
Maurizio AMBROSINI8
REMI 2010 (26) 2 pp. 7-32
Dans cet article, je me propose de répondre à trois questions : 1) Qu’est-ce que
l’immigration irrégulière et comment la dénit-on ? 2) Pourquoi persiste-t-elle, se repro-
duit-elle et se révèle-t-elle si difcile à éradiquer ? 3) Pourquoi les mesures de régulari-
sation, sous une forme ou l’autre, s’avèrent-elles récurrentes et difcilement évitables ?
Dans le même temps, j’essaierai de montrer, d’un point de vue théorique, comment une
explication du phénomène se doit de combiner des facteurs structuraux, principalement
économiques, ainsi que des facteurs liés à l’agency des protagonistes, c’est-à-dire les
migrants et leurs réseaux, et des facteurs qui ont à voir avec la construction sociale (et
politique) du thème de l’immigration irrégulière dans le cadre des sociétés d’accueil.
DÉFINIR L’IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE
L’immigration irrégulière est l’une de ces notions qui paraissent évidentes au
sens commun, mais qui se révèlent bien plus complexes et problématiques quand on les
soumet à une analyse plus approfondie. C’est seulement dans le cadre de l’interaction avec
un appareil normatif qu’un déplacement peut être déni d’« irrégulier ». L’hétérogénéité,
la complexité et l’évolution des normes rendent en outre souvent incertaine et contro-
versée la dénition des cas particuliers. De plus, il s’y ajoute une stigmatisation morale
répandue qui se reète dans l’utilisation du terme « clandestin » : un terme qui devrait
indiquer l’entrée frauduleuse, mais qui est en réalité utilisé couramment pour dénir tous
les immigrés en condition irrégulière.
Comme le remarque le rapport de l’Icmpd (2009), on peut distinguer quatre
aspects principaux de la légalité du statut d’un migrant : l’entrée, la permanence, la régula-
rité du statut occupationnel (l’immigré dispose-t-il d’un permis qui l’autorise à travailler ?)
et la nature de l’occupation, c’est-à-dire la conformité aux dispositions générales concer-
nant les contrats de travail (payement des impôts, des cotisations pour la sécurité sociale,
etc.). Une cinquième dimension, qui croise les précédentes et qui ne fait pas référence à
proprement parler à la régularité du statut, concerne la question de l’identication et de la
connaissance de l’immigré de la part des autorités compétentes : sur la base de celle-ci,
il y a des immigrés qui ne disposent pas d’une autorisation à la résidence, mais dont la
présence est néanmoins connue et tolérée.
Croisant ces dimensions, on obtient une matrice complexe, où l’immigré peut se
trouver en règle sous certains aspects, mais pas sous d’autres. Par exemple, aux États-Unis
et au Royaume-Uni, nombre d’immigrés en situation irrégulière au regard de l’autorisa-
tion de séjour obtiennent, de différentes façons, des numéros de sécurité sociale et payent
régulièrement leurs cotisations. En Allemagne et dans d’autres pays, les demandeurs
d’asile, dont la demande a été rejetée, mais qui ne peuvent pas être expulsés, obtiennent
un statut de « tolérance » qui autorise leur présence sur le territoire, nominalement et à titre
provisoire, mais qui est en réalité souvent prolongé pendant des années.
Du point de vue législatif aussi, les États de l’Union européenne – en limitant
notre propos à un contexte d’harmonisation juridique croissant – ne dénissent pas de
façon homogène le statut de résidence légale, suivant des acceptions plus restrictives dans
certains pays (Espagne, Portugal, Royaume-Uni, etc.) et plus libérales dans d’autres. Les