'enfant qu'il renonce à cette satisfaction de retenir et d'abandonner les matières à sa guise. L'échec de cette discipline va résulter de la combi- 143 naison de deux facteurs : un excès d'attachement au plaisir et la rébellion contre les consignes de propreté. Par la suite, l'individu va lutter contre ses propres tendances. Il adoptera alors parfois des attitudes excessives allant à leur encontre. La difficulté d'abandonner des objets va se traduire par une obstination, un entêtement, un collectionnisme. Par excès de formations réactionnelles, on peut voir des cadeaux aussi surprenants que somptueux. Tel homme, si avare avec sa famille, va faire un don important à une fondation médicale. La tendance à la saleté, à l'injure envers les autres, la lutte contre l'autorité vont donner lieu à un excès de propreté, à une politesse qui confine à l'obséquiosité, à la bonté, au souci de justice et au respect de l'autorité. Les continuateurs de Freud ont complété ses descriptions. Pour Harry Stack Sullivan, l’obsessionnalité est liée à une éducation ambivalente : l’enfant grandit dans un milieu en apparence calme, maîtrisé et poli, alors qu’il est en réalité plein d’agressivité et d’hostilité. correpondances Correspondances en médecine Les personnalités obsessionnelles au cinéma, dans la littérature et en politique Au cinéma En littérature En politique Dans Pour le pire et pour le meilleur, Jack Nicholson campe un homme souffrant à la fois d’un TOC et d’une personnalité obsessionnelle. Les personnages de Jean-Pierre Melville donnent le plus souvent à voir des “héros” froids, méticuleux et calculateurs. Par exemple : Alain Delon dans Le samouraï ou Bourvil dans Le cercle rouge. Dans ce dernier film, Bourvil s’exclame dans l’une des dernières répliques du film : “Tous coupables ! ” Hercule Poirot, le héros d’Agatha Christie, pèse toujours soigneusement chacun des éléments en sa possession. Il compte, vérifie, et ne fait confiance qu’à très peu de monde. Les vrais obsessionnels ne réussissent pas en politique (ce qui n’est pas le cas des paranoïaques). sur lui-même, se perdant dans les dédales d’un raisonnement autocentré. Il adopte le plus souvent un comportement conformiste, pour réduire au manimum le risque de se tromper. On l’aura compris, l’obsessionnel n’est pas un émotionnel. Il cache son anxiété ou sa tristesse et ne consulte que pour les aspects les plus “neurologiques” de sa dépression : le ralentissement psychomoteur et les plaintes somatiques. Pour les cognitivistes, les schémas centraux de l’obsessionnel sont “je dois me contrôler parfaitement, ainsi que mon environnement”, “je dois éviter les fautes pour être parfait”. La notion d’autonomie est constamment présente, et “je suis responsable de moi-même et des autres ” exprime bien ce souci permanent de gérer les choses le plus parfaitement possible. Act. Méd. Int. - Neurologie (4) n° 1, janvier 2002 Stratégie relationnelle Pour gagner sa confiance et améliorer son efficacité, vous devrez composer avec la personnalité de l’obsessionnel. Vous entrerez donc dans son jeu. Mais fixez d’emblée les limites que vous ne dépasserez pas. Si vous prenez un engagement, respectez-le. L’obsessionnel considère que les autres sont insouciants, imprévisibles, et que cette légèreté peut être à l’origine de catastrophes. Pour obtenir sa confiance, vous devez lui démontrer votre fiabilité. Si vous voulez sa confiance : soignez votre tenue et le rangement de votre bureau. Ne pratiquez pas d’emblée l’humour. Soyez à l’heure à votre prochain rendezvous et ne le mettez pas en situation d’urgence. Les obsessionnels ont besoin 144 d’ordre et de recul. Ils craignent la précipitation qui irait à l’encontre de leur système de pensée. Les mettre en urgence, c’est s’assurer d’entraîner chez eux un fort sentiment d’anxiété et par la suite un grand ressentiment à votre égard. Enfin, ne montrez pas votre opulence (ou ce qu'il en reste) : son avarice le ferait fuir. Si vous décidez d’un traitement, soyez très affirmatif : pas de place au doute dans vos propos face à un patient obsessionnel. Pour la culture : sur le plan thérapeutique, plusieurs études récentes produites par l'équipe de Belmaker, en Israël, ont montré l'intérêt des sérotonergiques dans la prise en charge des personnalités obsessionnelles, mais ces travaux restent du domaine de la recherche. Pour l’heure, M. L a présenté un état dépressif, et la question est celle de l’interruption de traitement antidépresseur. Selon les RMO, le trouble dépressif a été traité dans le respect des règles actuellement en vigueur, il est donc licite d'interrompre le médicament pour laisser souffler M. O avant d'entreprendre un travail psychothérapique. Références ● J Cottraux, I Blackburn. Thérapies cognitives des troubles de la personnalité. Paris : Masson, 1995. ● F Lelord, C André. Comment gérer les personnalités difficiles ? Paris : Odile Jacob, 1996.