Act. Méd. Int. - Neurologie (4) n° 1, janvier 2002 142
correspondaces
M. L est un homme de
56 ans que vous avez
connu il y a 5 ans, lors-
qu’il avait présenté un
accident ischémique tran-
sitoire. Depuis cet acci-
dent vasculaire, M. L est
venu vous consulter à
deux ou trois reprises, car
il voulait être rassuré sur des phéno-
mènes paresthésiques, ne relevant finale-
ment que de l’anxiété. Environ 6 mois
avant cet entretien, M. O est à nouveau
venu vous consulter, car il n'avait plus de
goût à rien. Alors que son entourage
louait sa capacité à se maîtriser, il lui
arrivait régulièrement de se mettre en
colère. Son travail de contrôleur de ges-
tion, très investi, ne l'intéressait plus.
C'est sa femme qui avait pris l'initiative
du rendez-vous après le constat d’une
perte de poids d'environ 6 kg. Vous aviez
facilement diagnostiqué un trouble
dépressif majeur et vous l’aviez orienté
vers son médecin de famille. L'état de
M. O s'était alors rapidement amélioré
sous antidépresseur. Son principal fac-
teur de stress avait été un
projet de réorganisation de
sa société où il était question
de supprimer son poste.
Aujourd'hui, M. O vient à
nouveau vous solliciter, en
principe, pour discuter de
l’opportunité d’interrompre
son traitement. Au cours de
cet entretien, vous découvrez un homme
différent, en fait conforme au portrait
que vous faisait depuis longtemps son
épouse. C’est un homme à la tenue soi-
gneuse qui entre
dans votre cabinet et
pose avec délicatesse
son parapluie contre
le bord de sa chaise. Ses ongles sont de
toute évidence manucurés très souvent.
Le regard de M. L semble désapprouver
* Psychiatre, âgé de 41 ans, le Dr Laurent
Chneiweiss est un spécialiste des troubles
anxieux. Après un cursus hospitalier clas-
sique (internat, clinicat à Paris), il poursuit
sa formation aux États-Unis, en particulier
auprès de David Barlow et de Donald
Klein. En 1990, il fonde l’IFSA (Institut
français de l’anxiété et du stress) qu’il
quittera en 1998. Il partage aujourd’hui
son temps entre la clinique et l’évaluation
des troubles anxieux et dépressifs et du
stress en milieu professionnel dans le
cadre d’une nouvelle société : Preventis.
Pour le grand public, il a publié
“L’anxiété” (éd. Odile Jacob, 1999) et
“Dormir n’est plus un rêve” (éd. Albin
Michel, 1994).
La prise en charge médicale d'un patient souffrant
d'une personnalité obsessionnelle est difficile et
nécessite de respecter un certain nombre de règles
dans la conduite de la consultation et dans le suivi du
patient.
Faire face à…
cette personnalité en proie au doute
La personnalité obsessionnelle selon le DSM
Un pattern comportemental marqué par le perfectionnisme, l’ordre, la recherche
constante du contrôle de soi et des relations interpersonnelles (…), comme en témoi-
gnent au moins 4 des éléments suivants :
Préoccupations pour les détails, les règles, les listes, l’ordre, l’organisation au point
d’en perdre l’élément essentiel.
Perfectionnisme pouvant aller jusqu’à empêcher la réalisation de certaines tâches.
Implication excessive dans le travail et la productivité aux dépens des loisirs et des
relations amicales (…).
Rigidité exacerbée en ce qui concerne la morale, l’éthique, les valeurs (…).
Incapacité à jeter des objets (quelle que soit leur valeur).
Difficulté à déléguer (…).
Avarice
Démonstration de rigidité et d’entêtement.
L. Chneiweiss*
Psychiatre, Paris.
Correspondances en médecine
le désordre (relatif) qui règne sur votre
bureau (quelques dossiers y sont pré-
sents, et un trognon de pomme, dans une
petite assiette, témoigne de vos difficul-
tés à trouver un moment pour vous ali-
menter correctement). Ayant préparé la
consultation, M. L développe longue-
ment les avantages et les inconvénients
de la poursuite du traitement, sans pou-
voir donner sa conclusion. Plusieurs fois
au cours de l'entretien, il tente en vain de
donner la bonne position au cendrier
posé sur votre bureau. Au moment de
régler vos honoraires, il dit vous trouver
“bon mais cher” (alors que vous êtes en
secteur 1 !).
Ce tableau clinique évoque,
bien entendu,
une
personnalité obsessionnelle
Sur le plan clinique, le caractère obses-
sionnel rassemble une tendance à la
méticulosité, au souci de l'ordre, une
manie de la propreté, de l'obstination qui
confine à l'entêtement ainsi qu'une grande
parcimonie (avarice). Il s'y associe clas-
siquement une forte tendance au doute.
Dans l'esprit du grand public, on retrou-
ve cette figure sous le terme de
“maniaque de la pro
preté” ou “maniaque
de l'ordre”.
L’obsessionnel n’est pas un paranoïaque,
bien que l’on y pense souvent. Le para-
noïaque se méfie des autres et les sus-
pecte systématiquement de malveillance
à son égard. L’obsessionnel pense que les
autres sont trop insouciants pour bien
faire. Il redoute donc que la tâche ne soit
pas correctement effectuée, et non un
acte mal intentionné dirigé contre lui.
M. L doute, hésite : il pèse chacun des
arguments pour poursuivre ou arrêter son
traitement. Si son médecin le laisse faire,
il y perdra des heures. M. L s’attachera
aux détails, sans faire de distinction entre
les arguments essentiels et les autres.
Finalement, l’obsessionnel se retranche
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en médecine
Le développement de l'individu s'effectue
par étape. Le jeune enfant évolue et traverse,
tout d'abord, un stade où l'ensemble des plai-
sirs passe par la bouche, c’est le stade oral.
Le premier type de communication est le
sourire, puis vient la période où l'enfant sera
capable de devenir propre. Il n'y a qu'à voir
la figure réjouie des parents annonçant que
leur enfant est (enfin ou déjà, c'est selon)
propre pour comprendre l'importance, en
termes de communication, de ce stade (le
stade anal). En effet, pour la première fois,
l'enfant va pouvoir agir de par sa pro
pre
volonté sur le monde extérieur. Il va avoir tout
loisir pour retenir ses matières ou les donner.
Pour Freud, cette étape signe le premier
échange. Elle initie la symbolique du cadeau
et de l'argent. Donner ses matières, c'est faire
plaisir (tout comme donner un cadeau ou de
l'argent).
C'est le passage pathologique de ce stade qui
pourrait déterminer le caractère. En effet,
l'éducation du comportement sphinctérien
vise, en partie, à obtenir de l'enfant qu'il
renonce à cette satisfaction de retenir et
d'abandonner les matières à sa guise. L'échec
de cette discipline va résulter de la combi-
naison de deux facteurs : un excès d'attache-
ment au plaisir et la rébellion contre les
consignes de propreté.
Par la suite, l'individu va lutter contre ses
propres tendances. Il adoptera alors parfois
des attitudes excessives allant à leur encontre.
La difficulté d'abandonner des objets va se
traduire par une obstination, un entêtement,
un collectionnisme. Par excès de formations
réactionnelles, on peut voir des cadeaux
aussi surprenants que somptueux. Tel
homme, si avare avec sa famille, va faire un
don important à une fondation médicale. La
tendance à la saleté, à l'injure envers les
autres, la lutte contre l'autorité vont donner
lieu à un excès de propreté, à une
politesse
qui confine à l'obséquiosité, à la bonté, au
souci de justice et au respect de l'autorité.
Les continuateurs de Freud ont complété ses
descriptions. Pour Harry Stack Sullivan,
l’obsessionnalité est liée à une éducation
ambivalente : l’enfant grandit dans un milieu
en apparence calme, maîtrisé et poli, alors
qu’il est en réalité plein d’agressivité et
d’hostilité.
Psychopathologie pour les nuls
À faire À ne pas faire
Laissez-le exprimer sa personnalité Ne vous moquez pas d’emblée
dans un premier temps. de ses hésitations
Si vous bloquez l’obsessionnel d’emblée,
il ruminera en silence, et l’entretien
ne vous apprendra rien.
Devenez un peu obsessionnel Ne commencez pas à argumenter
vous-même : obligez-vous à ne faire vos décisions. Soucieux du débat,
que des remarques précises. l’obsessionnel vous posera une
première question sur votre décision
puis une deuxième sur le pourquoi
du premier argument, puis
une troisième sur le second, etc.
Sachez être concis et dire “stop” !
Soyez fiable (et à l’heure). Ne sortez pas votre plus beau sourire.
L’obsessionnel se méfie de ses propres
sentiments et de ceux des autres.
Il est mal à l’aise lorsque l’affectif
se mêle au rationnel.
Correspondances en médecine
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sur lui-même, se perdant dans les dédales
d’un raisonnement autocentré. Il adopte
le plus souvent un comportement confor-
miste, pour réduire au manimum le
risque de se tromper.
On l’aura compris, l’obsessionnel n’est
pas un émotionnel. Il cache son anxiété
ou sa tristesse et ne consulte que pour les
aspects les plus “neurologiques” de sa
dépression : le ralentissement psychomo-
teur et les plaintes somatiques.
Pour les cognitivistes, les schémas cen-
traux de l’obsessionnel sont “je dois me
contrôler parfaitement, ainsi que mon
environnement”, “je dois éviter les fautes
pour être parfait”. La notion d’autonomie
est constamment présente, et “je suis res-
ponsable de moi-même et des autres ”
exprime bien ce souci permanent de gérer
les choses le plus parfaitement possible.
Stratégie relationnelle
Pour gagner sa confiance et améliorer
son efficacité, vous devrez composer
avec la personnalité de l’obsessionnel.
Vous entrerez donc dans son jeu. Mais
fixez d’emblée les limites que vous ne
dépasserez pas.
Si vous prenez un engagement, respec-
tez-le. L’obsessionnel considère que les
autres sont insouciants, imprévisibles,
et que cette légèreté peut être à l’origine
de catastrophes. Pour obtenir sa
confiance, vous devez lui démontrer
votre fiabilité.
Si vous voulez sa confiance : soignez votre
tenue et le rangement de votre bureau. Ne
pratiquez pas d’emblée l’humour.
Soyez à l’heure à votre prochain rendez-
vous et ne le mettez pas en situation d’ur-
gence. Les obsessionnels ont besoin
d’ordre et de recul. Ils craignent la préci-
pitation qui irait à l’encontre de leur sys-
tème de pensée. Les mettre en urgence,
c’est s’assurer d’entraîner chez eux un
fort sentiment d’anxiété et par la suite un
grand ressentiment à votre égard.
Enfin, ne montrez pas votre opulence (ou
ce qu'il en reste) : son avarice le ferait fuir.
Si vous décidez d’un traitement, soyez
très affirmatif : pas de place au doute
dans vos propos face à un patient obses-
sionnel.
Pour la culture : sur le plan thérapeu-
tique, plusieurs études récentes pro-
duites par l'équipe de Belmaker, en
Israël, ont montré l'intérêt des séroto-
nergiques dans la prise en charge des
personnalités obsessionnelles, mais ces
travaux restent
du domaine de la
recherche. Pour l’heure,
M. L a présen-
té un état dépressif, et la question est
celle de l’interruption de traitement
antidépresseur. Selon les RMO, le
trouble dépressif a été traité dans le res-
pect des règles actuellement en
vigueur, il est donc licite d'interrompre
le médicament pour laisser souffler
M. O avant d'entreprendre un travail
psychothérapique.
correpondances
Les personnalités obsessionnelles au cinéma, dans la littérature et en politique
Au cinéma Dans Pour le pire et pour le meilleur, Jack Nicholson campe
un homme souffrant à la fois d’un TOC et d’une personnalité
obsessionnelle.
Les personnages de Jean-Pierre Melville donnent le plus souvent à voir
des “héros” froids, méticuleux et calculateurs.
Par exemple : Alain Delon dans Le samourou Bourvil dans
Le cercle rouge. Dans ce dernier film, Bourvil s’exclame dans l’une
des dernières répliques du film : “Tous coupables ! ”
En littérature Hercule Poirot, le héros d’Agatha Christie, pèse toujours soigneusement
chacun des éléments en sa possession. Il compte, vérifie, et ne fait
confiance qu’à très peu de monde.
En politique Les vrais obsessionnels ne réussissent pas en politique (ce qui n’est
pas le cas des paranoïaques).
Références
J Cottraux, I Blackburn. Thérapies cogni-
tives des troubles de la personnalité. Paris :
Masson, 1995.
F Lelord, C André. Comment gérer les per-
sonnalités difficiles ? Paris : Odile Jacob,
1996.
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