Revue européenne des migrations internationales vol. 26 - n°2 | 2010 Numéro ouvert Migrants dans l’ombre. Causes, dynamiques, politiques de l’immigration irrégulière Migrants in the Shadow. Causes, Dynamics, Policies of the Irregular Immigration Migrantes en la sombra. Causas, dinámicas, políticas de la inmigración irregular Maurizio Ambrosini Éditeur Université de Poitiers Édition électronique URL : http://remi.revues.org/5113 DOI : 10.4000/remi.5113 ISSN : 1777-5418 Édition imprimée Date de publication : 1 septembre 2010 Pagination : 7-32 ISBN : 978-2-911627-55-2 ISSN : 0765-0752 Référence électronique Maurizio Ambrosini, « Migrants dans l’ombre. Causes, dynamiques, politiques de l’immigration irrégulière », Revue européenne des migrations internationales [En ligne], vol. 26 - n°2 | 2010, mis en ligne le 01 septembre 2013, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://remi.revues.org/5113 ; DOI : 10.4000/remi.5113 Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée. © Université de Poitiers Revue Européenne des Migrations Internationales, 2010 (26) 2 pp. 7-32 7 Migrants dans l’ombre Causes, dynamiques, politiques de l’immigration irrégulière Maurizio AMBROSINI*1 L ’immigration que l’on qualifie d’« irrégulière » a représenté, ces dernières années, un sujet sensible dans les sociétés d’accueil et un nœud très délicat des politiques migratoires. Presque partout les opinions publiques demandent une répression plus stricte du phénomène, considéré comme porteur d’illégalité et de désordre social, ce à quoi les gouvernements répondent en promettant une lutte plus déterminée contre l’entrée et le séjour non autorisés, renforçant les contrôles aux frontières, augmentant les efforts de coordination, déployant des technologies de plus en plus sophistiquées, durcissant les sanctions à l’encontre des transgresseurs. Pourtant, le nombre d’immigrés en situation irrégulière reste élevé. Malgré les difficultés de quantifier avec précision une population qui, par définition, reste difficile à appréhender, dans l’Europe communautaire les estimations oscillent entre 2,8 et 6 millions d’individus (Düvell, 2009). Et s’il y a eu une diminution au cours des dernières années, celle-ci découle, en premier lieu, de l’entrée dans l’Union des citoyens de pays de l’Europe Orientale qui auparavant contribuaient à gonfler les statistiques concernant l’irrégularité et, en deuxième lieu, aux mesures de régularisation, explicites ou masquées, promulguées par les différents gouvernements. Pour les États-Unis, les chiffres sont encore plus frappants, oscillant entre 10 et 12 millions d’individus, avec des estimations de plus de 500 000 cas supplémentaires chaque année (Jasso et al., 2008). Une autre estimation faisant référence aux seules entrées irrégulières dès l’année 2000 fait état, pour l’Europe, d’un volume compris entre 400 000 et 600 000 cas par an en grande partie entrés sur le territoire par les frontières orientales par l’intermédiaire des professional smugglers (Jandl, 2007) dont le rôle est de plus en plus important. Cependant, la majorité des migrants en situation irrégulière ne traverse pas les frontières de façon illégale et se compose plutôt d’overstayers entrés de façon régulière, souvent avec des visas touristiques (De Haas, 2007). * Docente di sociologia dei processi migratori, Dipartimento di Studi sociali e politici, Universita’ degli studi di Milano, via Conservatorio, 720122 Milano ; [email protected] 1 8 Maurizio AMBROSINI Dans cet article, je me propose de répondre à trois questions : 1) Qu’est-ce que l’immigration irrégulière et comment la définit-on ? 2) Pourquoi persiste-t-elle, se reproduit-elle et se révèle-t-elle si difficile à éradiquer ? 3) Pourquoi les mesures de régularisation, sous une forme ou l’autre, s’avèrent-elles récurrentes et difficilement évitables ? Dans le même temps, j’essaierai de montrer, d’un point de vue théorique, comment une explication du phénomène se doit de combiner des facteurs structuraux, principalement économiques, ainsi que des facteurs liés à l’agency des protagonistes, c’est-à-dire les migrants et leurs réseaux, et des facteurs qui ont à voir avec la construction sociale (et politique) du thème de l’immigration irrégulière dans le cadre des sociétés d’accueil. DÉFINIR L’IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE L’immigration irrégulière est l’une de ces notions qui paraissent évidentes au sens commun, mais qui se révèlent bien plus complexes et problématiques quand on les soumet à une analyse plus approfondie. C’est seulement dans le cadre de l’interaction avec un appareil normatif qu’un déplacement peut être défini d’« irrégulier ». L’hétérogénéité, la complexité et l’évolution des normes rendent en outre souvent incertaine et controversée la définition des cas particuliers. De plus, il s’y ajoute une stigmatisation morale répandue qui se reflète dans l’utilisation du terme « clandestin » : un terme qui devrait indiquer l’entrée frauduleuse, mais qui est en réalité utilisé couramment pour définir tous les immigrés en condition irrégulière. Comme le remarque le rapport de l’Icmpd (2009), on peut distinguer quatre aspects principaux de la légalité du statut d’un migrant : l’entrée, la permanence, la régularité du statut occupationnel (l’immigré dispose-t-il d’un permis qui l’autorise à travailler ?) et la nature de l’occupation, c’est-à-dire la conformité aux dispositions générales concernant les contrats de travail (payement des impôts, des cotisations pour la sécurité sociale, etc.). Une cinquième dimension, qui croise les précédentes et qui ne fait pas référence à proprement parler à la régularité du statut, concerne la question de l’identification et de la connaissance de l’immigré de la part des autorités compétentes : sur la base de celle-ci, il y a des immigrés qui ne disposent pas d’une autorisation à la résidence, mais dont la présence est néanmoins connue et tolérée. Croisant ces dimensions, on obtient une matrice complexe, où l’immigré peut se trouver en règle sous certains aspects, mais pas sous d’autres. Par exemple, aux États-Unis et au Royaume-Uni, nombre d’immigrés en situation irrégulière au regard de l’autorisation de séjour obtiennent, de différentes façons, des numéros de sécurité sociale et payent régulièrement leurs cotisations. En Allemagne et dans d’autres pays, les demandeurs d’asile, dont la demande a été rejetée, mais qui ne peuvent pas être expulsés, obtiennent un statut de « tolérance » qui autorise leur présence sur le territoire, nominalement et à titre provisoire, mais qui est en réalité souvent prolongé pendant des années. Du point de vue législatif aussi, les États de l’Union européenne – en limitant notre propos à un contexte d’harmonisation juridique croissant – ne définissent pas de façon homogène le statut de résidence légale, suivant des acceptions plus restrictives dans certains pays (Espagne, Portugal, Royaume-Uni, etc.) et plus libérales dans d’autres. Les REMI 2010 (26) 2 pp. 7-32 Migrants dans l’ombre 9 différences entre les lois sur l’immigration et sur le travail conduisent à leur tour à différentes formes d’irrégularité entre les étrangers qui sont présents sur le territoire (Icmpd, 2009). La distinction entre les vieux pays de l’Union, dont les citoyens jouissent d’une pleine liberté de mouvement et d’accès au marché du travail ; les nouveaux pays, dont les citoyens ont aujourd’hui un statut plus favorable, mais rencontrent encore des restrictions quant à l’emploi ; les pays développés extérieurs à l’Union, mais qui sont membres de l’Ocde ; enfin, ceux que l’on appelle les « pays tiers », les pays en réalité classifiés comme pauvres, sont une autre source de complexité qui nous renvoie au concept de « stratification civique » proposé par Morris (2002). Les immigrés étrangers sont de plus en plus différenciés du point de vue juridique et donc des droits dont ils peuvent jouir. Les immigrés, résidents de longue durée, jouissent d’un statut plus sûr et de plus de droits par rapport à ceux qui sont arrivés récemment, qui à leur tour sont en meilleure situation que celle des immigrés admis comme travailleurs saisonniers. À la base de la hiérarchie, on trouve les immigrés dont le séjour entre en conflit avec les normes des sociétés de destination et qui échouent donc dans une situation d’irrégularité. La même amélioration de la condition juridique et de la dotation de droits des immigrés autorisés au séjour a conduit à un écart entre leur statut et celui des immigrés sans papiers (Sciortino, 2010). Derrière ce scénario, il y a une question de construction politique des différences et des frontières. L’immigration irrégulière a à faire avec le fonctionnement des États modernes et avec leur appareil de contrôle du territoire. Au temps de la mondialisation, le contrôle des frontières reste l’un des symboles principaux de la souveraineté nationale et devient, a contrario, l’objet d’investissements plus importants que par le passé. Le passage non autorisé des frontières et la résidence sur le territoire en l’absence des documents demandés font l’objet d’une crainte sociale et politique grandissante en tant que défis à la souveraineté de l’État. Les gouvernements ressentent le besoin de rassurer les citoyens sur le fait que les frontières sont surveillées et les menaces d’intrusions de l’extérieur efficacement combattues (Anderson, 2008). Les problèmes du terrorisme international, du fonctionnement des systèmes de protection sociale, de la réglementation du marché du travail, de l’identité socio-culturelle de la nation sont, tour à tour, évoqués pour justifier l’effort dans la surveillance des frontières. Les immigrés en situation irrégulière sont donc ceux qui, par leurs déplacements, installations, insertions dans le marché du travail, rentrent en opposition avec la réglementation de la mobilité humaine instituée par les États, elle-même hiérarchiquement différenciée selon les pays d’origine des candidats à l’entrée. L’action politico-normative a un rôle décisif dans la constitution et dans la modification des catégories d’encadrement des migrants, dans la restriction ou l’élargissement de leurs possibilités d’obtenir ou de garder un statut de légalité, dans la définition des opportunités de sortie de la situation inconfortable d’irrégulier. Il faut donc être conscient de la fluidité et de la réversibilité des définitions : le statut de résident légal peut être obtenu ou perdu de plusieurs façons, et l’irrégularité de la condition juridique n’est pas une donnée de nature ou une marque indélébile : « la migration régulière facilite la migration irrégulière à travers le fonctionnement des réseaux migratoires [voir infra, n.d.r.], souvent, l’entrée régulière précède le séjour irrégulier et nombre de migrants actuellement réguliers ont été irréguliers REMI 2010 (26) 2 pp. 7-32 10 Maurizio AMBROSINI dans une phase de leur migration ou de leur séjour. Par conséquent, les migrants réguliers et les migrants irréguliers tendent souvent à se déplacer vers les mêmes destinations » (De Haas, 2007 : 3). La même stigmatisation est appliquée de façon différente selon le genre, le rôle économique, le contexte d’insertion des migrants en condition irrégulière. Par exemple, en Italie et dans d’autres pays, les femmes impliquées dans des activités d’assistance à domicile de personnes âgées en sont épargnées de fait dans la perception commune et dans les rapports quotidiens. Le problème émerge quand elles doivent rentrer en contact avec les services et les appareils publics. Des considérations sociales concernant l’utilité ou le « mérite » des immigrés (Cozzi, 2007) ou, au contraire, le danger qu’ils représentent ou leur nocivité pour le paysage des villes rentrent en jeu aussi dans le cas des sans-papiers, conditionnant les pratiques de contrôle, de rétention et de déportation. Tous les immigrés non autorisés ne sont pas égaux, et ne sont pas traités de la même façon. DEMANDE DE BRAS ET FERMETURES POLITIQUES Les immigrés en condition irrégulière font l’objet de discours antinomiques. Ils sont considérés d’une part comme des criminels dangereux, de l’autre comme les victimes de trafics et d’exploitations (Anderson, 2008). Si l’on s’intéresse à la persistance du phénomène, à sa dissémination dans une pluralité de formes, à la variété de ses modalités d’insertion dans les sociétés d’accueil, on est en position de penser qu’il y a différentes composantes causales en jeu. En nous réclamant d’une dichotomie sociologique classique, nous pouvons affirmer que certaines d’entre elles renvoient à la structure économique et politique, d’autres à l’initiative des acteurs (human agency). Il faut ajouter que l’accent mis sur les jeux d’interaction avec la société d’accueil, dans lequel l’immigration irrégulière est définie, renvoie à une troisième approche : celle de la tradition phénoménologique. La question de l’immigration irrégulière, et de son insertion dans les économies des pays de destination, peut être considérée, en premier lieu, comme une conséquence typique des tensions existantes entre demande de main-d’œuvre pour les tâches les moins convoitées et les strictes restrictions politiques vis-à-vis de l’immigration légale pour des raisons de travail. L’Union européenne a déployé bien des efforts pour le renforcement des contrôles et pour la coordination intergouvernementale de la répression de l’immigration irrégulière2, par rapport aux efforts plus modestes et aux résultats encore plus modestes obtenus sur le plan des politiques pour l’autorisation à l’entrée. Le discours institutionnel européen de la dernière décennie a abordé le thème des nouvelles entrées en les situant aux 2 Financé par l’Union européenne à hauteur de 42 millions d’euros le système Frontex, promulgué en 2005 pour coordonner la vigilance sur les frontières extérieures à l’Union, a produit en 2007, 163 903 rejets aux frontières européennes, dont la majeure partie en Grèce (73 000 cas aux frontières terrestres) ; suivent l’Espagne (27 900), puis l’Italie (21 650), engagées surtout dans le contrôle de l’immigration africaine. REMI 2010 (26) 2 pp. 7-32 Migrants dans l’ombre 11 deux pôles extrêmes du marché du travail (travailleurs hautement qualifiés d’un côté et travailleurs saisonniers de l’autre), suivant l’exemple allemand. Plus que le respect effectif des exigences des systèmes économiques, le but inavoué de ces propositions semble être de canaliser les ouvertures éventuelles vers les types de migrants socialement et politiquement les mieux acceptés : les professionals qui ont des hauts revenus et les travailleurs admis avec des contrats de courte durée et destinés à retourner, sitôt celui-ci terminé, dans leur pays d’origine. Du côté des dynamiques effectives, les demandes de main-d’œuvre de la part des marchés vont bien au-delà de ces prévisions prudentes. Comme on l’a déjà observé, l’idée que l’économie contemporaine ait aboli les travaux des 3D (dirty, dangerous, demanding : sales, dangereux et lourds) est l’un des plus grands mensonges de notre époque (Castles, 2002). Les économies néo-libérales ont même augmenté la demande de travail à bas coût et hautement flexible, favorisant une reprise de l’économie souterraine dont la main-d’œuvre est majoritairement constituée justement par des immigrés en condition irrégulière et des demandeurs d’asile : le bâtiment, l’hôtellerie, les services domestiques représentent les domaines d’activités les plus significatifs (Vasta, 2008). La régulation politique, à son tour, tout en durcissant les contrôles aux frontières, a agi dans le sens de la libéralisation du marché du travail et de l’allégement des contraintes envers la sous-traitance : pour illustrer cette contradiction, Rea (2010) parle de « double main droite » des États. Aux États-Unis, une estimation du Pex Hispanic Center estime que 7 millions d’immigrés en condition irrégulière occupent un emploi, constituant 5 % du total de la force de travail du pays, avec des pointes de 29 % parmi les réparateurs de toits, de 25 % parmi les ouvriers du bâtiment, de 24 % parmi les travailleurs agricoles (Luconi et Pretelli, 2008). Concernant les tendances du marché, les gouvernements qui proclament une lutte sans répit à l’immigration non autorisée montrent ensuite une attitude pour le moins ambivalente par rapport au contrôle de l’économie souterraine. Toujours aux États-Unis, après le 11 septembre 2001, les législateurs se sont rendus compte que le marché du travail était hors de contrôle au regard du nombre très réduit d’entrepreneurs frappés par des sanctions à cause de l’emploi de travailleurs étrangers non autorisés. Il ne s’en est pas suivi d’actions particulièrement incisives. Une mesure qui imposait aux employeurs de licencier, dans un délai de trois mois, les travailleurs qui avaient été embauchés grâce à des numéros de sécurité sociale qui ne correspondaient pas aux données en la possession du Department of Homeland Security, a été déclarée illégitime par un juge qui a considéré sans fondement la base de données de la Social Security Administration, en raison du nombre élevé d’erreurs. Dans l’Union européenne, les pays méditerranéens, par le passé lieux d’émigration, ont montré avec une évidence particulière au cours des quinze, vingt dernières années leur incapacité à satisfaire à leurs propres besoins de main-d’œuvre en puisant exclusivement dans les bassins nationaux de force de travail respectifs. Plusieurs aspects de leur organisation socio-économique ont alimenté une importante demande de travail immigré : des systèmes productifs qui mélangent des éléments traditionnels à des éléments innovants ; l’importance de secteurs à haute intensité de travail comme l’agriculture méditerranéenne, le bâtiment, l’hôtellerie ; des facteurs de modernisation sociale comme la REMI 2010 (26) 2 pp. 7-32 12 Maurizio AMBROSINI participation des femmes au marché du travail extra-domestique, liée à la centralité persistante de la famille dans la fourniture des services de soin et dans l’organisation de la vie quotidienne (Ribas-Mateos, 2004). Ce qui résulte du décalage entre les restrictions politiques à la mobilité du travail et la demande économique de main-d’œuvre est justement la formation de réservoirs plus ou moins importants d’immigration irrégulière qui s’insère dans les interstices des systèmes économiques et sociaux des pays de destination, même de façon continue. Une publication de l’Ocde (2000) repérait une série de secteurs dans lesquels on enregistrait les plus grandes concentrations de travailleurs étrangers en condition irrégulière : l’agriculture, l’industrie manufacturière, le bâtiment et les travaux publics et certaines branches des services comme l’industrie touristique. Des caractéristiques comme les marges de profits réduits, la concurrence élevée, les fluctuations saisonnières de la demande rapprochent ces secteurs. Les entreprises, généralement petites, visent à réduire les coûts du travail et à obtenir la plus grande flexibilité, sous la forme surtout de haute intensité de travail pour des périodes brèves. Ainsi que pour l’économie souterraine en général, on peut en outre repérer des facteurs plus précis qui favorisent la persistance de rapports de travail non codifiés : un lieu de travail peu défini, variable ou difficile à contrôler (comme les terrains agricoles, les chantiers du bâtiment, les entreprises de nettoyage, etc.) ; la présence d’employeurs peu structurés et peu formalisés (petites activités familiales, unités domestiques, travailleurs indépendants, etc.) ; un intérêt du consommateur pour la réduction des coûts du service acheté, en fermant les yeux sur la facturation des prestations ; une convergence d’intérêts entre l’employeur et le travailleur pour maintenir le rapport de travail dans le cadre informel, fait qui est particulièrement évident dans le cas de travailleurs ne possédant pas d’autorisations régulières. Souvent, on délimite le phénomène de l’importation de main-d’œuvre étrangère, surtout irrégulière, par une formule expéditive : l’économie demande des immigrés, la société les refuse. Mais si nous examinons le rôle des familles en tant qu’employeurs des immigrés en condition irrégulière (Ambrosini, 2008b ; Ehrenreich et Hochschild, 2002 ; Van Valsum, 2010), la question devient plus complexe : ces citoyens qui craignent et refusent l’immigré étranger, au sens de figure abstraite et menaçante, souvent recherchent activement et embauchent l’immigré concret (souvent de genre féminin), connu personnellement, sans trop s’attarder sur la possession de permis et autorisations quand ils doivent faire face à des exigences domestiques qui ne trouvent pas de réponses adéquates dans le welfare public. Au contraire, les immigrés nouvellement arrivés, sans liens familiaux et sans toit, disposés à tout pourvu qu’ils trouvent du travail, sont les candidats idéaux pour couvrir, qui plus est à bas prix, les besoins de soin et d’assistance en cohabitation pour des personnes âgées et des enfants. À ce sujet, des remarques s’imposent. - Le cas des services domestiques et d’assistance est exemplaire d’une offre de travail qui, par sa propre présence et disponibilité au travail, même à bas prix, sans cotisations ni protection contractuelle, a créé sa propre demande. REMI 2010 (26) 2 pp. 7-32 Migrants dans l’ombre 13 - Le besoin d’assistance, surtout envers les personnes âgées naît souvent à l’improviste, il ne peut donc pas attendre les longues procédures des autorisations à l’entrée ou des « décrets-flux » italiens. - Le travail en cohabitation, surtout dans l’assistance aux personnes âgées non autonomes, est épuisant et très difficile à tenir dans la durée ; une fois qu’ils ont obtenu la régularisation, tant attendue, nombre de travailleurs changent d’emploi et cherchent des situations moins contraignantes et la possibilité d’avoir une vie privée. Il s’ensuit un besoin permanent d’immigrés nouvellement arrivés et disponibles pour ce type de travail, et donc de fait des immigrés sans papiers. L’intérêt inavoué pour l’attraction et la mise au travail d’immigrés irréguliers, hautement flexibles et peu coûteux, implique aussi plusieurs acteurs économiques, politiques et sociaux, au-delà des bénéficiaires directes. D’abord les employeurs de femmes autochtones avec des charges familiales y gagnent l’avantage d’une présence sur leur lieu de travail plus continue, et si nécessaire prolongeable, quand c’est quelqu’un d’autre qui s’occupe de la maison, des enfants, des parents âgés. Mais si l’on s’intéresse aux entreprises, aujourd’hui organisées dans des systèmes complexes d’outsourcing, nous pouvons repérer d’autres avantages. Par exemple le nettoyage ou le déplacement des marchandises, sont aujourd’hui généralement confiés à des entreprises extérieures sélectionnées sur des appels d’offres au rabais : pour réduire les coûts, celles-ci emploient aussi de la main-d’œuvre immigrée irrégulière. L’épargne ainsi obtenue par l’entreprise commanditaire devient un facteur de compétitivité qui favorise les investissements technologiques et les exportations. Quelque chose de similaire se produit aussi dans le secteur public, dans les grands travaux du bâtiment, où les sous-traitances en cascade impliquent souvent des emplois au noir pour réduire les coûts, mais aussi dans le nettoyage et la manutention des hôpitaux, des mairies, des bureaux, des universités. Ici encore, on a recours aux appels d’offres au rabais et l’emploi du travail au noir est endémique. Le travail irrégulier, d’autant plus dans le cas d’immigrés qui ne peuvent pas revendiquer de droits, permet des économies considérables et donc concourt au redressement des comptes publics (Ambrosini, 2008d). Un autre cas qui fait régulièrement l’objet d’articles de presse est celui de l’exploitation des immigrés travaillant aux récoltes de fruits et légumes dans l’agriculture intensive. Ce phénomène est bien connu et toléré par les différentes autorités dans plusieurs régions d’Europe. Nombre d’acteurs en profitent : des propriétaires agricoles aux intermédiaires et aux réseaux commerciaux jusqu’aux acheteurs. Ces derniers peuvent acheter des produits à des prix inférieurs à ceux qu’ils devraient payer si le travail de récolte s’était déroulé en observant toutes les règles de la légalité. Au moins sur une courte durée donc, le recours au travail d’immigrés sans droits et de toute façon contents d’avoir trouvé du travail est une bonne affaire pour de vastes secteurs de l’économie. C’est pour cela que, en référence à la conceptualisation de Brochmann (1998), les gouvernements investissent surtout dans les contrôles extérieurs, prenant comme cible directement les immigrés au moment du passage des frontières. De loin moins incisifs se révèlent être, au contraire, les contrôles sur les territoires nationaux, plus difficiles à organiser, mais aussi susceptibles de frapper les intérêts des employeurs autochtones, capables de faire pression sur les gouvernements. Bien plus, il s’agirait en REMI 2010 (26) 2 pp. 7-32 14 Maurizio AMBROSINI définitive de mettre en discussion un réseau d’intérêts tacites, économiques et sociaux, qui s’appuient sur l’exploitation du travail non déclaré des immigrés en condition irrégulière. Souvent, dans la littérature, le recours au travail des immigrés non autorisés est associé aux marchés du travail de l’Europe méridionale et aux dimensions dites « anormales » de l’économie souterraine dans ces pays. En réalité, il ne semble pas que les pays de l’Europe du centre-nord soient étrangers à ce phénomène. De Haas (2007) relate qu’en Hollande 1,5 % seulement des entreprises sont soumises annuellement aux contrôles et que le gouvernement hollandais s’est opposé à la proposition du commissaire européen de l’époque, Frattini, d’élever à 10 % le quota des entreprises contrôlées, donnant des raisons liées aux coûts et à la lourde charge administrative d’une telle opération. Au Royaume-Uni, selon Vasta (2008), la tolérance des autorités vis-à-vis du travail irrégulier des immigrés est un fait bien connu et profitable aux intérêts du système économique. Par exemple, on a découvert que 6 653 immigrés sans papiers travaillaient dans le secteur de la sécurité, avec une autorisation ministérielle régulière, simplement grâce à l’utilisation de numéros de sécurité sociale contrefaits. Les expulsions occasionnelles servent en tant que moyen de dissuasion, comme un instrument pour maintenir les immigrés sans-papiers dans un état d’insécurité, et une stratégie pour rassurer l’opinion publique intérieure. Dans le cas de l’Allemagne, Morokvasic (1999) a parlé de « rotation autogérée » des migrants issus de l’Europe orientale qui passent la frontière avec des visas touristiques, trouvent ensuite des travaux occasionnels dans le secteur agricole, dans le bâtiment, dans la réparation des voitures, ou bien, s’il s’agit de femmes, dans les services domestiques et d’assistance. Ils rentrent, avant l’expiration de leurs permis dans le pays d’origine et prennent souvent le relais de membres de la famille, amis et connaissances. Pour les années 1990, l’estimation est de 600 000 à 700 000 « touristes-travailleurs » par an qui s’arrêtent pour des séjours de quelques mois, parfois de quelques jours, plusieurs fois répétés au cours de l’année (Morokvasic, 2004). Suite à l’élargissement de l’Union, les déplacements sont devenus plus libres, mais le modèle de l’immigration pendulaire camouflée en voyage touristique semble encore très pratiqué. En temps de récession aussi on n’observe pas de phénomènes de réappropriation des travaux fatigants de la part des citoyens nationaux des pays développés, ni de retour au pays d’origine des immigrés. Nous savons encore peu de choses des effets de la récession, mais la baisse du pouvoir d’achat pourrait aussi entraîner une augmentation du recours à l’économie informelle, et par conséquent du travail irrégulier dans ses formes différentes. Un autre scénario est plausible : la perte du travail, pour les immigrés, peut entraîner la perte du permis de séjour. Il n’est pas acquis non plus qu’une fois perdu le statut de résidents autorisés les immigrés quittent le pays, il se pourrait alors que le nombre d’immigrés en situation irrégulière augmente, comme cela s’est déjà produit en Irlande (Düvell, 2009). REMI 2010 (26) 2 pp. 7-32 Migrants dans l’ombre 15 LES CONTRADICTIONS POLITIQUES ET LA QUESTION DES RESSOURCES Comme nous l’avons montré plus haut, les intérêts en jeu permettent de comprendre le recours et la tolérance au travail des immigrés en condition irrégulière, mais ce n’est pas le seul aspect du phénomène. On observe d’abord des formes de production institutionnelle de l’illégalité (Calavita, 2005). Les recherches et les analyses sur le phénomène de l’immigration non autorisée soulignent ainsi, les incertitudes normatives, les longueurs, les contradictions de procédure et d’interprétation qui finissent par engendrer une population de personnes en situation irrégulière malgré eux. Böhning (1983) déjà, dans le cadre du Bureau International du Travail, avait parlé d’« irrégularité institutionnelle », quand des étrangers se trouvent en situation irrégulière à cause de lois ambiguës, d’administrations incompétentes ou de l’absence de politiques migratoires explicites dans les pays de destination. Le rapport de l’Icmdp (2009) a montré que les législations en matière de regroupement familial sont très hétérogènes entre les États membres de l’Union européenne. Certains demandent des standards très élevés, d’autres n’ont pas de règles codifiées. Certains aussi admettent dans le regroupement familial les partenaires non mariés (Belgique, Danemark, Finlande, France, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède), alors que la Cour Européenne des droits de l’Homme est en train d’intervenir dans une série de cas spécifiques. D’où la proposition d’une harmonisation au niveau européen, avec l’idée qu’une réglementation plus favorable n’entraînera pas une augmentation du nombre des entrées, mais une augmentation des résidents légaux. Quand on refuse à un travailleur immigré le regroupement familial − si ses revenus sont considérés comme trop bas ou que son logement est considéré comme trop petit ou pas assez confortable − sur la base de critères définis par les autorités du pays d’accueil et mis en application de façon généralement restrictive, on encourage, au moins indirectement, le phénomène des regroupements non autorisés. Au sein du marché du travail, la convergence de critères plus stricts pour se voir maintenu le statut de résident régulier, notamment sur la durée de la période de chômage tolérée dans une conjoncture économique défavorable, risque d’augmenter le nombre des immigrés en situation irrégulière, sans pour cela obtenir des garanties quant à leur départ effectif du pays d’accueil. Une réglementation plus stricte des passages des frontières fait apparaître des conséquences inattendues : les immigrés sans papiers, ou entrés avec des visas touristiques ont tendance à rester sur le territoire. Ils n’osent pas retourner dans leur pays d’origine de peur de ne pas pouvoir traverser la frontière une deuxième fois. C’est seulement lorsqu’ils parviennent à obtenir un statut de résident légal que, paradoxalement, ils entreprennent de rentrer dans leur pays d’origine retrouver leur famille. L’augmentation des coûts de l’immigration non autorisée œuvre dans la même direction : pour payer les passeurs ou d’autres acteurs ayant favorisé l’entrée sur le territoire, les migrants ont besoin de rester et de travailler plus longtemps, quelles que soient les conditions (Sciortino, 2010). REMI 2010 (26) 2 pp. 7-32 16 Maurizio AMBROSINI Une autre série de considérations naît de la constatation que les États ne sont pas des organismes monolithiques, mais qu’ils rassemblent des secteurs qui doivent satisfaire des objectifs différents et qui opèrent selon des logiques et des procédures partiellement autonomes, engendrant une fragmentation des compétences à l’intérieur des appareils étatiques (Van Amersfoort, 1996). La production normative, l’action des gouvernements et l’application des dispositions de la part des administrations doivent tenir compte d’intérêts et de pressions qui peuvent directement ou indirectement rentrer en conflit avec l’objectif d’un contrôle plus rigide des frontières. En premier lieu, le système des relations internationales − c’est-àdire l’ensemble des relations diplomatiques, des échanges commerciaux et des conventions internationales − limite de fait le contrôle de la mobilité des individus (Boswell, 2007). En deuxième lieu, des intérêts internes, comme ceux de l’industrie touristique ou l’ensemble des échanges culturels, artistiques et sportifs, vont dans le sens d’une plus grande ouverture des frontières3. Il faut aussi mentionner l’action des cours de justice et des appareils de welfare qui fonctionnent institutionnellement selon des logiques non discriminatoires : les bureaucraties tendent à standardiser leurs activités, et les cours de justice demandent de la cohérence dans l’application des principes juridiques. Il s’ensuit une poussée vers l’inclusion des migrants dans le système des droits (Guiraudon, 2002). Les gouvernements apparaissent ainsi comme plus faibles que ce que la production normative ou les discours officiels laissent penser (Boswell, 2007). Enfin des considérations très pragmatiques s’imposent concernant les coûts économiques des politiques de répression plus efficaces et la difficulté pratique de mettre en acte des procédures d’expulsion vis-à-vis d’immigrés dont l’identité et l’origine ne sont pas certaines, ou bien originaires de pays avec lesquels aucun accord pour la réadmission des expulsés n’a été conclu. La conséquence paradoxale est que dans différents pays on arrête et l’on retient, afin de les identifier et de les réexpédier dans leur pays d’origine, uniquement les immigrés issus de pays disposés à coopérer en matière de contrôle des migrations, et selon la disponibilité des ressources économiques et logistiques (les places dans les centres de rétention temporaire, la disponibilité d’agents des forces de l’ordre à affecter au secteur, etc.) nécessaires à la mise en pratique des procédures. L’entrelacement de questions éthiques et d’oppositions de principe, mais aussi les problèmes de coûts et d’efficience économique, sans négliger le stress, le burn-out et le turn-over des personnes préposées, sont mis en lumière dans l’analyse que Carling (2007) a consacrée au fonctionnement du système de contrôle mis en place par le gouvernement espagnol vis-à-vis de l’immigration illégale en provenance d’Afrique. Aux États-Unis, la construction du mur le long de la frontière avec le Mexique a demandé un crédit de 1,2 milliard de dollars approuvé par le Congrès. On estime pourtant que les travaux à réaliser en fonction de ce qui est prévu par la loi supposent des coûts d’au moins 2,2 milliards de dollars, et donc plusieurs voix ont émis des doutes quant à l’accomplissement effectif du projet (Luconi et Pretelli, 2008). L’augmentation du nombre 3 Dans le cas des pèlerinages vers les lieux de culte, très significatif pour l’Italie, mais aussi pour d’autres pays de tradition catholique, comme la France ou le Portugal, les autorités religieuses exercent des pressions pour rendre plus aisées les entrées en provenance de pays tiers. REMI 2010 (26) 2 pp. 7-32 Migrants dans l’ombre 17 d’agents de police aux frontières (de 9 000 avant le 11 septembre 2001, ils sont aujourd’hui 13 000 et l’on prévoit de porter leur nombre à 18 000) entraîne d’autres coûts à la charge du gouvernement fédéral. En Italie, le séjour non autorisé, qualifié de crime, l’arrestation pour ceux qui désobéissent à l’ordre d’expulsion, le prolongement de deux à six mois du temps maximal de rétention dans les Centres d’Identification et d’Expulsion, tout cela, accompagné d’une rhétorique publique prônant une lutte sans répit vis-à-vis de l’immigration non autorisée se heurte à une donnée : dans le pays, seules 1 160 places sont disponibles aux immigrés destinés à être expulsés, bien que le Gouvernement ait transféré la quasi-totalité des ressources destinée au fond pour l’intégration des immigrés au volet de la répression de l’immigration irrégulière. Qui plus est, les communautés locales s’insurgent lorsqu’on annonce la nouvelle de l’installation de nouveaux CIE et l’ouverture de nouvelles structures est souvent bloquée. Il s’ensuit que les retours forcés (qui résultent de la somme entre expulsion et réadmissions) ont été en 2008 inférieurs à 18 000, soit moins de 3 % du nombre estimé des séjournants en condition irrégulière. Il faut ajouter aussi que l’efficacité des mesures diminue dans le temps, ainsi, le pourcentage des rapatriements des personnes frappées par des mesures d’éloignement est descendu de 56,8 % en 2004 à 34,3 % en 2008. Parmi les personnes retenues dans les CIE, le taux d’expulsion est descendu à 41 %, par rapport au taux déjà modeste de 46,8 % des trois années précédentes (Caritas-Migrantes, 2009). En Espagne les données reportées par Carling (2007) relatives à la période 2002-2003 montrent que seulement un quart des immigrés, non autorisés et arrêtés, ont été effectivement expulsés alors que 66 000 ont été remis en liberté. Les immigrés effectivement expulsés ne représentent donc qu’une petite fraction, beaucoup moins que ceux qui sont interceptés par les appareils de sécurité qui, de toute façon, évitent, en règle générale, d’effectuer des contrôles trop approfondis. Les motifs de ce faible succès de l’action de répression sont différents et vont de la collaboration réduite des autorités des pays d’origine, à la difficulté d’identification ainsi qu’à la protection accordée par les lois et les conventions internationales à différentes catégories de personnes expatriées (femmes enceintes, mineurs, personnes fuyant des zones touchées par des conflits, etc.). Mais une raison fondamentale, pas toujours signalée par les études sur ce sujet, fait référence aux moyens logistiques : comment les surveiller, comment trouver les moyens pour les rapatrier ? Aucun pays démocratique, en tout cas, ne peut se vanter d’obtenir de grands succès lorsqu’il s’agit de répression de l’immigration irrégulière. LA CONTRAINTE LIBÉRALE Nous rencontrons ici un autre facteur qui a un rôle important dans la limitation de l’efficacité des normes de protection des frontières et qui défend les migrants en condition irrégulière soit contre des procédures trop radicales de recherche et de repérage, soit contre des dispositions hâtives d’éloignement du territoire national. Ce sont les garanties que les REMI 2010 (26) 2 pp. 7-32 18 Maurizio AMBROSINI systèmes de réglementation des pays à régime démocratique fournissent pour protéger les droits des personnes, y compris les non-citoyens, c’est-à-dire celles de la « contrainte libérale » (Hollifield, 1992), ou en d’autres termes, du « libéralisme incorporé » dans les institutions politiques et administratives (Ruggie, 1982). Cela empêche, en principe, de mettre en œuvre des mesures drastiques d’expulsion, d’utiliser des armes pour arrêter les individus qui tentent de franchir les frontières illégalement, d’expulser sans garanties juridiques, de procéder à des interventions dans des maisons privées à la recherche d’immigrés en situation irrégulière et d’avoir recours à des mesures comme celles qui, dans certains pays extra-européens, ont été utilisées avec succès pour limiter le phénomène des immigrations non désirées, mais aussi pour inverser des flux migratoires consolidés depuis des décennies. S’acheminant sur une telle route, les démocraties risqueraient de tomber dans des contradictions dangereuses pour leur nature même : pour devenir plus efficaces dans la répression du séjour non autorisé, elles devraient devenir moins libérales (Sciortino, 2000). Si le principe de la souveraineté implique le droit de l’État de contrôler les frontières nationales et de définir les procédures pour l’admission des étrangers sur le territoire, dans une société libérale-démocratique ces prérogatives sont tempérées et limitées par les Droits de l’Homme, dont les individus ne bénéficient pas en tant que citoyens, mais en tant qu’êtres humains (Benhabib, 2005 : 198). Par conséquent, « les démocraties libérales ont toujours le devoir, quand elles surveillent leurs frontières, de démontrer que la façon dont elles mettent en acte leur surveillance ne viole pas les droits fondamentaux de l’Homme » (ibid. : 225). Ainsi, le respect des Droits de l’Homme entre souvent en conflit avec la souveraineté des États, qui considèrent l’entrée ou le séjour non autorisés comme un défi au contrôle de leurs frontières (Wihtol de Wenden, 2009). Il convient de noter que, selon l’organisation Fortress Europe, en 2008 la presse a annoncé la mort de 1 502 personnes ayant tenté d’atteindre l’Europe par le sud de la Méditerranée, sans compter les naufragés, dont il ne reste aucune trace. Ce n’est pas un grand soulagement d’apprendre que l’on enregistre une baisse de 23 % par rapport à 2007, alors qu’au contraire, dans le canal de Sicile, les victimes signalées ont augmenté, passant de 302 en 2006, à 556 en 2007, jusqu’à 642 en 20084. Depuis 1988, le nombre de victimes ayant tenté d’atteindre l’Europe est au moins de 13 351. Un exemple des dilemmes auxquels les démocraties avancées sont confrontées est celui des réfugiés. Les turbulences de la situation politique internationale continuent de générer des flux de réfugiés demandeurs d’asile. Seule une minorité remplit les conditions rigides établies par la Convention de Genève. À la suite des sévères restrictions concernant l’immigration économique, le nombre de personnes soupçonnées d’utiliser la demande d’asile dans le dessein d’entrer dans un pays avancé a également augmenté, et les gouvernements sont devenus plus rigides et sélectifs dans l’examen des demandes (Marchetti, 2009). Mais les personnes qui viennent de pays en guerre, ou bien de pays où se poursuivent nettoyages ethniques et persécutions des minorités ne peuvent pas être renvoyées sans risques majeurs pour leur sécurité. Elles obtiennent donc, dans nombre de cas, une autorisation provisoire et révocable à demeurer sur le territoire. Nombre de 4 Selon les données fournies par l’agence de presse « Redattore sociale », le 7 janvier 2009. REMI 2010 (26) 2 pp. 7-32 Migrants dans l’ombre 19 demandeurs d’asile se retrouvent ainsi des années durant dans une zone floue et indéterminée : interdits de travailler officiellement et destinés au rapatriement, souvent ils s’insèrent de différentes façons dans l’économie souterraine. L’intervention de différents acteurs de la société civile pour la protection des migrants, y compris pour ceux qui se trouvent dans une condition définie comme irrégulière, concourt à rappeler aux gouvernements, souvent récalcitrants, leurs engagements sur le front des Droits de l’Homme (Ambrosini, 2005 ; 2008d) : il s’agit d’associations de bénévoles, de mouvements anti-racistes, d’associations d’immigrés, d’organisations religieuses, de syndicats de travailleurs. Leur action en faveur des « sans voix » influence le débat politique et souvent arrive jusqu’à l’opinion publique, compensant au moins partiellement les réactions anti-immigrés : on a parlé à ce sujet de advocacy coalition (Zincone, 1999). Ces acteurs ont joué un rôle actif dans plusieurs pays, principalement sur deux terrains. Le premier est proprement politique et consiste dans la promotion de mesures législatives en faveur des immigrés en situation irrégulière, comme les lois de régularisation. Le second consiste à offrir des services qui permettent aux sans-papiers de trouver une protection sociale minimale, d’améliorer leurs conditions de vie et d’attendre la possibilité de se mettre en règle : des repas chauds, des soins médicaux, des cours de langue, etc. Les services de consultation, qui aident les immigrés à accéder à la régularisation et qui parfois aussi sont organisés en guichets spécialisés, relient les deux versants en préparant la documentation nécessaire. Pour d’autres acteurs humanitaires, la mobilisation en faveur des immigrés, y compris les sans-papiers, représente aujourd’hui l’un des fronts les plus sensibles de l’action solidaire : ceux-là en effet sont par définition des personnes qui ne tombent pas sous la protection des systèmes de welfare généralement bâtis sur le présupposé de l’appartenance à une communauté nationale, ou au moins de la contribution fiscale par un travail régulier et codifié et cependant, ils ont des Droits auxquels nul ne peut déroger. L'un des aspects les plus importants de leur activité concerne les actions en justice contre les organismes publics qui cherchent à nier certains services aux immigrés non autorisés. En cas de succès, ils ouvrent des brèches dans le système, élargissant les frontières de la protection des droits et inverse la tendance, dans de nombreux pays, à rendre plus difficile la permanence sur le territoire de migrants non autorisés par des mesures qui visent à restreindre la possibilité d'accès aux services et aux institutions pour les personnes qui ne peuvent pas présenter de documents appropriés 5. En outre, les institutions de l’État se tournent de diverses façons, directement ou indirectement, vers les acteurs de la société civile afin qu’ils fournissent aux sans-papiers des services reconnus comme essentiels, mais qu’ils ne peuvent pas prendre en charge directement, comme les soins médicaux. Les dispensaires organisés par les ONG sont une ressource importante pour la protection de la santé des immigrés non autorisés, mais, de fait, ils ont aussi un rôle de sauvegarde de l’hygiène publique qui profite à la collectivité. 5 À Milan, l’administration locale a promulgué une mesure qui excluait les enfants des écoles maternelles. L’Association « Avvocati per niente » a soutenu un recours en justice et a obtenu le retrait de la mesure. REMI 2010 (26) 2 pp. 7-32 20 Maurizio AMBROSINI L’interaction entre les organismes publics et les acteurs de la société civile se produit également au niveau culturel : les opérateurs publics ont des contacts professionnels et des relations sociales avec des acteurs et des milieux sensibles aux causes humanitaires6. Il en résulte, dans la pratique quotidienne des services, des alliances tacites, des renvois réciproques, des tendances à chercher des espaces d’interprétation favorables aux immigrés, qui vont jusqu’à forcer les règles, « trompant honnêtement » le législateur (Zincone, 1999). Les espaces de décision arbitraire des « bureaucraties de rue » dans l’application de règles qui sont nécessairement abstraites et générales attribuent aux opérateurs des compétences de policy making qui, dans le cas des services adressés aux personnes immigrées ayant de faibles droits, se traduisent dans de nombreux cas par des redéfinitions informelles des limites d’accès à certains bénéfices (Campomori, 2007, 2008). Parmi les acteurs sociaux impliqués dans la défense des sans-papiers, un rôle de premier plan revient aux syndicats de travailleurs, d’autant plus remarquable quand on considère que dans le passé dans plusieurs pays d’Europe septentrionale, et aujourd’hui encore aux États-Unis, les syndicats ont tenté de freiner l’arrivée de nouveaux immigrés, craignant un affaiblissement de la force contractuelle des travailleurs nationaux. Il s’agit sans doute d’un choix idéel, cohérent avec l’image de promoteurs de niveaux de justice sociale plus élevés, mais des intérêts concrets entrent aussi en jeu. Il s’agit de conquérir de nouveaux adhérents et plus généralement de lutter contre le travail au noir qui est une menace pour les entreprises en règle et pour les emplois. Rendre visible les immigrés irréguliers et leur travail dans l’économie souterraine permet aux syndicats de mieux les protéger, tout en répondant aux intérêts des travailleurs nationaux. LES IMMIGRÉS EN TANT QU’ACTEURS : LE RÔLE DES RÉSEAUX MIGRATOIRES Expliquer l’arrivée et la permanence des immigrés non autorisés uniquement en relation aux besoins du marché, aux contradictions de la régulation politique, à l’influence des Droits de l’Homme serait toutefois insuffisant. Les immigrés risquent d’apparaître comme les sujets passifs de processus structurels à grande échelle qui les déplaceraient là où l’on sollicite leur travail et où les institutions de contrôle laissent des passages ouverts. En réalité, les migrants jouent un rôle actif dans l’alimentation des flux migratoires et dans le rapport entre demande et offre de travail, éventuellement aussi dans le marché du travail informel, grâce à leurs réseaux de relations sociales. La solidarité familiale et ethnique a aussi une importance majeure. Comme le soutient la littérature sur « la mondialisation par le bas » (voir Ambrosini, 2008a), de nombreux migrants, plutôt que de subir les contraintes sur la mobilité imposées 6 En Italie, en 2009, a eu lieu un long bras de fer entre le gouvernement, qui voulait inclure dans le « paquet sécurité » une règle qui aurait obligé le personnel sanitaire des services publics à signaler aux autorités la présence d’immigrés sans-papiers. Un entretien accordé par un chirurgien connu, président de l’association des médecins catholiques de Milan, a fait la couverture du plus important magazine national d’information politique, « L’Espresso ». Le titre entre guillemets affirmait : « Nous ne le ferons jamais ». À la suite de quoi, le gouvernement a dû retirer son projet. REMI 2010 (26) 2 pp. 7-32 Migrants dans l’ombre 21 par les pays d’accueil, ont cherché des voies alternatives pour trouver du travail dans les économies avancées, soutenus en cela par les réseaux de relations qui les lient aux migrants arrivés avant eux et installés de façon stable. Certains d’entre eux sont interceptés et arrêtés au cours du voyage ; d’autres deviennent la proie de circuits déviants et d’organisations criminelles prêtes à exploiter leur position de faiblesse, d’autres encore arrivent à s’insérer dans les interstices de l’économie souterraine ou dans des commerces informels, où ils attendent la possibilité tant souhaitée de sortir à découvert et de régulariser leur situation. Vasta (2008) a montré dans une recherche, concernant le cas britannique, les pratiques d’achat et de vente ou encore le prêt de documents géré dans les réseaux familiaux. Les immigrés tentent ainsi de contourner les restrictions imposées par les gouvernements des pays d’accueil ; à travers les réseaux sociaux se manifeste l’agency des migrants au regard des contraintes imposées à la mobilité humaine. En ce sens, les réseaux sociaux peuvent devenir au moins partiellement indépendants des conditions économiques et politiques qui les ont initialement favorisés et renforcés (Massey et Espinosa, 1997). En d’autres termes, après les premières installations qui se sont faites sans rencontrer trop d’entraves, alors qu’il y avait une demande de bras, les arrivées se poursuivent sous d’autres formes et grâce aux têtes de pont que sont devenues les membres de la famille et les compatriotes déjà établis. Plus souvent, l’action des réseaux migratoires en tant que dispositifs microsociaux favorisant la rencontre entre la demande et l’offre de travail est profitable au recrutement et au fonctionnement de certains segments des marchés du travail. Cet aspect est particulièrement important dans le cas de l’immigration irrégulière, exclue par définition des circuits de placement institutionnels. L’entrepreneur du bâtiment, qui cherche une main-d’œuvre flexible et à bas coût, l’entreprise de nettoyage, qui doit remplacer un employé, et la famille qui a besoin d’une personne pour assister une personne âgée, vont se tourner vers des immigrés déjà connus, parce qu’ils travaillent dans le même milieu ou parce qu’ils sont migrants de longue date et possèdent une bonne réputation, afin de trouver des travailleurs dont ils ont besoin. Les migrants en quête de travail, à leur tour, s’adressent à leurs proches déjà insérés dans la société d’accueil ou à d’autres compatriotes pour trouver un emploi. Dans ces processus, la frontière entre ce qui est régulier et irrégulier est ignorée et constamment franchie. Naissent aussi des figures spécialisées de broker (courtiers) du marché du travail immigré, des intermédiaires entre des compatriotes en quête d’emploi et des employeurs potentiels (Ambrosini, 2008a). Les services fournis ne sont pas toujours gratuits, ni seulement rémunérés en termes symboliques : dans de nombreux domaines, le service se paye au tarif défini et des sanctions sont prises contre les transgresseurs. Si les liens communautaires sont serrés et impliquent des obligations réciproques et des contraintes morales, il est probable que les indemnités n’auront qu’une valeur symbolique, ou qu’elles se situent à un niveau de réciprocité différée sous forme de dons, de services ou d’invitations lors d’occasions spéciales, ce qui ne sera pas le cas quand les liens sont plus faibles (voir, dans le cas des Punjabi dans la Vallée du Pô, Bertolani, 2003). Des cas d’aide solidaire, d’échange économique, mais aussi d’exploitation sont également assez fréquents, là où les réseaux migratoires se révèlent particulièrement actifs économiquement, c’est le cas notamment des économies ethniques (Light et Gold, REMI 2010 (26) 2 pp. 7-32 22 Maurizio AMBROSINI 2000) ou des « économies de bazar » (Peraldi, 2002), dont la formation est liée au travail indépendant et au développement de circuits commerciaux transfrontaliers (Ambrosini, 2008c). La disponibilité quasi-illimitée d’une main-d’œuvre flexible, prête à travailler sans grande exigence sur les salaires et les règles contractuelles, dans le besoin de logement, de demande de régularisation, etc., intéressée aussi à apprendre le métier pour pouvoir, éventuellement, démarrer une activité propre, est une ressource compétitive pour les entreprises. En outre, pour une personne candidate à l’immigration, la perspective d’être accueillie et de pouvoir travailler dans un milieu de compatriotes, même sans avoir de documents en règle et sans connaître la langue locale, peut être un encouragement, dans une première étape du moins. Parfois, l’appui d’un employeur co-ethnique peut s’avérer être un moyen pour contourner les normes sur l’autorisation à l’entrée, mais dans certains cas aussi, l’employeur peut, en contrepartie, profiter de la situation en imposant des conditions de travail difficiles. Les niches formées par les économies ethniques contribuent ainsi de façon plus que proportionnelle à leur poids occupationnel à créer de l’immigration irrégulière économiquement active7. Ces dynamiques sont difficiles à contrer (en moyenne, les contrôles sur les activités des immigrés sont plus fréquents que ceux qui sont réservés aux entreprises nationales) pour les raisons que nous avons déjà mentionnées : l’intérêt diffus à disposer d’une main-d’œuvre bon marché, les contraintes organisationnelles et les coûts des appareils de contrôle et le risque de rentrer en conflit avec des lobbies influents. En outre, il n’est pas aisé de demander un contrôle plus restrictif en direction des entreprises des immigrés, de telles procédures risquant d’entrer en conflit avec les politiques visant l’intégration et la participation à la vie des sociétés d’accueil (Penninx et Doomernik, 1998). Il convient également de rappeler une forme très particulière d’action économique qui a directement à voir avec la production d’immigration irrégulière : ce que l’on nomme « migration business », ou industrie du passage des frontières (Salt et Stein, 1997 ; Salt, 2000). Mais comme nous l’indiquons supra, seule une minorité d’immigrés non autorisés entre dans les pays de destination de façon clandestine, ou trompant les contrôles aux frontières. Cependant, le phénomène semble augmenter en relation avec le renforcement des contrôles. Les résultats des recherches menées sur ce sujet, y compris celles qui s’appuient sur les sources judiciaires, ne confirment pas l’idée diffusée de l’intervention de mafias tentaculaires ou de la formation d’appareils criminels complexes : il s’agit souvent de petites organisations flexibles, sans structures hiérarchiques et sans liens durables, qui fonctionnent suivant des principes de flexibilité et de capacité relationnelle (Monzini, Pastore et Sciortino, 2004). Même le catalogage des activités des différents acteurs qui opèrent autour du passage des frontières − les courtiers, les transporteurs, les fabricants de faux documents, les fournisseurs de supports logistiques, et 7 En Italie, à l’occasion de la régularisation de 2002, où il revenait à l’employeur de demander la régularisation des personnes ne possédant pas de permis de séjour, 10,6 % des demandes, soit environ 75 000 personnes, ont été présentées par des immigrés résidents, 85 % des demandeurs avaient une activité économique (Zucchetti, 2004). Dans la régularisation de 2009, réservée aux collaborateurs domestiques et aux assistants des personnes âgées, 8 000 Marocains, 5 000 Sénégalais, 3 500 Pakistanais, 3 000 Chinois et d’autres encore se sont présentés comme « collaborateurs domestiques ». REMI 2010 (26) 2 pp. 7-32 Migrants dans l’ombre 23 d’autres encore − sous l’étiquette de « traite des êtres humains », ne résiste pas à une analyse plus rigoureuse. Souvent, les migrants cherchent le soutien de ces opérateurs et payent leurs services une fois le voyage terminé. Il est vrai cependant que les frontières entre smuggling et trafficking, entre la simple aide au passage de la frontière et l’exploitation de migrants maintenus dans un état de sujétion, entre le libre choix, la coercition ou la tromperie sont souvent labiles, surtout quand il y a dette économique ou intérêt à prolonger le contrôle sur les personnes transportées (comme dans le cas de jeunes femmes pour le marché de la prostitution). Les voyages ont tendance, en outre, à devenir de plus en plus longs, sinueux et dangereux en utilisant différents moyens : bateaux de différentes tailles, camions, autobus, taxis, voitures particulières, traversées à pied ou à la nage. Les témoignages recueillis font état soit d’itinéraires auto-organisés et assez improvisés, avec le risque de rester coincés dans des lieux intermédiaires du trajet (Brachet, 2009 ; Criado, 2009), soit de voyages organisés par des réseaux de passeurs professionnels (Lagomarsino et Ramirez, 2009) soit encore d’agences et de professionnels qui procurent légalement des attestations de citoyenneté, des visas et d’autres documents pour franchir les frontières. Alors que les agences de contrôle renforcent la surveillance, construisent des murs, ferment des passages, les migrants et les opérateurs de « l’économie du passage » (Wihtol de Wenden, 2009) cherchent d’autres routes et développent de nouvelles tactiques grâce aux connaissances acquises, pour échapper à la surveillance des frontières (Petrillo et Queirolo Palmas, 2009). SORTIR DE L’OMBRE : LA CONDITION IRRÉGULIÈRE COMME PASSAGE Malgré les déclarations et les promesses de fermeté à l’adresse des immigrés non autorisés, les gouvernements sont devant un dilemme : tolérer la présence d’une population qui n’est pas formellement acceptée, mais qui est en réalité insérée sur le marché du travail et installée parfois depuis plusieurs années ou rééquilibrer le volume de la population étrangère autorisée au séjour par rapport à celui de la population résidant sur le territoire. En outre, l’écart entre les immigrés autorisés et non autorisés a tendance à se reproduire en l’espace de quelques années, ce qui nécessite de nouvelles mesures. Suivant le Icmpd (2009) on peut distinguer deux catégories principales de dispositifs : - les programmes de régularisation : procédures spécifiques à caractère extraordinaire valables pour des périodes limitées qui concernent des catégories spécifiques d’étrangers en situation irrégulière ; - les mécanismes de régularisation : ils concernent toutes les autres procédures qui garantissent un statut légal aux étrangers présents de façon irrégulière sur le territoire, généralement sur la base d’une présence prolongée ou sur la base de considérations humanitaires (demandeurs d’asile déboutés, mais non expulsables, raisons de santé, attaches familiales, etc.). Selon la même source, sur vingt-sept États membres de l’Union européenne cinq n’ont pas de politique de régularisation dont trois sont des nouveaux membres de l’Union, peu concernés par les migrations. Au cours de la dernière décennie, l’Italie, l’Espagne et la Grèce se sont engagées dans de grandes campagnes de régularisation. D’autres pays, en REMI 2010 (26) 2 pp. 7-32 24 Maurizio AMBROSINI particulier en Europe du Nord, se sont engagés dans la voie de la régularisation au cas par cas, pour résoudre la situation des demandeurs d’asile dont la demande a été rejetée, ou celle des étrangers non expulsables. Si l’on peut distinguer des États davantage disposés à la régularisation pour des raisons humanitaires (le Benelux et les pays scandinaves), des États réticents à la régularisation (la France et le Royaume-Uni) et des États qui s’opposent aux régularisations (l’Autriche et l’Allemagne), reste que la ligne de démarcation entre immigration légale et immigration non autorisée n’est pas aussi nette et infranchissable qu’on le prétend. Une estimation prudente des personnes concernées par une régularisation dans l’Europe des vingt-sept varie de 5 à 6 millions, dont la moitié en Italie (1,2 million8), en Espagne (1 million) et la Grèce (0,4 million9). Mais différentes procédures de légalisation ont aussi été mises en œuvre par les pays d’Europe du Centre-Nord, y compris par ceux qui sont les plus hostiles idéologiquement à l’idée même de régularisation des immigrés non autorisés. Aux États-Unis en dépit de la fermeté déclarée vis-à-vis de l’immigration irrégulière, il apparaît que parmi les immigrés mexicains arrivés dans les années 1970, plus de 70 % avaient vécu illégalement aux États-Unis. La majeure partie d’entre eux avait finalement obtenu un permis en tant que conjoint d’un citoyen américain ou d’un résident autorisé. Au début des années 1990, la situation n’était pas très différente : en 2002, sur plus de 200 000 Mexicains admis comme résidents légaux, 26,7 % sont entrés dans le système des quotas grâce à l’aide d’un membre de la famille, tandis que 68,8 % ont été admis, hors quotas, en tant que proche parent d’un citoyen américain (Portes et Rumbaut, 2006). Les estimations de Jasso et al. (2008)10, fournissent des chiffres différents, mais qui ne s’opposent pas aux précédents : de 32 % à 35 % des immigrés mexicains comptabilisés au cours de l’année 1996 qui ont obtenu un statut légal aux États-Unis avaient une expérience d’entrée ou de séjour sans autorisation. Au moins dans 60 % des cas, les autorités connaissaient la situation des personnes. Du point de vue des migrants, cela signifie que la condition d’irrégulier est considérée comme temporaire et l’obtention d’un statut légal comme un objectif à atteindre. Quel que soit le degré réel de protection juridique et sociale dont il jouit dans les premières phases d’installation, bénéficiant des ressources de l’économie souterraine, de la solidarité ethnique et des aides émanant du réseau de solidarité bénévole, il est possible pour un immigré de survivre et d’attendre une régularisation qui lui permettra d’accéder à 8 Dans le cas italien, il faut ajouter 300 000 demandes présentées dans le cadre du « processus d’émersion » de septembre 2009 concernant les travailleurs du secteur domestique et de l’assistance. Il faut aussi remarquer que les deux dernières grandes vagues de régularisations ont été mises en pratique par des gouvernements de centre-droite, protagonistes de bruyantes campagnes politiques contre l’immigration étiquetée de « clandestine ». 9 Les données grecques donnent un chiffre moindre que le chiffre réel. Les données italiennes, aussi, sont en réalité supérieures, surtout si l’on considère que les « décrets-flux » annuels qui, en théorie, devraient faire entrer légalement de nouveaux immigrants pour des raisons de travail, servent principalement à régulariser la situation de travailleurs déjà présents sur le territoire national, employés de façon informelle dans les familles et les entreprises. 10 Les données ont été récoltées par des enquêtes directes de type quantitatif : il est par conséquent possible qu’une partie des répondants n’ait pas voulu révéler leurs expériences précédentes de séjour irrégulier. REMI 2010 (26) 2 pp. 7-32 Migrants dans l’ombre 25 la résidence légale. La majeure partie des immigrés résidant en Italie et dans d’autres nouveaux pays d’immigration a connu ce type de « carrière » : à une entrée réalisée souvent selon une voie légale, en général avec un visa de touriste, succède une période plus ou moins longue de séjour irrégulier et de travail au « noir » avant le moment de la régularisation et la possibilité d’accéder au marché du travail régulier. Dans le cas de la Grèce, Glytsos (2005) a identifié une sorte de parcours type du migrant qui passe de « l’état d’illégalité » à celui de « l’amnistie temporaire », puis atteint la « légalisation sous condition » qui conduit au bout d’une dizaine d’années, à une « légalité sans condition ». Les procédures ne sont pas toujours transparentes et objectives, mais elles laissent des marges d’interprétation aux fonctionnaires qui examinent les demandes. En Italie comme dans d’autres pays par exemple, l’application de procédures de régularisations peut mettre en évidence des cas flagrants d’inégalité de traitement11, de contentieux prolongés et même de « pérégrinations » d’une préfecture à l’autre à la recherche de celle plus disposée à accepter les arguments de l’immigré (Jordan, Stråth et Triandafyllidou, 2003). La condition d’immigré légal est cependant à son tour réversible, d’autant plus dans un contexte de resserrement des réglementations. Après l’obtention du permis de séjour, le migrant peut perdre son travail, ou être employé au noir par un patron qui veut réaliser des économies sur les impôts et les cotisations. Le statut de résident régulier est donc fragile et révocable (Reyneri, 1998 ; Calavita, 2005). Dans le cas de l’Italie, cependant, il a été montré que jusqu’à un passé récent les immigrés qui ont eu recours pour la deuxième fois à une procédure de régularisation n’étaient pas nombreux (Barbagli, Colombo et Sciortino, 2004). Malgré le pessimisme largement répandu sur la question, les immigrés qui ont eu accès à un statut légal ont généralement réussi à le garder. Cela pourrait s’avérer moins vrai dans l’avenir sous l’effet conjugué de deux facteurs : la crise économique et la difficulté à garder ou à retrouver un emploi régulier et le durcissement des critères liés au statut de résident légal. Reste que le migrant, qui perd son emploi et éventuellement son permis de séjour, ne rentre que rarement dans son pays d’origine comme l’a montré l’échec de la tentative espagnole d’encourager le retour des immigrés, échec qui rappelle ceux des gouvernements d’Europe Centrale et du Nord à l’époque de la crise pétrolière de 1974. CONCLUSIONS L’analyse que nous avons développée a montré que les différentes situations des immigrés ne correspondent pas entièrement aux conditions normatives imposées par les gouvernements des pays récepteurs en matière d’attribution du statut de résident légal. La notion d’immigration irrégulière, issue de l’interaction entre la mobilité à travers les frontières nationales des personnes qui ont des citoyennetés « faibles » et le contrôle des fron11 Au cours de la dernière vague de régularisation, un immigrant (cas non isolé) qui avait perdu son travail au cours de la longue procédure d’examen et qui en avait retrouvé un a connu un traitement différent d’une province à l’autre : le nouvel emploi a été accepté par certaines préfectures, tandis qu’il a été refusé par d’autres. REMI 2010 (26) 2 pp. 7-32 26 Maurizio AMBROSINI tières, mis en place par les États, apparaît comme complexe, variable selon les périodes et les pays et mal définie. Malgré une sensibilisation politique qui s’accroît face à la multiplication d’actions pour contrer le phénomène, plusieurs éléments expliquent sa reproduction. L’intérêt économique d’abord, non seulement pour les employeurs conventionnels (les entreprises), mais aussi pour les familles ; ensuite les contradictions dans la sphère du politique, manque de moyens pour appliquer les politiques de contrôle, contrainte libérale, activisme des lobbies humanitaires ; enfin la mobilisation des immigrés et de leurs réseaux qui peuvent avoir recours aux services liés à une économie du passage. Du point de vue théorique trois courants de pensée sociologique s’affrontent12. Le premier renvoie à la perspective structuraliste, influencée en particulier par la tradition marxiste et post-marxiste, selon laquelle la production d’une immigration irrégulière sert les intérêts de l’économie capitaliste (Moulier-Boutang, 1998 ; Harris, 2000). La formation de grands réservoirs de travailleurs sans droits et exploitables à merci serait donc le résultat délibéré d’une stratégie économique et politique : une fois déclarée la fermeture des frontières et criminalisés les sans-papiers, des interstices d’entrée disponibles ne seraient pas un fait accidentel, de même que l’insertion des migrants dans l’économie souterraine ne serait pas un phénomène aberrant. Il s’agit au contraire de résultats voulus, utiles à la production d’une caste de quasi-esclaves. Sur le versant opposé on trouve les approches qui se réclament du paradigme de la « mondialisation par le bas » dont les travaux sur le fonctionnement des réseaux migratoires (Boyd, 1989 ; Portes, 1995), ainsi qu’une grande partie de la littérature récente sur les migrations transnationales (voir par exemple, Smith et Guarnizo, 2003), à laquelle on peut ajouter les travaux des sociologues et des anthropologues français sur « les économies de bazar » et le commerce informel (Peraldi, 2002 ; Tarrius, 2002). Ces derniers mettent en relief les efforts des migrants pour améliorer leurs conditions de vie, échappant à la stricte discipline de la mobilité imposée par les pays dominants. Une attention particulière est portée au contournement des normes, aux stratégies de survie, aux solidarités communautaires qui permettent d’effectuer les déplacements, de trouver un abri, de se déplacer dans les interstices des économies des pays d’accueil. Un troisième courant d’interprétation renvoie à l’approche phénoménologique et met l’accent sur la construction sociale de la réalité (voir Wimmer, 1997 ; Colombo, 1999). Le fait que l’immigration irrégulière soit un problème majeur dans le discours public, comme menace pour l’ordre et pour l’identité culturelle des sociétés d’accueil, répond à plusieurs exigences : celle de fournir une explication « bon marché » de la hausse du chômage et de la baisse de la protection sociale ; celle de canaliser l’anxiété au sujet de la précarité et de l’insécurité grandissantes en créant des boucs émissaires extérieurs ; celle de consolider des sociétés de plus en plus fragmentées et fragiles avec la production d’un consensus politique populiste en progression dans divers pays européens. 12 Rea (2010) saisit bien l’opposition entre les deux premières approches. J’en ai retenu différents points de vue pour les confronter. REMI 2010 (26) 2 pp. 7-32 Migrants dans l’ombre 27 La ligne d’interprétation adoptée dans cet article a cherché à combiner les apports les plus solides de ces trois approches, en suggérant qu’une explication adéquate d’un phénomène social complexe comme celui de l’immigration irrégulière doit relier le niveau macro au niveau micro, les intérêts économiques et les perspectives culturelles, le point de vue des acteurs et celui des observateurs, la rhétorique publique et le fonctionnement réel des institutions politiques et des machines bureaucratiques. Enfin, il me semble nécessaire d’extraire de la réflexion un certain nombre d’éléments pour aborder le nœud d’une régulation politique plus réaliste des mouvements migratoires. Une constatation préliminaire s’impose. Les actions de répression se révèlent beaucoup plus difficiles à mettre en œuvre à l’intérieur des frontières nationales et apparaissent souvent comme des manifestations épisodiques et assez aléatoires de l’autorité des États souverains. En fin de compte, en dépit de rhétoriques de plus en plus agressives, la réalité des faits ne correspond pas aux prétentions de contrôles des mouvements migratoires. Des formes de tolérance reconnues ou déguisées − mise en œuvre occasionnelle d’interventions comme les expulsions, mesures d’émersion de nature et de portée différentes − semblent être davantage la règle que l’exception des deux côtés de l’Atlantique. En définitive, l’immigré irrégulier, notamment lorsqu’il est employé, résident de longue date ou inséré dans un réseau de relations familiales, apparaît comme une figure de transition en attente de reconnaissance, plutôt que comme un transgresseur destiné à être puni et renvoyé dans son pays. L’attente se prolongeant, la souffrance augmente, mais le sens du parcours ne change pas. Les frontières nationales, les procédures d’autorisation à l’entrée, les permis de séjour, les définitions de la condition de régulier et d’irrégulier, révèlent une origine conventionnelle et une configuration flexible. Nous ne nous trouvons pas dans une période propice au courage politique sur un terrain si sensible. Néanmoins, si l’on veut éviter le recours aux régularisations a posteriori, ou au moins les limiter, les possibilités ne manquent pas. Elles comprennent de plus amples opportunités légales d’entrée et de travail, la flexibilité et le pragmatisme sur le plan de la conversion de titres de séjour, au moins dans le domaine domestique et celui de l’assistance13, l’attention aux cas particuliers et aux raisons du séjour irrégulier, ainsi qu’une répression plus sévère des formes les plus dérangeantes de l’économie souterraine et d’exploitation du travail des immigrés en situation irrégulière. 13 Il est difficile et discutable, au niveau politique et social, de traiter les familles comme des employeurs normaux. L’exigence d’aide à la maison peut surgir à l’improviste, surtout dans le cas de personnes âgées et fragiles, et demander une relation de confiance qui s’établit, en règle générale, par la connaissance directe (Ambrosini, 2008b). Le secteur ne se prête donc guère à des prévisions en termes de quotas d’entrée. En Italie, au cours des dernières années, les juges ont acquitté les citoyens accusés de favoriser l’immigration illégale, qui avaient embauché au noir des collaboratrices familiales et des assistants à domicile de personnes âgées, sans permis de séjour. La jurisprudence a établi qu’embaucher une seule personne pour des nécessités domestiques n’était pas un crime ; le crime se présente lorsque les embauches touchent deux ou plusieurs personnes. Les magistrats ont donc voulu prendre en compte la différence entre une entreprise qui œuvre sur le marché et une famille qui a recours au travail extérieur pour les soins aux personnes. Il faut ajouter, en outre, que la majorité de ces familles sont disposées à régulariser la situation des personnes immigrées, embauchées de façon irrégulière quand la loi leur en offre l’occasion. REMI 2010 (26) 2 pp. 7-32 28 Maurizio AMBROSINI Concernant le durcissement des réglementations et le traitement réservé aux immigrés non désirés, il apparaît fondé de penser qu’en réalité les fins ne sont pas exactement celles de l’expulsion effective des immigrés en situation irrégulière sur le territoire du pays. Le premier objectif vise la dissuasion des candidats potentiels à l’immigration, le second de plus en plus évident par rapport à l’importance du sujet dans l’agenda politique, a trait à la recherche d’un consensus pour rassurer l’opinion publique sur la capacité des autorités à contrôler les frontières et empêcher les infiltrations sur le territoire. Les migrants, et en particulier ceux qui ne possèdent pas de documents autorisant au séjour se retrouvent dans une situation où les intérêts et les enjeux sont en réalité essentiellement internes aux sociétés qui, entre réticences et contradictions, ne peuvent pas ne pas les recevoir. Références bibliographiques AMBROSINI Maurizio (2005) Sociologia delle migrazioni, Bologna, Il Mulino. AMBROSINI Maurizio (2008a) Un’altra globalizzazione. La sfida delle migrazioni transnazionali, Bologna, Il Mulino. AMBROSINI Maurizio (2008b) Séparées et réunies : familles migrantes et liens transnationaux, Revue Européenne des Migrations Internationales, 24 (3), pp. 79-106. AMBROSINI Maurizio (2008c) Entreprendre entre deux mondes : le transnationalisme économique des migrants, Migrations société, XX (120), pp. 53-79. AMBROSINI Maurizio (2008d) Irregular immigration: economic convenience and other factors, Transfer, 14 (4), pp. 557-572. ANDERSON Bridget (2008) “Illegal immigrant”: Victim or Villain?, COMPAS, Working Paper 64, University of Oxford (WP-08-64). BALDWIN-EDWARDS Martin and ARANGO Joaquin (Eds.) (1999) Immigrants and the informal economy in Southern Europe, London, Frank Cass Pub. BARBAGLI Marzio, COLOMBO Asher e SCIORTINO Giuseppe (Ed.) (2004) I sommersi e i sanati. Le regolarizzazioni degli immigrati in Italia, Bologna, Il Mulino. BENHABIB Seyla (2005) La rivendicazione dell’identità culturale. Eguaglianza e diversità nell’era globale [trad. it.], Bologna, Il Mulino. BERTOLANI Barbara (2003) Capitale sociale e intermediazione etnica: il caso degli indiani punjabi inseriti in agricoltura in provincia di Reggio Emilia, in R. Rizza et Giuseppe Scidà. Eds., Capitale sociale, lavoro e sviluppo, Milano, FrancoAngeli, pp. 92-102. BÖHNING W.-R (1983) Regularizing the Irregular, International Migration, 21 (2), pp. 159-163. BOSWELL Christina (2007) Theorizing Migration Policy: Is There a Third Way?, International migration review, 41 (1), pp. 75–100. BOYD Monica (1989) Family and personal networks in international migration: recent developments and new agenda, International Migration Review, XXIII (3), pp. 638-669. BRACHET Julien (2009) Migrazioni (trans) sahariane. Territorialità e socialità dei migranti in transito nel Niger del nord, Mondi migranti, 2, pp. 31-46. BROCHMANN Grete (1998) Controlling immigration in Europe. Nation-state dilemmas in an international context, in Van Amersfoort e Doomernik Eds., International migration. Processes and interventions, Amsterdam, Imes, pp. 22-41. CALAVITA Kitty (2005) Immigrants at the margins. Law, race and exclusion in Southern Europe, Cambridge, Cambridge University Press. CAMPOMORI Francesca (2007) Il ruolo di policy making svolto dagli operatori dei servizi per gli immigrati, Mondi migranti, 3, pp. 83-106. REMI 2010 (26) 2 pp. 7-32 Migrants dans l’ombre 29 CAMPOMORI Francesca (2008) Immigrazione e cittadinanza locale. La governance dell’integrazione in Italia, Roma, Carocci. CARITAS-MIGRANTES (2009) Immigrazione. Dossier statistico 2009, Roma, Idos. CARLING J. (2007) Migration Control and Migrant Fatalities at the Spanish-African Borders, International Migration Review, 41 (2), pp. 316-343. COLOMBO Enzo (1999) Rappresentazioni dell’Altro. Lo straniero nella riflessione sociale occidentale, Milano, Guerini. COZZI Silvia (2007) Migranti e clandestini. Questioni di confine, Roma, Sapere 2000. CRIADO N. (2009) Messico. Frontiera Sud, Mondi migranti, 2, pp. 121-143. CORNELIUS Wayne A., MARTIN Philip L. and HOLLIFIELD James F. (1994) Controlling immigration. A global perspective, Stanford, Stanford University Press. DE HAAS H. (2007) The myth of invasion. Irregular migration from West Africa to the Maghreb and the Union, Oxford, IMI. DÜVELL F. (2009) Irregular Migration in Northern Europe: Overview and Comparison, COMPAS, Clandestino Project Conference, London, 27/3/2009, University of Oxford. EHRENREICH Barbara and HOCHSCHILD Arlie Russell (Eds.) (2002) Global Woman: Nannies, Maids, and Sex Workers in the New Economy, New York, Metropolitan Books. GLYTSOS N.-P. (2005) Stepping from Illegality to Legality and Advancing towards Integration: The Case of Immigrants in Greece, International migration review, 39 (4), pp. 819-840. GUIRAUDON Virginie (2002) The Marshallian Triptych Reordered: The Role of Courts and Bureaucracies in Furthering Migrants’ Social Rights, in M. Bommes et A. Geddes Eds., Immigration and Welfare: Challenging the Borders of the Welfare State, London, Routledge, pp. 72-89. HARRIS Nigel (2000) I nuovi intoccabili. Perché abbiamo bisogno degli immigrati, Milano, il Saggiatore. HOLLIFIELD J.-F. (1992) Immigrants, markets, and States. The political economy of postwar Europe, Cambridge (Mass.), Harvard University Press. INTERNATIONAL CENTRE FOR MIGRATION POLICY DEVELOPMENT (ICMPD) (2009) Regine. Regularisations in Europe. Study on practices in the area of regularisation of illegally staying third-country nationals in the Member States of the EU, Final Report, Vienna, January. JANDL M. (2007) Irregular Migration, Human Smuggling, and the Eastern Enlargement of the European Union, International migration review, 41 (2), pp. 291-315. JASSO G., MASSEY Douglas S., ROSENZWEIG M.-R. and SMITH J.-P. (2008) From Illegal to Legal: Estimating Previous Illegal Experience among New Legal Immigrants to the United States, International Migration Review, 42 (4), pp. 803-843. JORDAN B., STRÅTH B. and TRIANDAFYLLIDOU A. (2003) Contextualising policy implementation in Europe, Journal of ethnic and migration studies, 29 (2), pp. 195-224. LAGOMARSINO Francesca e RAMIREZ J. (2009) I coyotes del Pacifico. Quito-Los Angels A/R, Mondi migranti, 2, pp. 147-160. LIGHT Ivan and GOLD S.-J. (2000) Ethnic economies, San Diego, Academic Press. LUCONI S. e PRETELLI M. (2008) L’immigrazione negli Stati Uniti, Bologna, Il Mulino. MARCHETTI Chiara (Ed.) (2009) Rifugiati e richiedenti asilo, Mondi migranti, 3, pp. 29-150. MASSEY Douglas S. and�������������������������������������������������������������������� ESPINOSA K.-E. (1997) What’s driving Mexico-U.S. migration? A theoretical, empirical and policy analysis, American Journal of Sociology, 102 (4), pp. 939-999. MONZINI P., PASTORE, FERRUCCIO e SCIORTINO Giuseppe (2004) L’Italia promessa. Geopolitica e dinamiche organizzative del traffico di migranti verso l’Italia, Roma, Cespi (Centro studi politica internazionale), Working Papers 9. MORICE Alain et POTOT Swanie (Éds.) (2010) De l’ouvrier immigré au travailleur sans papiers. Les étrangers dans la modernisation du salariat, Paris, Karthala. MOROKVASIC-MULLER Mirjana (1999) La mobilité transnationale comme ressource : le cas des migrants de l’Europe de l’Est, Cultures & Conflits, 33-34. REMI 2010 (26) 2 pp. 7-32 30 Maurizio AMBROSINI MOROKVASIC-MULLER Mirjana (2004) Installé(e)s dans la mobilité : une analyse genrée des migrations après 1989 en Europe, communication présentée au colloque Les migrations de l’Est vers l’Ouest. Entre mobilité et installation, Université Libre de Bruxelles. MORRIS L. (2002) Managing Migration: Civic Stratification and Migrants Rights, London, Routledge. MOULIER-BOUTANG Yann (1998) De l’esclavage au salariat : Économie historique du salariat bridé, Paris, PUF. OECD (2000) Combating the Illegal Employment of Foreign Workers, Paris, OECD. PENNIX R. and DOOMERNIK J. (1998) Towards migration regulation in globalized societies, in Van Amersfoort e Doomernik Eds., International migration. Processes and interventions, Amsterdam, Imes, pp. 129-138. PERALDI Michel. (Éd.) (2002) La fin des norias ? Réseaux migrants dans les économies marchandes en Méditerranée, Paris, Maisonneuve & Larose. PETRILLO Agostino e QUEIROLO PALMAS Luca (2009) Sulle frontiere. Agency e catture, Mondi migranti, 2, pp. 25-30. PORTES Alejandro (Ed.) (1995) The economic sociology of immigration, New York, Russell Sage Foundation. PORTES Alejandro and RUMBAUT Ruben G. (2006) Immigrant America. A portrait, Berkeley and Los Angeles, University of California Press (troisième édition). REA Andrea (2010) Conclusion. Les transformations des régimes de migration de travail en Europe, in Alain Morice et Swanie Potot Éds., De l’ouvrier immigré au travailleur sans papiers. Les étrangers dans la modernisation du salariat, Paris, Karthala, pp. 307-315. REYNERI Emilio (1998) The Mass Legalization of Migrants in Italy: Permanent or Temporary Emergence from the Underground Economy?, South European Society and Politics, 3, pp. 83-104. RIBAS-MATEOS Natalia (2004) How can we understand immigration in Southern Europe?, Journal of Ethnic and Migration Studies, 30 (6), pp. 1045-1063. RUGGIE J.-G. (1982) International regimes, transactions, and change: embedded liberalism in the postwar economic order, International Organization, 36, pp. 379-415. SALT J. (2000) Trafficking and human smuggling: a European perspective, International Migration, 38 (3), pp. 31-56. SALT J. and STEIN J. (1997) Migration as a business: the case of trafficking, International Migration, XXXV (4), pp. 467-491. SCIORTINO Giuseppe (2000) L’ambizione della frontiera. Le politiche di controllo migratorio in Europa, Milano, FrancoAngeli-Ismu. SCIORTINO Giuseppe (2010) The Regulation of Undocumented Migration, in M. Martiniello and J. Rath Eds., International Migration and Immigrant Incorporation: The Dynamics of Globalization and Ethnic Diversity in European Life, Amsterdam, Amsterdam University Press (forthcoming). SMITH M.-P. and GUARNIZO L.-E. (Eds) (2003) Transnationalism from below, New Brunswick, NJ, Transaction Pub. TARRIUS Alain (2002) La mondialisation par le bas. Les nouveaux nomades de l’économie souterraine, Paris, Balland. VAN AMERSFOORT H. (1996) Migration: the limits of governmental control, “New Community”, 22 (2), pp. 243-257. VAN AMERSFOORT H e DOOMERNIK J. (Eds.) (1998) International migration. Processes and interventions, Amsterdam, Imes. VAN VALSUM Sarah (2010) Déni de statut : la non-régulation des soins et services domestiques aux Pays-Bas, in Alain Morice et Swanie Potot Éds., De l’ouvrier immigré au travailleur sans papiers. Les étrangers dans la modernisation du salariat, Paris, Karthala, pp. 45-67. REMI 2010 (26) 2 pp. 7-32 Migrants dans l’ombre 31 VASTA Ellie (2008) The Paper Market: “borrowing” and “renting” of identity documents, COMPAS, Working Paper 61, University of Oxford (WP-08-61). WIHTOL DE WENDEN Catherine (2009) La globalisation humaine, Paris, Presses universitaires de France. WIMMER A. (1997) Explaining xenophobia and racism: a critical review of current research approaches, Ethnic and racial studies, XX (1), pp. 17-41. ZINCONE Giovanna (1999) Illegality, enlightenment and ambiguity: a hot Italian recipe, in Martin Baldwin-Edwards and Joaquin Arango Eds., Immigrants and the informal economy in Southern Europe, London, Frank Cass Pub, pp. 43-82. ZUCCHETTI Eugenio (2004) Caratteristiche essenziali e questioni aperte della “grande regolarizzazione” in Italia, in Marzio Barbagli, Asher Colombo e Giuseppe Sciortino Ed., I sommersi e i sanati. Le regolarizzazioni degli immigrati in Italia, Bologna, Il Mulino, pp. 71-102. REMI 2010 (26) 2 pp. 7-32 32 RÉSUMÉ - ABSTRACT - RESUMEN Migrants dans l’ombre. Causes, dynamiques, politiques de l’immigration irrégulière Maurizio AMBROSINI L’article tente de répondre à trois questions : 1) Qu’est-ce que l’immigration irrégulière et comment la définit-on ? 2) Pourquoi persiste-t-elle, se reproduit-elle et se révèlet-elle si difficile à éradiquer ? 3) Pourquoi les mesures de régularisation s’avèrent-elles à leur tour récurrentes et difficilement évitables ? Dans les vingt-sept pays de l’Union européenne, dans les dix dernières années, entre 5 et 6 millions de personnes ont été régularisées. L’article essaie de montrer, sur un plan théorique, comment une explication adéquate du phénomène se doit de combiner des facteurs structuraux, principalement économiques, ainsi que des facteurs liés à l’agency des protagonistes directes, à savoir les migrants et leurs réseaux, et des facteurs qui ont à voir avec la construction sociale (et politique) du thème de l’immigration irrégulière dans le cadre des sociétés d’accueil. Migrants in the Shadow. Causes, Dynamics, Policies of the Irregular Immigration Maurizio AMBROSINI The article aims to answer three questions: 1) What the irregular immigration is and how is it defined? 2) Why does it persist, reproduce itself and is it so difficult to eradicate? 3) Why are regularization measures so recurrent and do they seem to be inevitable? In EU-27, in the last ten years, around 5 and 6 millions of migrants have been regularized. At the same time, the article aims to show, from a theoretical point of view, the necessity to combine several factors in order to explain adequately the phenomenon: structural factors, mainly the economic ones; individual factors, in relation with the agency of the direct protagonists, migrants and their networks; social factors, related to the social (and political) construction of the irregular migration issue in the welcome countries context. Migrantes en la sombra. Causas, dinámicas, políticas de la inmigración irregular Maurizio AMBROSINI El artículo se propone contestar a tres cuestiones: 1) ¿Qué es la inmigración irregular y como es definida? 2) ¿Por qué persiste, se reproduce y se revela tan difícil de erradicar? 3) ¿Por qué las medidas de regularización, en una forma o en otra, a su vez se revelan recurrentes y difícilmente evitables? En los últimos diez años, veintitrés de los veinte siete países de la Unión Europea han aprobado alguna medida de regularización, de las cuales han beneficiado entre 5 y 6 millones de personas. Al mismo tiempo, el artículo se propone mostrar, sobre un plano teórico, que para una explicación adecuada del fenómeno es necesario combinar factores estructurales, principalmente económicos, tal como factores vinculados con el agency de los protagonistas directos, o sea los migrantes y sus redes, y en fin factores relacionados con la construcción social (y política) del tema de la inmigración irregular, en el marco de las sociedades de acogida. REMI 2010 (26) 2 pp. 7-32