Migrants dans l`ombre. Causes, dynamiques, politiques de l

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Revue européenne des migrations
internationales
vol. 26 - n°2 | 2010
Numéro ouvert
Migrants dans l’ombre. Causes, dynamiques,
politiques de l’immigration irrégulière
Migrants in the Shadow. Causes, Dynamics, Policies of the Irregular Immigration
Migrantes en la sombra. Causas, dinámicas, políticas de la inmigración irregular
Maurizio Ambrosini
Éditeur
Université de Poitiers
Édition électronique
URL : http://remi.revues.org/5113
DOI : 10.4000/remi.5113
ISSN : 1777-5418
Édition imprimée
Date de publication : 1 septembre 2010
Pagination : 7-32
ISBN : 978-2-911627-55-2
ISSN : 0765-0752
Référence électronique
Maurizio Ambrosini, « Migrants dans l’ombre. Causes, dynamiques, politiques de l’immigration
irrégulière », Revue européenne des migrations internationales [En ligne], vol. 26 - n°2 | 2010, mis en ligne
le 01 septembre 2013, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://remi.revues.org/5113 ; DOI :
10.4000/remi.5113
Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée.
© Université de Poitiers
Revue Européenne des Migrations Internationales, 2010 (26) 2 pp. 7-32
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Migrants dans l’ombre
Causes, dynamiques, politiques de
l’immigration irrégulière
Maurizio AMBROSINI*1
L
’immigration que l’on qualifie d’« irrégulière » a représenté, ces dernières
années, un sujet sensible dans les sociétés d’accueil et un nœud très délicat
des politiques migratoires. Presque partout les opinions publiques demandent une répression plus stricte du phénomène, considéré comme porteur d’illégalité et de désordre
social, ce à quoi les gouvernements répondent en promettant une lutte plus déterminée
contre l’entrée et le séjour non autorisés, renforçant les contrôles aux frontières, augmentant les efforts de coordination, déployant des technologies de plus en plus sophistiquées,
durcissant les sanctions à l’encontre des transgresseurs. Pourtant, le nombre d’immigrés
en situation irrégulière reste élevé. Malgré les difficultés de quantifier avec précision une
population qui, par définition, reste difficile à appréhender, dans l’Europe communautaire
les estimations oscillent entre 2,8 et 6 millions d’individus (Düvell, 2009). Et s’il y a eu
une diminution au cours des dernières années, celle-ci découle, en premier lieu, de l’entrée
dans l’Union des citoyens de pays de l’Europe Orientale qui auparavant contribuaient à
gonfler les statistiques concernant l’irrégularité et, en deuxième lieu, aux mesures de régularisation, explicites ou masquées, promulguées par les différents gouvernements. Pour
les États-Unis, les chiffres sont encore plus frappants, oscillant entre 10 et 12 millions
d’individus, avec des estimations de plus de 500 000 cas supplémentaires chaque année
(Jasso et al., 2008).
Une autre estimation faisant référence aux seules entrées irrégulières dès l’année
2000 fait état, pour l’Europe, d’un volume compris entre 400 000 et 600 000 cas par an
en grande partie entrés sur le territoire par les frontières orientales par l’intermédiaire des
professional smugglers (Jandl, 2007) dont le rôle est de plus en plus important. Cependant,
la majorité des migrants en situation irrégulière ne traverse pas les frontières de façon
illégale et se compose plutôt d’overstayers entrés de façon régulière, souvent avec des
visas touristiques (De Haas, 2007).
* Docente di sociologia dei processi migratori, Dipartimento di Studi sociali e politici, Universita’
degli studi di Milano, via Conservatorio, 720122 Milano ; [email protected] 1
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Maurizio AMBROSINI
Dans cet article, je me propose de répondre à trois questions : 1) Qu’est-ce que
l’immigration irrégulière et comment la définit-on ? 2) Pourquoi persiste-t-elle, se reproduit-elle et se révèle-t-elle si difficile à éradiquer ? 3) Pourquoi les mesures de régularisation, sous une forme ou l’autre, s’avèrent-elles récurrentes et difficilement évitables ?
Dans le même temps, j’essaierai de montrer, d’un point de vue théorique, comment une
explication du phénomène se doit de combiner des facteurs structuraux, principalement
économiques, ainsi que des facteurs liés à l’agency des protagonistes, c’est-à-dire les
migrants et leurs réseaux, et des facteurs qui ont à voir avec la construction sociale (et
politique) du thème de l’immigration irrégulière dans le cadre des sociétés d’accueil.
DÉFINIR L’IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE
L’immigration irrégulière est l’une de ces notions qui paraissent évidentes au
sens commun, mais qui se révèlent bien plus complexes et problématiques quand on les
soumet à une analyse plus approfondie. C’est seulement dans le cadre de l’interaction avec
un appareil normatif qu’un déplacement peut être défini d’« irrégulier ». L’hétérogénéité,
la complexité et l’évolution des normes rendent en outre souvent incertaine et controversée la définition des cas particuliers. De plus, il s’y ajoute une stigmatisation morale
répandue qui se reflète dans l’utilisation du terme « clandestin » : un terme qui devrait
indiquer l’entrée frauduleuse, mais qui est en réalité utilisé couramment pour définir tous
les immigrés en condition irrégulière.
Comme le remarque le rapport de l’Icmpd (2009), on peut distinguer quatre
aspects principaux de la légalité du statut d’un migrant : l’entrée, la permanence, la régularité du statut occupationnel (l’immigré dispose-t-il d’un permis qui l’autorise à travailler ?)
et la nature de l’occupation, c’est-à-dire la conformité aux dispositions générales concernant les contrats de travail (payement des impôts, des cotisations pour la sécurité sociale,
etc.). Une cinquième dimension, qui croise les précédentes et qui ne fait pas référence à
proprement parler à la régularité du statut, concerne la question de l’identification et de la
connaissance de l’immigré de la part des autorités compétentes : sur la base de celle-ci,
il y a des immigrés qui ne disposent pas d’une autorisation à la résidence, mais dont la
présence est néanmoins connue et tolérée.
Croisant ces dimensions, on obtient une matrice complexe, où l’immigré peut se
trouver en règle sous certains aspects, mais pas sous d’autres. Par exemple, aux États-Unis
et au Royaume-Uni, nombre d’immigrés en situation irrégulière au regard de l’autorisation de séjour obtiennent, de différentes façons, des numéros de sécurité sociale et payent
régulièrement leurs cotisations. En Allemagne et dans d’autres pays, les demandeurs
d’asile, dont la demande a été rejetée, mais qui ne peuvent pas être expulsés, obtiennent
un statut de « tolérance » qui autorise leur présence sur le territoire, nominalement et à titre
provisoire, mais qui est en réalité souvent prolongé pendant des années.
Du point de vue législatif aussi, les États de l’Union européenne – en limitant
notre propos à un contexte d’harmonisation juridique croissant – ne définissent pas de
façon homogène le statut de résidence légale, suivant des acceptions plus restrictives dans
certains pays (Espagne, Portugal, Royaume-Uni, etc.) et plus libérales dans d’autres. Les
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différences entre les lois sur l’immigration et sur le travail conduisent à leur tour à différentes formes d’irrégularité entre les étrangers qui sont présents sur le territoire (Icmpd,
2009).
La distinction entre les vieux pays de l’Union, dont les citoyens jouissent d’une
pleine liberté de mouvement et d’accès au marché du travail ; les nouveaux pays, dont
les citoyens ont aujourd’hui un statut plus favorable, mais rencontrent encore des restrictions quant à l’emploi ; les pays développés extérieurs à l’Union, mais qui sont membres
de l’Ocde ; enfin, ceux que l’on appelle les « pays tiers », les pays en réalité classifiés
comme pauvres, sont une autre source de complexité qui nous renvoie au concept de
« stratification civique » proposé par Morris (2002). Les immigrés étrangers sont de plus
en plus différenciés du point de vue juridique et donc des droits dont ils peuvent jouir. Les
immigrés, résidents de longue durée, jouissent d’un statut plus sûr et de plus de droits par
rapport à ceux qui sont arrivés récemment, qui à leur tour sont en meilleure situation que
celle des immigrés admis comme travailleurs saisonniers. À la base de la hiérarchie, on
trouve les immigrés dont le séjour entre en conflit avec les normes des sociétés de destination et qui échouent donc dans une situation d’irrégularité. La même amélioration de la
condition juridique et de la dotation de droits des immigrés autorisés au séjour a conduit à
un écart entre leur statut et celui des immigrés sans papiers (Sciortino, 2010).
Derrière ce scénario, il y a une question de construction politique des différences
et des frontières. L’immigration irrégulière a à faire avec le fonctionnement des États
modernes et avec leur appareil de contrôle du territoire. Au temps de la mondialisation, le
contrôle des frontières reste l’un des symboles principaux de la souveraineté nationale et
devient, a contrario, l’objet d’investissements plus importants que par le passé. Le passage
non autorisé des frontières et la résidence sur le territoire en l’absence des documents
demandés font l’objet d’une crainte sociale et politique grandissante en tant que défis à
la souveraineté de l’État. Les gouvernements ressentent le besoin de rassurer les citoyens
sur le fait que les frontières sont surveillées et les menaces d’intrusions de l’extérieur
efficacement combattues (Anderson, 2008). Les problèmes du terrorisme international,
du fonctionnement des systèmes de protection sociale, de la réglementation du marché du
travail, de l’identité socio-culturelle de la nation sont, tour à tour, évoqués pour justifier
l’effort dans la surveillance des frontières.
Les immigrés en situation irrégulière sont donc ceux qui, par leurs déplacements,
installations, insertions dans le marché du travail, rentrent en opposition avec la réglementation de la mobilité humaine instituée par les États, elle-même hiérarchiquement différenciée selon les pays d’origine des candidats à l’entrée. L’action politico-normative a un
rôle décisif dans la constitution et dans la modification des catégories d’encadrement des
migrants, dans la restriction ou l’élargissement de leurs possibilités d’obtenir ou de garder
un statut de légalité, dans la définition des opportunités de sortie de la situation inconfortable d’irrégulier. Il faut donc être conscient de la fluidité et de la réversibilité des définitions : le statut de résident légal peut être obtenu ou perdu de plusieurs façons, et l’irrégularité de la condition juridique n’est pas une donnée de nature ou une marque indélébile :
« la migration régulière facilite la migration irrégulière à travers le fonctionnement des réseaux migratoires [voir infra, n.d.r.], souvent, l’entrée régulière précède
le séjour irrégulier et nombre de migrants actuellement réguliers ont été irréguliers
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dans une phase de leur migration ou de leur séjour. Par conséquent, les migrants
réguliers et les migrants irréguliers tendent souvent à se déplacer vers les mêmes
destinations » (De Haas, 2007 : 3).
La même stigmatisation est appliquée de façon différente selon le genre, le rôle
économique, le contexte d’insertion des migrants en condition irrégulière. Par exemple,
en Italie et dans d’autres pays, les femmes impliquées dans des activités d’assistance à
domicile de personnes âgées en sont épargnées de fait dans la perception commune et dans
les rapports quotidiens. Le problème émerge quand elles doivent rentrer en contact avec
les services et les appareils publics.
Des considérations sociales concernant l’utilité ou le « mérite » des immigrés
(Cozzi, 2007) ou, au contraire, le danger qu’ils représentent ou leur nocivité pour le
paysage des villes rentrent en jeu aussi dans le cas des sans-papiers, conditionnant les
pratiques de contrôle, de rétention et de déportation. Tous les immigrés non autorisés ne
sont pas égaux, et ne sont pas traités de la même façon.
DEMANDE DE BRAS ET FERMETURES POLITIQUES
Les immigrés en condition irrégulière font l’objet de discours antinomiques. Ils
sont considérés d’une part comme des criminels dangereux, de l’autre comme les victimes
de trafics et d’exploitations (Anderson, 2008). Si l’on s’intéresse à la persistance du
phénomène, à sa dissémination dans une pluralité de formes, à la variété de ses modalités
d’insertion dans les sociétés d’accueil, on est en position de penser qu’il y a différentes
composantes causales en jeu. En nous réclamant d’une dichotomie sociologique classique,
nous pouvons affirmer que certaines d’entre elles renvoient à la structure économique et
politique, d’autres à l’initiative des acteurs (human agency). Il faut ajouter que l’accent mis
sur les jeux d’interaction avec la société d’accueil, dans lequel l’immigration irrégulière
est définie, renvoie à une troisième approche : celle de la tradition phénoménologique.
La question de l’immigration irrégulière, et de son insertion dans les économies
des pays de destination, peut être considérée, en premier lieu, comme une conséquence
typique des tensions existantes entre demande de main-d’œuvre pour les tâches les moins
convoitées et les strictes restrictions politiques vis-à-vis de l’immigration légale pour des
raisons de travail.
L’Union européenne a déployé bien des efforts pour le renforcement des
contrôles et pour la coordination intergouvernementale de la répression de l’immigration
irrégulière2, par rapport aux efforts plus modestes et aux résultats encore plus modestes
obtenus sur le plan des politiques pour l’autorisation à l’entrée. Le discours institutionnel
européen de la dernière décennie a abordé le thème des nouvelles entrées en les situant aux
2 Financé par l’Union européenne à hauteur de 42 millions d’euros le système Frontex, promulgué
en 2005 pour coordonner la vigilance sur les frontières extérieures à l’Union, a produit en 2007,
163 903 rejets aux frontières européennes, dont la majeure partie en Grèce (73 000 cas aux frontières terrestres) ; suivent l’Espagne (27 900), puis l’Italie (21 650), engagées surtout dans le
contrôle de l’immigration africaine.
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deux pôles extrêmes du marché du travail (travailleurs hautement qualifiés d’un côté et
travailleurs saisonniers de l’autre), suivant l’exemple allemand. Plus que le respect effectif
des exigences des systèmes économiques, le but inavoué de ces propositions semble être
de canaliser les ouvertures éventuelles vers les types de migrants socialement et politiquement les mieux acceptés : les professionals qui ont des hauts revenus et les travailleurs
admis avec des contrats de courte durée et destinés à retourner, sitôt celui-ci terminé, dans
leur pays d’origine.
Du côté des dynamiques effectives, les demandes de main-d’œuvre de la part des
marchés vont bien au-delà de ces prévisions prudentes. Comme on l’a déjà observé, l’idée
que l’économie contemporaine ait aboli les travaux des 3D (dirty, dangerous, demanding :
sales, dangereux et lourds) est l’un des plus grands mensonges de notre époque (Castles,
2002). Les économies néo-libérales ont même augmenté la demande de travail à bas coût et
hautement flexible, favorisant une reprise de l’économie souterraine dont la main-d’œuvre
est majoritairement constituée justement par des immigrés en condition irrégulière et des
demandeurs d’asile : le bâtiment, l’hôtellerie, les services domestiques représentent les
domaines d’activités les plus significatifs (Vasta, 2008). La régulation politique, à son
tour, tout en durcissant les contrôles aux frontières, a agi dans le sens de la libéralisation du
marché du travail et de l’allégement des contraintes envers la sous-traitance : pour illustrer
cette contradiction, Rea (2010) parle de « double main droite » des États.
Aux États-Unis, une estimation du Pex Hispanic Center estime que 7 millions
d’immigrés en condition irrégulière occupent un emploi, constituant 5 % du total de la
force de travail du pays, avec des pointes de 29 % parmi les réparateurs de toits, de 25 %
parmi les ouvriers du bâtiment, de 24 % parmi les travailleurs agricoles (Luconi et Pretelli,
2008).
Concernant les tendances du marché, les gouvernements qui proclament une lutte
sans répit à l’immigration non autorisée montrent ensuite une attitude pour le moins ambivalente par rapport au contrôle de l’économie souterraine. Toujours aux États-Unis, après
le 11 septembre 2001, les législateurs se sont rendus compte que le marché du travail était
hors de contrôle au regard du nombre très réduit d’entrepreneurs frappés par des sanctions
à cause de l’emploi de travailleurs étrangers non autorisés. Il ne s’en est pas suivi d’actions
particulièrement incisives. Une mesure qui imposait aux employeurs de licencier, dans
un délai de trois mois, les travailleurs qui avaient été embauchés grâce à des numéros de
sécurité sociale qui ne correspondaient pas aux données en la possession du Department of
Homeland Security, a été déclarée illégitime par un juge qui a considéré sans fondement la
base de données de la Social Security Administration, en raison du nombre élevé d’erreurs.
Dans l’Union européenne, les pays méditerranéens, par le passé lieux d’émigration, ont montré avec une évidence particulière au cours des quinze, vingt dernières
années leur incapacité à satisfaire à leurs propres besoins de main-d’œuvre en puisant
exclusivement dans les bassins nationaux de force de travail respectifs. Plusieurs aspects
de leur organisation socio-économique ont alimenté une importante demande de travail
immigré : des systèmes productifs qui mélangent des éléments traditionnels à des éléments
innovants ; l’importance de secteurs à haute intensité de travail comme l’agriculture méditerranéenne, le bâtiment, l’hôtellerie ; des facteurs de modernisation sociale comme la
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participation des femmes au marché du travail extra-domestique, liée à la centralité persistante de la famille dans la fourniture des services de soin et dans l’organisation de la vie
quotidienne (Ribas-Mateos, 2004).
Ce qui résulte du décalage entre les restrictions politiques à la mobilité du travail
et la demande économique de main-d’œuvre est justement la formation de réservoirs
plus ou moins importants d’immigration irrégulière qui s’insère dans les interstices des
systèmes économiques et sociaux des pays de destination, même de façon continue.
Une publication de l’Ocde (2000) repérait une série de secteurs dans lesquels
on enregistrait les plus grandes concentrations de travailleurs étrangers en condition
irrégulière : l’agriculture, l’industrie manufacturière, le bâtiment et les travaux publics
et certaines branches des services comme l’industrie touristique. Des caractéristiques
comme les marges de profits réduits, la concurrence élevée, les fluctuations saisonnières
de la demande rapprochent ces secteurs. Les entreprises, généralement petites, visent à
réduire les coûts du travail et à obtenir la plus grande flexibilité, sous la forme surtout de
haute intensité de travail pour des périodes brèves.
Ainsi que pour l’économie souterraine en général, on peut en outre repérer des
facteurs plus précis qui favorisent la persistance de rapports de travail non codifiés : un
lieu de travail peu défini, variable ou difficile à contrôler (comme les terrains agricoles, les
chantiers du bâtiment, les entreprises de nettoyage, etc.) ; la présence d’employeurs peu
structurés et peu formalisés (petites activités familiales, unités domestiques, travailleurs
indépendants, etc.) ; un intérêt du consommateur pour la réduction des coûts du service
acheté, en fermant les yeux sur la facturation des prestations ; une convergence d’intérêts entre l’employeur et le travailleur pour maintenir le rapport de travail dans le cadre
informel, fait qui est particulièrement évident dans le cas de travailleurs ne possédant pas
d’autorisations régulières.
Souvent, on délimite le phénomène de l’importation de main-d’œuvre étrangère,
surtout irrégulière, par une formule expéditive : l’économie demande des immigrés, la
société les refuse. Mais si nous examinons le rôle des familles en tant qu’employeurs des
immigrés en condition irrégulière (Ambrosini, 2008b ; Ehrenreich et Hochschild, 2002 ;
Van Valsum, 2010), la question devient plus complexe : ces citoyens qui craignent et
refusent l’immigré étranger, au sens de figure abstraite et menaçante, souvent recherchent
activement et embauchent l’immigré concret (souvent de genre féminin), connu personnellement, sans trop s’attarder sur la possession de permis et autorisations quand ils doivent
faire face à des exigences domestiques qui ne trouvent pas de réponses adéquates dans le
welfare public. Au contraire, les immigrés nouvellement arrivés, sans liens familiaux et
sans toit, disposés à tout pourvu qu’ils trouvent du travail, sont les candidats idéaux pour
couvrir, qui plus est à bas prix, les besoins de soin et d’assistance en cohabitation pour des
personnes âgées et des enfants.
À ce sujet, des remarques s’imposent.
- Le cas des services domestiques et d’assistance est exemplaire d’une offre de travail
qui, par sa propre présence et disponibilité au travail, même à bas prix, sans cotisations ni
protection contractuelle, a créé sa propre demande.
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- Le besoin d’assistance, surtout envers les personnes âgées naît souvent à l’improviste,
il ne peut donc pas attendre les longues procédures des autorisations à l’entrée ou des
« décrets-flux » italiens.
- Le travail en cohabitation, surtout dans l’assistance aux personnes âgées non autonomes,
est épuisant et très difficile à tenir dans la durée ; une fois qu’ils ont obtenu la régularisation, tant attendue, nombre de travailleurs changent d’emploi et cherchent des situations moins contraignantes et la possibilité d’avoir une vie privée. Il s’ensuit un besoin
permanent d’immigrés nouvellement arrivés et disponibles pour ce type de travail, et donc
de fait des immigrés sans papiers.
L’intérêt inavoué pour l’attraction et la mise au travail d’immigrés irréguliers,
hautement flexibles et peu coûteux, implique aussi plusieurs acteurs économiques, politiques et sociaux, au-delà des bénéficiaires directes. D’abord les employeurs de femmes
autochtones avec des charges familiales y gagnent l’avantage d’une présence sur leur lieu
de travail plus continue, et si nécessaire prolongeable, quand c’est quelqu’un d’autre qui
s’occupe de la maison, des enfants, des parents âgés. Mais si l’on s’intéresse aux entreprises, aujourd’hui organisées dans des systèmes complexes d’outsourcing, nous pouvons
repérer d’autres avantages. Par exemple le nettoyage ou le déplacement des marchandises, sont aujourd’hui généralement confiés à des entreprises extérieures sélectionnées
sur des appels d’offres au rabais : pour réduire les coûts, celles-ci emploient aussi de la
main-d’œuvre immigrée irrégulière. L’épargne ainsi obtenue par l’entreprise commanditaire devient un facteur de compétitivité qui favorise les investissements technologiques
et les exportations. Quelque chose de similaire se produit aussi dans le secteur public,
dans les grands travaux du bâtiment, où les sous-traitances en cascade impliquent souvent
des emplois au noir pour réduire les coûts, mais aussi dans le nettoyage et la manutention des hôpitaux, des mairies, des bureaux, des universités. Ici encore, on a recours aux
appels d’offres au rabais et l’emploi du travail au noir est endémique. Le travail irrégulier,
d’autant plus dans le cas d’immigrés qui ne peuvent pas revendiquer de droits, permet
des économies considérables et donc concourt au redressement des comptes publics
(Ambrosini, 2008d).
Un autre cas qui fait régulièrement l’objet d’articles de presse est celui de l’exploitation des immigrés travaillant aux récoltes de fruits et légumes dans l’agriculture
intensive. Ce phénomène est bien connu et toléré par les différentes autorités dans plusieurs
régions d’Europe. Nombre d’acteurs en profitent : des propriétaires agricoles aux intermédiaires et aux réseaux commerciaux jusqu’aux acheteurs. Ces derniers peuvent acheter des
produits à des prix inférieurs à ceux qu’ils devraient payer si le travail de récolte s’était
déroulé en observant toutes les règles de la légalité.
Au moins sur une courte durée donc, le recours au travail d’immigrés sans
droits et de toute façon contents d’avoir trouvé du travail est une bonne affaire pour de
vastes secteurs de l’économie. C’est pour cela que, en référence à la conceptualisation de
Brochmann (1998), les gouvernements investissent surtout dans les contrôles extérieurs,
prenant comme cible directement les immigrés au moment du passage des frontières. De
loin moins incisifs se révèlent être, au contraire, les contrôles sur les territoires nationaux,
plus difficiles à organiser, mais aussi susceptibles de frapper les intérêts des employeurs
autochtones, capables de faire pression sur les gouvernements. Bien plus, il s’agirait en
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définitive de mettre en discussion un réseau d’intérêts tacites, économiques et sociaux, qui
s’appuient sur l’exploitation du travail non déclaré des immigrés en condition irrégulière.
Souvent, dans la littérature, le recours au travail des immigrés non autorisés
est associé aux marchés du travail de l’Europe méridionale et aux dimensions dites
« anormales » de l’économie souterraine dans ces pays. En réalité, il ne semble pas que
les pays de l’Europe du centre-nord soient étrangers à ce phénomène. De Haas (2007)
relate qu’en Hollande 1,5 % seulement des entreprises sont soumises annuellement aux
contrôles et que le gouvernement hollandais s’est opposé à la proposition du commissaire
européen de l’époque, Frattini, d’élever à 10 % le quota des entreprises contrôlées, donnant
des raisons liées aux coûts et à la lourde charge administrative d’une telle opération. Au
Royaume-Uni, selon Vasta (2008), la tolérance des autorités vis-à-vis du travail irrégulier
des immigrés est un fait bien connu et profitable aux intérêts du système économique. Par
exemple, on a découvert que 6 653 immigrés sans papiers travaillaient dans le secteur de
la sécurité, avec une autorisation ministérielle régulière, simplement grâce à l’utilisation
de numéros de sécurité sociale contrefaits. Les expulsions occasionnelles servent en tant
que moyen de dissuasion, comme un instrument pour maintenir les immigrés sans-papiers
dans un état d’insécurité, et une stratégie pour rassurer l’opinion publique intérieure.
Dans le cas de l’Allemagne, Morokvasic (1999) a parlé de « rotation autogérée »
des migrants issus de l’Europe orientale qui passent la frontière avec des visas touristiques,
trouvent ensuite des travaux occasionnels dans le secteur agricole, dans le bâtiment, dans
la réparation des voitures, ou bien, s’il s’agit de femmes, dans les services domestiques
et d’assistance. Ils rentrent, avant l’expiration de leurs permis dans le pays d’origine et
prennent souvent le relais de membres de la famille, amis et connaissances. Pour les années
1990, l’estimation est de 600 000 à 700 000 « touristes-travailleurs » par an qui s’arrêtent
pour des séjours de quelques mois, parfois de quelques jours, plusieurs fois répétés au
cours de l’année (Morokvasic, 2004). Suite à l’élargissement de l’Union, les déplacements
sont devenus plus libres, mais le modèle de l’immigration pendulaire camouflée en voyage
touristique semble encore très pratiqué.
En temps de récession aussi on n’observe pas de phénomènes de réappropriation des travaux fatigants de la part des citoyens nationaux des pays développés, ni de
retour au pays d’origine des immigrés. Nous savons encore peu de choses des effets de la
récession, mais la baisse du pouvoir d’achat pourrait aussi entraîner une augmentation du
recours à l’économie informelle, et par conséquent du travail irrégulier dans ses formes
différentes. Un autre scénario est plausible : la perte du travail, pour les immigrés, peut
entraîner la perte du permis de séjour. Il n’est pas acquis non plus qu’une fois perdu le
statut de résidents autorisés les immigrés quittent le pays, il se pourrait alors que le nombre
d’immigrés en situation irrégulière augmente, comme cela s’est déjà produit en Irlande
(Düvell, 2009).
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LES CONTRADICTIONS POLITIQUES ET LA QUESTION DES
RESSOURCES
Comme nous l’avons montré plus haut, les intérêts en jeu permettent de
comprendre le recours et la tolérance au travail des immigrés en condition irrégulière,
mais ce n’est pas le seul aspect du phénomène.
On observe d’abord des formes de production institutionnelle de l’illégalité
(Calavita, 2005). Les recherches et les analyses sur le phénomène de l’immigration non
autorisée soulignent ainsi, les incertitudes normatives, les longueurs, les contradictions de
procédure et d’interprétation qui finissent par engendrer une population de personnes en
situation irrégulière malgré eux. Böhning (1983) déjà, dans le cadre du Bureau International
du Travail, avait parlé d’« irrégularité institutionnelle », quand des étrangers se trouvent
en situation irrégulière à cause de lois ambiguës, d’administrations incompétentes ou de
l’absence de politiques migratoires explicites dans les pays de destination.
Le rapport de l’Icmdp (2009) a montré que les législations en matière de regroupement familial sont très hétérogènes entre les États membres de l’Union européenne.
Certains demandent des standards très élevés, d’autres n’ont pas de règles codifiées.
Certains aussi admettent dans le regroupement familial les partenaires non mariés
(Belgique, Danemark, Finlande, France, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède), alors que la
Cour Européenne des droits de l’Homme est en train d’intervenir dans une série de cas
spécifiques. D’où la proposition d’une harmonisation au niveau européen, avec l’idée
qu’une réglementation plus favorable n’entraînera pas une augmentation du nombre des
entrées, mais une augmentation des résidents légaux. Quand on refuse à un travailleur
immigré le regroupement familial − si ses revenus sont considérés comme trop bas ou
que son logement est considéré comme trop petit ou pas assez confortable − sur la base de
critères définis par les autorités du pays d’accueil et mis en application de façon généralement restrictive, on encourage, au moins indirectement, le phénomène des regroupements
non autorisés.
Au sein du marché du travail, la convergence de critères plus stricts pour se voir
maintenu le statut de résident régulier, notamment sur la durée de la période de chômage
tolérée dans une conjoncture économique défavorable, risque d’augmenter le nombre des
immigrés en situation irrégulière, sans pour cela obtenir des garanties quant à leur départ
effectif du pays d’accueil.
Une réglementation plus stricte des passages des frontières fait apparaître des
conséquences inattendues : les immigrés sans papiers, ou entrés avec des visas touristiques
ont tendance à rester sur le territoire. Ils n’osent pas retourner dans leur pays d’origine de
peur de ne pas pouvoir traverser la frontière une deuxième fois. C’est seulement lorsqu’ils
parviennent à obtenir un statut de résident légal que, paradoxalement, ils entreprennent de
rentrer dans leur pays d’origine retrouver leur famille.
L’augmentation des coûts de l’immigration non autorisée œuvre dans la même direction :
pour payer les passeurs ou d’autres acteurs ayant favorisé l’entrée sur le territoire, les migrants ont
besoin de rester et de travailler plus longtemps, quelles que soient les conditions (Sciortino, 2010).
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Maurizio AMBROSINI
Une autre série de considérations naît de la constatation que les États ne sont pas
des organismes monolithiques, mais qu’ils rassemblent des secteurs qui doivent satisfaire
des objectifs différents et qui opèrent selon des logiques et des procédures partiellement
autonomes, engendrant une fragmentation des compétences à l’intérieur des appareils
étatiques (Van Amersfoort, 1996).
La production normative, l’action des gouvernements et l’application des dispositions de la part des administrations doivent tenir compte d’intérêts et de pressions qui
peuvent directement ou indirectement rentrer en conflit avec l’objectif d’un contrôle plus
rigide des frontières. En premier lieu, le système des relations internationales − c’est-àdire l’ensemble des relations diplomatiques, des échanges commerciaux et des conventions internationales − limite de fait le contrôle de la mobilité des individus (Boswell,
2007). En deuxième lieu, des intérêts internes, comme ceux de l’industrie touristique ou
l’ensemble des échanges culturels, artistiques et sportifs, vont dans le sens d’une plus
grande ouverture des frontières3. Il faut aussi mentionner l’action des cours de justice
et des appareils de welfare qui fonctionnent institutionnellement selon des logiques non
discriminatoires : les bureaucraties tendent à standardiser leurs activités, et les cours de
justice demandent de la cohérence dans l’application des principes juridiques. Il s’ensuit
une poussée vers l’inclusion des migrants dans le système des droits (Guiraudon, 2002).
Les gouvernements apparaissent ainsi comme plus faibles que ce que la production
normative ou les discours officiels laissent penser (Boswell, 2007).
Enfin des considérations très pragmatiques s’imposent concernant les coûts
économiques des politiques de répression plus efficaces et la difficulté pratique de mettre
en acte des procédures d’expulsion vis-à-vis d’immigrés dont l’identité et l’origine ne sont
pas certaines, ou bien originaires de pays avec lesquels aucun accord pour la réadmission
des expulsés n’a été conclu. La conséquence paradoxale est que dans différents pays on
arrête et l’on retient, afin de les identifier et de les réexpédier dans leur pays d’origine,
uniquement les immigrés issus de pays disposés à coopérer en matière de contrôle des
migrations, et selon la disponibilité des ressources économiques et logistiques (les places
dans les centres de rétention temporaire, la disponibilité d’agents des forces de l’ordre à
affecter au secteur, etc.) nécessaires à la mise en pratique des procédures. L’entrelacement
de questions éthiques et d’oppositions de principe, mais aussi les problèmes de coûts et
d’efficience économique, sans négliger le stress, le burn-out et le turn-over des personnes
préposées, sont mis en lumière dans l’analyse que Carling (2007) a consacrée au fonctionnement du système de contrôle mis en place par le gouvernement espagnol vis-à-vis de
l’immigration illégale en provenance d’Afrique.
Aux États-Unis, la construction du mur le long de la frontière avec le Mexique a
demandé un crédit de 1,2 milliard de dollars approuvé par le Congrès. On estime pourtant
que les travaux à réaliser en fonction de ce qui est prévu par la loi supposent des coûts
d’au moins 2,2 milliards de dollars, et donc plusieurs voix ont émis des doutes quant à
l’accomplissement effectif du projet (Luconi et Pretelli, 2008). L’augmentation du nombre
3 Dans le cas des pèlerinages vers les lieux de culte, très significatif pour l’Italie, mais aussi pour
d’autres pays de tradition catholique, comme la France ou le Portugal, les autorités religieuses
exercent des pressions pour rendre plus aisées les entrées en provenance de pays tiers.
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Migrants dans l’ombre
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d’agents de police aux frontières (de 9 000 avant le 11 septembre 2001, ils sont aujourd’hui
13 000 et l’on prévoit de porter leur nombre à 18 000) entraîne d’autres coûts à la charge
du gouvernement fédéral.
En Italie, le séjour non autorisé, qualifié de crime, l’arrestation pour ceux qui
désobéissent à l’ordre d’expulsion, le prolongement de deux à six mois du temps maximal
de rétention dans les Centres d’Identification et d’Expulsion, tout cela, accompagné d’une
rhétorique publique prônant une lutte sans répit vis-à-vis de l’immigration non autorisée
se heurte à une donnée : dans le pays, seules 1 160 places sont disponibles aux immigrés
destinés à être expulsés, bien que le Gouvernement ait transféré la quasi-totalité des
ressources destinée au fond pour l’intégration des immigrés au volet de la répression de
l’immigration irrégulière. Qui plus est, les communautés locales s’insurgent lorsqu’on
annonce la nouvelle de l’installation de nouveaux CIE et l’ouverture de nouvelles structures est souvent bloquée.
Il s’ensuit que les retours forcés (qui résultent de la somme entre expulsion et
réadmissions) ont été en 2008 inférieurs à 18 000, soit moins de 3 % du nombre estimé
des séjournants en condition irrégulière. Il faut ajouter aussi que l’efficacité des mesures
diminue dans le temps, ainsi, le pourcentage des rapatriements des personnes frappées par
des mesures d’éloignement est descendu de 56,8 % en 2004 à 34,3 % en 2008. Parmi les
personnes retenues dans les CIE, le taux d’expulsion est descendu à 41 %, par rapport au
taux déjà modeste de 46,8 % des trois années précédentes (Caritas-Migrantes, 2009).
En Espagne les données reportées par Carling (2007) relatives à la période
2002-2003 montrent que seulement un quart des immigrés, non autorisés et arrêtés, ont
été effectivement expulsés alors que 66 000 ont été remis en liberté.
Les immigrés effectivement expulsés ne représentent donc qu’une petite fraction,
beaucoup moins que ceux qui sont interceptés par les appareils de sécurité qui, de toute
façon, évitent, en règle générale, d’effectuer des contrôles trop approfondis. Les motifs
de ce faible succès de l’action de répression sont différents et vont de la collaboration
réduite des autorités des pays d’origine, à la difficulté d’identification ainsi qu’à la protection accordée par les lois et les conventions internationales à différentes catégories de
personnes expatriées (femmes enceintes, mineurs, personnes fuyant des zones touchées
par des conflits, etc.). Mais une raison fondamentale, pas toujours signalée par les études
sur ce sujet, fait référence aux moyens logistiques : comment les surveiller, comment
trouver les moyens pour les rapatrier ? Aucun pays démocratique, en tout cas, ne peut se
vanter d’obtenir de grands succès lorsqu’il s’agit de répression de l’immigration irrégulière.
LA CONTRAINTE LIBÉRALE
Nous rencontrons ici un autre facteur qui a un rôle important dans la limitation de
l’efficacité des normes de protection des frontières et qui défend les migrants en condition
irrégulière soit contre des procédures trop radicales de recherche et de repérage, soit contre
des dispositions hâtives d’éloignement du territoire national. Ce sont les garanties que les
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Maurizio AMBROSINI
systèmes de réglementation des pays à régime démocratique fournissent pour protéger
les droits des personnes, y compris les non-citoyens, c’est-à-dire celles de la « contrainte
libérale » (Hollifield, 1992), ou en d’autres termes, du « libéralisme incorporé » dans les
institutions politiques et administratives (Ruggie, 1982). Cela empêche, en principe, de
mettre en œuvre des mesures drastiques d’expulsion, d’utiliser des armes pour arrêter
les individus qui tentent de franchir les frontières illégalement, d’expulser sans garanties
juridiques, de procéder à des interventions dans des maisons privées à la recherche d’immigrés en situation irrégulière et d’avoir recours à des mesures comme celles qui, dans
certains pays extra-européens, ont été utilisées avec succès pour limiter le phénomène
des immigrations non désirées, mais aussi pour inverser des flux migratoires consolidés
depuis des décennies. S’acheminant sur une telle route, les démocraties risqueraient de
tomber dans des contradictions dangereuses pour leur nature même : pour devenir plus
efficaces dans la répression du séjour non autorisé, elles devraient devenir moins libérales
(Sciortino, 2000).
Si le principe de la souveraineté implique le droit de l’État de contrôler les frontières nationales et de définir les procédures pour l’admission des étrangers sur le territoire, dans une société libérale-démocratique ces prérogatives sont tempérées et limitées
par les Droits de l’Homme, dont les individus ne bénéficient pas en tant que citoyens,
mais en tant qu’êtres humains (Benhabib, 2005 : 198). Par conséquent, « les démocraties
libérales ont toujours le devoir, quand elles surveillent leurs frontières, de démontrer que
la façon dont elles mettent en acte leur surveillance ne viole pas les droits fondamentaux
de l’Homme » (ibid. : 225). Ainsi, le respect des Droits de l’Homme entre souvent en
conflit avec la souveraineté des États, qui considèrent l’entrée ou le séjour non autorisés
comme un défi au contrôle de leurs frontières (Wihtol de Wenden, 2009).
Il convient de noter que, selon l’organisation Fortress Europe, en 2008 la presse
a annoncé la mort de 1 502 personnes ayant tenté d’atteindre l’Europe par le sud de la
Méditerranée, sans compter les naufragés, dont il ne reste aucune trace. Ce n’est pas un
grand soulagement d’apprendre que l’on enregistre une baisse de 23 % par rapport à 2007,
alors qu’au contraire, dans le canal de Sicile, les victimes signalées ont augmenté, passant
de 302 en 2006, à 556 en 2007, jusqu’à 642 en 20084. Depuis 1988, le nombre de victimes
ayant tenté d’atteindre l’Europe est au moins de 13 351.
Un exemple des dilemmes auxquels les démocraties avancées sont confrontées
est celui des réfugiés. Les turbulences de la situation politique internationale continuent
de générer des flux de réfugiés demandeurs d’asile. Seule une minorité remplit les conditions rigides établies par la Convention de Genève. À la suite des sévères restrictions
concernant l’immigration économique, le nombre de personnes soupçonnées d’utiliser
la demande d’asile dans le dessein d’entrer dans un pays avancé a également augmenté,
et les gouvernements sont devenus plus rigides et sélectifs dans l’examen des demandes
(Marchetti, 2009). Mais les personnes qui viennent de pays en guerre, ou bien de pays
où se poursuivent nettoyages ethniques et persécutions des minorités ne peuvent pas être
renvoyées sans risques majeurs pour leur sécurité. Elles obtiennent donc, dans nombre
de cas, une autorisation provisoire et révocable à demeurer sur le territoire. Nombre de
4 Selon les données fournies par l’agence de presse « Redattore sociale », le 7 janvier 2009.
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demandeurs d’asile se retrouvent ainsi des années durant dans une zone floue et indéterminée : interdits de travailler officiellement et destinés au rapatriement, souvent ils s’insèrent de différentes façons dans l’économie souterraine.
L’intervention de différents acteurs de la société civile pour la protection des
migrants, y compris pour ceux qui se trouvent dans une condition définie comme irrégulière, concourt à rappeler aux gouvernements, souvent récalcitrants, leurs engagements
sur le front des Droits de l’Homme (Ambrosini, 2005 ; 2008d) : il s’agit d’associations de
bénévoles, de mouvements anti-racistes, d’associations d’immigrés, d’organisations religieuses, de syndicats de travailleurs. Leur action en faveur des « sans voix » influence le
débat politique et souvent arrive jusqu’à l’opinion publique, compensant au moins partiellement les réactions anti-immigrés : on a parlé à ce sujet de advocacy coalition (Zincone,
1999).
Ces acteurs ont joué un rôle actif dans plusieurs pays, principalement sur deux
terrains. Le premier est proprement politique et consiste dans la promotion de mesures
législatives en faveur des immigrés en situation irrégulière, comme les lois de régularisation. Le second consiste à offrir des services qui permettent aux sans-papiers de trouver
une protection sociale minimale, d’améliorer leurs conditions de vie et d’attendre la possibilité de se mettre en règle : des repas chauds, des soins médicaux, des cours de langue,
etc. Les services de consultation, qui aident les immigrés à accéder à la régularisation
et qui parfois aussi sont organisés en guichets spécialisés, relient les deux versants en
préparant la documentation nécessaire.
Pour d’autres acteurs humanitaires, la mobilisation en faveur des immigrés,
y compris les sans-papiers, représente aujourd’hui l’un des fronts les plus sensibles de
l’action solidaire : ceux-là en effet sont par définition des personnes qui ne tombent pas
sous la protection des systèmes de welfare  généralement bâtis sur le présupposé de
l’appartenance à une communauté nationale, ou au moins de la contribution fiscale par un
travail régulier et codifié  et cependant, ils ont des Droits auxquels nul ne peut déroger.
L'un des aspects les plus importants de leur activité concerne les actions en justice contre
les organismes publics qui cherchent à nier certains services aux immigrés non autorisés.
En cas de succès, ils ouvrent des brèches dans le système, élargissant les frontières de la
protection des droits et inverse la tendance, dans de nombreux pays, à rendre plus difficile
la permanence sur le territoire de migrants non autorisés par des mesures qui visent à
restreindre la possibilité d'accès aux services et aux institutions pour les personnes qui ne
peuvent pas présenter de documents appropriés 5.
En outre, les institutions de l’État se tournent de diverses façons, directement ou
indirectement, vers les acteurs de la société civile afin qu’ils fournissent aux sans-papiers
des services reconnus comme essentiels, mais qu’ils ne peuvent pas prendre en charge
directement, comme les soins médicaux. Les dispensaires organisés par les ONG sont une
ressource importante pour la protection de la santé des immigrés non autorisés, mais, de
fait, ils ont aussi un rôle de sauvegarde de l’hygiène publique qui profite à la collectivité.
5 À Milan, l’administration locale a promulgué une mesure qui excluait les enfants des écoles maternelles. L’Association « Avvocati per niente » a soutenu un recours en justice et a obtenu le retrait
de la mesure.
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L’interaction entre les organismes publics et les acteurs de la société civile se
produit également au niveau culturel : les opérateurs publics ont des contacts professionnels et des relations sociales avec des acteurs et des milieux sensibles aux causes humanitaires6. Il en résulte, dans la pratique quotidienne des services, des alliances tacites,
des renvois réciproques, des tendances à chercher des espaces d’interprétation favorables
aux immigrés, qui vont jusqu’à forcer les règles, « trompant honnêtement » le législateur
(Zincone, 1999). Les espaces de décision arbitraire des « bureaucraties de rue » dans l’application de règles qui sont nécessairement abstraites et générales attribuent aux opérateurs
des compétences de policy making qui, dans le cas des services adressés aux personnes
immigrées ayant de faibles droits, se traduisent dans de nombreux cas par des redéfinitions
informelles des limites d’accès à certains bénéfices (Campomori, 2007, 2008).
Parmi les acteurs sociaux impliqués dans la défense des sans-papiers, un rôle de
premier plan revient aux syndicats de travailleurs, d’autant plus remarquable quand on
considère que dans le passé dans plusieurs pays d’Europe septentrionale, et aujourd’hui
encore aux États-Unis, les syndicats ont tenté de freiner l’arrivée de nouveaux immigrés,
craignant un affaiblissement de la force contractuelle des travailleurs nationaux. Il s’agit
sans doute d’un choix idéel, cohérent avec l’image de promoteurs de niveaux de justice
sociale plus élevés, mais des intérêts concrets entrent aussi en jeu. Il s’agit de conquérir
de nouveaux adhérents et plus généralement de lutter contre le travail au noir qui est une
menace pour les entreprises en règle et pour les emplois. Rendre visible les immigrés
irréguliers et leur travail dans l’économie souterraine permet aux syndicats de mieux les
protéger, tout en répondant aux intérêts des travailleurs nationaux.
LES IMMIGRÉS EN TANT QU’ACTEURS : LE RÔLE DES
RÉSEAUX MIGRATOIRES
Expliquer l’arrivée et la permanence des immigrés non autorisés uniquement en
relation aux besoins du marché, aux contradictions de la régulation politique, à l’influence
des Droits de l’Homme serait toutefois insuffisant. Les immigrés risquent d’apparaître
comme les sujets passifs de processus structurels à grande échelle qui les déplaceraient là
où l’on sollicite leur travail et où les institutions de contrôle laissent des passages ouverts.
En réalité, les migrants jouent un rôle actif dans l’alimentation des flux migratoires et dans le rapport entre demande et offre de travail, éventuellement aussi dans
le marché du travail informel, grâce à leurs réseaux de relations sociales. La solidarité
familiale et ethnique a aussi une importance majeure.
Comme le soutient la littérature sur « la mondialisation par le bas » (voir Ambrosini,
2008a), de nombreux migrants, plutôt que de subir les contraintes sur la mobilité imposées
6 En Italie, en 2009, a eu lieu un long bras de fer entre le gouvernement, qui voulait inclure dans
le « paquet sécurité » une règle qui aurait obligé le personnel sanitaire des services publics à
signaler aux autorités la présence d’immigrés sans-papiers. Un entretien accordé par un chirurgien
connu, président de l’association des médecins catholiques de Milan, a fait la couverture du plus
important magazine national d’information politique, « L’Espresso ». Le titre entre guillemets
affirmait : « Nous ne le ferons jamais ». À la suite de quoi, le gouvernement a dû retirer son projet.
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Migrants dans l’ombre
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par les pays d’accueil, ont cherché des voies alternatives pour trouver du travail dans les
économies avancées, soutenus en cela par les réseaux de relations qui les lient aux migrants
arrivés avant eux et installés de façon stable. Certains d’entre eux sont interceptés et arrêtés
au cours du voyage ; d’autres deviennent la proie de circuits déviants et d’organisations
criminelles prêtes à exploiter leur position de faiblesse, d’autres encore arrivent à s’insérer
dans les interstices de l’économie souterraine ou dans des commerces informels, où ils
attendent la possibilité tant souhaitée de sortir à découvert et de régulariser leur situation.
Vasta (2008) a montré dans une recherche, concernant le cas britannique, les pratiques
d’achat et de vente ou encore le prêt de documents géré dans les réseaux familiaux. Les
immigrés tentent ainsi de contourner les restrictions imposées par les gouvernements des
pays d’accueil ; à travers les réseaux sociaux se manifeste l’agency des migrants au regard
des contraintes imposées à la mobilité humaine. En ce sens, les réseaux sociaux peuvent
devenir au moins partiellement indépendants des conditions économiques et politiques
qui les ont initialement favorisés et renforcés (Massey et Espinosa, 1997). En d’autres
termes, après les premières installations qui se sont faites sans rencontrer trop d’entraves,
alors qu’il y avait une demande de bras, les arrivées se poursuivent sous d’autres formes
et grâce aux têtes de pont que sont devenues les membres de la famille et les compatriotes
déjà établis.
Plus souvent, l’action des réseaux migratoires en tant que dispositifs microsociaux favorisant la rencontre entre la demande et l’offre de travail est profitable au
recrutement et au fonctionnement de certains segments des marchés du travail. Cet aspect
est particulièrement important dans le cas de l’immigration irrégulière, exclue par définition des circuits de placement institutionnels. L’entrepreneur du bâtiment, qui cherche
une main-d’œuvre flexible et à bas coût, l’entreprise de nettoyage, qui doit remplacer un
employé, et la famille qui a besoin d’une personne pour assister une personne âgée, vont
se tourner vers des immigrés déjà connus, parce qu’ils travaillent dans le même milieu
ou parce qu’ils sont migrants de longue date et possèdent une bonne réputation, afin de
trouver des travailleurs dont ils ont besoin. Les migrants en quête de travail, à leur tour,
s’adressent à leurs proches déjà insérés dans la société d’accueil ou à d’autres compatriotes pour trouver un emploi. Dans ces processus, la frontière entre ce qui est régulier et
irrégulier est ignorée et constamment franchie. Naissent aussi des figures spécialisées de
broker (courtiers) du marché du travail immigré, des intermédiaires entre des compatriotes
en quête d’emploi et des employeurs potentiels (Ambrosini, 2008a).
Les services fournis ne sont pas toujours gratuits, ni seulement rémunérés en
termes symboliques : dans de nombreux domaines, le service se paye au tarif défini et des
sanctions sont prises contre les transgresseurs. Si les liens communautaires sont serrés
et impliquent des obligations réciproques et des contraintes morales, il est probable que
les indemnités n’auront qu’une valeur symbolique, ou qu’elles se situent à un niveau de
réciprocité différée sous forme de dons, de services ou d’invitations lors d’occasions
spéciales, ce qui ne sera pas le cas quand les liens sont plus faibles (voir, dans le cas des
Punjabi dans la Vallée du Pô, Bertolani, 2003).
Des cas d’aide solidaire, d’échange économique, mais aussi d’exploitation sont
également assez fréquents, là où les réseaux migratoires se révèlent particulièrement
actifs économiquement, c’est le cas notamment des économies ethniques (Light et Gold,
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Maurizio AMBROSINI
2000) ou des « économies de bazar » (Peraldi, 2002), dont la formation est liée au travail
indépendant et au développement de circuits commerciaux transfrontaliers (Ambrosini,
2008c).
La disponibilité quasi-illimitée d’une main-d’œuvre flexible, prête à travailler
sans grande exigence sur les salaires et les règles contractuelles, dans le besoin de
logement, de demande de régularisation, etc., intéressée aussi à apprendre le métier pour
pouvoir, éventuellement, démarrer une activité propre, est une ressource compétitive pour
les entreprises. En outre, pour une personne candidate à l’immigration, la perspective
d’être accueillie et de pouvoir travailler dans un milieu de compatriotes, même sans avoir
de documents en règle et sans connaître la langue locale, peut être un encouragement, dans
une première étape du moins. Parfois, l’appui d’un employeur co-ethnique peut s’avérer
être un moyen pour contourner les normes sur l’autorisation à l’entrée, mais dans certains
cas aussi, l’employeur peut, en contrepartie, profiter de la situation en imposant des conditions de travail difficiles. Les niches formées par les économies ethniques contribuent
ainsi de façon plus que proportionnelle à leur poids occupationnel à créer de l’immigration irrégulière économiquement active7. Ces dynamiques sont difficiles à contrer (en
moyenne, les contrôles sur les activités des immigrés sont plus fréquents que ceux qui
sont réservés aux entreprises nationales) pour les raisons que nous avons déjà mentionnées : l’intérêt diffus à disposer d’une main-d’œuvre bon marché, les contraintes organisationnelles et les coûts des appareils de contrôle et le risque de rentrer en conflit avec
des lobbies influents. En outre, il n’est pas aisé de demander un contrôle plus restrictif en
direction des entreprises des immigrés, de telles procédures risquant d’entrer en conflit
avec les politiques visant l’intégration et la participation à la vie des sociétés d’accueil
(Penninx et Doomernik, 1998).
Il convient également de rappeler une forme très particulière d’action économique qui a directement à voir avec la production d’immigration irrégulière : ce que
l’on nomme « migration business », ou industrie du passage des frontières (Salt et Stein,
1997 ; Salt, 2000). Mais comme nous l’indiquons supra, seule une minorité d’immigrés
non autorisés entre dans les pays de destination de façon clandestine, ou trompant les
contrôles aux frontières. Cependant, le phénomène semble augmenter en relation avec le
renforcement des contrôles. Les résultats des recherches menées sur ce sujet, y compris
celles qui s’appuient sur les sources judiciaires, ne confirment pas l’idée diffusée de l’intervention de mafias tentaculaires ou de la formation d’appareils criminels complexes :
il s’agit souvent de petites organisations flexibles, sans structures hiérarchiques et sans
liens durables, qui fonctionnent suivant des principes de flexibilité et de capacité relationnelle (Monzini, Pastore et Sciortino, 2004). Même le catalogage des activités des
différents acteurs qui opèrent autour du passage des frontières − les courtiers, les transporteurs, les fabricants de faux documents, les fournisseurs de supports logistiques, et
7 En Italie, à l’occasion de la régularisation de 2002, où il revenait à l’employeur de demander la
régularisation des personnes ne possédant pas de permis de séjour, 10,6 % des demandes, soit
environ 75 000 personnes, ont été présentées par des immigrés résidents, 85 % des demandeurs
avaient une activité économique (Zucchetti, 2004). Dans la régularisation de 2009, réservée aux
collaborateurs domestiques et aux assistants des personnes âgées, 8 000 Marocains, 5 000 Sénégalais, 3 500 Pakistanais, 3 000 Chinois et d’autres encore se sont présentés comme « collaborateurs
domestiques ».
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d’autres encore − sous l’étiquette de « traite des êtres humains », ne résiste pas à une
analyse plus rigoureuse. Souvent, les migrants cherchent le soutien de ces opérateurs et
payent leurs services une fois le voyage terminé. Il est vrai cependant que les frontières
entre smuggling et trafficking, entre la simple aide au passage de la frontière et l’exploitation de migrants maintenus dans un état de sujétion, entre le libre choix, la coercition
ou la tromperie sont souvent labiles, surtout quand il y a dette économique ou intérêt à
prolonger le contrôle sur les personnes transportées (comme dans le cas de jeunes femmes
pour le marché de la prostitution). Les voyages ont tendance, en outre, à devenir de plus
en plus longs, sinueux et dangereux en utilisant différents moyens : bateaux de différentes
tailles, camions, autobus, taxis, voitures particulières, traversées à pied ou à la nage. Les
témoignages recueillis font état soit d’itinéraires auto-organisés et assez improvisés, avec
le risque de rester coincés dans des lieux intermédiaires du trajet (Brachet, 2009 ; Criado,
2009), soit de voyages organisés par des réseaux de passeurs professionnels (Lagomarsino
et Ramirez, 2009) soit encore d’agences et de professionnels qui procurent légalement
des attestations de citoyenneté, des visas et d’autres documents pour franchir les frontières. Alors que les agences de contrôle renforcent la surveillance, construisent des murs,
ferment des passages, les migrants et les opérateurs de « l’économie du passage » (Wihtol
de Wenden, 2009) cherchent d’autres routes et développent de nouvelles tactiques grâce
aux connaissances acquises, pour échapper à la surveillance des frontières (Petrillo et
Queirolo Palmas, 2009).
SORTIR DE L’OMBRE : LA CONDITION IRRÉGULIÈRE COMME
PASSAGE
Malgré les déclarations et les promesses de fermeté à l’adresse des immigrés non
autorisés, les gouvernements sont devant un dilemme : tolérer la présence d’une population qui n’est pas formellement acceptée, mais qui est en réalité insérée sur le marché du
travail et installée parfois depuis plusieurs années ou rééquilibrer le volume de la population étrangère autorisée au séjour par rapport à celui de la population résidant sur le
territoire. En outre, l’écart entre les immigrés autorisés et non autorisés a tendance à se
reproduire en l’espace de quelques années, ce qui nécessite de nouvelles mesures.
Suivant le Icmpd (2009) on peut distinguer deux catégories principales de dispositifs :
- les programmes de régularisation : procédures spécifiques à caractère extraordinaire
valables pour des périodes limitées qui concernent des catégories spécifiques d’étrangers
en situation irrégulière ;
- les mécanismes de régularisation : ils concernent toutes les autres procédures qui garantissent un statut légal aux étrangers présents de façon irrégulière sur le territoire, généralement sur la base d’une présence prolongée ou sur la base de considérations humanitaires
(demandeurs d’asile déboutés, mais non expulsables, raisons de santé, attaches familiales, etc.).
Selon la même source, sur vingt-sept États membres de l’Union européenne cinq
n’ont pas de politique de régularisation dont trois sont des nouveaux membres de l’Union,
peu concernés par les migrations. Au cours de la dernière décennie, l’Italie, l’Espagne et
la Grèce se sont engagées dans de grandes campagnes de régularisation. D’autres pays, en
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particulier en Europe du Nord, se sont engagés dans la voie de la régularisation au cas par
cas, pour résoudre la situation des demandeurs d’asile dont la demande a été rejetée, ou
celle des étrangers non expulsables. Si l’on peut distinguer des États davantage disposés
à la régularisation pour des raisons humanitaires (le Benelux et les pays scandinaves), des
États réticents à la régularisation (la France et le Royaume-Uni) et des États qui s’opposent aux régularisations (l’Autriche et l’Allemagne), reste que la ligne de démarcation
entre immigration légale et immigration non autorisée n’est pas aussi nette et infranchissable qu’on le prétend. Une estimation prudente des personnes concernées par une régularisation dans l’Europe des vingt-sept varie de 5 à 6 millions, dont la moitié en Italie
(1,2 million8), en Espagne (1 million) et la Grèce (0,4 million9). Mais différentes procédures de légalisation ont aussi été mises en œuvre par les pays d’Europe du Centre-Nord,
y compris par ceux qui sont les plus hostiles idéologiquement à l’idée même de régularisation des immigrés non autorisés.
Aux États-Unis en dépit de la fermeté déclarée vis-à-vis de l’immigration irrégulière, il apparaît que parmi les immigrés mexicains arrivés dans les années 1970, plus
de 70 % avaient vécu illégalement aux États-Unis. La majeure partie d’entre eux avait
finalement obtenu un permis en tant que conjoint d’un citoyen américain ou d’un résident
autorisé. Au début des années 1990, la situation n’était pas très différente : en 2002, sur
plus de 200 000 Mexicains admis comme résidents légaux, 26,7 % sont entrés dans le
système des quotas grâce à l’aide d’un membre de la famille, tandis que 68,8 % ont été
admis, hors quotas, en tant que proche parent d’un citoyen américain (Portes et Rumbaut,
2006). Les estimations de Jasso et al. (2008)10, fournissent des chiffres différents, mais qui
ne s’opposent pas aux précédents : de 32 % à 35 % des immigrés mexicains comptabilisés
au cours de l’année 1996 qui ont obtenu un statut légal aux États-Unis avaient une expérience d’entrée ou de séjour sans autorisation. Au moins dans 60 % des cas, les autorités
connaissaient la situation des personnes.
Du point de vue des migrants, cela signifie que la condition d’irrégulier est considérée comme temporaire et l’obtention d’un statut légal comme un objectif à atteindre.
Quel que soit le degré réel de protection juridique et sociale dont il jouit dans les premières
phases d’installation, bénéficiant des ressources de l’économie souterraine, de la solidarité ethnique et des aides émanant du réseau de solidarité bénévole, il est possible pour
un immigré de survivre et d’attendre une régularisation qui lui permettra d’accéder à
8 Dans le cas italien, il faut ajouter 300 000 demandes présentées dans le cadre du « processus
d’émersion » de septembre 2009 concernant les travailleurs du secteur domestique et de l’assistance. Il faut aussi remarquer que les deux dernières grandes vagues de régularisations ont été
mises en pratique par des gouvernements de centre-droite, protagonistes de bruyantes campagnes
politiques contre l’immigration étiquetée de « clandestine ».
9 Les données grecques donnent un chiffre moindre que le chiffre réel. Les données italiennes,
aussi, sont en réalité supérieures, surtout si l’on considère que les « décrets-flux » annuels qui,
en théorie, devraient faire entrer légalement de nouveaux immigrants pour des raisons de travail,
servent principalement à régulariser la situation de travailleurs déjà présents sur le territoire
national, employés de façon informelle dans les familles et les entreprises.
10 Les données ont été récoltées par des enquêtes directes de type quantitatif : il est par conséquent
possible qu’une partie des répondants n’ait pas voulu révéler leurs expériences précédentes de
séjour irrégulier.
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la résidence légale. La majeure partie des immigrés résidant en Italie et dans d’autres
nouveaux pays d’immigration a connu ce type de « carrière » : à une entrée réalisée
souvent selon une voie légale, en général avec un visa de touriste, succède une période
plus ou moins longue de séjour irrégulier et de travail au « noir » avant le moment de
la régularisation et la possibilité d’accéder au marché du travail régulier. Dans le cas de
la Grèce, Glytsos (2005) a identifié une sorte de parcours type du migrant qui passe de
« l’état d’illégalité » à celui de « l’amnistie temporaire », puis atteint la « légalisation sous
condition » qui conduit au bout d’une dizaine d’années, à une « légalité sans condition ».
Les procédures ne sont pas toujours transparentes et objectives, mais elles
laissent des marges d’interprétation aux fonctionnaires qui examinent les demandes. En
Italie comme dans d’autres pays par exemple, l’application de procédures de régularisations peut mettre en évidence des cas flagrants d’inégalité de traitement11, de contentieux
prolongés et même de « pérégrinations » d’une préfecture à l’autre à la recherche de celle
plus disposée à accepter les arguments de l’immigré (Jordan, Stråth et Triandafyllidou,
2003).
La condition d’immigré légal est cependant à son tour réversible, d’autant plus
dans un contexte de resserrement des réglementations. Après l’obtention du permis de
séjour, le migrant peut perdre son travail, ou être employé au noir par un patron qui veut
réaliser des économies sur les impôts et les cotisations. Le statut de résident régulier
est donc fragile et révocable (Reyneri, 1998 ; Calavita, 2005). Dans le cas de l’Italie,
cependant, il a été montré que jusqu’à un passé récent les immigrés qui ont eu recours
pour la deuxième fois à une procédure de régularisation n’étaient pas nombreux (Barbagli,
Colombo et Sciortino, 2004). Malgré le pessimisme largement répandu sur la question,
les immigrés qui ont eu accès à un statut légal ont généralement réussi à le garder. Cela
pourrait s’avérer moins vrai dans l’avenir sous l’effet conjugué de deux facteurs : la crise
économique et la difficulté à garder ou à retrouver un emploi régulier et le durcissement
des critères liés au statut de résident légal. Reste que le migrant, qui perd son emploi
et éventuellement son permis de séjour, ne rentre que rarement dans son pays d’origine
comme l’a montré l’échec de la tentative espagnole d’encourager le retour des immigrés,
échec qui rappelle ceux des gouvernements d’Europe Centrale et du Nord à l’époque de
la crise pétrolière de 1974.
CONCLUSIONS
L’analyse que nous avons développée a montré que les différentes situations des
immigrés ne correspondent pas entièrement aux conditions normatives imposées par les
gouvernements des pays récepteurs en matière d’attribution du statut de résident légal. La
notion d’immigration irrégulière, issue de l’interaction entre la mobilité à travers les frontières nationales des personnes qui ont des citoyennetés « faibles » et le contrôle des fron11 Au cours de la dernière vague de régularisation, un immigrant (cas non isolé) qui avait perdu son
travail au cours de la longue procédure d’examen et qui en avait retrouvé un a connu un traitement
différent d’une province à l’autre : le nouvel emploi a été accepté par certaines préfectures, tandis
qu’il a été refusé par d’autres.
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tières, mis en place par les États, apparaît comme complexe, variable selon les périodes et
les pays et mal définie.
Malgré une sensibilisation politique qui s’accroît face à la multiplication
d’actions pour contrer le phénomène, plusieurs éléments expliquent sa reproduction.
L’intérêt économique d’abord, non seulement pour les employeurs conventionnels (les
entreprises), mais aussi pour les familles ; ensuite les contradictions dans la sphère du
politique, manque de moyens pour appliquer les politiques de contrôle, contrainte libérale,
activisme des lobbies humanitaires ; enfin la mobilisation des immigrés et de leurs réseaux
qui peuvent avoir recours aux services liés à une économie du passage.
Du point de vue théorique trois courants de pensée sociologique s’affrontent12.
Le premier renvoie à la perspective structuraliste, influencée en particulier par la tradition
marxiste et post-marxiste, selon laquelle la production d’une immigration irrégulière
sert les intérêts de l’économie capitaliste (Moulier-Boutang, 1998 ; Harris, 2000). La
formation de grands réservoirs de travailleurs sans droits et exploitables à merci serait
donc le résultat délibéré d’une stratégie économique et politique : une fois déclarée la
fermeture des frontières et criminalisés les sans-papiers, des interstices d’entrée disponibles ne seraient pas un fait accidentel, de même que l’insertion des migrants dans l’économie souterraine ne serait pas un phénomène aberrant. Il s’agit au contraire de résultats
voulus, utiles à la production d’une caste de quasi-esclaves.
Sur le versant opposé on trouve les approches qui se réclament du paradigme de
la « mondialisation par le bas » dont les travaux sur le fonctionnement des réseaux migratoires (Boyd, 1989 ; Portes, 1995), ainsi qu’une grande partie de la littérature récente sur
les migrations transnationales (voir par exemple, Smith et Guarnizo, 2003), à laquelle on
peut ajouter les travaux des sociologues et des anthropologues français sur « les économies
de bazar » et le commerce informel (Peraldi, 2002 ; Tarrius, 2002). Ces derniers mettent en
relief les efforts des migrants pour améliorer leurs conditions de vie, échappant à la stricte
discipline de la mobilité imposée par les pays dominants. Une attention particulière est
portée au contournement des normes, aux stratégies de survie, aux solidarités communautaires qui permettent d’effectuer les déplacements, de trouver un abri, de se déplacer dans
les interstices des économies des pays d’accueil. Un troisième courant d’interprétation
renvoie à l’approche phénoménologique et met l’accent sur la construction sociale de la
réalité (voir Wimmer, 1997 ; Colombo, 1999). Le fait que l’immigration irrégulière soit
un problème majeur dans le discours public, comme menace pour l’ordre et pour l’identité
culturelle des sociétés d’accueil, répond à plusieurs exigences : celle de fournir une explication « bon marché » de la hausse du chômage et de la baisse de la protection sociale ;
celle de canaliser l’anxiété au sujet de la précarité et de l’insécurité grandissantes en créant
des boucs émissaires extérieurs ; celle de consolider des sociétés de plus en plus fragmentées et fragiles avec la production d’un consensus politique populiste en progression dans
divers pays européens.
12 Rea (2010) saisit bien l’opposition entre les deux premières approches. J’en ai retenu différents
points de vue pour les confronter.
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La ligne d’interprétation adoptée dans cet article a cherché à combiner les apports
les plus solides de ces trois approches, en suggérant qu’une explication adéquate d’un
phénomène social complexe comme celui de l’immigration irrégulière doit relier le niveau
macro au niveau micro, les intérêts économiques et les perspectives culturelles, le point de
vue des acteurs et celui des observateurs, la rhétorique publique et le fonctionnement réel
des institutions politiques et des machines bureaucratiques. Enfin, il me semble nécessaire
d’extraire de la réflexion un certain nombre d’éléments pour aborder le nœud d’une régulation politique plus réaliste des mouvements migratoires.
Une constatation préliminaire s’impose. Les actions de répression se révèlent
beaucoup plus difficiles à mettre en œuvre à l’intérieur des frontières nationales et apparaissent souvent comme des manifestations épisodiques et assez aléatoires de l’autorité
des États souverains. En fin de compte, en dépit de rhétoriques de plus en plus agressives,
la réalité des faits ne correspond pas aux prétentions de contrôles des mouvements migratoires. Des formes de tolérance reconnues ou déguisées − mise en œuvre occasionnelle
d’interventions comme les expulsions, mesures d’émersion de nature et de portée différentes − semblent être davantage la règle que l’exception des deux côtés de l’Atlantique.
En définitive, l’immigré irrégulier, notamment lorsqu’il est employé, résident de longue
date ou inséré dans un réseau de relations familiales, apparaît comme une figure de transition en attente de reconnaissance, plutôt que comme un transgresseur destiné à être puni et
renvoyé dans son pays. L’attente se prolongeant, la souffrance augmente, mais le sens du
parcours ne change pas. Les frontières nationales, les procédures d’autorisation à l’entrée,
les permis de séjour, les définitions de la condition de régulier et d’irrégulier, révèlent une
origine conventionnelle et une configuration flexible.
Nous ne nous trouvons pas dans une période propice au courage politique sur un
terrain si sensible. Néanmoins, si l’on veut éviter le recours aux régularisations a posteriori, ou au moins les limiter, les possibilités ne manquent pas. Elles comprennent de plus
amples opportunités légales d’entrée et de travail, la flexibilité et le pragmatisme sur le
plan de la conversion de titres de séjour, au moins dans le domaine domestique et celui
de l’assistance13, l’attention aux cas particuliers et aux raisons du séjour irrégulier, ainsi
qu’une répression plus sévère des formes les plus dérangeantes de l’économie souterraine
et d’exploitation du travail des immigrés en situation irrégulière.
13 Il est difficile et discutable, au niveau politique et social, de traiter les familles comme des
employeurs normaux. L’exigence d’aide à la maison peut surgir à l’improviste, surtout dans le
cas de personnes âgées et fragiles, et demander une relation de confiance qui s’établit, en règle
générale, par la connaissance directe (Ambrosini, 2008b). Le secteur ne se prête donc guère à des
prévisions en termes de quotas d’entrée. En Italie, au cours des dernières années, les juges ont
acquitté les citoyens accusés de favoriser l’immigration illégale, qui avaient embauché au noir
des collaboratrices familiales et des assistants à domicile de personnes âgées, sans permis de
séjour. La jurisprudence a établi qu’embaucher une seule personne pour des nécessités domestiques n’était pas un crime ; le crime se présente lorsque les embauches touchent deux ou plusieurs
personnes. Les magistrats ont donc voulu prendre en compte la différence entre une entreprise qui
œuvre sur le marché et une famille qui a recours au travail extérieur pour les soins aux personnes.
Il faut ajouter, en outre, que la majorité de ces familles sont disposées à régulariser la situation
des personnes immigrées, embauchées de façon irrégulière quand la loi leur en offre l’occasion.
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Concernant le durcissement des réglementations et le traitement réservé aux
immigrés non désirés, il apparaît fondé de penser qu’en réalité les fins ne sont pas exactement celles de l’expulsion effective des immigrés en situation irrégulière sur le territoire
du pays. Le premier objectif vise la dissuasion des candidats potentiels à l’immigration, le
second de plus en plus évident par rapport à l’importance du sujet dans l’agenda politique,
a trait à la recherche d’un consensus pour rassurer l’opinion publique sur la capacité
des autorités à contrôler les frontières et empêcher les infiltrations sur le territoire. Les
migrants, et en particulier ceux qui ne possèdent pas de documents autorisant au séjour se
retrouvent dans une situation où les intérêts et les enjeux sont en réalité essentiellement
internes aux sociétés qui, entre réticences et contradictions, ne peuvent pas ne pas les
recevoir.
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RÉSUMÉ - ABSTRACT - RESUMEN
Migrants dans l’ombre.
Causes, dynamiques, politiques de l’immigration irrégulière
Maurizio AMBROSINI
L’article tente de répondre à trois questions : 1) Qu’est-ce que l’immigration
irrégulière et comment la définit-on ? 2) Pourquoi persiste-t-elle, se reproduit-elle et se révèlet-elle si difficile à éradiquer ? 3) Pourquoi les mesures de régularisation s’avèrent-elles à leur
tour récurrentes et difficilement évitables ? Dans les vingt-sept pays de l’Union européenne,
dans les dix dernières années, entre 5 et 6 millions de personnes ont été régularisées.
L’article essaie de montrer, sur un plan théorique, comment une explication adéquate du phénomène
se doit de combiner des facteurs structuraux, principalement économiques, ainsi que des facteurs
liés à l’agency des protagonistes directes, à savoir les migrants et leurs réseaux, et des facteurs qui
ont à voir avec la construction sociale (et politique) du thème de l’immigration irrégulière dans le
cadre des sociétés d’accueil.
Migrants in the Shadow.
Causes, Dynamics, Policies of the Irregular Immigration
Maurizio AMBROSINI
The article aims to answer three questions: 1) What the irregular immigration is and how is it defined? 2) Why does it persist, reproduce itself and is it so difficult to
eradicate? 3) Why are regularization measures so recurrent and do they seem to be inevitable?
In EU-27, in the last ten years, around 5 and 6 millions of migrants have been regularized.
At the same time, the article aims to show, from a theoretical point of view, the necessity to combine
several factors in order to explain adequately the phenomenon: structural factors, mainly the
economic ones; individual factors, in relation with the agency of the direct protagonists, migrants
and their networks; social factors, related to the social (and political) construction of the irregular
migration issue in the welcome countries context.
Migrantes en la sombra.
Causas, dinámicas, políticas de la inmigración irregular
Maurizio AMBROSINI
El artículo se propone contestar a tres cuestiones: 1) ¿Qué es la inmigración irregular y como
es definida? 2) ¿Por qué persiste, se reproduce y se revela tan difícil de erradicar? 3) ¿Por qué las medidas
de regularización, en una forma o en otra, a su vez se revelan recurrentes y difícilmente evitables?
En los últimos diez años, veintitrés de los veinte siete países de la Unión Europea han aprobado
alguna medida de regularización, de las cuales han beneficiado entre 5 y 6 millones de personas.
Al mismo tiempo, el artículo se propone mostrar, sobre un plano teórico, que para una explicación
adecuada del fenómeno es necesario combinar factores estructurales, principalmente económicos,
tal como factores vinculados con el agency de los protagonistas directos, o sea los migrantes y sus
redes, y en fin factores relacionados con la construcción social (y política) del tema de la inmigración irregular, en el marco de las sociedades de acogida.
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