Blois 2015 - La Gaule, une redécouverte

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Blois 2015 - La Gaule, une redécouverte
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Jean-Louis Brunaux
Blois 2015 - La Gaule, une redécouverte
Blois, 9 octobre 2015
par Frédéric Stevenot
Mise en ligne : dimanche 11 octobre 2015
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Archéologue et chercheur au CNRS [1], Jean-Louis Brunaux est l’un des spécialistes de la Gaule. Il
vient de faire paraître un dossier sur le sujet dans la collection de la Documentation
photographique [2].
La construction de l’histoire de la Gaule a donné lieu à l’apparition de stéréotypes, dont il est
difficile de se départir. Le mythe du guerrier à moustaches et au casque ailé, mangeur de sanglier,
semble toutefois en voie de disparition. En effet, derrière ces faux-semblants apparaît une
civilisation qui n’a pas à rougir de la comparaison avec Rome. De fait, une grande partie du
malentendu sur la Gaule vient des auteurs romains, à commencer par César. C’est ce que JeanLouis Brunaux s’attache à démontrer, sur la base des fouilles qui ont été menées, mais aussi de
l’étude des auteurs antiques.
Des relations anciennes avec Rome
Ce qui est important, à ses yeux, est d’abord de considérer que les relations avec Rome ne datent
pas de la conquête césarienne. En réalité, il existe une très longue proximité physique, mais aussi
humaine et linguistique. La langue gauloise est très proche du latin : on parle d’ailleurs de
« romano-gaulois » au XIXe s. Cela implique qu’il n’y a pas de problème de communication.
D’autre part, la Gaule a organisé des expéditions vers différentes régions européennes, attestées
par l’archéologie, que ce soit vers la péninsule italique et grecque (relatées notamment par Tite
Live dans son livre V), ou encore la péninsule ibérique, la Bretagne (l’actuelle Grande-Bretagne), la
Thrace et l’Asie mineure. L’imaginaire collectif romain a retenu l’épisode de la prise de Rome par
Brennus, et le lourd tribut acquitté pour se débarrasser de la présence gauloise. La lecture de ces
mêmes auteurs amènent à considérer, trop hâtivement, les Gaulois comme des envahisseurs. C’est
oublier l’existence d’une Gaule cisalpine [3], sur toute l’Italie du Nord, résultat d’un appel des
Étrusques pour se protéger de l’hégémonie romaine (grâce au mercenariat), mais aussi pour
s’initier à des techniques telles que la métallurgie du fer (les Étrusques utilisent le bronze). Copiant
Posidonios d’Apamée, César évoque par ailleurs des colonies gauloises en Bavière.
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Celtes ou Gaulois ? La Gaule existe-t-elle ?
L’appellation de « Gaulois » remonte au VIe s., quand les Phocéens s’installent sur le site actuel de
Marseille. Les historiens actuels s’accordent sur cette appellation qu’ils donnent aux habitants de
la Gaule, et qui correspond au second âge du fer (période de la Tène), c’est-à-dire entre le Ve et le
Iers. Avant cette date, l’espace qu’ils occupent (qui dépasse largement les limites de la France,
puisqu’elles vont jusqu’au Rhin, comprennent la Suisse, l’Italie du Nord) est occupé par des tribus
qui se répartissent sur un territoire aux contours mal définis.
C’est en réalité le commerce avec les Grecs puis les Romains qui va permettre de constituer un
territoire plus cohérent, rapprocher les Gaulois et aider à l’émergence d’une identité gauloise.
C’est cette dimension qui fait qu’il vaut mieux réserver le terme de « Celtes » pour désigner les
peuples d’Europe centrale, qui n’ont pas de contacts avec le monde grec, et n’ont pas du tout le
même niveau technique et culturel que les Gaulois.
Comment le commerce avec les Grecs parvient-il à ce résultat ? C’est parce qu’il oblige à faire des
accords entre les peuples gaulois, puisqu’il s’agit de répondre à une demande importante. Or, la
circulation des biens (l’ambre, les fourrures de la Baltique, les esclaves, l’étain nécessaire au
bronze, etc.) nécessite une grande stabilité. Chacun comprenant son intérêt, des accords sont donc
passés. Grâce également à un réseau assez dense et bien pourvu en relais de poste (sans parler du
cabotage sur les côtes de la Mer du Nord, de la Manche et de l’Atlantique), Posidonios indique
ainsi qu’on peut acheminer des animaux de bât en trente jours seulement, de la Bretagne à Lyon.
En même temps, on assiste à une confédération assez forte, puisque des institutions se mettent en
place, comme le conseil annuel chargé notamment de désigner un patron [4], de façon à assurer
l’entretien de la voirie nécessaire à la circulation, etc.
Des relations ténues avec Rome
Dès les V-IVe s., le pays est cette fois défini. Arrive le moment des guerres puniques, qui voient les
Gaulois s’impliquer aux côtés d’Hannibal (en lui permettant de passer par leurs territoires, mais
aussi en l’approvisionnant). Les risques pour Rome sont donc très importants, d’où une activité
diplomatique intense en direction des peuples du centre de la Gaule (Arvernes, Éduens…) avec
lesquels des traités sont conclus. Leur succès conduisent Rome à les reconnaître comme des frères
consanguins, selon la formule sénatoriale, ce qui est important : ces peuples ont la même origine, à
savoir Énée.
Autre conséquence : le commerce avec Rome s’intensifie. Il y a une forte demande gauloise en
vins italiques, en huile, etc. Les Romains sont eux intéressés par des minerais, des produits finis
(l’armement et l’équipement des légionnaires, qui empruntent d’ailleurs aux Gaulois des éléments
comme la « tortue »), des véhicules terrestres, et des mots (servant à désigner ces biens). Les Alpes
ne constituent donc pas une barrière.
Cependant, la Cisalpine est perdue après la seconde guerre punique. Marseille, en plein déclin, se
rappelle au bon souvenir de Rome : c’est cette cité qui a versé la rançon exigée par Brennus, tandis
que les politiques romains en disgrâce y trouvent refuge lors de leur exil. Or, à ce moment-là,
Marseille est menacée par les entreprises des Celto-Ligures (qui sont dans les Alpes), qui pillent la
région et, s’adonnant au piratage, freinent considérablement l’activité commerciale. Rome installe
alors une première colonie à Aix.
En quoi a consisté la conquête de la Gaule ?
Cette conquête est assez complexe. On a vu que le centre de la Gaule a des relations privilégiées
avec Rome. Vers 60, le druide Diviciac (ou Diviciacos), premier magistrat des Éduens, vient à
Rome demander de l’aide au nom du principe de consanguinité pour intervenir contre les
Germains et les Helvètes (qui exercent une pression très forte, poussés par les Daces), avec l’aide
des Gaulois. César est dépêché sur place avec cinq ou six légions, dix au moment le plus intense,
ce qui fait entre 30 et 36 000 hommes environ ; les Gaulois sont plus nombreux, et, surtout, ils
apportent une forte cavalerie, des armes, le fourrage, etc. De ce fait, le conseil accepte un
protectorat romain, contre quoi il donne de l’argent : grâce à cet afflux, César peut prolonger son
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consulat, mais aussi se constituer une clientèle gauloise, à qui il accorde la citoyenneté [5]. Sur
cette base matérielle et humaine importante, Rome peut s’imposer aux autres peuples Gaulois, que
ce soient les Belges et les vénètes, pour parler des plus réticents.
Rome laisse cependant entendre à la noblesse gauloise qu’elle obtiendra des postes intéressants,
promesse qui n’est pas respectée, ce qui ne manque pas d’entraîner une crise de confiance. Vers
53, Vercingétorix se rebelle, et on voit les effets des institutions mises en place auparavant : le
conseil permet la levée d’une armée formidable, qui est précipitée dans la bataille d’Alésia, en 52.
On sait, d’après Cicéron, Dion Casius ou Tubéron, etc., que Vercingétorix a été l’ami de César : il a
été otage de Rome, avec toutes ses troupes, et l’a aidé militairement, au point de devenir préfet de
cavalerie.
Que devient la civilisation gauloise sous la domination romaine ?
La Gaule conquise est considérée comme une province romaine, ce qui n’implique pas la
disparition de la civilisation gauloise. Essentiellement rural, le pays dispose d’une puissante
agriculture : les rendements en céréales sont très importants, en raison de plusieurs récoltes
annuelles et des surfaces emblavées plus importantes qu’aujourd’hui (les espaces défrichés sont
d’ailleurs bien étendus qu’au XXIe s. Les forêts sont aussi très bien gérées, comme le sont les forêts
domaniales actuelles : on a très tôt pris conscience que la ressource en bois devait être protégée
pour pouvoir faire face aux besoins (habitat, navires, moyens de transports terrestres…). On a vu le
réseau de circulation : les voies romaines sont en réalité gauloises. Dans le domaine matériel,
économique, technique, rien ne disparaît.
En revanche, on cosntate un recul important dans la culture. La religion druidique disparaît, car en
contradiction avec les cultes publics romains. En même temps que les druides, disparaît tout un
savoir, un imaginaire du fait de la volonté de ne pas avoir d’écriture. Cependant, le vocabulaire
gaulois persiste, que ce soit dans la toponymie (Laon, Soissons, Noyon, Reims…), les noms de
rivières (Ardenna, et tous les mots se terminant par « -art » ou « -os »), le monde végétal, les noms
de payx (Caux : de « caleti »), l’activité agricole, etc.
En revanche, l’administration romaine remplace complètement l’administration gauloise
Peut-on parler de « Gallo-Romains » ?
L’adjectif apparaît avec Michelet, dans un sens nationaliste : on peut l’accepter. Mais il vaut mieux
parler de Gaulois sous administration gauloise, comme le sont les Grecs, les Égyptiens, etc.
Quoi qu’il en soit, Alésia marque un moment très important : la nation gauloise y prend toute sa
puissance, fédérée grâce au conseil annuel et autour d’un intérêt matériel important issu du
commerce. La conscience d’un pays appelé « Gaule » émerge, quoi que trop tardivement.
Frédéric Stévenot, pour Les Clionautes
[1] Voir sa fiche sur le site de l’École normale supérieure
[2] Jean-Louis Brunaux, La Gaule, une redécouverte, La Documentation française, coll. « Documentation
photographique », n° 8105, mai-juin 2015.
[3] Pour retenir le découpage spatial romain, qui la distingue de la Gaule transalpine
[4] Diviciac est l’un de ces patrons, dont on verra le rôle un peu plus loin.
[5] Comme il le fera encore lors de la guerre civile, et comme le fera Pompée : Trogue Pompée
porte dans son nom l’alliance de sa famille avec l’ennemi de César
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