UNIVERSITY OF CALGARY Théâtre, mœurs et guerres de plume : la conception dramatique du XVIIe siècle by Charlotte Ashley Jacobson A THESIS SUBMITTED TO THE FACULTY OF GRADUATE STUDIES IN PARTIAL FULFILMENT OF THE REQUIREMENTS FOR THE DEGREE OF MASTER OF ARTS GRADUATE PROGRAM IN FRENCH, ITALIAN AND SPANISH CALGARY, ALBERTA SEPTEMBER, 2016 © Charlotte Ashley Jacobson 2016 Résumé Les règles du théâtre classique sont dans l’air du temps lorsque Corneille fait jouer le Cid en 1637 et quand Molière représente L’École des femmes en 1662. Chacune des pièces entraîne une querelle littéraire : la querelle du Cid et la querelle de l’École des femmes. Ce mémoire vise à souligner l’évolution du genre théâtral au XVIIe siècle. Pour faire ceci, nous allons examiner les périodes des querelles, la période qui les précède et la période entre 1637 et 1662. Nous comptons identifier la définition des genres théâtraux au XVIIe siècle. Nous allons aussi regarder le rapport entre les règles du théâtre classique et les genres théâtraux. Nous voulons déterminer les idées dramatiques de Corneille et de Molière pour en tirer des conclusions qui portent sur la théorie théâtrale. Avant tout, le XVIIe siècle est une période de querelles et d’évolution. i Remerciements Ce mémoire de maîtrise n’aurait pas été possible sans le soutien d’un grand nombre de personnes. Mes premiers remerciements vont à mon directeur de thèse, Dr Daniel Maher. Je le remercie infiniment pour sa relecture méticuleuse, pour tout le temps qu’il a consacré à diriger la rédaction de ce mémoire et aussi de m’avoir souvent fait sourire avec ses blagues de « dixseptiémiste ». J’ai aussi une pensée particulière pour tous les participants et les évaluateurs qui ont contribué à mon projet et sans qui ce travail n’existerait pas. J’aimerais remercier le Département de français, italien et espagnol pour leur confiance, leur appui et leur aide financière. Finalement je remercie de tout cœur ma famille et mes amis, de leurs encouragements constants et particulièrement Patrick qui s’est montré toujours prêt à m’écouter et à me motiver. C’est à lui que je dois toute ma persévérance. ii À DJM et PYM, deux hommes exemplaires. iii Table des matières Résumé................................................................................................................................. i Remerciements .................................................................................................................... ii Dédicace…………………………………………………………………………………..iii Table des matières.............................................................................................................. iv Introduction ......................................................................................................................6 Le contexte historique et littéraire ....................................................................6 Les règles théâtrales sont dans l’air du temps ...................................................7 Corneille et la querelle du Cid ..........................................................................7 Molière et la querelle de l’École des femmes ....................................................8 Le XVIIe siècle : période de querelles et d’évolution .......................................9 Réflexions méthodologiques .............................................................................9 Chapitre I : La Querelle du Cid ou la condamnation de Chimène et de Corneille ........11 Un peu de contexte ..........................................................................................11 La doctrine classique et la Querelle du Cid ....................................................11 La chronologie de la querelle ..........................................................................12 Les critiques dramatiques................................................................................14 Les critiques d’ordre littéraire .........................................................................19 Les critiques d’ordre personnel .......................................................................24 Et après 1637 ? ................................................................................................26 Chapitre II : L’École des femmes : innovatrice ou ignoble? ..........................................35 Un peu de contexte ..........................................................................................35 Molière et la comédie ......................................................................................35 Le succès, les reproches et le début de la querelle ..........................................37 Chronologie de la querelle ..............................................................................39 Critiques morales et religieuses ......................................................................42 Critiques dramatiques .....................................................................................46 Critiques littéraires ..........................................................................................55 Critiques personnelles .....................................................................................59 La jalousie et le succès ....................................................................................66 Chapitre III : Vers une compréhension des genres théâtraux : le XVIIe siècle, période de querelles et d’évolution ..........................................................................................68 Tentatives de définir la tragi-comédie : genre théâtral mixte et cible mouvante .........................................................................................................................68 Le climat théâtral de 1628 à 1640 ...................................................................71 Les réguliers ....................................................................................................72 Les irréguliers .................................................................................................73 Le Cid : tragi-comédie ou tragédie ? Questions de « débaptême » .................75 Imitation parfaite, vraisemblance absolue et Le Cid de Corneille ..................78 La comédie héroïque : tragi-comédie réinventée ? .........................................78 iv La comédie soumise aux notions tragiques.....................................................80 Molière et le développement du genre comique .............................................82 Les « comédies » de Molière : évolution du genre comique ..........................86 La querelle du Cid et la querelle de l’École des femmes : controverses continuelles .....................................................................................................88 Auteur ou déclencheur ? .................................................................................90 Les relations entre Molière et Corneille ..........................................................91 Allusions à Corneille dans l’œuvre de Molière ..............................................92 Corneille = Molière ???...................................................................................93 Esthétique théâtral et pouvoir politique : la définition du théâtre ...................95 Conclusion .....................................................................................................................98 Bibliographie ...............................................................................................................104 Textes de l’époque ........................................................................................104 Ouvrages critiques modernes ........................................................................109 Appendice I : Corneille ................................................................................................113 i. Ordre des libelles de la querelle du Cid .....................................................113 ii. Les principaux participants de la querelle du Cid.....................................117 iii. Œuvres de Corneille ................................................................................121 Appendice II : Molière .................................................................................................124 i. Chronologie de la querelle de l’École des femmes ....................................124 ii. Les principaux participants de la querelle de L’École des femmes...........126 iii. Les œuvres de Molière.............................................................................130 v Introduction Le contexte historique et littéraire Sans aucun doute, le XVIIe siècle a apporté de grands changements au niveau culturel. Grâce aux œuvres de grands écrivains comme Molière, Corneille et Racine, le français est devenu la langue de la création littéraire. Des scientifiques français, comme Descartes, Fermat et Pascal, ont contribué à la révolution scientifique européenne. La quête vers l’érudition ne s’est pas limitée aux sciences. En France, une vie culturelle brillante s’est développée grâce aux salons, d’abord fréquentés à Paris. On y discutait de grands problèmes de l’heure. En tant qu’évènement de la société, les salons s’organisent autour de la femme : c’est elle qui règne sur les cercles. Ainsi peut-on dire que le XVIIe siècle est le « Grand siècle » de l’histoire de la France. Le XVIIe siècle est aussi le siècle du théâtre, illustré par trois noms célèbres : Pierre Corneille, Jean Racine et Molière. De plus, ce « Grand siècle », est marqué par la création de l’Académie française (1635). Cette institution exemplifie le désir de codifier la langue et la littérature par l’élaboration de nombreux écrits sur les règles et l’esthétique. Pourtant, la renommée des auteurs ne sert pas à éviter la critique. Lorsque Corneille fait jouer le Cid en 1637, la pièce est bien reçue avant de déclencher une véritable « guerre de plume1 », ainsi nommée par Georges de Scudéry : la querelle du Cid. Parallèlement, L’École des femmes (1662) de Molière connaît du succès avant d’entraîner la querelle de l’École des femmes. En particulier, les pièces sont jaugées à l’aune d’une série de règles qui évolue au cours du siècle et nos auteurs forcent les limites. Pouvons-nous comparer ces deux « guerres de plume » ? Quelles sont les relations entre les deux querelles dans le contexte du XVIIe siècle ? Quel est le lien entre le respect, ou manque de respect, des règles du théâtre classique et le succès d’une pièce au XVIIe siècle ? Quel est l’apport de ces deux pièces et de ces deux polémiques à l’évolution des règles ? Nul ne peut nier le fait qu’il s’agit de deux pièces et de deux auteurs très différents. 1 Georges de Scudéry, Observations sur le Cid, 95. 6 Les règles théâtrales sont dans l’air du temps L’élaboration des règles du théâtre classique au XVIIe siècle est due au régime politique et aux conceptions de l’art de cette période : « le XVIIe siècle a tendu vers la règle par besoin de se soumettre ; soumis, il a légitimé son obéissance par son culte de la raison »2. Au XVIIe siècle le poète est à la fois éducateur de la société et soldat de la monarchie qui obéit aux règles et aux contraintes. Notamment, le besoin d’établir des règles et de codifier l’art vient du pillage désordonné de l’Antiquité. Pourtant, on ne discute pas du bien-fondé des règles, mais de leur contenu. Les règles du théâtre classique sont basées sur des textes philosophiques qui datent de l’Antiquité, comme la Poétique d’Aristote et l’Art poétique d’Horace. Ces textes deviennent liés à l’instruction morale. Les règles de la bienséance, de la vraisemblance et des trois unités sont élaborées pour instruire et pour plaire au public. Dès 1623, Chapelain est convaincu de l’efficacité des règles. Selon ce dernier et ses adhérents, personne n’est au-dessus des règles, peu importe son génie poétique. Il faut respecter les règles pour survivre en tant que poète et pour gagner sa vie. Ainsi, le poète est libre d’écrire ce qu’il veut, mais doit se conformer aux règles pour être jugé « bon écrivain ». En fin de compte, le respect des trois unités, ainsi que la mise en scène de personnages crédibles contribuent à créer une pièce cohérente qui pourrait instruire et plaire au public. Corneille et la querelle du Cid Pierre Corneille, le « Grand » Corneille, est souvent nommé en tant que génie littéraire du « Grand Siècle ». Les pièces de Corneille sont jouées partout à Paris, par la troupe de l’Hôtel de Bourgogne, celle du Marais et même celle de Molière au Palais-Royal. Peu de temps après la première de sa pièce intitulée Le Cid, les ennemis de Corneille crient à l’invraisemblance, en critiquant ses personnages, en condamnant tout particulièrement Chimène, personnage principal féminin. Corneille aurait aussi péché contre les trois unités, inclus des intrigues superflues et plagié un auteur espagnol. Les détracteurs font même recours à des accusations d’ordre 2 René Bray. La Formation de la doctrine classique en France. Librairie Payot, 1931, 113. 7 personnel, comme celle de la vanité de Corneille. Cette polémique théorique et littéraire est connue sous le nom de la querelle du Cid, première grande querelle du XVIIe siècle. Le premier chapitre de ce travail précisera le contexte historique qui entoure ce grand dramaturge et son œuvre ; le contexte des règles théâtrales de la doctrine classique. Ensuite, nous établirons la chronologie de la querelle du Cid, débat théorique qui porte en grande partie sur la bienséance et la vraisemblance. Puis, nous discuterons des différents reproches posés : les critiques morales et religieuses, les critiques dramatiques, les critiques littéraires et les critiques personnelles. Finalement, ce chapitre examinera la période après 1637, et la réponse finale de Corneille. Molière et la querelle de l’École des femmes Dans la tendance littéraire des dramaturges, le XVIIe siècle est marqué par la tragédie. Ainsi, en tant que comédien, Molière est critiqué pour son choix de genre, le genre comique étant dévalorisé pour sa nature populaire voire vulgaire. Il est critiqué pour l’importance qu’il donne au rire, pour sa satire, sa grossièreté et son immoralité. Avec L’École des femmes (1662) la critique se précise encore plus et s’intensifie autour de cette pièce. Au cours de ce deuxième chapitre, nous explorerons les nombreuses facettes de cette polémique : les critiques morales et religieuses, les critiques dramatiques, les critiques littéraires et les critiques personnelles. Pour faire ceci, nous établirons le contexte historique et littéraire du dramaturge et de son œuvre. Selon les critiques, la pièce manquerait d’actions représentées, l’action serait monotone, seulement composée de récits, les personnages seraient stéréotypés et incohérents, le lieu serait mal choisi, enfin, l’ignorance envers les règles rendrait la pièce invraisemblable et ennuyeuse. De plus, Molière est fortement critiqué pour sa représentation de la société contemporaine fielleuse. Il ridiculise tout le monde peu importe leur statut social : personne ne peut échapper à sa satire. Enfin, le sujet de L’École des femmes, et de la majorité de ses œuvres, serait grossier et 8 inciterait la débauche tout en satirisant la morale et même la religion3. Les reproches, les critiques et les attaques sont vite mêlés aux applaudissements du public et incitent une polémique envahie de jalousie et de haine, qu’on nomme la « querelle de l’École des femmes », une véritable « guerre de plume ». Le XVIIe siècle : période de querelles et d’évolution Notre troisième et dernier chapitre vise à souligner l’évolution du genre théâtral au XVIIe siècle. Pour faire ceci, nous allons examiner le contexte historique des débats littéraires en question. Nous comptons identifier la définition les genres théâtraux au XVIIe siècle et examiner la terminologie autour de ces genres ; en particulier celle de la tragi-comédie et de la comédie héroïque. Nous allons aussi regarder le rapport entre les règles du théâtre classique et les genres théâtraux. Nous voulons déterminer les idées dramatiques de Corneille et de Molière pour en tirer des conclusions qui portent sur la théorie théâtrale. Nous proposons aussi de parcourir les relations entre Molière et Corneille, de souligner les allusions à Corneille dans l’œuvre de Molière et de répondre à la « théorie Corneille » (Corneille = Molière). Ce chapitre terminera avec un examen des liens entre l’esthétique théâtrale et le pouvoir politique, notamment en ce qui concerne la définition du théâtre au XVIIe siècle. Réflexions méthodologiques En ce qui concerne nos deux premiers chapitres et l’étude des pièces elles-mêmes, nous allons examiner la mise au point des règles du théâtre classique et l’évolution de la discussion autour de ces dernières afin de déterminer si les pièces en question suivent les règles. Ensuite, nous considérerons les intervenants dans la querelle ainsi que leurs écrits pour en dégager les arguments principaux et pour juger les mérites de ces arguments. Pour faire cela, nous allons appliquer les concepts dramatiques du XVIIe siècle aux pièces en question. Bien sûr, notre approche évoluera selon la nature de la querelle. Tandis que la querelle du Cid incite l’écriture de 3 Patrick Dandrey. La Guerre comique : Molière et la querelle de l’École des femmes. Paris : Hermann, 2014, 144. 9 textes théoriques, la querelle de l’École des femmes est marquée par la création et, parfois, la mise en scène de pièces de théâtre dont les règles se dégagent de façon parfois plus implicite. De plus, la querelle de l’École des femmes compte moins d’intervenants. Ces deux exemples illustrent la différence entre les deux querelles ; contraste qui influence notre approche. En somme, l’objectif de ce travail est de souligner la portée et l’influence de la querelle du Cid et de la querelle de l’École des femmes dans l’évolution de la conception de l’art dramatique. 10 Chapitre I : La Querelle du Cid ou la condamnation de Chimène et de Corneille Un peu de contexte Selon certains, le XVIIe siècle s’ouvre quelques années avant 1600 avec la signature de l’Édit de Nantes en 1598 par le roi Henri IV. Cette loi met fin à une période de guerre et de persécution des protestants, devenus citoyens français libres. La haine est remplacée par la tolérance et après quelques années de chaos le roi peut finalement tenter de renforcer son autorité. Cependant, durant le règne de Louis XIII (1610-1643) le pays demeure dans l’instabilité : le conflit religieux ne semble pas être réglé et les conspirations nobles continuent malgré les efforts de consolidation du pouvoir du cardinal Richelieu, chef du conseil. Cette instabilité politique et sociale est reflétée dans la tendance littéraire de la période : le baroque. Marquée par le chaos, le désordre, l’exubérance, la complexité, le manque de symétrie et la surcharge de détails, la période baroque (de Barroco signifiant perle irrégulière) est associée aux libertins et à la libre-pensée, à ceux qui questionnent l’autorité. La doctrine classique et la Querelle du Cid La Querelle du Cid, guerre de pamphlets et controverse autour du Cid (1637) de Pierre Corneille, contribue à la formation de la doctrine classique et influence l’esthétique et les genres littéraires du XVIIe siècle. Le succès énorme du Cid4 dès le premier janvier 1637 soulève des passions et opinions sur cette tragi-comédie. Jean-Marc Civardi, critique français, quantifie la querelle : « [l]e nombre de libelles auxquelles elle a donné lieu est assez important (trente-sept), ce qui n’avait pas été le cas dans les querelles autour de Guez de Balzac où les adversaires, les rédacteurs étaient beaucoup moins nombreux »5. En ce qui concerne la querelle, personne ne conteste les règles du théâtre classique, il s’agit de différences d’interprétation plus ou moins étroites. D’après lui, Corneille essaie de se conformer aux règles : il essaie de plaire non 4 Pour un résumé de la pièce et des détails sur les personnages voir Pierre Corneille. Le Cid : Tragi-comédie. Éd. Sylvie Joye. Paris: Larousse, 2006 ; en particulier les pages 138-147. 5 Jean-Marc Civardi. La querelle du Cid : (1637-1638) : édition critique intégrale. Paris : Champion, 2004, 68. 11 seulement au grand public, mais aussi à la communauté savante. De ce fait, le problème se repose finalement sur l’interprétation et l’application des règles. La chronologie de la querelle6 Le texte déclencheur de la querelle est l’Excuse à Ariste de Corneille7, imprimée à la fin de l’hiver 1637, poème vaniteux en alexandrins qui ne présente aucune véritable excuse, mais affiche plutôt un certain mépris pour les détracteurs de l’auteur. C’est grâce à ce poème que Corneille souligne sa volonté d’exprimer son originalité et son indépendance : « […] on peut considérer l’Excuse à Ariste comme une des premières manifestations de la liberté totale de l’artiste, puisqu’il termine son épître en s’en remettant aux seules lois de sa Muse capricieuse »8. Pourtant, la date de rédaction du poème n’est pas apparente. Corneille insiste qu'il l'a écrit au moins trois ans avant le Cid. En particulier, le texte fait allusion à Guez de Balzac9, qui s’est aussi fait détester par sa vanité, et aux attaques de plagiat qui ont paru quelques années avant le Cid. Selon Corneille, il fait comme tout le monde : le poète est toujours libre de choisir. Cependant, ses critiques lui assignent un excès de fierté : Corneille parle trop avantageusement de lui-même. Les premières répliques n’ont pas tardé. Jean Mairet écrit L’autheur du vray Cid Espagnol, à son Traducteur François, sur une Lettre en vers, qu’il a faict imprimer Intitulée (Excuse à Ariste) ou apres cens trais de vanité, il dit parlant de soymesme. Je ne doy qu’à moy seul toute ma Renomée10 en réponse à L’Excuse à Ariste de Corneille au printemps de 1637, avant l’anoblissement de ce dernier. Il s’agit d’un poème satirique, rempli de stances très violentes contre Corneille. Notamment, Mairet accuse Corneille de plagiat. De plus, il traite Corneille de vantard, d’insolent, d’orgueilleux, d’imposteur 6 Voire notre appendice I. i pour le détail et la chronologie des textes qui participent à cette polémique. Le détail des nombreux textes cités dans cette section se trouve dans notre bibliographie. 7 Voir notre appendice I. ii pour des détails sur Corneille. Désormais abrégé à Corneille, Excuse. 8 Civardi, 2004, 101. 9 Voir notre appendice I. ii pour des détails sur Guez de Balzac. La querelle à laquelle nous faisons allusion date des années 1620 et entoure ses Lettres. L’auteur est accusé de libertinage et le livre est condamné à cause de sa recherche de nouvelles formes. 10 Voir notre appendice I. ii pour des détails sur Mairet. Désormais abrégé à Mairet, L’autheur du vray Cid. 12 et d’ignorant, entre autres. Corneille répond à Mairet avec un rondeau gaillard, simplement intitulé Rondeau, texte qui insulte Mairet. C’est à peu près au même moment que Georges de Scudéry introduit un premier texte d’importance dans la querelle et qualifie la querelle de « guerre de plume ». Les Observations sur le Cid11, tout d’abord publiées anonymement, sont composées d’arguments fondés sur la Poétique d’Aristote. Il annonce même un plan d’attaque : […] je pretends donc prouver contre cette piece du CID. Que le Subjet n’en vaut rien du tout, Qu’il choque les principales regles du Poeme Dramatique, Qu’il manque de jugement en sa conduite, Qu’il a beaucoup de meschans vers, Que presque tout ce qu’il a de beautez sont derrobees, Et qu’ainsi l’estime qu’on en fait est injuste […]12 Ainsi, Scudéry semble vouloir s’en prendre à la pièce entière. Tandis que le sujet du Cid vient d’une histoire peut-être vraie, elle serait tout à fait invraisemblable. Les Observations de Scudéry entraînent une nouvelle étape de la querelle ; une étape marquée par la rédaction de nombreux textes qui reprennent l’écrit du Scudéry, qui défendent Corneille ou qui se donnent la réplique. La Deffense du Cid de Jean-Pierre Camus13 en est un exemple. Cet écrit s’attaque à Scudéry et est très favorable à Corneille. C’est aussi au printemps que Corneille écrit la seule réplique « officielle » : Lettre apologitique du Sr Corneille, contenant sa response aux Observations faictes par le Sr Scuderi sur le Cid14. En mai 1637 Scudéry fait appel à l’arbitrage de l’Académie française par le moyen d’un texte intitulé Lettre de Mr de Scudery à l’illustre Académie15. Particulièrement, c’est lors de la préface de cette lettre que Scudéry avoue être l’auteur des Observations. En voulant soumettre le Cid au jugement des Messieurs de l’Académie, Scudéry relance le débat. À vrai dire, il prolonge 11 Voir notre appendice I. ii pour des détails sur Scudéry. Désormais abrégé à Scudéry, Observations. Scudéry, Observations, 6. 13 Voir notre appendice I. ii pour des détails sur Camus. Désormais abrégé à Camus, Deffense. 14 Désormais abrégé à Corneille, Lettre apologitique. 15 Désormais abrégé à Scudéry, Lettre de Scudéry à l’Académie. 12 13 les arguments de ses Observations. Tandis que Scudéry affirme qu'il attaque la pièce, et non son auteur, il dévalorise le sujet du Cid et prétend un certain manque de jugement de la part de Corneille. De plus, il soutient que la pièce choque les règles du poème dramatique. Finalement, il juge que l’estime accordée à la pièce est injuste. Les académiciens, conscients de l’image publique d’une toute nouvelle institution, acceptent la requête de Scudéry à contrecœur. L’Académie présente un texte mis au point par Chapelain, Les Sentiments de l’Académie françoise sur la tragi-comédie du Cid16. Ce texte s’avère central à la querelle : « [l]e plus étendu, les Sentiments de l’Académie, comporte 192 pages (d’une typographie assez aérée) –nombre quelque peu élevé dû à son caractère officiel et à sa nature particulière : reprendre et examiner les principaux arguments pro et contra, clore le débat […] »17. Tandis que ce texte ne retient pas l’accusation de plagiat, il donne raison à Scudéry en ce qui concerne le manque de respect des règles. Ensuite, la Lettre de M. de Balzac à M. de Scudéry sur les observations du Cid, texte de Guez de Balzac18 qui montre une grande compréhension des enjeux du Cid et qui déclenche une certaine correspondance avec Scudéry est plus favorable à Corneille qu’à Scudéry. La « guerre de plume » est finalement terminée lorsque Richelieu donne l’ordre d’en finir avec cette querelle19. Les critiques dramatiques Dans sa critique du Cid, analyse qui commente chaque scène, Scudéry insiste que le caractère de Chimène serait contre la nature. Par exemple, dans l’acte IV scène i, Scudéry souligne qu’il serait contre nature que Chimène s’inquiète du sort de Rodrigue. De plus, l’évanouissement de Chimène dans la scène v de ce même acte prouverait « l’infâme passion » de cette « criminelle »20. De surcroît, lors de l’acte V scènes vi et vii, le dénouement 16 Voir notre appendice I. ii pour des détails sur Chapelain. Désormais abrégé à Chapelain, Les Sentiments de l’Académie. 17 Civardi, 2004, 69. 18 Voir notre appendice I. ii pour des détails sur Guez de Balzac. Désormais abrégé à Guez de Balzac, Lettre à Scudéry. 19 Le 5 octobre 1637, une Lettre à M. Mairet de l’abbé de Boisrobert, fidèle de Richelieu, ordonne, au nom du cardinal, de cesser toute attaque. Civardi, 2004, 40. 20 Scudéry, Observations, 58. 14 exemplifierait l’indignité de Chimène qui « confesse ingenument ses folies desnaturees » par « un ouy si criminel »21. D’après nous, les reproches contre Chimène représentent la majorité des critiques posées par Scudéry : Mais tant s’en faut que la Piece du Cid, soit faite sur ce modelle, elle est de tres-mauvais exemple : l’on y voit une fille desnaturée ne parler que de ses follies, lors qu’elle ne doit parler que de son malheur ; pleindre la perte de son Amant, lors qu’elle ne doit songer qu’à celle de son pere ; aimer encor ce qu’elle doit abhorrer, souffrir en mesme temps, & en mesme maison, ce meurtrier & ce pauvre corps ; & pour achever son impieté, joindre sa main à celle qui degoute encor du sang de son pere 22. Par ailleurs, ce dernier passe très rapidement sur les autres personnages pour revenir encore une fois au caractère de Chimène : Si l’Autheur que nous examinons, n’eust pas ignoré ces preceptes […] il se fust bien empesché, de faire triompher le vice sur son Theatre, & ses Personnages auroient eu de meilleurs intentions, que celles qui les font agir […] Don Gomes moins ambitieux & moins insolent, Don Sanche plus genereux, Elvire de meilleur pour les Suivantes, & cet Autheur n’auroit pas enseigné la vengeance, par la bouche mesme de la fille, de celuy dont on se vange […]23. Corneille défend lui-même Chimène en rappelant le succès des représentations de sa pièce. Les dames de la haute société assisteraient-elles à une pièce qui choquerait tellement la bienséance ? Il nous semble que la réponse est non. De plus, Chapelain ne suit pas la condamnation totale de Scudéry. Selon lui, il est naturel qu’elle continue d’aimer Rodrigue. En surcroît, Chapelain reconnaît finalement que « […] cette passion de Chimène a esté le principal agréement de la Piece, & ce qui luy a excité le plus d’applaudissemens » et que « quelque mauvaise qu’elle soit, elle est heureusement exprimée »24. Après tout, le personnage de Chimène serait-il vraisemblable ? Au quinzième chapitre de sa Poétique, Aristote discute de sa conception du caractère dramatique. En particulier, il distingue quatre « buts » à viser : […] le premier, c’est qu’ils [les caractères] soient de qualité. Comme on l’a dit, il y aura caractère si les paroles ou l’action révèlent un choix déterminé : le caractère aura de la qualité si ce choix est de qualité. […] Le second point, c’est la convenance : un caractère peut être viril, mais il ne convient pas qu’une femme soit 21 Ibid, 63. Ibid, 24. 23 Ibid, 28-29. 24 Chapelain, Les Sentiments de l’Académie, 67. 22 15 virile ou éloquente. Le troisième, c’est la ressemblance, ce qui est autre chose que de faire un caractère qui a qualité ou convenance au sens que j’ai dit. Le quatrième c’est la constance ; et, même si celui qui fait l’objet de la représentation est inconstant et suppose un caractère de ce genre, il faut encore que ce caractère soit inconstant de façon constante25. En surcroît de ces quatre « buts » il faut aussi considérer le nécessaire et le vraisemblable de chaque caractère : « [i]l faut aussi dans les caractères, comme dans l’agencement systématique des faits, chercher toujours le nécessaire ou le vraisemblable : […] qu’il soit nécessaire ou vraisemblable que ceci se produise après cela »26. Selon nous, le personnage de Chimène est vraisemblable. Personnage de qualité, elle agit avec « mauvais goût », mais elle a un caractère constant. Il ne surprend pas que Scudéry crie à l’invraisemblance du Cid dans un sens plus large. Selon ce dernier, la pièce serait presque sans intérêt : « […] le Pere de Chimene y meurt presque des le commencement, dans toute la Piece, Elle ny Rodrigue ne poussent, & ne peuvent pousser, qu’un seul mouvement : on n’y voit aucune diversité ; aucune intrigue ; aucun Nœu ; Et le moins clair-voyant des spectateurs, devine, ou plustost voit, la fin de cette Avanture, aussi-tost qu’elle est commencée »27. En outre, il critique aussi le dénouement de la pièce : « […] il est vray que Chimene espousa le Cid, mais […] il n’est point vray-semblable, qu’une fille d’honneur, espouse le meurtrier de son Pere. Cet evenemeut estoit bon pour l’Historien, mais il ne valoit rien pour le Poete […] »28. Il est important de noter que pour Scudéry, le vraisemblable serait « la raison & les bonnes mœurs »29, définition qui inclut donc la bienséance et la culture de la société de l’époque. Encore une fois, Chapelain s’oppose à Scudéry. En particulier, il ne note aucun problème avec le nœud et le dénouement de la pièce : la querelle des pères « […] met l’affaire aux termes de se rompre […] »30 et l’on attend le mariage de Chimène jusqu’à la fin de la pièce. 25 Aristote, La Poétique. Éd. Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot. Paris : Seuil, 1980, 85. Ibid, 85. 27 Scudéry, Observations, 9. 28 Ibid, 11-12. 29 Ibid, 16. 30 Chapelain, Les Sentiments de l’Académie, 27. 26 16 En outre, malgré la popularité des tragi-comédies pendant cette période, on accuse Corneille de ne pas avoir su choisir entre la comédie et la tragédie. Scudéry revient sur le genre tragi-comique dans ses Observations : Mais il n’en va pas ainsi de la Tragi-comedie, Car bien qu’elle n’ait presque pas esté connue de l’Antiquité, neantmoins puis qu’elle est comme un composé de la Tragedie & de la Comedie, et qu’à cause de sa fin, elle semble mesme pancher plus vers la derniere, il faut que le premier Acte, dans cette espece de Poeme embrouille une intrigue, qui tienne tousjours l’esprit en suspends, & qui ne desmesle qu’à la fin de tout l’Ouvrage31. De son dénouement, Le Cid se pencherait vers la comédie. De plus, Scudéry revient sur la fonction du théâtre pour insister que la pièce de Corneille n’accomplit pas les objectifs du genre : […] le Poeme de Theatre fut inventé, pour instruire en divertissant ; & que c’est sous cet agreable habit, que se desguise la Philosophie, de peur de paroistre trop austere aux yeux du monde : & par luy (s’il faut ainsi dire) qu’elle semble dorer les pillules, afin qu’on les prenne sans repugnance, & qu’on se trouve guary, presques sans avoir connu le remede. Ainsi ne manque t’elle jamais, de nous monstrer sur la Scene, la vertu recompensée, & le vice tousjours puni 32. D’après Scudéry, la pièce n’accomplirait pas cette fonction instructrice car elle montre un certain mauvais exemple. De surcroît, d’après Scudéry, Chimène, qui fait preuve de vice, devrait être punie. Selon Chapelain, la pièce aurait dû s’incliner vers l’honneur et non vers l’amour. Le choix de Corneille démontre-t-il un respect du genre tragi-comique qui finit bien ? De plus, selon les critiques, l’intrigue de l’Infante est inutile ; trop éloignée de l’intrigue principale car, comme nous le savons, les actions secondaires doivent servir aux actions principales. Scudéry insiste sur cet argument d’inutilité dans ses Observations : La troisiesme Scene est encor plus deffectueuse, en ce qu’elle attire en son erreur, toutes celles ou parlent l’Infante ou Don Sanche : je veux dire, qu’outre la bien-seance mal observee, en un amour si peu digne d’une fille de Roy, & l’une & l’autre tiennent si peu dans le corps de la Piece, & sont si peu necessaires à la representation […]33. Chapelain trouve que : 31 Scudéry, Observations, 8-9. Ibid, 22-23. 33 Ibid, 40. 32 17 […] tout l’Episode de l’Infante est condamnable. Car ce personnage ne contribüe rien, ny à la conclusion, ny à la rupture de ce mariage, & ne sert qu’à representer une passion niaise, qui d’ailleurs est peu seante à une Princesse, estant conceüe pour un jeune homme, qui n’avoit encore donné aucun tesmoignage de sa valeur 34. Dans sa Défense du Cid, Camus admet que l’Infante n’appartiendrait pas au principal fil de l’intrigue. Cependant, d’après ce dernier, elle n’est pas inutile « […] puis qu’elle sert à relever les merites de Rodrigue dont elle avoit esté esprise toute Infante qu’elle estoit, & par la mesme à excuser Chimène de s’estre affermie à une passion où elle avait veu une Reyne assujetie »35. Nous donnons gain de cause à Camus. En ce qui concerne la règle des trois unités, rappelons rapidement les faits bien connus : l’unité d’action dicte qu’une pièce n’aura qu’une seule action principale et que toute autre action ou événement doit être lié, nécessaire et indispensable, contribuant à cette action principale ; l’unité de temps stipule que l’action ne doit pas dépasser une « révolution de soleil » ; l’unité de lieu impose un seul lieu pour le déroulement de l’action. Dans le cas du Cid, la critique de l’unité d’action se repose sur le grand nombre de péripéties : la querelle des deux pères, la vengeance de Don Diègue par l’intermédiaire de son fils, le combat de Rodrigue contre les Maures, la demande de procès, le combat de Rodrigue et de Don Sanche, le piège pour faire avouer à Chimène son amour pour Rodrigue et le consentement du mariage par le roi. Toutefois, la tragi-comédie, genre à la mode, se repose sur l’esthétique de la surprise et une certaine accumulation d’événements pour plaire au public. De ce fait, le genre lui-même ne respecterait pas l’unité d’action et tous ceux qui mettent en scène des tragi-comédies, même Scudéry et Mairet, n’auront donc pas respecté cette règle. La critique de l’unité de temps se repose sur une certaine invraisemblance. Avec deux duels, une bataille contre les Maures et un procès, Rodrigue n’a jamais de repos. C’est une situation sur laquelle Scudéry ironise : « […] ce qui loing d’estre bon dans les vingt quatre heures, ne seroit pas supportable dans les vingt quatre ans »36. Pour Scudéry, c’est un manque de vraisemblance : ces actions ne seront jamais accomplies dans si peu de temps dans la réalité. 34 Chapelain, Les Sentiments de l’Académie, 74-75. Camus, Deffense, 7. 36 Scudéry, Observations, 17. 35 18 Cependant, d’après Corneille, ce sont les contraintes de l’unité de temps qui rendent la pièce invraisemblable : il a voulu respecter l’unité de temps et ainsi les actions se sont trouvées précipitées. Chapelain est d’accord avec le dramaturge : « […] lors qu’il a compris tant d’actions remarquables dans l’espace de vingt-quatre heures, & qu’il n’a peu autrement fournir les cinq Actes de sa Piece, qu’en entassant tant de choses l’une sur l’autre en si peu de temps »37. Dans ce cas, nous donnons gain de cause à Corneille et à Chapelain. La critique de l’unité de lieu est basée sur un manque de cohérence. L’action se déroule à l’intérieur et à l’extérieur de plusieurs endroits : le palais royal, la maison de Chimène, la maison de l’Infante et la place publique. Corneille se justifie en soulignant le fait que tout se passe à Séville. En ce qui concerne les critiques, Chapelain n’a pas grand’ chose à dire à ce sujet. Scudéry y passe rapidement même s’il la critique. Selon Civardi : « […] cela ne doit pas étonner car en 1637 l’unité de lieu est encore entendue au sens large »38. Ainsi la justification de Corneille serait raisonnable. Les critiques d’ordre littéraire La première critique d’ordre littéraire est celle du plagiat. Pourtant, c’est un terme qu’on entend autrement au XVIIe siècle, puisqu’on reprend couramment des sujets traités par d’autres et la notion de propriété littéraire est très limitée : […] Je considere le fonds de la Poësie Dramatique, comme un ancien patrimoine que divers Proprietaires ont possedé successivement. Si des Grecs & des Latins il est venu jusqu’à nous, ils ny ont plus rien, nous en devons jouyr plainement & paisiblement. Neantmoins comme les descendants d’une Illustre famille ne laissent pas d’estendre les bornes de leur heritage, & d’y faire des acquisitions nouvelles, qui sont en apres censees d’un mesme estoc […]. Ainsi je ne croy pas faire tort aux Muses Greques ny aux Latines […] ou plustost je n’offense point les Poëtes de leur temps, d’accoistre le territoire qu’ils ont cultivé, puis que je ne gaste point, comme je pretends monstrer, ce qu’ils nous ont laissé, & que sans destruire ce qu’ils ont faict, je l’accomode seulement à nostre usage, enseignant aux autres d’en augmenter le profit par leur industrie […] 39. 37 Chapelain, Les Sentiments de l’Académie, 49. Civardi, 2004, 361. 39 Discours à Cliton, 26-27. 38 19 Pour certains critiques, comme Mairet, Corneille n’est qu’un traducteur : il fait plusieurs emprunts et s’inspire d’autres pièces. Ils traitent Corneille de traducteur et même de tailleur ou de cordonnier. Plusieurs critiques modernes, y compris nous-mêmes, soulignent un possible courant jaloux qui se retrouverait sous les reproches de plagiat et d'immortalité. Cependant, la jalousie est motivante : elle incite des écrits dramatiques et théoriques en réponse à la pièce de Corneille. Le premier à formuler cette critique de plagiat à l’époque de Corneille est Mairet, qui écrit sous un pseudonyme un texte en forme de plainte, une accusation de plagiat même dans le titre, L’Auteur du vrai Cid espagnole à son traducteur français. Mairet poursuit l’attaque en s’inspirant de l’Antiquité, de l’histoire de la corneille qui s’embellit avec les plumes des autres oiseaux : « Ingrat rends moy mon Cid jusques au dernier mot, /Apres tu connestras, Corneille déplumée, /Que l’Esprit le plus vain est souvent le plus sot, /Et qu’enfin tu me dois toute ta renommée »40. Cependant, il est intéressant de noter que Mairet s’est aussi inspiré de la littérature espagnole41. L’accusation du plagiat est ensuite reprise par Scudéry dans ses Observations. Cette critique revient jusqu’à la fin de la querelle, avec Scarron et l’auteur anonyme de L’Anatomie du Cid. Selon Chapelain, un dramaturge peut mettre en scène un récit historique, mais il devrait le modifier, comme le font les Anciens. La réponse à ce reproche vient rapidement. Comme nous le savons, Jean-Pierre Camus prend la part de Corneille dans La Deffense du Cid. En particulier, il insiste sur la nature de l’œuvre de Castro : En fin pour respondre à ce que le Censeur dit que la piece qui nous a paruë en France n’estoit qu’une traduction : Je le renvoye pour se detromper au Roman DU CID escrit en langue Espagnole où il apprendera l’histoire vraye ou fabuleuse de Rodrigue & de Chimene, mais en un stile de Roman & denué des pensees & ornements poëtiques42. De ce fait, le travail de Corneille ne serait pas celui d’un simple traducteur. Dans le même ordre d’idées, les partisans de Corneille retournent l’argument et insistent sur une certaine perspective nationaliste dans l’œuvre du dramaturge, ce qui soulignerait la 40 Mairet, L’Auteur du vrai Cid, v. 33-36. Nous donnons ici l’exemple des Galanteries du duc d’Ossone. 42 Camus, Deffense, 32. 41 20 noblesse de l’entreprise. Dans La Défense du Cid, Camus félicite Corneille d’avoir « rav[i] l’honneur » à quelqu’un d’ « une nation qui nous est ennemie »43. De plus, l’auteur anonyme du Souhait du Cid maintient que Corneille serait un loyal sujet du roi de France : Les denrées estrangeres estant deffendues en France, le Cid a fait un miracle faisant qu’un bon Espagnol aye parlé bon François, de moy je n’entens pas ce langage, j’aurois peur qu’on m’accusast d’intelligence avec les ennemis, ainsi pour nous servir de ce qui est à eux, il le faut faire nostre auparavant, le donner pour tel afin qu’il ne soit pas dans le rebut, leurs pensées tant qu’elles demeurent chez eux sont bazanées comme leur tein, quand elles passent en France elles s’adoucissent […]44. Ce passage introduit l’idée d’un certain patrimoine dramatique : la conquête n’est pas seulement limitée aux militaires. En ce qui concerne le triomphe du Cid, Scudéry est le premier à suggérer que le succès de la pièce n’est pas mérité. Selon ce dernier, Corneille reçoit des acclamations du peuple, en particulier des femmes et non de la société savante. Pourtant, le refus de pièces nouvelles et irrégulières qui multiplient personnages, situations et époques est commun au XVIIe siècle. D’après certains critiques, Corneille s’est laissé emporter par son succès, un succès qui ne serait pas mérité. En particulier, selon Scudéry, les applaudissements viendraient d’une certaine tromperie. C’est une critique reprise par Claveret dans sa Lettre et Mairet dans son Epistre familière du Sr Mairet au Sr Corneille sur la tragi-comedie du Cid. Tous deux insistent que la pièce n’aurait eu que des acclamations du peuple ou des femmes. D’après Mairet, la « fausse gloire »45 de Corneille vient de certains de ses choix esthétiques : il plairait à cause de sa vulgarité. Corneille réfute ces accusations assez facilement en rappelant que sa pièce était jouée chez « les plus grands » : Ne vous estes-vous pas souvenu que le Cid a esté representé trois fois au Louvre, & deux fois à l’Hostel de Richelieu : Quand vous avez traicté la pauvre Chimene d’impudique, de prostituée, de parricide, de monstre ; Ne vous estes-vous pas souvenu, que la Reyne, les Princesses, & les plus vertueuses Dames de la Cour et de Paris, l’ont receüe & caressée en fille d’honneur ; […]46. Au XVIIe siècle, cet argument de l’approbation royale semble réfuter toute accusation 43 Ibid, 10. Souhait du Cid en faveur de Scuderi, 33. 45 Mairet, Epistre familière, 13. 46 Corneille, Lettre Apologitique, 6. 44 21 d’immoralité. De plus, selon ses critiques, Corneille n’aurait pas dû faire imprimer le Cid ; le succès de la mise en scène de son travail aurait dû être assez pour lui. En particulier, selon Mairet, Corneille aurait dû attendre avant de publier la pièce : il n’a pas corrigé ses fautes et ce sont les acteurs qui ont assuré le succès de la pièce. C’est une critique qui permet d’insister sur l’admiration injustifiée de la pièce. De surcroît, certains critiques, y compris Scudéry, accusent Corneille de tyrannie sur le plan littéraire. Corneille n’aurait pas respecté un certain pacte ou une certaine confrérie qui unissait une société d’auteurs idéale. C’est un manque de respect d’une loi non écrite : l’auteur n’a finalement pas d’autonomie. Tandis que le sujet du Cid est un sujet historique, ni l’histoire originale ni son adaptation dramatique n’est vraisemblable. Plusieurs se demandent comment Corneille a pu écrire sur un sujet espagnol alors que la France était en guerre contre l’Espagne. Notamment, Scudéry et Mairet se demandent pourquoi Corneille n’a pas choisi un sujet qui date de l’Antiquité. Cependant, en ce qui concerne la source, Corneille affirme qu’il s’est inspiré de textes et de faits réels, en particulier Las Mocedades del Cid de Guilhem de Castro. Notons également que Le Cid historique remonte à plusieurs siècles et qu’il met en scène un combat contre les Maures, ennemis communs des chrétiens. Scudéry questionne aussi le goût de Corneille en soulignant que certaines scènes choqueraient la bienséance. L’acte III scène i en est un exemple : Rodrigue vient voir Chimène « […] avec une espee qui fume encor du sang tout chaut, qu’il vient de faire respandre à son pere […] »47. De plus, comme Rodrigue tue le comte, père de Chimène, il ne devait jamais revoir sa fille. Ce sont ici deux exemples qui choquent les mœurs de l’époque, et ainsi la bienséance. Scudéry note aussi que, en ce qui concerne les lois du genre, un gentilhomme ne peut pas demander à son amante de le tuer. Pourtant, Chapelain n’est pas complètement d’accord. Selon lui, comme il y a si peu de gens chez Chimène, le fait que Rodrigue se présente ne le choque pas. 47 Scudéry, Observations, 47-48. 22 Toutefois, le fait que Rodrigue vient demander une punition de la main de Chimène serait choquant et ne se conformerait pas au caractère de Rodrigue ; ce serait un « mauvais expedient »48 pour ne pas mourir, parce que Corneille, tout comme le spectateur, sait qu’une jeune fille ne tue pas et qu’un gentilhomme ne fait pas de telles demandes. D’après Chapelain c’est une scène qui ne fonctionne pas : Nous estimons donc que cette Scene, & la quatriesme du mesme Acte, qui en est une suitte, sont principalement defectueuses, en ce que Rodrigue va chés Chimene, dans la créance desraisonnable, de recevoir par sa main la punition de son crime, & en ce que ne l’ayant pu obtenir d’elle, il ayme mieux la recevoir de la main du Ministre de la Justice, que de la sienne mesme. S’il fust allé vers Chimene dans la resolution de mourir en sa presence, de quelque sorte que ce peust estre, nous croirions que non seulement ces deux Scenes seroient fort belles, pour tout ce qu’elles contiennent de pathetique, mais encore que ce qui manque à la conduitte, seroit sinon fort regulier, au moins fort supportable49. De surcroît, le fait que Chimène accepte d’épouser Rodrigue, le meurtrier de son père, et le fait que le roi bénisse cette union choquent à la fois la bienséance et la vraisemblance. Inspiré des écrits d’Aristote, Chapelain distingue le vraisemblable « commun » et l’« extraordinaire » : « […] le vray […] pourroit estre si estrange & si incroyable qu’ils refuseroient de s’en laisser persuader […] »50. Le jugement de Chapelain se repose sur la cohérence interne de la pièce : « […] ny la bien-seance des mœurs d’une Fille introduite comme vertueuse n’y est gardée par le Poëte, lors qu’elle se resout à espouser celuy qui a tué son Pere, ny la Fortune par un accident impreveu, & qui naisse de l’enchaisnement des choses vray-semblables, n’en fait point le demeslement »51. Chapelain propose donc un autre dénouement : De sorte qu’il y auroit eu sans comparaison moins d’inconvenient dans la disposition du Cid, de feindre contre la verité, ou que le Comte ne se fust pas trouvé à la fin le veritable Pere de Chimene, ou que contre l’opinion de tout le monde il ne fust pas mort de sa blessure ; ou que le salut du Roy & du Royaume eust absolument dependu de ce mariage, pour compenser la violence que souffroit la Nature en cette occasion, par le bien que le Prince & son Estat en recevroit ; tout cela, disons-nous, auroit esté plus pardonnable, que de porter sur la scène l’evenement tout pur & tout scandaleux, comme l’histoire le fournissoit 52. S’il nous semble que les suggestions de Chapelain ont une certaine logique, elles choquent la 48 Chapelain, Les Sentiments de l’Académie, 90. Ibid, 91-92. 50 Ibid, 34-35. 51 Ibid, 36-37. 52 Ibid, 39-40. 49 23 vraisemblance en préservant la bienséance. Il propose de garder le dénouement heureux de Corneille sans aucun élément de scandale. Cependant, Corneille tient mordicus à la vérité de son histoire et refuse toute suggestion de modifier le dénouement de son intrigue. Le dénouement de Chapelain serait presque un Deus ex machina, contre la vérité de l’histoire. Les critiques d’ordre personnel Les critiques d’ordre personnels se reposent sur la prétendue vanité de Corneille. Certains le comparent à Narcisse ou à Icare. D’autres soutiennent que le dramaturge est indigne de son récent anoblissement. De plus, comme Corneille n’est qu’un bourgeois, on l’accuse d’avarice : selon certains il prive les comédiens des bénéfices de sa pièce en la faisant imprimer. Il s’agit donc de problèmes reliés au droit de l’auteur. Il nous semble que la majorité des critiques personnelles sont incitées par Corneille lui-même lors de la diffusion de L’Excuse à Ariste. Le poème de 104 vers est décortiqué par Civardi dans la citation suivante : Les v. 1 à 20 forment l’excuse proprement dite : le génie de Corneille ne peut s’adapter à la musique. Ensuite le poète loue sa propre œuvre (v. 21-52) ; puis une courte transition (v. 53-57) amène la confession, le souvenir de jeunesse sur ses débuts poétiques et amoureux (v. 58-90). Enfin, il revient à l’excuse dans les v. 91 à 104 : il n’a jamais écrit de chanson, même par amour ; encore moins en écrira-t-il par amitié53. En particulier, c’est la vanité de certains vers qui frappe encore de nos jours : « La fausse humilité ne met plus en credit / Je sçay ce que je vaux, & croy ce qu’on m’en dit »54. De plus, selon Corneille, son succès est non seulement mérité mais est dû à lui-même : Lâ content du succés que le merite donne Par d’illustres advis je n’en éblouïs personne, Je satisfaits ensemble & peuple & courtisans Et mes vers en tous lieux sont mes seuls partisans Par leur seule beauté ma plume est estimée Je ne dois qu’à moy seul toute ma Renommée Et je pense toute fois n’avoir point de rival A qui je fasse tort en le traittant d’égal […]55. 53 54 Civardi, 2004, 291. Corneille, Excuse, v 35-36. 24 D’après ce texte, il nous semble tout à fait possible que L’Excuse à Ariste ait pu inciter des reproches et des critiques des contemporains de Corneille. Dès le début de son écrit, Scudéry insiste qu’il ne voulait pas attaquer Corneille personnellement : J’ataque le Cid, & non pas son Autheur ; j’en veux à son Ouvrage et non point à sa personne ; Et comme les combats & la civilité ne sont pas incompatibles, je veux baiser le fleuret ; dont je prétends luy porter une botte franche : je ne fais ny une Satyre, ny un Libelle diffamatoire, mais de simples OBSERVATIONS : & hors les paroles qui seront de l’essence de mon Sujet, il ne m’en eschappera pas une, ou l’on remarque de l’aigreur56. Pourtant, il nous semble que les reproches de ce dernier dépassent de simples observations sur Le Cid. Corneille répond à Scudéry dans sa Lettre apologitique : Vous protestez de ne me dire point d’injures, et lors qu’incontinant apres vous m’accusez d’ignorance en mon mestier & de manque de jugement en la conduite de mon chef-d’œuvre ; Vous appellez cela des civilitez d’Autheur, je n’aurois besoin que du texte de votre Libelle, & des contradictions qui s’y rencontrent pour vous convaincre de l’un & de l’autre de ces deffaux […] 57. Notre auteur semble confirmer que l’écrit de Scudéry dépasse de simples observations. Cette lettre a comme conséquence de lancer Claveret dans la bataille, après avoir été attaqué par Corneille : « […] [i]l n’a pas tenu à vous que du premier lieu où beaucoup d’honnestes gens me placent, je ne sois descendu au dessoubs de Claveret »58. Les remarques de Corneille incitent la riposte suivante de Claveret : « Mais recognoissez en eschange, que vous estes en prose le plus impertinent de ceux qui sçavent parler, que la froideur & la stupidité de votre esprit sont telles, que vostre entretien fait pitié à ceux qui souffrent vos visites, et que pour le regard des belles lettres vous passez dans le beau monde, pour le plus ridicule de tous les hommes »59. Certainement, ce passage rempli d’injures est une réponse à l’insulte de Corneille. On est en pleine attaque ad hominem. Les attaques continuent et perdurent. En particulier, Mairet accuse Corneille de plagiat : 55 Ibid, v 45-52. Scudéry, Observations, 5. 57 Corneille, Lettre apologitique, 5. 58 Ibid, 9. 59 Claveret, Lettre du Sr Claveret au Sr Corneille, soy disant autheur du Cid, 13-14. 56 25 Tu ne dois te vanter en ce fameux ouvrage Que d’un vers assez foible en ton propre langage, Qui par ton ignorance oste l’honneur au mien, (Tant sa force & sa grace en est mal exprimée) Cependant orgueilleux, & riche de mon bien, Tu dis que ton merite a faict ta Renommée 60. Ainsi, Corneille serait mauvais traducteur, ignorant, vantard, sans aucun mérite. Camus vient à la défense de Corneille en insistant que sa pièce serait meilleure que l’histoire originale : « […] nostre Traducteur DU CID a mieux fait que son Autheur, & c’est ainsi qu’il a merité la gloire universelle qu’on luy donne »61. Et après 1637 ? Après les échanges dans le vif du combat en 1637, la véritable réponse posée et raisonnée de Corneille ne vient qu’en 1660 avec la publication des Trois Discours sur le poème dramatique62. Ces Discours réfutent non seulement les Sentiments de l’Académie, mais aussi La Pratique du théâtre (1657) de l’abbé d’Aubignac. L’animosité entre d’Aubignac et Corneille est bien attestée : La Pratique d’Aubignac contient en partie une réaction au mépris de Corneille qui n’a pas suivi les préceptes de ce dernier. D’après d’Aubignac la vraisemblance est l’essence du poème dramatique, nécessaire à la poésie pour qu’elle atteigne son but moralisant. En particulier, dans sa Pratique, il distingue entre le vrai et le vraisemblable : […] le Vrai n’est pas le sujet du Théâtre, parce qu’il y a bien des choses véritables qui n’y doivent pas êtres vues […]63. Le Possible n’en sera pas aussi le sujet, car il y a bien des choses qui se peuvent faire […], qui pourtant seraient ridicules et peu croyables, si elles étaient représentées […]64. 60 Mairet, L’Auteur du vrai Cid, v 19-24. Camus, Deffense, 11. 62 Voici les titres des trois discours : Discours de l’utilité et des parties du poème dramatique, Discours de la tragédie et des moyens de la traiter, selon le vraisemblable ou le nécessaire, Discours des trois unités d’action, de jour, et de lieu. 63 François-Hédelin, l’abbé d’Aubignac. La pratique du théâtre [1657]. Éd. Hélène Baby. Paris : H. Champion, 2011, 123. 64 D’Aubignac, 125. 61 26 Il n’y a donc que le Vraisemblable qui puisse raisonnablement fonder, soutenir et terminer un Poème Dramatique : ce n’est pas que les choses véritables et possibles soient bannies du Théâtre, mais elle n’y sont reçues qu’autant qu’elles ont de la vraisemblance […] 65. Selon d’Aubignac, seul le vraisemblable et non le vrai peut être mis en scène, car le vrai peut choquer la bienséance. Sans aucun doute, la vraisemblance est véritablement la base de toute théorie dramatique, car elle influence la bienséance et les unités théâtrales. Tandis que les critiques se basent tous sur la Poétique d’Aristote, certains, comme Chapelain et d’Aubignac, conçoivent la vraisemblance en tant que règle stricte, un certain pouvoir absolu, lorsque Corneille imagine une vraisemblance beaucoup moins rigide. Selon Aristote le poète n’est pas historien : son rôle étant « […] de dire non pas ce qui a lieu réellement, mais ce qui pourrait avoir lieu dans l’ordre du vraisemblable ou de nécessaire »66. Ainsi, « [l]e travail de poète est de rendre l’invraisemblable vraisemblable »67. Après tout, le dramaturge doit convaincre son spectateur d’entrer dans le monde représenté. Au XVIIe siècle la notion du vrai, de la vérité et de la réalité est inférieure à celle du vraisemblable. De plus, il n’y avait qu’une distinction subtile entre la vraisemblance et la bienséance. En 1623, dans la préface à L’Adone, Chapelain écrit que la vraisemblance est « […] une représentation des choses comme elles doivent avenir, selon que le jugement humain, né et élevé au bien, les prévoit et les détermine ; […] »68. De ce fait, la vraisemblance serait une certaine élévation de la réalité. Dans ses Sentiments de l’Académie Chapelain distingue entre la vraisemblance ordinaire, des événements « […] qui arrivent ordinairement aux hommes selon leurs conditions, leurs aages, leurs mœurs et leurs passions […] »69 et l’extraordinaire qui « […] 65 Ibid, 126. Aristote, 65. 67 Daniel Joseph Maher. « La vraisemblance au XVIIe siècle – Corneille lecteur d’Aristote ? ». Papers in French Seventeenth Century Literature, 41. XXI 1994, 522. 68 Jean Chapelain, Préface à l’Adone [dans] Opuscules critiques. Éd. Alfred C. Hunter. Paris : Droz, 1936, 87. 69 Chapelain, Sentiments de l’Académie, 30. 66 27 embrasse les choses qui arrivent rarement, & outre la vray-semblance ordinaire […] »70. Cependant, tandis qu’il théorise l’existence de la vraisemblance extraordinaire, Chapelain refuse cette notion dans la pratique. Ceci est exemplifié dans son traitement du mariage de Chimène et de Rodrigue, où il refuse la vraisemblance extraordinaire comme explication de cette union. Selon lui, la vérité doit se soumettre à la vraisemblance et non l’inverse. D’autre part, d’Aubignac n’élabore pas de définition précise de cette notion qualifiée en tant qu’évidente. Pourtant, comme déjà mentionné, selon d’Aubignac seul le vraisemblable peut « […] fonder, soutenir et terminer un Poème Dramatique […] »71. Tout comme Chapelain, d’Aubignac maintient que le vrai doit être subordonné au vraisemblable. Les Trois Discours de Corneille est un texte controversé, toujours débattu de nos jours. D’après Corneille, le dramaturge peut réécrire l’histoire, selon le vraisemblable et le nécessaire, c’est-à-dire que le poète est libre d’embellir les actions historiques par des inventions vraisemblables : Je dis donc premièrement que cette liberté qu’il nous laisse d’embellir les actions historiques par des inventions vraisemblables n’emporte aucune défense de nous écarter du vraisemblable dans le besoin. C’est un privilège qu’il nous donne, et non pas une servitude qu’il nous impose […]. Si nous pouvons traiter les choses selon le vraisemblable ou selon le nécessaire, nous pouvons quitter le vraisemblable pour suivre le nécessaire, et cette alternative met en notre choix de nous servir de celui des deux que nous jugerons le plus à propos72. C’est ainsi que Corneille conçoit la vraisemblance de façon plus large que ses contemporains. Néanmoins, il ne nie pas l’importance de cette règle : « Corneille accorde tout de même une place importante à la vraisemblance et essaie d’en tenir compte dans toutes les parties de la pièce (fable, mœurs et unités) sauf dans des situations bien précises »73. De plus, d’après Corneille, le poète ne doit pas se soumettre aux règles, il doit pouvoir les manier et les adapter : « les Siècles suivants nous en ont assez fourni pour franchir ces bornes, et ne marcher plus sur les pas des Grecs ; mais je ne pense pas qu’ils nous ayent donné la liberté de nous écarter de leurs règles. Il 70 Ibid, 31. D’Aubignac, 126. 72 Corneille, Discours de la tragédie et des moyens de la traiter, selon le vraisemblable ou le nécessaire, Tome III, 161-162. Désormais abrégé à Corneille, Discours de la tragédie. 73 Maher, 524. 71 28 faut, s’il se peut, nous accommoder avec elles, et les amener jusques à nous »74. Pourtant, le poète n’est pas en liberté totale par rapport à la vraisemblance. D’après Corneille, tout fait invraisemblable doit être nécessaire à l’intrigue et fondé sur la tradition ou sur l’histoire. De plus, il n’accepte pas un dénouement Deus ex machina. Il définit la vraisemblance dans son deuxième discours : « […] c’est une chose manifestement possible dans la bienséance, et qui n’est ni manifestement vraie ni manifestement fausse. On peut en faire deux divisions, l’une en vraisemblable général et particulier, l’autre en ordinaire et extraordinaire »75. Ce possible dont parle Corneille est limité par la bienséance, par les exigences morales du spectateur. Par ailleurs, Corneille divise les actions qui composent la tragédie dans trois catégories : […] nous pouvons y en faire entrer [dans la tragédie] des actions de trois sortes […]. Les unes suivent l’histoire, les autres ajoutent à l’histoire, les troisièmes falsifient l’histoire. Les premières sont vraies, les secondes quelquefois vraisemblables et quelquefois nécessaires, les dernières doivent toujours être nécessaires. Lorsqu’elles sont vraies, il ne faut point se mettre en peine de la vraisemblance, elles n’ont pas besoin de son secours76. Selon Corneille, si une action est vraie, elle n’a pas besoin de vraisemblance. Certes, cette notion s’oppose à celle d’Aubignac qui souligne que le vrai n’est pas sujet du théâtre. En ce qui concerne la question de l’autonomie du poète nous soutenons la thèse suivante : « […] le degré de liberté permis est en proportion inverse avec l’étendue des connaissances des spectateurs –moins l’histoire est connue, plus on peut y changer »77. C’est de cette manière que la vraisemblance devient un outil à la disposition du dramaturge. Corneille insiste sur la vraisemblance de toute action principale, mais permet des liaisons de scène invraisemblables pour satisfaire aux trois unités et accomplir le but de la pièce. Sans aucun doute, dans le cas de la comédie, centrée sur une intrigue amoureuse, le poète doit être plus exigeant dans son respect de la bienséance. Toutefois, Corneille envisage quelques exceptions pour la tragédie. Après tout, le genre tragique serait-il invraisemblable dans sa nature ? 74 Corneille, Discours de l’utilité et des parties du poème dramatique, Tome III, 118. Les caractères gras sont de nous. 75 Corneille, Discours de la tragédie, Tome III, 166. 76 Ibid, 116. 77 Maher, 527. 29 En ce qui concerne la règle de la bienséance, Bray insiste sur une certaine harmonie : […] la bienséance est une chose complexe : elle anime la théorie des mœurs, elle englobe la règle de la vraisemblance dans son application aux caractères, elle traduit dans la poétique les exclusions morales prononcées par l’honnêteté contre certaines situations, certains sentiments, certains spectacles. Elle mêle des éléments intellectuels à des éléments moraux. Si on cherche à lui donner une base unique, on ne la trouve que dans ce désir d’harmonie […], harmonie à l’intérieur de l’œuvre d’art, harmonie entre l’œuvre d’art et le public78. Le respect de la bienséance serait donc une manière de faire accepter une pièce par le public. La théorie des mœurs est élaborée par Aristote dans ses remarques sur les caractères, remarques que nous avons déjà soulevées ci-dessus : la qualité, la convenance, la ressemblance et la constance79. Il est aussi intéressant de noter que certaines traductions d’Aristote utilisent le terme mœurs au lieu de caractères. Quelques reproches que Scudéry avance contre Le Cid sont basés sur la théorie des mœurs, surtout sur les deux premiers préceptes d’Aristote : la qualité et la convenance. Quant à la qualité, Scudéry condamne Corneille d’avoir mis en scène trop de criminels. En ce qui a trait à la convenance, il insiste que l’amour de l’Infante est indigne d’une fille du roi. Par ailleurs, Chapelain allègue que la pièce de Corneille est en manque de bienséance sociale. Certainement, la bienséance impose non seulement au poète les conceptions historiques du public, mais aussi le goût de la société. Ainsi, les œuvres devraient refléter la tendance du public de l’époque vers l’honnêteté : « […] nos Comediens font assez bien pour nous faire rire, & pourtant je croy qu’ils feroient mieux, si de leurs farces, ils bannissoient pour jamais le deshonneste, pour n’y laisser que le ridicule […] »80. Sans aucun doute, l’interprétation des règles du théâtre classique influence la thématique de l’œuvre, comme l’explique ici Bray : « La poétique de Chapelain le mène à faire du cours ordinaire de la vie le champ de la poésie ; celle de Corneille le mène à l’extraordinaire »81. Le triomphe de Corneille viendrait-il de son interprétation des règles ? C’est lors de L’Examen du Cid que Corneille reconnaît ses fautes contre la bienséance : 78 Bray, 1931, 216. Aristote, 85. 80 Mairet, Discours à Cliton, 99. 81 Bray, 1931, 204. 79 30 Les deux visites que Rodrigue fait à sa Maîtresse ont quelque chose qui choque cette bienséance de la part de celle qui les souffre; […] Aristote dit “qu’il y a des absurdités qu'il faut laisser dans un Poème, quand on peut espérer qu'elles seront bien reçues; et il est du devoir du Poète, en ce cas, de les couvrir de tant de brillants, 82 qu'elles puissent éblouir” . C’est donc la réaction des spectateurs qui justifie ces deux passages choquants. De ce fait, le triomphe de la pièce justifierait-il les choix de Corneille ? De plus, Corneille cite l’évolution du goût public pour justifier son œuvre : Pour ne déguiser rien, cette offre que fait Rodrigue de son épée à Chimène, et cette protestation de se laisser tuer par don Sanche, ne me plairaient pas maintenant. Ces beautés étaient de mise en ce temps-là, et ne le seraient plus en celui-ci. La première est dans l'original Espagnol, et l'autre est tirée sur ce modèle. Toutes les deux ont fait leur effet en ma faveur; mais je ferais scrupule d'en étaler de pareilles à l'avenir sur notre Théâtre83. Après tout, Corneille finit par s’appuyer sur le succès de sa pièce. C’est même en insistant sur le triomphe durable de sa pièce que Corneille ouvre L’Examen du Cid : Ce Poème a tant d'avantages du côté du Sujet et des pensées brillantes dont il est semé, que la plupart de ses Auditeurs n'ont pas voulu voir les défauts de sa conduite, et ont laissé enlever leurs suffrages au plaisir que leur a donné sa représentation. Bien que ce soit celui de tous mes Ouvrages Réguliers où je me suis permis le plus de licence, il passe encore pour le plus beau auprès de ceux qui ne s'attachent pas à la dernière sévérité des Règles, et depuis cinquante ans qu'il tient sa place sur nos Théâtres, l'Histoire ni l'effort de l'imagination n'y ont rien fait voir qui en ait effacé l'éclat 84. Selon ce dernier, les spectateurs ont tant applaudi sa pièce que les défauts ont peu de valeur. Peu importe ce que disent les critiques, nul ne peut nier le succès du Cid. Lorsque Corneille théorise l’unité d’action dans son Discours des trois unités d’action, de jour, et de lieu, il justifie aussi son œuvre : […] ce mot d’unité d’action ne veut pas dire que la tragédie n’en doive faire voir qu’une sur le théâtre. Celle que le poète choisit pour son sujet doit avoir un commencement, un milieu et une fin ; et ces trois parties non seulement sont autant d’actions qui aboutissent à la principale, mais en outre, chacune d’elles en peut contenir plusieurs avec la même subordination85. 82 Corneille, Examen du Cid, Tome I, 702. Ibid, 702. 84 Ibid, 699-700. 85 Corneille, Discours des trois unités d’action, de jour, et de lieu, Tome III : 174-175. Désormais abrégé à Corneille, Discours des trois unités. 83 31 Ce passage justifierait-il le grand nombre de péripéties dans Le Cid ? Certainement, Corneille ne nie pas que toute action secondaire doive servir au déroulement de l’action principale. De plus, Corneille souligne la différence entre les actions qui se suivent et les actions qui en engendrent d’autres. Ainsi il trouve un passage condamnable dans son œuvre : « les Maures viennent dans Le Cid après la mort du Comte, et non pas à cause de la mort du Comte […] »86. En surcroît, Corneille théorise la conclusion de la pièce : « [d]ans le dénouement je trouve deux choses à éviter, le simple changement de volonté, et la machine »87. Est-ce que ce passage explique la fin du Cid ? Certainement, les dénouements proposés par Chapelain ne conviendraient pas pour Corneille. Corneille continue par expliquer les différences d’interprétation en ce qui concerne l’unité de jour : La règle de l’unité de jour a son fondement sur ce mot d’Aristote, que la tragédie doit renfermer la durée de son action dans un tour du soleil, ou tâcher de ne le passer pas de beaucoup. Ces paroles donnent lieu à cette dispute fameuse, si elles doivent être entendues d’un jour naturel de vingt-quatre heures, ou d’un jour artificiel de douze [...] je trouve qu’il y a des sujets si malaisés à renfermer en si peu de temps, que nonseulement je leur accorderais les vingt-quatre heures entières, mais je me servirais même de la licence que donne ce philosophe de les excéder un peu, et les pousserais sans scrupule jusqu’à trente 88. Certainement, cette règle impose de sérieuses contraintes. Corneille suggère que certains sujets auraient besoin de plus de temps. Ainsi, selon ce dernier, un dramaturge pourrait prolonger la règle jusqu’à trente heures. Il continue par admettre que les actions sont précipitées dans Le Cid. Assurément, certaines des actions mises en scène s’accomplissent trop rapidement. Corneille nous donne même un exemple de manque de temps : « […] le Cid n’en a pas assez pour se battre contre don Sanche durant l’entretien de l’Infante avec Léonor et de Chimène avec Elvire »89. Ses reproches reviennent dans l’Examen du Cid : Je ne puis dénier que la règle des vingt et quatre heures presse trop les incidents de cette Pièce. La mort du Comte et l'arrivée des Maures s'y pouvaient entre-suivre d'aussi près qu'elles font, parce que cette arrivée est une surprise qui n'a point de communication, ni de mesures à prendre avec le reste; mais il n'en va pas ainsi 86 Ibid, 176. Ibid, 179. 88 Ibid, 183. 89 Ibid, 185. 87 32 du combat de Don Sanche, dont le roi était le maître, et pouvait lui choisir un autre temps que deux heures après la fuite des Maures. Leur défaite avait assez fatigué Rodrigue toute la nuit pour mériter deux ou trois jours de repos […]90. De ce fait, Corneille différencie entre certaines actions « surprises » et d’autres, qui découlent de l’intrigue et qui influencent des actions futures. Certes, l’unité d’action ne peut être simplement expliquée. Finalement, Corneille conseille une durée moins fixe : « [s]urtout je voudrais laisser cette durée à l’imagination des auditeurs, et ne déterminer jamais le temps qu’elle emporte, si le sujet n’en avait pas besoin, principalement quand la vraisemblance y est un peu forcée comme au Cid, parce qu’alors cela ne sert qu’à les avertir de cette précipitation »91. Pourquoi ainsi détourner les yeux du spectateur des charmes de la pièce ? En ce qui concerne l’unité de lieu, Corneille « […] n’en trouve aucun précepte ni dans Aristote ni dans Horace »92. Est-elle établie en conséquence de l’unité de jour ? Selon Corneille, cette opinion serait licencieuse. De plus, il suggère un certain élargissement, tout comme l’unité de jour : Je tiens donc qu’il faut chercher cette unité exacte autant qu’il est possible, mais comme elle ne s’accommode pas avec toute sorte de sujets, j’accorderais très volontiers que ce qu’on ferait passer en une seule ville aurait l’unité de lieu. Ce n’est pas que je voulusse que le théâtre représentât cette ville toute entière, cela serait un peu trop vaste, mais seulement deux ou trois lieux particuliers enfermés dans l’enclos de ses murailles93. Ainsi, pour accommoder le possible et même la vraisemblance de la pièce, l’unité de lieu doit être interprétée de façon plus large, comme le fait Corneille. En ce qui concerne Le Cid : Tout s'y passe donc dans Séville, et garde ainsi quelque espèce d'unité de lieu en général; mais le lieu particulier change de Scène en Scène, et tantôt c'est le Palais du Roi, tantôt l'Appartement de l'Infante, tantôt la maison de Chimène, et tantôt une rue ou Place publique. On le détermine aisément pour les Scènes détachées; mais pour celles qui ont leur liaison ensemble, comme les quatre dernières du premier Acte, il est malaisé d'en choisir un qui convienne à toutes94. 90 Corneille, Examen du Cid, Tome I, 703-704. Corneille, Discours des trois unités, Tome III, 184. 92 Ibid, 187. 93 Ibid, 188. 94 Corneille, Examen du Cid, Tome I, 705. 91 33 Un seul lieu spécifique ne conviendrait pas à l’action de la pièce, ce qui explique l’interprétation plus large faite par Corneille. Si nous considérons Horace (1640), en tant que réponse de Corneille à la Querelle du Cid, nous retrouvons une pièce plus régulière que celle de 1637. Cependant, est-elle aussi bien reçue ? Selon nous, la réponse serait non. Dans l’Examen d’Horace, Corneille reconnaît ses fautes : C'est une croyance assez générale que cette Pièce pourrait passer pour la plus belle des miennes, si les derniers Actes répondaient aux premiers. Tous veulent que la mort de Camille en gâte la fin, et j'en demeure d'accord : mais je ne sais si tous en savent la raison. […] D'ailleurs, si c'est une Règle de ne le [le théâtre] point ensanglanter, elle n'est pas du temps d'Aristote, qui nous apprend que pour émouvoir puissamment il faut de grands déplaisirs, des blessures et des morts en spectacle 95. Encore une fois, Corneille se justifie grâce à son interprétation d’Aristote. Cependant, en ce qui concerne l’unité d’action et de lieu, Corneille ne constate aucun problème grave : Du côté du temps, l'action n'est point trop pressée, et n'a rien qui ne me semble vraisemblable. Pour le lieu, bien que l'unité y soit exacte, elle n'est pas sans quelque contrainte. Il est constant qu'Horace et Curiace n'ont point de raison de se séparer du reste de la famille pour commencer le second Acte ; et c'est une adresse de Théâtre de n'en donner aucune, quand on n'en peut donner de bonnes 96. Ainsi, le théâtre ne doit pas se justifier, si elle n’a pas de bonne justification. En fin de compte, Corneille manipule les règles au service de son œuvre. Tout revient à l’interprétation des règles du théâtre classique, y compris la Querelle du Cid, ici rappelé par Bray : « Scudéry, fraîchement converti, rappelle avec âpreté à Corneille qu’il est des règles et que personne, quelque génie qu’il puisse avoir, n’est au-dessus d’elles. Corneille ni ses défenseurs ne le contestent, ils ne chicanent que sur leur interprétation plus ou moins étroite »97. Comme tous basent leurs arguments sur de diverses interprétations d’Aristote, il est difficile d’identifier un seul vainqueur. Pourtant, il nous semble que le succès confirmé et durable d’une pièce de théâtre est un bon indice. 95 Corneille, Examen d’Horace, Tome I, 839. Ibid, 841. 97 Bray, 1931, 104. 96 34 Chapitre II : L’École des femmes : innovatrice ou ignoble ? Un peu de contexte La deuxième moitié du XVIIe siècle en France est marquée par l’ascension au pouvoir de Louis XIV, roi soleil et roi absolu. Pour concentrer ses pouvoirs, le roi devait s’assurer que ses ministres soient tous inférieurs. La chute de Fouquet en est un exemple : le surintendant des finances avait amassé une grande fortune et exerçait partout son influence. Pour créer une France prospère, Louis XIV demande à son ministre des finances Colbert de garantir la puissance économique du pays. Le roi cherche aussi à affirmer la présence française à l’étranger. La politique de grandeur du roi soleil incite une période féconde en ce qui concerne la culture. Il encourage par sa protection et par des pensions les artistes qui lui plaisent. Comme nous le savons, la troupe de Molière joue du Corneille à la cour. Pourtant, elle ne deviendra la Troupe du Roi qu’en 1665. L’absolutisme politique est reflété dans la littérature par le moyen de la tendance classique. Le classicisme est marqué par l’ordre, la symétrie et le respect des règles, tous découlant d’une certaine admiration de l’Antiquité. En 1662, Molière écrit à l’aube de ce classicisme ; la politique absolue n’est toujours pas en vigueur, mais on la voit venir. Molière et la comédie Outil de catharsis et acte lié au genre comique, le rire permet l’allègement, une certaine libération de toute émotion réprimée. Nul n’est mieux connu pour ses comédies et sa force risible que Molière. Au XVIIe siècle, la comédie accomplissait deux fonctions : celle de divertir et celle de critiquer. D’après Molière, la comédie était bonne lorsqu’elle faisait rire les honnêtes gens. En effectuant ces deux tâches, la comédie libérait l’homme de ses préjugés et de ses peurs en les ridiculisant. De plus, moralisante et correctrice, la comédie joue un certain rôle pédagogique. Contrairement au genre tragique, la comédie était moins soumise à des règles figées. Pourtant, le dénouement comique devait être heureux : les bons étaient récompensés, les méchants étaient chassés et les amoureux se mariaient, parfois avec l’aide d’une intervention merveilleuse, le Deus ex machina. 35 Le genre comique puise ses origines de l’Antiquité avec le culte de Dionysos, le dieu de l’ivresse. Ensuite, au Moyen Âge, la comédie devient liée à la Fête des Fous, durant laquelle les étudiants ridiculisent leurs maîtres en guise de vengeance. D’après ces deux modèles historiques la comédie n’était pas un genre littéraire valorisé : Mais pour être pleinement reconnu, il lui fallait s’élever à la haute comédie : traiter des problèmes importants, peindre des gens avec vraisemblance et dans un style digne. Comment le faire en faisant beaucoup rire ? En prenant pour sujet des extravagances répandues et dangereuses : elles font rire, elles sont ressemblantes (malgré une accentuation) et elles donnent à réfléchir. Et en opposant l’éthique du naturel et du raisonnable par rapport à laquelle elles sont ridicules et condamnables 98. Le succès du théâtre de Molière est presque surprenant lorsque nous considérons la nature de sa critique et le choix des personnages qu’il met en scène : « […] toute l’œuvre de Molière actualise, scéniquement, les problèmes moraux, voire politiques, que se posait la “haute société”, qui l’applaudissait à Versailles et à Paris »99. Tous finissaient par applaudir, même ceux qui étaient représentés et critiqués par le dramaturge. En outre, la vraisemblance de l’œuvre de Molière vient, en partie, de l’identification du public aux personnages créés : « Molière représente des personnages empruntés à la société contemporaine, aux milieux des honnêtes gens, de l’aristocratie, de la bourgeoisie, du peuple, de Paris et de la province »100. De plus, Molière élabore des personnages innovateurs, comme l’explique Jean Mesnard : Molière a voulu aussi, selon sa formule, « entrer » dans le ridicule des hommes, analyser les ressorts des comportements ridicules. Il introduit la psychologie dans la comédie qui devient comédie de caractère. C’est sa grande innovation, qui retentit sur la construction du personnage comique et sur la structure même de la pièce. Le souci de l’efficacité comique conduit à simplifier et à styliser le personnage. Molière construit ses grands types autour d’une obsession. D’une idée fixe qui leur donne la raideur d’un personnage de farce, fait d’eux la proie toute désignée des multiples formes de l’illusion. Mais pour “peindre d’après nature”, il leur donne des traits complexes, restituant ainsi la vie. C’est pourquoi l’intrigue, qui repose en général sur un schéma très simple, sert d’abord à confronter le personnage à des situations variées où s’approfondit peu à peu son portrait101. 98 Jean Rohou. Histoire de la littérature française du XVIIe siècle. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2001, 202. 99 Robert Mandrou. La France aux XVIIe et XVIIIe siècles. Paris : Presses universitaires de France, 1967, 224. 100 Jean Mesnard. Précis de littérature française du XVIIe siècle. Paris : Presses universitaires de France : 1990, 253. 101 Ibid, 254. 36 De cette manière, la complexité des traits des personnages de Molière rend la mise en scène vraisemblable. Cependant, il faut noter que critiquer la société n’était pas le seul but du dramaturge : « Molière n’écrit pas contre le public, mais avec lui et pour lui »102. Avant tout, la comédie doit divertir. Le succès, les reproches et le début de la querelle Après le triomphe de L’École des maris (1661), représentée 47 fois dans cette première année et 108 fois du vivant de Molière, son auteur a exploité son succès en traitant un sujet adjacent : L’École des femmes103 est jouée pour la première fois au Palais Royal le 26 décembre 1662. Encore une fois, la pièce est une réussite avec plus de trente représentations avant Pâques, avec une à laquelle assiste le roi. Comme nous le savons, L’École des femmes est la première pièce « standard » faite par Molière et celle qui met le dramaturge sous la loupe de la critique parisienne. Composée de cinq actes en vers alexandrins, forme la plus noble du genre dramatique, utilisée lors de la tragédie, elle représente une certaine culmination des œuvres de la carrière parisienne de Molière : le dramaturge passe de farces en prose à des pièces d’un seul acte en prose, puis en vers et finalement à L’École des Maris, une pièce en trois actes et en alexandrins104. Molière s’inspire de tout, de la farce jusqu’au registre galant. Il met en scène une satire des mœurs du XVIIe siècle tout en soulignant les types moraux qui émergent. Ces personnages deviennent complexes, aptes de sentiments ou de passions sophistiqués, capables d’évoluer le long de la pièce. C’est en innovant que Molière attire l’attention des critiques : Il y avait là une addition de nouveautés, de hardiesses, d’ambitions, où certains pouvaient voir de la prétention, une outrecuidance suspecte, voire dangereuse. Car en redistribuant les normes, l’œuvre menaçait de bousculer des hiérarchies implicitement acceptées et sur lesquelles vivaient la poétique et la pratique du théâtre : la hiérarchie esthétique et régulée des genres ; la hiérarchie académique et sociale des inspirations et 102 Ibid, 255. Pour un résumé de la pièce et des détails sur les personnages voir Molière. L’École des femmes. Éd. Anne Régent. Paris : Larousse, 2007 ; en particulier les pages 142-149. 104 Il est intéressant de noter que L’Étourdi ou les Contretemps et Le Dépit amoureux sont en cinq actes et en vers. Les deux pièces précèdent L’École des femmes. Écrites en province, elles précèdent aussi la carrière parisienne de Molière. 103 37 des talents ; la hiérarchie de technique et de prestige entre les acteurs et les troupes parisiennes, où la compagnie du Palais-Royal faisait figure de tardvenue et de parvenue. Il fallait moins que cela pour que les tensions et les froissements accumulés en vinssent à cristalliser tout de go en conflit ouvert105. Il s’agit de conditions parfaites pour l’éclatement d’une « guerre de plume ». Tandis que la pièce suit certaines règles de forme et de versification, elle ignore aussi plusieurs règles de la critique néo aristotélicienne, dite classique et sérieuse, car Molière élabore une poétique comique originale. De plus, le rire devient la pierre angulaire du théâtre de Molière, car il ne cesse jamais dans L’École des femmes : la première fonction de la comédie est de divertir le public, ensuite, elle accomplit une certaine fonction critique, qui vient du fait que l’on ridiculise la société, puis, elle accomplit une fonction morale ou pédagogique, en se voulant correctrice des défauts de la société en question. C’est aussi par le rire que Molière justifie la vraisemblance de sa pièce : il souligne la légitimité esthétique et morale de ses effets comiques. La vérité de son propos est sanctionnée par le rire, par la réaction du public. Pourtant, il s’agit d’un effet particulier : « [l]a ligne de défense n’est pas celle de l’effet : faire rire, à tout prix. Mais celle de l’intention : peindre les mœurs exactement et tirer de cette exactitude la sanction du ridicule par le rire »106. Certainement, L’École des femmes n’est pas une pièce typique, selon les critères du XVIIe siècle. La liberté prise par Molière à l’égard de la création comique est reflétée par le manque de respect de la règle des trois unités, comme nous le verrons plus loin. Cependant, le genre comique se repose sur l’efficacité de l’effet et moins sur le respect des règles classiques. En fin de compte, L’École des femmes regroupe toutes les innovations de Molière, élaborées lors de sa création dramatique, dans une seule pièce : Synthèse des innovations essayées depuis quelques années par l’écriture et le jeu comiques de Molière, L’École des femmes les synthétisait en une épure qui ne se contentait pas de les légitimer par l’évidence du chef-d’œuvre ou par l’audace du brûlot. Elle combinait les deux : la pièce retournait à l’origine et aux principes de l’écriture comique, qu’elle s’entend à fluidifier et densifier à la fois, qu’elle éclaire et qu’elle refonde. En cela, archétype du genre comique. Mais en même temps, les solutions toutes neuves qu’elle 105 106 Dandrey, 2014, 31. Ibid, 36. 38 essaye, les formes et les ambitions qu’elle révèle, les perspectives qu’elle ouvre et que d’autres chefsd’œuvre de Molière pourront bien poursuivre et épanouir, mais sans jamais les excéder, en font un modèle tout éclatant de nouveauté, proprement inédit et inouï 107. En définitive, L’École des femmes n’est pas une pièce typique au XVIIe siècle : en fusionnant des traits du théâtre classique à ses propres concepts, Molière révolutionne un genre dévalorisé et inspire une toute nouvelle conception de la comédie. Chronologie de la querelle108 Le scandale perdure de la fin de l’année 1662 au début de l’année 1664, alimenté par la haine entre la troupe de Molière au Palais-Royal et la troupe rivale de l’Hôtel de Bourgogne. En particulier, Molière ridiculise l’Hôtel de Bourgogne « […] en imitant dans les salons Messieurs les Grands Comédiens. Éclats de rire et petites haines rentrées, car le succès du “baron de la Crasse” muselle un temps les envieux »109. Dès le mois de janvier 1663 Nicolas Boileau soutient Molière dans ses Stances à M. de Molière sur sa comédie de L’École des femmes que plusieurs gens frondaient. C’est le début de la querelle de l’École des femmes, polémique caractérisée par l’écriture de pièces de théâtre, certaines jouées et d’autres non. Le choix de l’approche, le choix de forme, de réponses formulées en pièces de théâtre, permet d’insister sur la réécriture, le partage des idées : Mais quoiqu’en moindre proportion, celle [réécriture] que chacun d’eux opère ici ou là à partir de telle ou telle partie des ouvrages qui l’ont précédé dans l’arène. Et puis la réécriture aussi de Molière par lui-même, de sa Critique par la partie encadrée de son Impromptu. Ce phénomène, qui devient comme une mécanique d’enclenchement de chaque ouvrage par celui qu’il va suivre, imiter, évoquer ou contester, crée entre ces pièces des ramifications de surface et des filiations de fond, qui contribuent à donner au conflit l’allure d’une partition en forme de thème et variations, unifiant ici encore les dissensions par l’effet des réitérations 110. 107 Ibid, 2014, 31-32. Voir notre appendice II. i pour le détail et la chronologie des textes qui participant à cette polémique. Le détail des nombreux textes cités dans cette section se trouve dans notre bibliographie. 109 Christian Biet. Les miroirs du soleil : littératures et classicisme au siècle de Louis XIV. Paris : Gallimard, 1989, 74. 110 Dandrey, 2014, 143. 108 39 Ainsi, c’est le choix de forme qui unit la querelle et qui la rend intéressante. Dans ses Nouvelles nouvelles, parues le 9 février 1663, Jean Donneau de Visé propose un discours de critique dramatique sur Corneille et Molière ainsi que plusieurs textes d’actualité. Selon ce dernier, Molière se veut un des grands auteurs, démontré par ses relations aristocratiques et ses nombreuses représentations théâtrales privées, auteur qui emprunte amplement à d’autres écrivains et qui n’est ainsi qu’un jaloux. En réponse à ses critiques, Molière composa La Critique de l’École des femmes. Jouée pour la première fois le 1er juin 1663, elle permet, selon Biet, à Molière de poursuivre l’attaque : La Critique de l’École des femmes (1663) répond aux détracteurs, inspirés en sous-main par Corneille, que “la seule règle est de plaire”… En dédicaçant la Critique à la dévote reine mère, Molière déplace la polémique du terrain de l’immoralité à celui des règlements de compte professionnels. L’Impromptu de Versailles met le roi de son côté111. Considérée par certains comme dissertation en dialogue, la pièce faite en un seul acte est un tableau de mœurs malgré l’absence d’intrigue, puisqu’il ne s’agit que d’une discussion sur L’École des femmes. En particulier, Molière porte le débat sur l’esthétique théâtrale, terrain plus élevé tout en faisant la satire de tous ses adversaires. La pièce informe aussi sur les critiques verbales formulées dans les salons mondains et les cercles savants. En réponse à cette dernière pièce de Molière, Donneau de Visé écrit Zelinde ou la veritable critique de l’Escole des femmes, achevée d’imprimer le 4 août, pièce qui ne semble jamais avoir été jouée : « [si] comme il est vraisemblable, les Grands Comédiens de l’Hôtel de Bourgogne refusèrent de représenter la Zelinde de Donneau de Visé, sans doute parce qu’ils l’estimaient injouable, ils ne renoncèrent pas pour autant à répondre aux traits satiriques que Molière avait lancés contre eux dans la Critique de l’Ecole des femmes »112. C’est dans cette pièce que Molière est désigné pour la première fois par l’anagramme d’Elomire, nom repris plus tard par d’autres. Ensuite, Edme Boursault fait représenter Le Portrait du Peintre ou la Contre-critique de l’Escole des femmes à l’Hôtel de Bourgogne en septembre 1663, suivie de la Chanson à la coquille de Donneau de Visé, chanson grossière et obscène, qui insulte à la fois Madeleine Béjart et Molière lui-même. 111 112 Biet, 1989, 74. Georges Mongrédien. La Querelle de « l'École des femmes » : comédies. Vol II. Paris : Didier, 1971, 87. 40 Encore une fois, Molière répond à ses adversaires par la composition d’une pièce : L’Impromptu de Versailles est jouée pour la première fois le 14 octobre 1663. Par contre, il est intéressant de noter que la pièce est seulement publiée bien après la mort de Molière, en 1682. L’Impromptu de Versailles rabaisse le genre tragique et ridiculise les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne, notamment pour leur diction affectée. Par la suite, Charles Robinet fait apparaître Le Panegyrique de l’Ecole des femmes ou conversation comique sur les œuvres de Mr de Molière à la fin du mois de novembre 1663. Sous la forme d’une conversation de salon, le texte de Robinet est composé d’éloges ambigus qui reprennent les arguments de Zelinde et du Portrait du Peintre. Par ailleurs, Donneau de Visé fait représenter sa Responce à l’Impromptu de Versailles ou la Vengeance des Marquis et écrit La Lettre sur les Affaires du Theatre, apparues ensemble dans le recueil Diversités galantes, achevé d’imprimer le 7 décembre 1663. Encore une fois, il s’agit d’une pièce sans action comique : « […] c’est une conversation en forme de démolition de L’Impromptu de Versailles par ses thuriféraires mêmes. On y dénonce le prétendu impromptu en réalité fait à loisir, l’imitation bouffonne des comédiens adverses qui n’est qu’une piètre pantomime indigne de la scène, on contrefait Molière dans un rôle tragique tout en blâmant son goût et ses plaisanteries de saltimbanque […] »113. C’est ensuite que Montfleury fils fait représenter L’Impromptu de l’Hostel de Condé, pièce qui propose un portait satirique de Molière et continue les attaques personnelles contre ce dernier. Quant à Montfleury père, directeur de l’Hôtel de Bourgogne, il adresse une requête au roi dans laquelle il accuse Molière d’avoir épousé sa propre fille, Armande Béjart. Pourtant, le roi répond en devenant le parrain du fils de Molière et d’Armande Béjart, Louis. Puis, le théâtre du Marais s’introduit à la querelle et fait jouer une pièce de Jean Simonin, dit Chevalier, Les Amours de Calotin, imprimée le 7 février 1664. Il s’agit encore une fois de la mise en scène de l’écho du débat public suscité par L’École des femmes. Enfin, Philipe de La Croix écrit la dernière intervention de la querelle : La Guerre comique ou la Defense de l’Escole des femmes (1664), une « […] réplique dialoguée en quatre “disputes”, qui sont de véritables petites scènes, réunies par un récit burlesque en vers »114. C’est le seul écrit qui défend Molière honnête et sincère. Après que tout se calme, Boileau met le point final à cette querelle en dédiant sa Satire II à son ami Molière qui, à son avis, et contrairement à 113 114 Dandrey, 2014, 19. Mongrédien, 393. 41 ses adversaires, ne s’est jamais livré à des attaques personnelles. Tout bien considéré, nous notons la ressemblance et même la similitude entre les profils, les parcours et les visées de la grande majorité des querelleux. Nous ne pouvons pas exclure même Molière, dont ses adversaires semblent cibler la réussite pour pouvoir mieux l’imiter. Pouvons-nous comparer la querelle à une certaine intrigue dramatique où les personnages, les querelleux, y participent tous et semblent répéter le même texte, parfois en contrepoint, comme le suggère Dandrey ?115 Certainement les répliques des adversaires de Molière sont créées sur le modèle de L’École des femmes. De plus, les arguments se répètent, car chacun s’inspire du précédent. Quels sont ces arguments ? Sont-ils mérités ? Ou non, comme le suggère Molière dans La Critique de l’École des Femmes : DORANTE : La caution n’est pas Bourgeoise. Mais, Marquis, par quelle raison, de grâce, cette Comédie estelle ce que tu dis ? LE MARQUIS : Pourquoi elle est détestable ? DORANTE : Oui. LE MARQUIS : Elle est détestable, parce qu’elle est détestable116. Critique-t-on cette pièce sans raison, simplement pour la critiquer ? Critiques morales et religieuses En ce qui concerne les reproches particuliers faits à Molière et à L’École des femmes, le premier regroupement de critiques est d’ordre moral et religieux. En particulier, on accuse Molière d’impiété, d’avoir écrit et d’avoir mis en scène le « sermon » d’Arnolphe et les maximes du mariage, parodie possible des dix commandements : IIe MAXIME : Elle ne se doit parer, Qu’autant que peut désirer Le mari qui la possède. C’est lui que touche seul le soin de sa beauté ; Et pour rien doit être compté : 115 116 Voir Dandrey 2014, 141. Molière, La Critique de l’École des Femmes, scène v, 497. 42 Que les autres la trouvent laide117. VIIe MAXIME : Dans ses meubles, dût-elle en avoir de l’ennui, Il ne faut écritoire, encre, papier ni plumes. Le mari doit, dans les bonnes coutumes, Écrire tout ce qui s’écrit chez lui118. Sans aucun doute, ces maximes ne sont pas sérieuses : elles ajoutent au comique de la pièce. Pourtant, le fait de traiter un tel sujet à la légère et de le présenter dans un format qui imite celui des dix commandements est extrêmement mal vu. De plus, Molière mentionne « les chaudières bouillantes » de « l’enfer », choquant les moralistes et les dévots avec son audace. Molière répond à ses détracteurs avec cette réplique de La Critique de l’École des Femmes : « DORANTE : Pour le discours moral que vous appelez un sermon, il est certain que de vrais dévots qui l’ont ouï n’ont pas trouvé qu’il choquât ce que vous dites ; et sans doute que ces paroles d’enfer et de chaudières bouillantes sont assez justifiées par l’extravagance d’Arnolphe et par l’innocence de celle à qui il parle […] »119. Ainsi, ce discours serait justifié par le caractère d’Arnolphe. Donneau de Visé n’accepte pas cette réponse et insiste sur le fait qu’il n’a pas même besoin d’en parler, puisque tout le monde en parle déjà : « ARGIMONT : […] Je ne diray point que le sermon qu’Arnolphe fait à Agnés, et que les dix maximes du Mariage, choquent nos mysteres ; puisque tout le monde en murmure hautement […] »120. La critique est reprise et élaborée par Boursault dans Le Portrait du Peintre : ARMANDE : […] Outre qu’un Satyrique est un homme suspect, Au seul mot de Sermon nous devons du respect : C’est une verité qu’on ne peut contredire, Un Sermon touche l’Ame, et jamais ne fait rire. De qui croit le contraire on se doit défier ; Et qui veut qu’on en rie en a ry le premier 121. 117 Molière, L’École des Femmes, Acte III, scène ii, v 754-759. Ibid, Acte III, scène ii, v 780-783. 119 Molière, La Critique de l’École des Femmes, scène vi, 511. 120 Jean Donneau de Visé, Zelinde comedie ou la veritable critique de l’Escole des femmes et la critique de la critique, scène iii, 35. Voir notre appendice II. ii pour des détails sur Donneau de Visé. Désormais abrégé à Donneau de Visé, Zelinde. 121 Edme Boursault, Le Portrait du Peintre ou la Contre-critique de l’Escole des femmes, scène viii, v 499-504, 34. Voir notre appendice II. ii pour des détails sur Boursault. Désormais abrégé à Boursault, Portrait du Peintre. 118 43 Cet argument est repris encore une fois par Robinet dans son Panegyrique et Donneau de Visé dans sa Vengeance. Certainement, Molière pousse les limites et choque son public avec ses maximes, le sermon d’Arnolphe et les chaudières bouillantes de l’enfer. Il nous semble qu’au XVIIe on ne peut pas ridiculiser la religion. Dans le même ordre d’idées, on critique Molière pour le sous-entendu sexuel dans l’équivoque du ruban d’Agnès et le « le »122. S’agit-il de paroles honnêtes et d’une insinuation de la part du spectateur ? Selon Donneau de Visé, le « le » n’est pas justifiable : « AGRIMONT : […] Pour vôtre Le, vous sçavez bien, entre nous, que vous ne le pouvez justifier. Vous dites que vous n’avez rien mis contre la bienseance, j’en demeure d’accord ; mais ce n’est qu’un faux fuiant, qui ne vous peut servir d’excuse, et vous ne pouvez nier, que vous ne l’ayez mis pour donner lieu à agir à l’imagination […] »123. Boursault et Robinet font l’écho de ce reproche dans leurs œuvres respectives. Cependant, La Croix défend Molière dans sa Guerre Comique : « ALCIPPE : Parbleu, voilà bien dequoy ! un mot de deux lettres vous fait peur, que deviendriésvous donc s’il y en avoit davantage ? »124. Ainsi, il insiste sur le fait que « le » est un mot simple, composé de deux lettres, moins choquant que la grande majorité de mots possibles. De surcroît, selon les critiques de Molière, L’École des femmes serait une satire contre le genre féminin, une pièce qui propose de garder la femme dans l’ignorance et dans la servitude. De ce fait, on accuse Molière de prendre la part des maris contre les femmes. Molière répond à cette accusation dans la scène vi de La Critique de l’École des femmes : CLIMÈNE : Rendez-vous, ou ne vous rendez pas, je sais fort bien que vous ne me persuaderez point de souffrir les immodesties de cette Pièce ; non plus que les satires désobligeantes qu’on y voit contre les Femmes. URANIE : Pour moi, je me garderai bien de m’en offenser, et de prendre rien sur mon compte de tout ce qui s’y dit. Ces sortes de satires tombent directement sur les mœurs, et ne frappent les personnes que par réflexion. N’allons point nous appliquer nous-mêmes les traits d’une censure générale ; et profitons de la leçon, si nous pouvons, sans faire semblant qu’on parle à nous […]. 122 Molière, L’École des Femmes, Acte II, scène v, v 571-575. Donneau de Visé, Zelinde, scène vi, 56. 124 Philippe de La Croix, La Guerre comique ou la Defense de l’Escole des femmes, Dispute III, 56. Voir notre appendice II. ii pour des détails sur La Croix. Désormais abrégé à La Croix, Guerre comique. 123 44 CLIMÈNE : Je n’en doute pas, Madame. Mais enfin passons sur ce chapitre. Je ne sais pas de quelle façon vous recevez les injures qu’on dit à notre sexe dans un certain endroit de la pièce ; et pour moi je vous avoue que je suis dans une colère épouvantable, de voir que cet auteur impertinent nous appelle des animaux. URANIE : Ne voyez-vous pas que c’est un ridicule qu’il fait parler125 ? Climène, offensée par la satire des femmes dans la pièce, ne voit pas le ridicule ou le comique de la situation. Tandis qu’Uranie nous rappelle qu’il s’agit d’une satire des mœurs dont il faut profiter de la leçon. De cette manière, la satire de Molière ne viserait que les prudes et les coquettes. La réplique de Molière ne convainc pas Donneau de Visé qui accuse le dramaturge d’être « […] un homme qui n’épargne pas le sexe »126. Cette attaque est exploitée plus largement par Robinet : LIDAMON : […] Mais je suis trop attaché à l’interest des Dames, pour ne pas soustenir que cette Ecole est une Satyre effroyablement afilée contre toutes, qui meriteroit tant soit peu l’époussette, si l’on estoit moins débonnaire en France, et que les maximes qu’il y presche à son Agnez sont des leçons horribles qu’il fait à tous les Maris, pour redüire le beau Sexe à la derniere des servitudes 127. Malgré les arguments des ennemies de Molière L’École des femmes est une pièce qui, par sa satire, « milite pour la liberté de choix des filles, en faveur de l’amour […] »128 et en devient d’une certaine manière féministe, malgré la mise en scène d’Arnolphe, ennemi des femmes. Ce personnage choquant incite les lectrices et les spectatrices de Molière à décrier son œuvre dans les salons et les cercles galants, condamnation facilement reprise par les adversaires du dramaturge. Après tout, selon Donneau de Visé, les œuvres de Molière s’inspireraient des défauts de la société contemporaine : « […] loin de combattre les mauvais goûts du siècle et de s'opposer à ses appétits déréglés pour lui faire reconnaître son erreur, ils s'accommodent à sa faiblesse, il ne faut pas s'étonner si ce même siècle leur donne des louanges que la postérité ne leur donnera sans doute pas »129. En fin de compte, Molière est accusé de moralité relâchée et de complaisance envers le mauvais goût du siècle. Tout bien considéré, Donneau de Visé n’a pas eu 125 Molière, La Critique de l’École des Femmes, scène vi, 502-503. Donneau de Visé, Zelinde, scène viii, 102. 127 Charles Robinet, Le Panegyrique de l’Ecole des femmes ou conversation comique sur les œuvres de Mr de Molière, scène cinquiesme, 53. Voir notre appendice II. ii pour des détails sur Robinet. Désormais abrégé à Robinet, Panegyrique. 128 Mongrédien, xxviii. 129 Jean Donneau de Visé, Les Nouvelles Nouvelles [dans] Claude Bourqui et Lise Michel. Les Nouvelles Nouvelles. Projet « Naissance de la critique dramatique ». Université de Fribourg et Fonds national suisse de la Recherche scientifique, 212. Désormais abrégé à Donneau de Visé, Nouvelles. 126 45 raison dans ce passage : Molière est toujours célébré de nos jours. Tandis que nous ne doutons pas que L’École des femmes ne vise pas à garder la femme dans l’ignorance et la servitude et que la pièce peut même être considérée féministe selon des critères plus modernes, une telle comédie de mœurs demeure choquante au XVIIe siècle. Critiques dramatiques Les critiques d’ordre dramatique formulées contre la pièce et son auteur sont toutes aussi nombreuses. Les critiques de Molière soulignent certains problèmes et défauts avec le caractère des personnages de L’École des femmes. On insiste qu’Arnolphe donne trop facilement son argent à Horace. C’est un exemple de l’invraisemblance du personnage d’Arnolphe. De plus, on insiste que le personnage d’Arnolphe est incohérent dans ses actions et ses réactions : LYSIDAS : Et ce Monsieur de la Souche, enfin, qu’on nous fait un homme d’esprit, et qui paraît si sérieux en tant d’endroits, ne descend-il point dans quelque chose de trop Comique, et de trop outré au cinquième Acte, lorsqu’il explique à Agnès la violence de son amour avec ces roulements d’yeux extravagants, ces soupirs ridicules, et ces larmes niaises qui font rire tout le monde130 ? Molière insiste sur l’extravagance vraisemblable de son personnage dans sa Critique : « DORANTE : Quant à l’argent qu’il donne librement, outre que la lettre de son meilleur ami lui est une caution suffisante, il n’est pas incompatible qu’une personne soit ridicule en de certaines choses, et honnête homme en d’autres […] »131. Les répliques de Dorante ne convainquent pas Donneau de Visé : AGRIMONT : […] En effet, quelle apparence y a-t-il qu’Arnolphe ait cent pistoles toutes prestes, et qu’il les donne à un jeune homme, sur un mot de lettre d’un amy, qu’il n’a point vu depuis quatre ans, et avec qui il n’a point eu de commerce depuis ce temps, comme il est marqué dans les vers de la Piece ? Cét amy n’est pas raisonnable d’emprunter de l’argent à une personne, apres avoir esté si longtemps sans luy escrire. Arnolphe devoit balancer un peu avant que de le donner, se deffier d’un jeune homme, comme Horace, qui pouvoit avoir contrefait l’escriture de son pere. […] il a mal donné son argent, et que son amy ne lui en emprunteroit pas, pour servir aux débauches de son fils […] 132. De plus, Donneau de Visé critique le fait qu’Arnolphe invite Chrysalde à dîner avec sa 130 Molière, La Critique de l’École des Femmes, scène vi, 509. Ibid, Vol I, scène vi, 510. 132 Donneau de Visé, Zelinde, scène iii, 22-23. 131 46 maitresse : AGRIMONT : […] Arnolphe, apres avoir dans cette premiere Scene, fait connoistre son humeur deffiante et jalouse, jusques au point que chacun sçait, dément aussi-tost son caractere, en priant Chrysalde, de venir souper avec Agnés. Il n’est pas vray semblable, qu’un homme qui craint si fort d’estre Cocu, prie à souper avec sa Maistresse, sans aucune necessité, un railleur qui semble luy predire, que s’il se marie, son front ne sera pas exempt de porter ce qu’il craint 133. D’après Donneau de Visé, un tel homme, un jaloux, n’inviterait personne à souper avec sa maîtresse ; certainement pas quelqu’un qui fait de telles prédictions et qui questionne l’union de son ami. Certainement, la conception du caractère dramatique d’Aristote vise le genre tragique. Pourtant, ses idées sur la qualité et le contexte sont facilement appliquées au genre comique. Ainsi, la « qualité » désignerait donc la haute bourgeoisie et non la noblesse, comme elle le fait dans la tragédie. De ce fait, les critiques contre le caractère d’Arnolphe seraient contre la constance et le vraisemblable, en ce qui concerne ses actions et ses réactions. Cependant, la défense de Molière se repose sur l’inconstance constante. Dans sa quête d’éviter le cocuage, Arnolphe est finalement un personnage cohérent et constant. Après tout, selon Aristote, le caractère se confirme et reste constant et fidèle. En ce qui concerne Horace, l’amant aurait trop de confiance en Arnolphe. Selon Donneau de Visé, il serait invraisemblable qu’un homme amoureux mette sa maîtresse entre les mains d’un autre homme : ZELINDE : Horace n’est-il pas ridicule, de mettre sa Maistresse entre les mains d’Arnolphe, qui est un homme déjà sur l’âge, et de plus un des amis de son pere ? Je sçay qu’Elomire dira qu’Horace est un estourdy ; mais ce n’est pas une raison, et pour excuser ses fautes, il n’auroit qu’à dire, que tous ses personnages sont foux ; mais s’il est ainsi, il devoit appeler sa Piece, L’Hospital des Fous […]134. L’œuvre de Molière est défendu encore une fois par La Croix : PHILINTE : […] Mais ne pouvoit-il point ouvrir son cœur à un amy qui venoit de lui ouvrir sa bource avec une franchise entiere ? […] Voudriés-vous que cét Amant fust plus circonspect ? La demangeaison qu’Arnolphe témoigne d’apprendre l’aventure de quelque infortuné mary merite-t-elle pas bien qu’il mette celle-là sur ses tablettes ? Il n’en pouvoit pas desirer une plus recente et qui luy fit mieux prester l’oreille. Est-il rien de plus naturel que cét endroit où son rival le traitte de fou et de ridicule en parlant à sa 133 134 Ibid, scène iii, 19. Ibid, scène viii, 111. 47 Seigneurie135 ? Ainsi, le fait de considérer invraisemblable le personnage d’Horace est mal connaître son caractère et oublier son honnêteté. D’après nous, le caractère honnête, confiant et presque naïf d’Horace justifie ses actions. Nous estimons que ce personnage respecte les buts élaborés par Aristote. Les critiques contre les personnages de Molière continuent. Selon les détracteurs, Agnès serait une personne niaise et naïve qui évolue très rapidement et finit par avoir de l’esprit : « ZELINDE : […] Est-il possible qu’il y ait des gens qui ne s’aperçoivent pas qu’il n’y a rien de plus inégal que le Rolle d’Agnés, et que l’esprit luy vient en vingt-quatre heures ? »136. C’est une évolution surprenante dans le contexte théâtral du XVIIe siècle. Donneau de Visé insiste que sa lettre serait peu vraisemblable, qu’elle a trop d’esprit : ZELINDE : […] Elle dit encore cent autres choses qui font connoistre qu’elle est la plus niaise personne du monde ; cependant, deux heures apres, elle escrit une lettre qui ne peut vray-semblablement partir d’une personne qui a joüé un semblable personnage, et ce qui est de plus ridicule, est qu’à la fin de la Piece, elle paroit tout à fait spirituelle, lorsqu’elle dit à Arnolphe, qu’il ne l’a pas bien élevée, et qu’il a bien opéré en la faisant instruire […]137. Cette critique de vraisemblance est reprise par Boursault. Cependant, c’est l’éveil d’une certaine intelligence qui permet l’écriture de la lettre. L’évolution du caractère d’Agnès est ici justifiée par La Croix : PHILINTE : Lorsque Agnés parest si innocente vous ne découvrés son esprit qu’à travers un nüage qu’il faut que l’amour dissipe. Elle sort d’assez bon lieu pour avoir un fons d’ame fort raisonnable, mais l’education en assoupit les plus belles parties, et elle ne produiroit pas si-tost ces effets qui vous surprennent si l’amour ne la réveilloit. Elle ne parest niaise qu’au moment qu’Arnolphe ne fait rien contre ses inclinations : mais lors qu’il luy parle mal d’Horace, elle prend son party et témoigne à ce Jaloux qu’elle n’en peut aimer d’autre. Elle va jusqu’à la froideur quand il dit qu’il veut l’épouser, et elle résiste trois fois au commandement qu’il luy fait de mal traiter son Amant. Cette résistance fait-elle pas connoistre qu’elle cherchera un moyen d’avertir Horace de la violence qu’on luy fait ? Dans quelque simplicité qu’on l’ait nourrie, luy a-t-on pas appris que l’art d’escrire n’a esté inventé que pour découvrir ce qu’on pense à ceux à qui on ne peut parler ? et ne la blasmeriez-vous pas si elle n’avoit point recours à ce langage muet, lors qu’Arnolphe luy ferme la bouche par 135 La Croix, Guerre comique, Dispute Première, 22-23. Donneau de Visé, Zelinde, scène viii, 106. 137 Ibid, 108. 136 48 sa presence138 ? Ainsi, Agnès paraît un peu simple d’esprit à cause de l’instruction d’Arnolphe mais l’amour finit par éveiller son esprit. Selon Mongrédien, les ennemis de Molière jugeraient cette comédie tout comme les autres, sans prendre en compte le nouveau de la pièce. Molière fait évoluer ses personnages : « [i]ls crient à l’invraisemblance, prisonniers qu’ils sont d’une formule désormais périmée »139. Ainsi, ils seraient incapables d’apprécier une véritable comédie de mœurs et de caractère où les personnages évoluent. Sans aucun doute, l’évolution d’Agnès est très intéressante. Pourtant, ce personnage respecte-t-il la notion de caractère d’Aristote tel que nous l’avons vu au premier chapitre ? D’après l’évolution d’Agnès, son caractère ne respecterait pas le but de la constance. Tandis que son évolution est nécessaire au déroulement de la pièce, nous pouvons argumenter qu’elle n’est pas vraisemblable. Tout bien considéré, nous estimons que le personnage d’Agnès n’exemplifie pas la notion de caractère d’Aristote. Dans un autre ordre d’idées, la pièce est critiquée d’invraisemblance dans un sens plus large. Selon les critiques, Molière ne respecterait ni les règles dramatiques, telles qu’elles sont élaborées par Aristote et Horace, ni la distinction des genres. Molière répond à cette accusation dans sa Critique : DORANTE : Vous êtes de plaisantes gens avec vos règles dont vous embarrassez les ignorants, et nous étourdissez tous les jours. Il semble, à vous ouïr parler, que ces règles de l’art soient les plus grands Mystères du monde, et cependant ce ne sont que quelques observations aisées que le bon sens a faites sur ce qui peut ôter le plaisir que l’on prend à ces sortes de Poèmes ; et le même bon sens qui a fait autrefois ces observations, les fait aisément tous les jours, sans le secours d’Horace et d’Aristote. Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n’est pas de plaire ; et si une pièce de Théâtre qui a attrapé son but n’a pas suivi un bon chemin. Veut-on que tout un public s’abuse sur ces sortes de choses, et que chacun n’y soit pas juge du plaisir qu’il y prend140 ? De cette manière, Molière insiste sur l’importance de plaire, qui est, selon lui, la première règle du théâtre. Ceux qui insistent sur les règles se vantent d’une certaine connaissance qui n’est finalement pas indispensable. Enfin, il faut penser au divertissement et non aux règles : « URANIE : Pour moi, quand je vois une Comédie, je regarde seulement si les choses me 138 La Croix, Guerre comique, Dispute Première, 25-26. Mongrédien, Introduction, xxxiii. 140 Molière, La Critique de l’École des Femmes, scène vi, 507. Nous ajoutons les caractères gras. 139 49 touchent, et lorsque je m’y suis bien divertie, je ne vais point demander si j’ai eu tort, et si les règles d’Aristote me défendaient de rire »141. Les ennemis de Molière insistent que ce dernier se soucie trop de plaire et qu’il devrait suivre les règles du théâtre, critique énoncée par Molière dans sa Critique : LYSIDAS : Enfin, Monsieur, toute votre raison, c’est que L’École des femmes a plu ; et vous ne vous souciez point qu’elle soit dans les règles pourvu... DORANTE : Tout beau, Monsieur Lysidas, je ne vous accorde pas cela. Je dis bien que le grand art est de plaire, et que cette Comédie ayant plu à ceux pour qui elle est faite, je trouve que c’est assez pour elle, et qu’elle doit peu se soucier du reste. Mais avec cela, je soutiens qu’elle ne pèche contre aucune des règles dont vous parlez. Je les ai lues, Dieu merci, autant qu’un autre, et je ferais voir aisément que peut-être, n’avonsnous point de pièce au Théâtre plus régulière que celle-là142. Encore une fois, Molière insiste que la comédie a plu à ceux à qui elle voulait plaire et qu’elle peut ainsi laisser tomber le reste. Enfin, il soutient qu’il s’agit d’une pièce régulière. Pourtant, ses détracteurs ne sont pas convaincus. Robinet souligne le fait que Molière ne respecte pas la distinction des genres : LIDAMON : […] Je pourrois ajouster que cette Ecole est non seulement contre toutes les regles du Dramatique, mais contre celles du Comique, le Heros y montrant presque tousjours un amour qui passe jusqu’à la fureur, et le porte à demander à Agnez si elle veut qu’il se tüe, ce qui n’est propre que dans la Tragedie, à laquelle on reserve les plaintes, les pleurs, et les gemissements. Ainsi, au lieu que la Comedie doit finir par quelque chose de gay, celle-cy finit par le desespoir d’un Amant qui se retire avec un Ouf ! par lequel il tasche d’exhaler la douleur qui l’étoufe, de maniere qu’on ne sçait si l’on doit rire ou pleurer dans une Piece où il semble qu’on veüille aussi tost exciter la pitié que le plaisir […] 143. Selon Robinet, la pièce de Molière oscillerait entre la comédie et la tragédie : elle incite à la fois la pitié et le plaisir. Après tout, Robinet insiste que la pièce se termine mal. Mais ne finit-elle pas bien pour tous sauf Arnolphe ? De surcroît aux reproches déjà mentionnés, les critiques de Molière prétendent que L’École des Femmes opposerait la tragédie et la « belle comédie ». C’est une critique développée 141 Ibid, 507. Ibid, 508. 143 Robinet, Panegyrique, scène cinquiesme, 51-52. 142 50 par Donneau de Visé dans ses Lettres sur les Affaires du Théâtre, qui insiste que Molière s’attaquerait à la tragédie pour se venger de ses pièces non réussies : Une piece serieuse reussit pour son merite, et sa bonté seule nous oblige à luy rendre justice ; mais l'on va souvent voir en foule une piece Comique, encore que l'on la trouve méchante, et l'on va plustost aux ouvrages qui sont de la nature de ceux d'Elomire pour les gens que l'on y croit voir joüer que pour la judicieuse conduitte de la Piece, car l'on sçait bien qu'il ne s'en picque pas. Si l'on court à tous les ouvrages Comiques, c'est pource que l'on y trouve tousjours quelque chose qui fait rire, et que ce qui en est méchant, et mesme hors de la vraysemblance, est quelquefois ce qui divertit le plus. Les postures contribuent à la réüssite de ces sortes de pieces, et elles doivent ordinairement tous leurs succez aux grimaces d'un Acteur144. Dans ce passage, le succès de la comédie ne dépend pas de son auteur, mais des « grimaces » des acteurs. La comédie semble divertir, mais elle ne remplit aucune fonction instructrice. En fin de compte, son succès ne vaut rien car elle manque de portée et d’importance durable. Nous estimons que cette critique dépend des intentions de Molière. Si le dramaturge ne vise qu’à plaire, la durée et l’importance durable de la pièce sont à l’arrière-plan. De plus, pouvons-nous parler d’instruction dans la représentation du défaut d’Arnolphe ? Selon nous, cette représentation accomplit la fonction pédagogique ou moralisante déjà mentionnée. Les ennemis de Molière trouvent quelques autres reproches sur le plan dramatique. Plusieurs se demandent pourquoi il choisit toujours de mettre en scène des paysans et de se rapprocher de la farce. En particulier, les critiques insistent que la scène du valet et de la servante serait ennuyeuse dans sa longueur et serait même impertinente. Dans sa Critique, Molière répond que la scène n’est pas sans valeur : DORANTE : […] Et pour la Scène d’Alain et de Georgette dans le logis, que quelques-uns ont trouvée longue et froide, il est certain qu’elle n’est pas sans raison ; et de même qu’Arnolphe se trouve attrapé pendant son voyage, par la pure innocence de sa maîtresse, il demeure au retour longtemps à sa porte par l’innocence de ses valets, afin qu’il soit partout puni par les choses qu’il a cru faire la sûreté de ses précautions145. Malgré cette réplique de Dorante, Donneau de Visé s’obstine que le comportement des servants n’est pas naturel146. Ainsi, la scène serait non seulement inutile et ennuyeuse, mais aussi 144 Jean Donneau de Visé, Lettre sur les Affaires du Theatre, 88-89. Désormais abrégé à Donneau de Visé, Lettre. Molière, La Critique de l’École des Femmes, scène vi, 510. 146 AGRIMONT : […] La Scene qu’Arnolphe fait avec Alain, et Georgette, lorsqu’il leur demande comment Horace 145 51 invraisemblable. Même son de cloche pour la scène du notaire, sans le notaire : AGRIMONT : […] la Piece se pourroit bien joüer, sans qu’il fût necessaire d’y augmenter, ny diminuer rien. La scene qu’il fait avec Arnolphe seroit à peine supportable dans la plus méchante de toutes les farces ; et bien qu’elle fasse un jeu au theatre, elle ne laisse pas de choquer la vray-semblance. Il est impossible qu’un homme parle si longtemps derriere un autre, sans estre entendu, et que celuy qui ne l’entend pas, responde jusques à huit fois, à ce qu’on luy dit […]147. De plus, la conversation d’Arnolphe et du notaire serait impossible. Cependant, La Croix riposte que l’on peut trouver de telles scènes dans les pièces des Anciens : PHILINTE : Ce que dit Arnolphe convient mieux à l’estat de ses affaires, qu’aux clauses d’un Contrat de mariage, Et ce que vous appelés un discours qu’Arnolphe fait en luy-mesme ne doit pas estre consideré comme un tableau de ses pensées, mais comme de veritables paroles que la rage et le trouble de son esprit luy font proferer. Cela n’est pas sans exemple chez les Anciens […] 148. Ainsi, La Croix justifie la conversation et réfute les accusations d’invraisemblance. Une autre critique concerne le lieu où se déroule l’action : tout se passe dans la rue, une voie devant la maison d’Arnolphe. Pourtant, les conversations d’Arnolphe et d’Agnès ne pourraient pas se dérouler dans la rue, tandis que celles d’Arnolphe et d’Horace doivent se tenir sur la voie publique, car Horace ne se rend pas compte du lien entre Arnolphe et sa maîtresse. Est-ce possible et vraisemblable ? Selon les critiques, historiques et modernes, il semble que la réponse est non. Donneau de Visé s’obstine sur cette invraisemblance dans Zelinde : « AGRIMONT : […] Si, comme l’on n’en peut douter, et comme Elomire l’a luy mesme fait imprimer, toute cette Comedie se passe dans une Place de Ville, comment se peut-il que Chrisalde, et Arnolphe, s’y rencontrent seuls ? c’est une chose que je tiens absolument impossible »149. De plus, Donneau de Visé insiste que personne ne passerait autant de temps dans s’est introduit chez luy, est un jeu de Théâtre qui éblouït ; puis qu’il n’est pas vray-semblable que deux mesmes personnes, tombent par simetrie, jusques à six ou sept fois, à genoux, aux deux costez de leur Maistre. Je veux que la peur les fasse tomber, mais il est impossible que cela arrive tant de fois, et ce n’est pas une action naturelle […] » Donneau de Visé, Zelinde, scène iii, 31. 147 Donneau de Visé, Zelinde, scène iii, 37. 148 La Croix, Guerre comique, Dispute IV, 71-72. 149 Donneau de Visé, Zelinde, scène iii, 17. 52 une rue : « ZELINDE : Est-il vray-semblable qu’Arnolphe, passe toute une journée dans la ruë : que Chrisalde s’y trouve deux fois ; qu’Horace s’y trouve cinq ou six ; que le Notaire s’y trouve aussi, et qu’ils y fassent tous deux toutes leurs postures, et s’y querellent si long-temps […] »150. Dès lors, selon Donneau de Visé, l’unité de lieu ne peut pas être à la fois respectée et vraisemblable. C’est une attaque reprise plus tard par Montfleury fils. Cependant, La Croix défend Molière dans sa Guerre comique : « PHILINTE : Pourquoy non ? Où veux-tu qu’ils s’assemblent plus à propos qu’en ce lieu où se passe l’action Theatrale ? Toutes les Comedies de Plaute et de Térence se passent et se dénoüent au milieu des places publiques »151. Selon ce dernier, le choix de lieu de Molière est non seulement possible mais se retrouve exemplifiée dans des comédies antiques. Dans ce cas, nous donnons gain de cause à Donneau de Visé. L’unité de temps pose aussi des difficultés puisque l’action commence à la fin d’une matinée pour se terminer le matin suivant. Seulement une nuit sépare l’acte IV de l’acte V. Toutefois, cette unité ne semble pas avoir attiré autant d’attention des adversaires de Molière. Quant à l’unité d’action, on reproche à la pièce d’être composée de récits et de manquer d’intrigue. Molière répond à ce grief dans sa Critique : DORANTE : Premièrement, il n’est pas vrai de dire que toute la pièce n’est qu’en récits. On y voit beaucoup d’actions qui se passent sur la Scène ; et les récits eux-mêmes y sont des actions suivant la constitution du sujet, d’autant qu’ils sont tous faits innocemment, ces récits, à la personne intéressée, qui par là entre à tous coups dans une confusion à réjouir les spectateurs, et prend à chaque nouvelle toutes les mesures qu’il peut pour se parer du malheur qu’il craint152. Dorante commence par insister que la pièce met en scène de nombreuses actions. Il continue par souligner que les récits ajoutent à l’action de la pièce. Pourtant les détracteurs ne sont pas convaincus: « AGRIMONT : […] On a justement blamé la Piece de ce qu’elle se passe toute en récits […] »153. Donneau de Visé maintient que les personnages se parlent trop. La Croix vient encore au secours de Molière dans sa Guerre comique : PHILINTE : Un Autheur qui fait une Piece de Theatre doit examiner si les narrations peuvent faire un plus 150 Ibid, 112. La Croix, Guerre comique, Dispute II, 36-37. 152 Molière, La Critique de l’École des Femmes, scène vi, 510. 153 Donneau de Visé, Zelinde, scène iii, 25. 151 53 bel effet que le spectacle mesme ; et quand il ne peut pas rendre un incident plus agreable aux yeux du spectateur qu’à son imagination, il faut en faire le recit. Les incidens de cette Comedie seroient ridicules sur le Theatre ; mais on est charmé de les apprendre de la bouche d’Horace et de voir l’inquietude où il met le Sieur de la Souche […]154. Ainsi, les récits peuvent embellir les actions et ajouter à l’effet de la pièce. Certaines actions ne peuvent pas être mises en scène : elles doivent donc être racontées. Finalement, on accuse Molière de se répéter, de toujours mettre en scène les mêmes personnages, de se réécrire à chaque fois, que finalement toutes ses pièces se ressembleraient beaucoup trop. C’est une attaque soutenue par Donneau de Visé dans ses Nouvelles, où il insiste que L’École des Maris et L’École des Femmes sont presque identiques : « […] toute la différence que l’on y trouve, c’est que l’Agnès de l’École des Femmes est un peu plus sotte et plus ignorante que l’Isabelle de l’École des Maris »155. Il reprend le même argument dans Zelinde, lors de la lecture d’une lettre par Agrimont : […] Je ne croy pas que cette Piece, qui n’est en beaucoup d’endroits qu’une imitation de celles que vous nous avez de-jà fait voir, eut pû reussir, sous le nom d’un autre. Vôtre Marquis, a bien du rapport avec celuy de Mascarille, et avec Lisandre, l’Alcipe, et le Dorante, des Fascheux. L’on peut dire que tous ces personnages font les mesmes extravagances, et que par les mesmes choses, vous joüés égallement, dans ces six personnes, les gens de qualité. Climene n’est qu’un Marquis de Mascarille, travesty en femme ; et si l’on vous l’a pardonné, ce n’est pas que plusieurs ne s’en soient apperceus […]156. Ici, Donneau de Visé insiste sur la répétition des personnages qui finissent tous par se ressembler en donnant l’exemple des marquis. Molière répond à cette critique dans son Impromptu : MADEMOISELLE MOLIÈRE : Toujours des Marquis. MOLIÈRE : Oui, toujours des Marquis, que diable voulez-vous qu’on prenne pour un caractère agréable de Théâtre ; le Marquis aujourd’hui est le plaisant de la Comédie. Et comme dans toutes les Comédies anciennes on voit toujours un Valet bouffon qui fait rire les Auditeurs, de même dans toutes nos pièces de maintenant, il faut toujours un Marquis ridicule qui divertisse la compagnie157. Comme toujours, les détracteurs ne sont pas satisfaits par les réponses de Molière et la critique de la répétition revient dans La Vengeance de Donneau de Visé : 154 La Croix, Guerre comique, Dispute Première, 28-29. Donneau de Visé, Nouvelles, 231-232. 156 Donneau de Visé, Zelinde, scène vi, 54-55. 157 Molière, L’Impromptu de Versailles, scène i, 827. 155 54 ALCIPE : Il y a long-temps que nous n’avons rien veu de nouveau de luy. Il nous a fait voir les mesmes pieces de dix manieres differentes, et on ne doit pas prendre le soin de les retourner, puis qu’il se donne luymesme cette peine. ARISTE : Il croit avoir fait une Piece nouvelle, lors qu’il a fait changer de garniture, de plumes et de voix à un Marquis158. Selon Donneau de Visé, Molière ne ferait que quelques petits changements. Ensuite, il revient sur la similarité entre les deux Écoles : « [t]ous ceux qui l’ont vue sont demeurés d’accord qu’elle est mal nommée et que c’est plutôt L’École des Maris que L’École des Femmes. Mais comme il en a déjà fait une sous ce titre, il n’a pu lui donner le même nom »159. Molière changet-il seulement les noms de ses pièces ? Nous croyons qu’il ne s’agit pas de pièces quasiment identiques. Si Sganarelle ressemble à Arnolphe, Ariste est le modèle d’un homme raisonnable et les intrigues se déroulent de façon très différente. Nous estimons que l’argument du modèle antique justifie les répétitions de Molière. Critiques littéraires Tandis que le plagiat et l’imitation étaient pratiques courantes au XVIIe siècle, les critiques d’ordre littéraire insistent sur le manque d’originalité de Molière. On justifiait ces pratiques en soulignant l’importance de se reposer sur les sources antiques et historiques du théâtre. Pourtant, selon certains, les emprunts de Molière seraient scandaleux. Sur la question du plagiat, Donneau de Visé souligne des sources possibles : Le sujet de ces deux pièces n'est point de son invention, il est tiré de divers endroits, à savoir de Boccace, des contes de d’Ouville, de La Précaution inutile de Scarron. Et ce qu'il y a de plus beau dans la dernière est tiré d'un livre intitulé Les Nuits facétieuses du seigneur Straparole, dans une histoire duquel un rival vient tous les jours faire confidence à son ami, sans savoir qu'il est son rival, des faveurs qu'il obtient de sa maîtresse, ce qui fait tout le sujet et la beauté de L'École des femmes160. Dans le même ordre d’idées, Robinet nomme Rabelais et Cervantès et Montfleury fils nomme Scaramouche en tant qu’auteurs plagiés. Tout bien considéré, il nous semble que tous s’entre- 158 Donneau de Visé, Responce à l’Impromptu de Versailles ou la Vengeance des Marquis, scène ii, 95-96. Désormais abrégé à Donneau de Visé, Vengeance. 159 Donneau de Visé, Nouvelles, 231. 160 Ibid, 232. 55 plagient et que les pièces créées en réaction à L’École des Femmes en sont finalement un exemple. À l’encontre des critiques et de Donneau de Visé, La Croix défend les choix littéraires de Molière : PHILINTE : Je croy que La Precaution Inutile et les Histoires de Straparolle luy ont fourny quelque chose de son sujet, qu’il lit les Italiens et les Espagnols, qu’il en tire quelque idée dans l’occasion ; mais le bon usage qu’il fait de ces choses le rend encor plus loüable. Je voudrois bien sçavoir par quelle raison un Autheur Comique n’a pas la liberté de se servir des lectures qu’il fait et pourquoy les Poëtes tragiques prennent des sujets entiers, traduisent des centaines de Vers dans une Piece, et se parent des plus beaux endroits des Anciens. Il faut estre bien déraisonnable pour establir une pareille inégalité161. La Croix argumente que si la tragédie peut faire des emprunts, la comédie devrait pouvoir en faire autant. Parallèlement, tout auteur apporte ses connaissances à son œuvre. Molière, en tant que chef de troupe connaît tant de pièces par cœur que certaines devraient lui revenir à la mémoire lorsqu’il écrit. De plus, ses spectateurs, en particulier des gens de qualité, commencent à lui suggérer des souvenirs pour ses futures pièces. Comme l’explique Donneau de Visé, après Les Précieuses ridicules, les gens de qualité « […] donnèrent eux-mêmes, avec beaucoup d’empressements, à l’auteur dont je vous entretiens, des mémoires de tout ce qui se passait dans le monde et des portraits de leurs propres défauts et de ceux de leurs meilleurs amis, croyant qu’il y avait de la gloire pour eux que l’on reconnût leurs impertinences dans leurs ouvrages […] »162. Ainsi, comme les pièces de Molière sont à la mode, tous veulent s’y retrouver représentés. Donneau de Visé reprend cette idée de mémoires dans Zelinde lors de la lecture de la lettre par Agrimont : « […] Si vous voulez venir dîner un de ces jours avec moy ; je vous donneray des memoires, dont vous vous pourrez facilement servir, dans le sujet que vous m’avez dit que vous vouliez traitter »163. Ici, Donneau de Visé nous explique que les gens de qualité donnent leurs souvenirs à Molière pour se retrouver représentés favorablement dans ses pièces, ce qui n’était pas toujours le cas. Selon lui, c’est de cette manière que Molière reçoit sa matière, ce qui amoindrit peut-être la part du plagiat présumé. 161 La Croix, Guerre comique, Dispute IV, 79. Donneau de Visé, Nouvelles, 224-225. 163 Donneau de Visé, Zelinde, scène vi, 62. 162 56 De plus, on reproche à Molière de nombreux détails de mauvais goût, qui choqueraient la bienséance : « les enfants par l’oreille », « le potage » et « tarte à la crème » en sont des exemples. La réaction à ces détails se trouve dans la réplique suivante de La Critique de l’École des Femmes : « CLIMÈNE : […] Les enfants par l’oreille m’ont paru d’un goût détestable ; la tarte à la crème m’a affadi le cœur ; et j’ai pensé vomir au potage »164. La question des « enfants par l’oreille » revient dans la scène vi de la Critique : LYSIDAS : Est-il rien de si peu spirituel, ou, pour mieux dire, rien de si bas, que quelques mots où tout le monde rit, et surtout celui des enfants par l’oreille ? […] DORANTE : Pour ce qui est des enfants par l’oreille, ils ne sont plaisants que par réflexion à Arnolphe ; et l’Auteur n’a pas mis cela pour être de soi un bon mot : mais seulement pour une chose qui caractérise l’homme, et peint d’autant mieux son extravagance, puisqu’il rapporte une sottise triviale qu’a dite Agnès, comme la chose la plus belle du monde et qui lui donne une joie inconcevable165. Comme toujours, la réponse de Dorante ne suffit pas aux ennemis de Molière. En ce qui concerne le potage, Donneau de Visé insiste sur la réaction de la haute société : « AGRIMONT : […] Je ne diray rien de la comparaison du Potage, sinon, que les personnes d’esprit l’ont trouvée trop forte et ont dit qu’elle marquoit plustost l’esprit de l’Autheur, que la simplicité du Païsan »166. Chef de file, Donneau de Visé continue avec la « tarte à la crème » : ZELINDE : […] Ne seroit-ce pas une chose bien divertissante de voir le Marquis donner mille louanges à Tarte à la Cresme, et l’entendre crier au lieu de, voilà qui est détestable, Tarte à la Cresme est incomparable, morbleu, incomparable ! c’est ce que l’on appelle incomparable ! et du dernier incomparable ! cela ne feroitil pas un plaisant effet167 ? Ainsi, il ridiculise le détail mis en scène par Molière. Pouvons-nous parler de chicanes ridicules ? Donneau de Visé prend encore la parole en ce qui concerne le grès, utilisé par Agnès pour lancer sa lettre à Horace : AGRIMONT : Peut-on rien voir de plus forcé que l’incident du Grez, et ne fait-il pas connoistre que l’esprit de l’Autheur est à la gesne, lorsqu’il lui faut conduire un sujet ? […] En même temps, que l’avanture du Grez, nous fait connoistre l’esprit d’Agnés, elle nous fait voir combien l’esprit de l’Autheur a travaillé pour 164 Molière, La Critique de l’École des Femmes, scène iii, 491. Ibid, scène vi, 508-510. 166 Donneau de Visé, Zelinde, scène iii, 31. 167 Ibid, 87-88. 165 57 faire recevoir une lettre à Horace de la part de cette niaise pretendüe168. Encore une fois, Donneau de Visé insiste sur la nature invraisemblable de cette action. C’est un reproche qui est repris par Boursault. Pourtant, La Croix défend Molière dans sa Guerre comique : « PHILINTE : Il y a des grès de toutes tailles, et Horace dit qu’Agnés avoit jetté d’une main celuy dont tu parles »169. L’action est-elle donc vraisemblable selon la taille du grès ? Quoi qu’il en soit de la taille du grès, il nous semble que ce reproche tombe dans la catégorie de « chicane ridicule ». Les critiques de Molière semblent vouloir tout critiquer, peu importe l’importance ou l’inconséquence du reproche. D’autre part, les ennemis de Molière critiquent La Critique de École des Femmes pour un manque de contenu. Donneau de Visé insiste que Molière ne répond pas à tous les reproches : « [c]omme vous avez douté de la bonté de vostre cause, vous n’avez repris que des bagatelles, et n’avez point parlé des fautes considérables […] »170. Ici, en suggérant que Molière répond seulement aux petites fautes, aux fautes les plus simples, Donneau de Visé suggère que Molière n’a pas su répondre car il savait qu’il avait tort. Dans un autre ordre d’idées, Robinet revient sur les intentions de Molière en ce qui concerne la création de La Critique dans son Panegyrique : BÉLISE : En effet, il est plaisant de dire qu’il nous devoit renvoyer à la Critique, que l’Autheur a faite de sa Piece, que chacun appelle son Apologie. Enquoy il s’est lourdement trompé : car les Judicieux disent que le fin du Jeu esoit qu’il ne s’épargnast point dans cette Critique : qu’il y remarquast jusqu’aux moindres fautes, avec la derniere severité : et qu’il fist voir ainsi qu’il n’avoit pas péché par ignorance, mais expressement, et dans la veüe que son Poeme plairoit beaucoup plus avec ces defectüositez, que s’il eust esté selon toutes les Regles […]. CÉLANTE : Je vous prie, examinons-là un peu sa Critique, et vous verrez qu’il s’y est seulement chatoüillé pour se faire rire […]171. Selon Robinet, La Critique servirait finalement à expliquer que Molière a ignoré les règles du théâtre pour faire rire ; il n’est pas question d’un manque de savoir. Donneau de Visé va encore plus loin dans sa Lettre : Ceux qui en virent la premiere representation se souviennent bien qu'elle fut generalement condamnée, et, 168 Ibid, 26-27. La Croix, Guerre comique, Dispute II, 34. 170 Donneau de Visé, Zelinde, scène vi, 58. 171 Robinet, Panegyrique, scène cinquiesme, 65-66. Les caractères gras sont de nous. 169 58 quoy que le mal que l'on dit d'un ouvrage vienne rarement aux oreilles d'un Autheur, Elomire en a depuis oüy conter les défauts à tant de monde qu'il a crû en devoir faire luy-mesme une Critique pour empescher les autres d'y travailler […]172. Ici, il insiste que Molière a dû écrire sa Critique à cause des nombreuses fautes dans L’École des Femmes et la réaction du public envers la représentation de sa pièce. Certainement, La Critique apparaît rapidement après L’École des Femmes, le 1er juin 1663. Molière explique son intention de composer une dissertation en forme de pièce, sa Critique, dans la préface de L’École des Femmes : Bien des gens ont frondé d’abord cette Comédie ; mais les rieurs ont été pour elle, et tout le mal qu’on en a pu dire n’a pu faire qu’elle n’ait eu un succès dont je me contente. […] [I]l se trouve qu’une grande partie des choses que j’aurais à dire sur ce sujet est déjà dans une Dissertation, que j’ai faite en Dialogue, et dont je ne sais encore ce que je ferai. L’idée de ce Dialogue, ou, si l’on veut, de cette petite Comédie, me vint après les deux ou trois premières représentations de ma Pièce.[…] [J]e ne mets point dans cette Préface ce qu’on verra dans la Critique, en cas que je me résolve à la faire paraître. S’il faut que cela soit, je le dis encore, ce sera seulement pour venger le public du chagrin délicat de certaines gens ; car pour moi, je m’en tiens assez vengé par la Réussite de ma Comédie ; et je souhaite que toutes celles que je pourrai faire, soient traitées par eux comme celle-ci, pourvu que le reste suive de même 173. Selon Molière, sa pièce est un succès, en raison du rire de son public ; succès dont il se contente et qui est en lui-même une vengeance. Il nous semble que La Critique de l’École des Femmes est une réponse aux critiques et non une forme d’autocorrection. Pour ce qui en est des réponses aux reproches, Molière réagit à la grande majorité des griefs et non simplement aux plus simples. De plus, s’il ne respecte pas les règles c’est car, selon lui, le fait de plaire est la première règle de la comédie. Il est donc question d’une différence d’opinion ou de conception en ce qui concerne les règles du théâtre classique. Critiques personnelles Les critiques d’ordre personnel avancées contre Molière lors de la querelle sont parmi les plus déplorables. Souvent impolis et même vulgaires ces reproches démontrent un certain parti- 172 173 Donneau de Visé, Lettre, 90. Molière, préface de L’École des Femmes, 396-397. 59 pris contre Molière. Bien que certaines des critiques personnelles apparaissent dès le début de la querelle, selon nous, d’autres sont incitées par la création de L’Impromptu de Versailles, pièce dans une pièce qui met en scène une répétition où les acteurs insistent qu’ils n’ont pas eu le temps de préparer leurs rôles et critiquent le personnage de Molière de ne pas avoir répondu plus tôt aux attaques de l’Hôtel de Bourgogne. Comme l’explique ici le personnage de Brécourt, la mise en scène d’une pièce serait une forme de vengeance : BRÉCOURT : […] la meilleure réponse qu’il leur puisse faire, c’est une Comédie qui réussisse comme toutes ses autres. Voilà le vrai moyen de se venger d’eux comme il faut, et de l’humeur dont je les connais ; je suis fort assuré qu’une pièce nouvelle qui leur enlèvera le monde les fâchera bien plus, que toutes les satires qu’on pourrait faire de leurs personnes 174. Comme nous le savons, Molière utilise son Impromptu pour répondre aux critiques : MOLIÈRE : […] Je ne prétends faire aucune réponse à toutes leurs Critiques, et leurs contre-Critiques. Qu’ils disent tous les maux du monde de mes Pièces, j’en suis d’accord. […] La courtoisie doit avoir des bornes, et il y a des choses qui ne font rire, ni les spectateurs, ni celui dont on parle. Je leur abandonne de bon cœur mes ouvrages, ma figure, mes gestes, mes paroles, mon ton de voix, et ma façon de réciter, pour en faire, et dire tout ce qu’il leur plaira, s’ils en peuvent tirer quelque avantage. […] [M]ais en leur abandonnant tout cela, ils me doivent faire la grâce de me laisser le reste, et de ne point toucher à des matières de la nature de celles, sur lesquelles on m’a dit qu’ils m’attaquaient dans leurs Comédies, c’est de quoi je prierai civilement cet honnête Monsieur qui se mêle d’écrire pour eux ; et voilà toute la réponse qu’ils auront de moi 175. Selon Molière, ses ennemis n’ont rien à perdre : ils peuvent l’attaquer sans souci. De plus, il insiste que cette guerre « sotte » détourne son attention d’autres sujets plus valeureux. Cependant, il insiste qu’il y a certaines attaques, des attaques de nature personnelle, qui vont beaucoup trop loin. Ce passage nous intéresse en particulier car Molière prétend ne pas répondre aux critiques tout en répondant. De plus, tout en demandant que l’on cesse de l’attaquer personnellement, il imite certains de ses détracteurs et leur reproche, de manière assez malicieuse, leur emphase ridicule et leur diction grandiose : « MOLIÈRE : […] Imitant Montfleury, excellent acteur de l’Hôtel de Bourgogne. Voyez-vous cette posture ? Remarquez bien cela. Là appuyez comme il faut le dernier Vers […] »176. Cela continue pendant plusieurs répliques et plusieurs acteurs sont ciblés dans les didascalies suivantes : « Imitant Mlle 174 Molière, L’Impromptu de Versailles, scène v, 839. Ibid, 841. 176 Ibid, 826. 175 60 Beauchâteau, Comédienne de l’Hôtel de Bourgogne »,« Imitant Beauchâteau, aussi Comédien, dans les Stances du Cid »,« Imitant Hauteroche, aussi Comédien » et « Imitant De Villiers, aussi Comédien »177. En nommant ceux qu’il critique, Molière ridiculise les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne ouvertement devant son public. C’est dans la même veine qu’il nomme, ou plutôt refuse de nommer, Boursault : MOLIÈRE : Il est vrai, on me l’a voulu lire, et c’est un nommé Br... Brou... Brossaut qui l’a faite. DU CROISY : Monsieur, elle est affichée sous le nom de Boursault, mais à vous dire le secret, bien des gens ont mis la main à cet ouvrage, et l’on en doit concevoir une assez haute attente. Comme tous les Auteurs, et tous les Comédiens regardent Molière comme leur plus grand ennemi, nous nous sommes tous unis pour le desservir ; chacun de nous a donné un coup de pinceau à son portrait, mais nous nous sommes bien gardés d’y mettre nos noms ; il lui aurait été trop glorieux de succomber aux yeux du monde, sous les efforts de tout le Parnasse ; et pour rendre sa défaite plus ignominieuse, nous avons voulu choisir tout exprès un Auteur sans réputation178. En faisant semblant de ne pas se souvenir du nom de son ennemi et en insistant que Boursault est un illustre inconnu, sans réputation, Molière suggère que son ennemi serait insignifiant. Toujours prêt à répondre, Donneau de Visé réagit à L’Impromptu dans sa Lettre : […] en travaillant à cette pièce il [Molière] s’est contredit luy-mesme en plusieurs endroits, et qu’il ne s’est defendu qu’avec des armes dont on ne croyoit pas qu’il se dûst servir, et que l’on ne peut manier sans se faire plus de mal à soy même qu’à ceux contre qui on les employe 179. Dans ce passage, Donneau de Visé accuse Molière de se servir d’ « armes » déplorables qui finissent par lui faire autant de mal que ses ennemis, c’est-à-dire de ternir sa réputation. Nous sommes d’accord avec ces observations de Donneau de Visé. Certes, Molière se contredit en répondant à ses critiques et en se louant à l’écriture d’une telle pièce. Pourtant, il nous semble que plusieurs des attaques personnelles contre Molière sont beaucoup plus sérieuses que celles qu’il avance contre ses ennemis. Il est intéressant de noter que L’Impromptu de Versailles n’est jamais publié pendant la vie de Molière. Est-ce parce qu’elle contient des attaques personnelles susceptibles de lui attirer encore des ennemis ? Ou même parce que le roi veut en finir avec cette querelle et ne souhaite pas qu’elle s’immortalise ? Ou simplement que Molière n’en voit plus l’intérêt ? Ces questions restent sans réponses, faute d’informations plus précises du XVIIe 177 Ibid, 826-827. Ibid, 836-837. 179 Donneau de Visé, Lettre, 79. 178 61 siècle. Revenons aux reproches personnels faits contre Molière. En représentant des personnages ridicules, il soulignerait les défauts de personnalité de ses « victimes ». Le théâtre, miroir de la société, devrait finalement s’inspirer de véritables personnes. Ces personnes, ces modèles de Molière seraient-ils mal représentés ? Pourrait-on identifier des membres du public dans la pièce ? C’est ainsi qu’il scandaliserait son public, d’après certains, car tous ont peur de s’y retrouver représenté. Pourtant, selon Molière, comme il vise un défaut particulier, il ne faut pas essayer de se retrouver dans ses pièces : « URANIE : […] Toutes les peintures ridicules qu’on expose sur les Théâtres doivent être regardées sans chagrin de tout le monde. Ce sont miroirs publics où il ne faut jamais témoigner qu’on se voie ; et c’est se taxer hautement d’un défaut, que se scandaliser qu’on le reprenne »180. Pour Donneau de Visé, la représentation de certains membres du public spécifiques dans les pièces de Molière ne surprend pas : « [l]'on ne doit point après cela s'étonner pourquoi l'on voit tant de monde à ses pièces : tous ceux qui lui donnent des mémoires veulent voir s'il s'en sert bien »181. Molière représente-t-il mal ces mémoires ? Dans le même ordre d’idées, on accuse Molière de ne jamais inventer de nouveaux personnages : il utiliserait un certain modèle qui se répète à chaque fois qu’il conçoit une nouvelle pièce. Boursault prétend l’existence de clefs « imprimées » des personnages dans son Portrait182. Robinet répond à ce grief dans son Panegyrique, où il s’appuie sur le modèle historique : « [v]ous auriez donc eu beau sujet de vous plaindre de l’ancienne Comedie, où l’on ne se contentoit pas de designer les Personnes par leurs actions, les Comediens se servans encore d’habits semblables aux leurs, pour les mieux faire remarquer »183. Ainsi, l’ancienne comédie se reposait sur une certaine répétition des personnages. La Croix s’interroge aussi sur cette notion de répétition des personnages : PHILINTE : Sçais-tu pas qu’il ne fait que des portraits generaux qui ne blessent personne en particulier, et que personne ne prend pour soy ? 180 Molière, La Critique de l’École des Femmes, scène vi, 502-503. Donneau de Visé, Nouvelles, 227-228. 182 Voir Boursault, Portrait du Peintre, scène iv, v 265-266. 183 Robinet, Panegyrique, 63. 181 62 MÉLASIE : Il est vray. Mais tout le monde les applique à ceux de sa connoissance. PHILINTE : Je ne croy pas, Madame, que cette application qu’on peut faire de ces portraits rende la cause de Molière plus mauvaise. Le portrait que vous ajustés à un homme que vous connoissés ressemble à mille autres, et il n’est pas plus pour celui-là que pour le reste du monde […] CLÉONE : Mais, Philinte, ces portraits generaux ont eu un original, et chaque personne à qui ils ressemblent peut croire qu’il a servy de modele pour les faire. PHILINTE : Il n’est pas impossible que Moliere ait travaillé sur quelque original : mais comme ces portraits ressemblent à mille personnes, il y a plus d’apparence qu’ils ont eu pour principes des observations generales […]184. C’est ainsi que le fait de créer des portraits généraux, basés sur des observations plus générales, permet que personne ne s’identifie trop aux personnages. De surcroît, les ennemis du dramaturge estiment que Molière n’est qu’un « [m]édiocre imitateur des farceurs italiens […] »185, c’est-à-dire un mauvais comédien qui ne maîtrise que la farce. Dès lors, Molière est tout juste bon pour la farce et le rire, reproche de Montfleury fils dans son Impromptu de Condé : Le Marquis : Il faut que tout cède au Bouffon d’aujourd’huy, Sur mon ame à present on ne rit que chez luy, Car pour le serieux à quoy l’Hostel s’applique, Il fait, quand on y va, qu’on ne rit qu’au Comique, Mais au Palais-Royal, quand Moliere est des deux, On rit dans le comique et dans le serieux, Dieu me damne186 ! Selon Montfleury, le rire qu’incite Molière n’est pas une bonne chose. Dans le même ordre d’idées, selon Donneau de Visé, Molière serait mauvais peintre de ses semblables : « MÉLANTE : Quoy que ce Peintre se vante de travailler d’apres nature, ce n’est toutefois qu’un fort mauvais copiste […] »187. C’est un argument qu’il reprend dans sa Vengeance : « ARISTE : Tous ceux qui sont ridicules dans ses Copies ne le sont pas les 184 La Croix, Guerre comique, Dispute II, 42-45. Mongrédien, Introduction, l. 186 Antoine Jacob dit Montfleury fils. L’Impromptu de l’Hostel de Condé Montfleury, scène ii, v 103-109, 9. Voir notre appendice II. ii pour des détails sur Montfleury fils. 187 Donneau de Visé, Zelinde, scène x, 150. 185 63 Originaux : il nous les fait voir dans un faux jour et se sert de couleurs qui nous trompent et qui nous font souvent voir des défauts où il n’y en a pas »188. Delà, Donneau de Visé insiste que les sujets de Molière ne sont pas ridicules et que le dramaturge les rend grotesques pour accomplir ses propres fins dans ses pièces. Après tout, Molière « […] mauvais poète dramatique, mauvais écrivain, mauvais comédien, mauvais peintre, n’a donc aucun talent »189. De ce fait, assister à ses pièces serait simplement à la mode. Ce n’est donc pas le génie de Molière qui attire son public. C’est un argument maintenu par Donneau de Visé : Les applaudissements se donnent présentement par complaisance et peu de personnes approuvent aujourd'hui ce qu'elles louent. Chacun craint de passer pour ridicule en n'approuvant pas ce qu'il entend approuver à un autre, chacun parle contre son sentiment et aide de la sorte à se tromper soi-même, ce qui fait que les pièces qui paraissent généralement approuvées sont souvent celles que chacun condamne en particulier190. Selon ce dernier, tous auraient peur d’aller contre la mode. Il reprend ce reproche dans Zelinde : « CLÉRONTE : […] La mode va jusques aux Comedies, et de mesme que l’on ne trouveroit pas un rabat bien fait, s’il n’estoit de la bonne faiseuse, l’on n’approuveroit pas presentement une Comedie, si elle n’estoit d’Élomire. […] mais ce qui me console, est que l’on dit, que les fous inventent les modes, et que les sages les suivent […] »191. Dans ce passage critique-t-il Molière ou son public ? C’est un passage assez insultant pour les spectateurs qui sont traités de suivants imbéciles. Donneau de Visé termine en suggérant que Molière, inventeur de la mode, est un fou tandis que les sages suivent la mode. Selon nous, il semble se contredire pour ne pas trop insulter ses propres spectateurs. En ce qui a trait à Molière lui-même, on l’accuse d’avarice, de seulement vouloir gagner de l’argent lui-même et d’en faire gagner à ses amis. De plus, on suggère que Molière aurait les mêmes défauts que ceux qu’il représente. Ces reproches sont repris par Donneau de Visé : « […] si vous voulez savoir pourquoi presque dans toutes ses pièces il raille tant les cocus et 188 Donneau de Visé, Vengeance, scène ii, 90-91. Mongrédien, Introduction, li. 190 Donneau de Visé, Nouvelles, 213-214. 191 Donneau de Visé, Zelinde, scène ix, 144-145. 189 64 dépeint si naturellement les jaloux, c’est qu’il est du nombre de ces derniers »192. C’est une critique déplorable et impolie qui ne déguise aucunement une grave insulte. Cette attaque seraitelle incitée par la jalousie de Donneau de Visé ? N’est-il pas un jaloux lui-même ? Finalement, les critiques attaquent violemment Madeleine Béjart dans plusieurs œuvres, comme la Chanson de la Coquille de Donneau de Visé, ici rapportée dans sa Vengeance : PHILIPPIN : […] Il chante l’air et puis dit : Coquille, dit-il, si belle et si grande, N’accommode pas mon Limaçon. Coquille, dit-il, si belle et si grande Demande un plus gros poisson. Il continüe de parler. Il me semble que je suis aux Fascheux et que je vois sortir d’une Coquille une belle et jeune Nymphe. ARISTE: Il me souvient de cette Nymphe : on croyoit tromper nos yeux en nous la faisant voir, et nous faire trouver beaucoup de jeunesse dans un vieux poisson193. Ainsi, Madeleine Béjart est traitée de nymphe affreuse et de vieux poisson. De surcroît, les critiques accusent Molière d’avoir épousé sa propre fille, Armande. C’est une diffamation avancée en particulier par Montfleury père, outré par sa représentation dans L’Impromptu de Versailles. Le jeune Racine fait état de cette requête dans une lettre à l’abbé le Vasseur qui date de fin novembre ou décembre 1663 : « Montfleury a fait une requête contre Molière et l’a donné au Roi. Il l’accuse d’avoir épousé la fille, et d’avoir autrefois couché avec la mère. Mais Montfleury n’est point écouté à la cour »194. D’après le jeune Racine, encore en début de carrière, la requête de Montfleury n’aurait pas de valeur, mais il faut se demander si Montfleury agit seul ou en porte-parole de la troupe. Le roi ne donne aucune réponse directe à ces accusations mais, comme l’explique Mongrédien, ses actions sont plus fortes que des paroles : « [p]ubliquement, il y répondit, en quelque sorte, trois mois plus tard, le 28 février 1664, en tenant, avec Henriette d’Angleterre, le fils premier-né de Molière et d’Armande Béjart sur les 192 Donneau de Visé, Nouvelles, 235. Donneau de Visé, Vengeance, scène vii, 148-149. 194 Jean Racine. Lettre à l’abbé le Vasseur (n 40) [dans] Œuvres complètes de J. Racine. Vol VI. Éd. Paul Mesnard. Paris : Hachette, 1865, 506. 193 65 fonts baptismaux de Saint-Germain l’Auxerrois »195. Selon nous, ces deux attaques n’ont aucune place dans une telle polémique : Madeleine et Armande Béjart n’ont rien à voir avec L’École des Femmes de Molière. Après toutes ces accusations déplorables dont il est en grande majorité l’auteur, Donneau de Visé insiste qu’il n’a jamais voulu attaquer Molière sur le plan personnel : […] je croy vous devoir dire encore, avant que de finir, que dans tout ce que j'ay escrit contre les Comedies d'Elomire, je n'ay point pretendu toucher à sa personne : Je veux croire qu'il est honneste homme et j'aurois tort de dire le contraire, puis que je ne sçais point les particularitez de sa vie. Mais quand je les sçaurois, je n'en parlerois point, puisque ces sortes de choses n'ont rien à démesler avec l'esprit. Je puis, apres cét adveu luy dire, comme il fait aux Marquis, que dans tout ce que j'ay escrit contre ses Comedies, qu'ils n'interprete rien à son desavantage, et qu'il ne croye point que je parle à luy, lors que j'y songe le moins 196. Ce passage est-il une excuse ? une défense ? Certes, Donneau de Visé va contre sa parole en ce qui concerne son traitement de Molière et ces attaques personnelles. Il demande à Molière de ne pas essayer de se retrouver dans ses reproches lorsqu’il le critique ouvertement. En ce qui concerne ce passage, écrit en guise d’excuse ou de défense, il nous semble que les justifications de Donneau de Visé valent très peu et qu’elles ne sont que des paroles pieuses proférées sans convictions. Certainement, plusieurs des critiques en question sont motivées par la jalousie, l’envie et un certain préjugé. Il s’agit non seulement d’une querelle qui oppose des écrivains, mais aussi d’une polémique qui oppose, en particulier deux grandes troupes françaises : celle de l’Hôtel de Bourgogne et celle du Palais-Royal. Notamment, l’Hôtel de Bourgogne est menacée par le succès du Palais-Royal, fortement protégé, tout comme Molière, par Louis XIV, soutien qui incite une vive jalousie de la part des « Grands Comédiens » de l’Hôtel de Bourgogne. La jalousie et le succès En somme, la mise en scène et la publication de L’École des femmes suscite une violente polémique, une véritable « guerre de plume » contre son auteur, Molière. Cette querelle est à la 195 196 Mongrédien, Notice de L’Impromptu de l’Hostel de Condé, 314. Donneau de Visé, Lettre, 95-96. 66 fois morale et mondaine : le public est choqué par certains passages, jugés impertinents, grossiers et obscènes, tandis que le caractère littéraire de l’œuvre est fortement débattu ; le triomphe suscitant la jalousie des rivaux du dramaturge. Assurément, nous pouvons identifier un certain lien entre la querelle, le fait de « fronder » et le succès d’une pièce. Selon Donneau de Visé, lorsqu’une pièce est souvent discutée, tous finissent par vouloir y assister : Il voudrait que la moitié de Paris en vînt dire du mal, ce serait un signe qu'elle ne serait pas tout à fait méchante, et que l'autre moitié en viendrait ensuite dire du bien. Quand on veut fronder une comédie et que l'on en parle beaucoup, les divers discours que l'on en tient y font venir du monde, et ceux qui vont rarement à la comédie ne peuvent s'empêcher d'y aller, afin de pouvoir parler d'une chose dont on les entretient si souvent, et afin de voir qui a raison, ou de ceux qui blâment ou de ceux qui louent 197. Ainsi, même ceux qui n’assistent pas régulièrement à des pièces vont vouloir voir une pièce tant discutée, pour pouvoir participer à la discussion et pour décider qui a raison. Finalement, tous, mêmes ceux qui critiquent la pièce, participent à son succès. Molière vient à la même conclusion dans son Impromptu : « MOLIÈRE : […] Ils critiquent mes pièces, tant mieux, et Dieu me garde d’en faire jamais qui leur plaise, ce serait une mauvaise affaire pour moi »198. Après tout, Molière profite de la querelle. Selon lui, il a obtenu ce qu’il voulait de sa pièce : MOLIÈRE : Et qu’est-ce que cela me fait, n’ai-je pas obtenu de ma Comédie tout ce que j’en voulais obtenir, puisqu’elle a eu le bonheur d’agréer aux Augustes personnes, à qui particulièrement je m’efforce de plaire ? N’ai-je pas lieu d’être satisfait de sa destinée, et toutes leurs censures ne viennent-elles pas trop tard ? Est-ce moi, je vous prie, que cela regarde maintenant ; et lorsqu’on attaque une pièce qui a eu du succès, n’est-ce pas attaquer plutôt le jugement de ceux qui l’ont approuvée, que l’art de celui qui l’a faite 199 ? Finalement, la pièce a plu aux spectateurs, elle réussit malgré les critiques. De plus, il suggère qu’en attaquant sa pièce, on ne l’attaque pas personnellement seulement, mais on attaque, sans aucun doute, en même temps, tous ceux qui l’ont trouvée bonne. C’est certainement une idée intéressante. Est-ce que ce sont les critiques qui se représentent mal et qui nuisent à leur futur succès lors d’une telle querelle ? 197 Donneau de Visé, Nouvelles, 242. Molière, L’Impromptu de Versailles, scène v, 840. 199 Ibid, 840. 198 67 Chapitre III : Vers une compréhension des genres théâtraux : le XVIIe siècle, période de querelles et d’évolution Ce chapitre a pour but de comparer et de contraster nos deux polémiques littéraires, ainsi que d’approfondir sur le contexte de nos deux dramaturges en question et de leur œuvre. Pour ce faire, nous comptons examiner l’évolution des genres tragique et comique au XVIIe siècle pour identifier le cadre théorique des deux polémiques en question. Comment définit-on la tragédie et la comédie au XVIIe siècle ? Et la tragi-comédie et les genres connexes ? Corneille et Molière ont-ils des définitions différentes ? Pouvons-nous parler de modes et de tendances théâtrales ? Ce chapitre vise à identifier les règles du théâtre classique, telles qu’elles étaient conçues au XVIIe siècle et telles qu’elles sont maintenant définies pour pouvoir répondre à la question suivante : les règles classiques s’appliquent-elles seulement à la tragédie ? Ceci fait, nous regarderons plus profondément les deux controverses. Ensuite, nous proposons d’explorer les relations entre Molière et Corneille. En fin de compte, l’objectif de ce chapitre est d’analyser l’interaction féconde entre textes critiques et textes de création et de démontrer l’importance des deux querelles dans l’évolution de la conception dramatique. Tentatives de définir la tragi-comédie : genre théâtral mixte et cible mouvante Comment définit-on la tragi-comédie ? Certes, avec difficulté à cause de la variété de tragi-comédies, la diversité des définitions et du fait d’avoir certains compromis changeant entre la tragédie et la comédie. Le terme « tragi-comédie » est introduit par Plaute dans le prologue de l’Amphitryon pour qualifier la pièce : […] [J]e la ferai passer de la tragédie en comédie, sans en changer un seul vers. […] J’en ferai donc une pièce mixte, une tragi-comédie. Car faire d’un bout à l’autre une comédie d’une pièce où paraissent des rois et des dieux, c’est chose, à mon avis, malséante. Alors que faire ? puisqu’un esclave y tient aussi son rôle, j’en ferai, comme je viens de la dire, une tragi-comédie200. 200 Titus Maccius Plautus. Comédies. éd. Alfred Ernout. Paris : Les Belles Lettres, 1932, rééd. 1967, 13. 68 Il est intéressant de noter que la pièce de Plaute est reprise par Molière en 1668 et appelée comédie. Selon d’Aubignac, une pièce dite tragique dont le dénouement est heureux serait une tragi-comédie : « Mais ce que nous avons fait sans fondement, est que nous avons ôté le nom de Tragédie aux Pièces de Théâtre dont la Catastrophe est heureuse, encore que le Sujet et les personnages soient Tragiques, c’est-à-dire héroïques, pour leur donner celui de TragiComédies »201. Cependant, à cause d’un certain manque de fondement, d’Aubignac refuse le nom de tragi-comédie : « Or je ne veux pas absolument combattre ce nom [de Tragi-Comédie], mais je prétends qu’il est inutile, puisque celui de Tragédie ne signifie pas moins les Poèmes qui finissent par la joie quand on y décrit les fortunes des personnes illustres »202. Ainsi, le terme tragi-comédie ne serait pas nécessaire ; l’on pourrait donc parler de tragédies à fin heureuse. En effet, même Aristote théorisait la possibilité de l’heureux dans le dénouement de la tragédie : Toute tragédie se compose d’un nouement et d’un dénouement ; le nouement comprend les évènements extérieurs à l’histoire et souvent une partie des évènements intérieurs. J’appelle nouement ce qui va du début jusqu'à la partie qui précède immédiatement le renversement qui conduit au bonheur ou au malheur, dénouement ce qui va du début de ce renversement jusqu’à la fin203. La tragi-comédie serait-elle simplement une tragédie à fin heureuse ? Au XVIIe siècle les théoriciens semblent tenter de définir le terme sans vouloir inciter de débat. De ce fait, ils rapprochent les deux termes204. Dans la préface de La Silvanire (1631) Mairet définit la tragi-comédie dans son chapitre intitulé « De la Tragedie, Comedie, & Tragicomedie » : Le Poeme Dramatique se divise ordinairement en Tragedie & Comedie. Tragedie n’est autre chose que la representation d’une avanture heroïque dans la misere […]. La Comedie est une representation d’une fortune privée sans aucun danger de la vie. […] De la definition de la Tragedie & de la Comedie on peut aisément tirer celle de la Tragi-Comedie, qui n’est qu’une composition de l’une & de l’autre 205. 201 D’Aubignac, 218. Ibid, 218-219. 203 Aristote, 97. 204 « Le plus souvent au XVIIe siècle, on appelle tragi-comédie toute tragédie qui emprunte à la comédie son dénouement heureux. Cela ne veut pas dire que la tragi-comédie ne connaisse pas le « péril » cher à Corneille. Les personnages y sont généralement en danger de mort, comme dans la tragédie, mais ils y échappent et la pièce finit sans effusion de sang ». Bray, 1931, 329. 205 Jean Mairet. La Silvanire, ou La morte-vive, du Sr Mairet, tragi-comédie pastorale... avec les figures de Michel Lasne. Paris, F. Targa 1631. 202 69 C’est une définition simple qui insiste sur la nature composée du genre. Mairet continue en définissant le genre tragique et le genre comique. En soulignant les différences entre les deux genres, Mairet nous donne un aperçu sur le grand nombre de définitions possibles de la tragicomédie. Ce grand nombre de définitions possibles est reflété dans la théorie de Bray : « [d]énouement heureux, sujet romanesque, personnages de conditions diverses, mélanges des tons, voilà ce qui distingue essentiellement la tragi-comédie, voilà les divers caractères qu’elle présente le plus souvent, soit réunis, soit séparés. On ne lui a jamais assigné d’autres règles »206. Pavis insiste sur la dualité du genre : Pièce qui participe à la fois de la tragédie et de la comédie. Le terme (tragicomoedia) est employé pour la première fois par PLAUTE dans le prologue d’Amphytrion. Dans l’histoire théâtrale, la tragi-comédie se définit par les trois critères du tragi-comique (personnages, action, style). La tragicomédie se développe réellement à partir de la Renaissance (Italie, France, Angleterre). Elle désigne, à l’époque classique toute tragédie qui finit bien (CORNEILLE nomme ainsi Le Cid) […]207. Pour comprendre la tragi-comédie il faut aussi comprendre le tragi-comique, genre littéraire composé de trois critères essentiels : A. Les personnages appartiennent aux couches populaires et aristocratiques, effaçant ainsi la frontière entre comédie et tragédie. B. L’action, sérieuse voire dramatique, ne débouche pas sur une catastrophe et le héros n’y périt pas. C. Le style connaît « des hauts et des bas » : langage relevé et emphatique de la tragédie et niveaux de langue quotidienne ou vulgaire208. Dans le cadre du classicisme français, la comédie s’oppose à la tragédie en ce qui concerne la mise en scène de personnages non aristocratiques dans des situations quotidiennes qui finissent bien. La tragi-comédie veut imiter la nature, se veut naturaliste, mais elle puise ses sujets de la littérature de fiction, le poème héroïque, le roman et la nouvelle. Mais il faut se souvenir que la tragi-comédie veut représenter les conditions de vie de l’homme qui sont multiples et variées, 206 Bray, 1931, 330. Pavis, 425. Les caractères gras sont de nous. 208 Pavis, 425-426. 207 70 peu importe l’irréalité du sujet : « […] le spectateur ne trouvera son plaisir à la représentation d’une histoire imaginaire qui si elle est déroulée dans le cadre d’une esthétique irrégulière : il s’agit avant tout de raconter une histoire d’hommes à qui on fait arriver tout ce qui peut arriver aux hommes »209. C’est une opposition nette à la tragédie régulière qui trouve presque toujours ses sujets dans l’histoire et qui met en scène seulement certains hommes de haute condition. De plus, basée sur la variation et l’irrégularité, une tragi-comédie régulière serait une contradiction et donc impossible210. En dépit du fait que le terme tragi-comédie est puisé d’une citation de Plaute, le genre est toujours illégitime, car la garantie d’Aristote et des Anciens semble toujours être nécessaire. Genre à la mode, la tragi-comédie connaît un effacement progressif à partir de 1640, seulement quelques années après son apogée : Très vite, ces caractères discriminants vont s’effondrer, les critères disparaitre et les frontières devenir floues. Car la décennie 1630-1640 voit, en même temps que l’âge d’or de la tragi-comédie, la renaissance des deux autres grands genres. Alors que de 1628 à 1634, cinquante tragi-comédies avaient été publiées, seulement seize comédies et dix tragédies avaient paru. […] [D]e 1635-1640, quarante-sept tragédies et vingt-deux comédies sont représentées211. Nous notons que Le Cid (1637) tombe dans cette deuxième fourchette temporelle, celle où les dramaturges retournent aux genres anciens mais avec une source espagnole et non pas classique. Le climat théâtral de 1628 à 1640 Pour comprendre l’évolution du Cid, « débaptisé » de tragi-comédie en tragédie en 1648, il faut comprendre le climat théâtral qui précède la pièce de Corneille. De 1628 à 1640, un débat théâtral entraîne la mise en valeur d’un genre moderne : la tragi-comédie212. Ce débat est fondé 209 Georges Forestier. « Le conflit tragédie/tragi-comédie dans les années 1625-1640 et son enjeu en termes de représentation du monde » [dans] Représentations et figurations baroques : Actes du colloque d’Oslo Norvège 1317 septembre 1995. Textes réunis par Karin Gundersen et Solveig Schult Ulriksen. Oslo : The Research Council of Norway 1997, 232. 210 Ibid, 233. 211 Hélène Baby. La tragi-comédie de Corneille à Quinault. Paris : Klincksieck, 2001 : 65-66. 212 Voir les articles de Forestier : « De la modernité anticlassique au classicisme moderne. Le modèle théâtral (16281640) » et « Les enjeux du débat théorique tragi-comédie/tragédie en France autour de 1630 ». 71 sur les notions du plaisir et de la vraisemblance et le rapport à l’Antiquité ; c’est-à-dire aux règles soit tyranniques, soit raisonnables. Cette dispute voyait l’opposition de deux camps : les « réguliers », partisans d’un théâtre dont le but ultime était l’instruction morale, réglée un peu étonnamment par l’unité de jour, et les « irréguliers »213, partisans de la tragi-comédie dont la fin était le plaisir du spectateur et non l’observation stricte des règles. Les débats portaient donc premièrement sur la règle des vingt-quatre heures et deuxièmement sur les unités d’action et de lieu. Le fait de respecter l’unité de temps incite une certaine imitation contrainte parce que l’étendue de l’action est non seulement restreinte mais le nombre d’événements possibles est aussi réduit. Les réguliers Selon Chapelain, chef de file des réguliers, ce qui compte c’est de faire croire au spectateur que ce qu’il voit est vrai : « Je pose donc pour fondement que l’imitation en tous poèmes doit être si parfaite qu’il ne paraisse aucune différence entre la chose imitée et celle qui imite […] »214. Ainsi tout doit être soumis rigoureusement à la vraisemblance, et une des grandes règles de la vraisemblance est l’unité de jour215. Pour que le sujet soit vraisemblable, il faut parfois sacrifier la vérité, ce qui nous semble contradictoire. Nous notons donc l’opposition de l’imitation parfaite de Chapelain et l’imitation totale des irréguliers. Selon Chapelain, le spectateur doit prendre l’action théâtrale pour une vérité, c’est-à-dire oublier qu’il est au théâtre, idée complètement indépendante du fait que l’action représentée soit ou non une représentation d’une véritable histoire. Il ne faut donc pas s’intéresser à savoir si l’action est vraie ou non, il faut tout simplement qu’elle paraisse vraie. Ainsi, le dramaturge doit corriger le vrai pour qu’il puisse devenir vraisemblable. La condamnation du Cid est un exemple de cette contradiction 213 Les termes « réguliers » et « irréguliers » sont de Forestier. Jean Chapelain, Lettre sur la règle des vingt-quatre heures [1630] [dans] Jean Chapelain, Opuscules critiques, Alfred Hunter (éd.), Paris, Droz, 1936, 115. 215 « […] j’estime que les anciens qui se sont astreints à la règle des vingt-quatre heures ont cru que s’ils portaient le cours de leur représentation au-delà du jour naturel ils rendraient leur ouvrage non vraisemblable au respect de ceux qui le regardaient lesquels […] s’apercevraient par là, de sa fausseté et ne lui pourraient plus ajouter de foi ni de créance, sur quoi se fonde tout le fruit que la poésie pût produire en nous ». Chapelain, Lettre sur la règle des vingtquatre heures, 116-117. 214 72 entre vraisemblance et vérité. Voici un résumé de la prise de position des réguliers et des irréguliers de Forestier : D’un côté, donc, le but de l’art est d’imiter le monde, dans tous ses états. C’est de la qualité de l’imitation – entendue au sens de rapport entre l’histoire et l’action – que le spectateur puisera un sentiment de vraisemblance dans l’objet représenté (vraisemblance du représenté). D’un autre côté, le but de l’art est de produire un artefact qui procure l’illusion d’une imitation parfaite, et cette illusion a besoin pour se réaliser de reposer sur une obéissance rigoureuse aux principes de la vraisemblance (vraisemblance dans la représentation)216. Si la vraisemblance est préférable à la vérité, dans le cas du Cid il aurait fallu changer l’histoire. C’est ainsi que l’Académie française peut condamner la pièce de Corneille. Le débat qui entoure l’unité de temps mène à d’autres questions concernant le but du théâtre : instruire ou plaire. En particulier, les réguliers sont partisans de l’instruction, de la pédagogie, tandis que les irréguliers veulent plaire avant tout. Jean de Mairet serait aussi un des réguliers, mais en composant une tragi-comédie « régulière », il serait aussi peut-être le plus régulier des irréguliers. Les irréguliers Dans la préface de Tyr et Sidon (1628) de Jean de Schélandre, François Ogier identifie deux défauts issus de la contrainte de l’unité de temps : une grande quantité d’« accidens » qui ont lieu dans le même jour, ce qui serait à l’encontre de la vraisemblance, et la nécessite de long récits pour pouvoir inclure tous les évènements. De ce fait, le refus de l’unité de jour éviterait ces défauts. De plus, selon Ogier et les autres irréguliers, le théâtre devrait représenter toutes les conditions de l’homme : Car de dire qu’il est mal seant de faire paroistre en une mesme pièce les mesmes personnes traittant tantost d’affaires serieuses, importantes et Tragiques, et incontinent apres de choses communes, vaines, et Comiques, c’est ignorer la condition de la vie des hommes, de qui les jours et les heures sont bien souvent entrecoupées de ris et de larmes, de contentement et d’affliction, selon qu’ils sont agitez de la bonne ou de la mauvaise fortune217. 216 Forestier « Les enjeux du débat théorique tragi-comédie/tragédie » 1997, 231. François Ogier, Préface au lecteur [dans] Jean de Schélandre, Tyr et Sidon, Joseph W. Barker éd : Paris, Nizet, 1974 : 159. 217 73 Par conséquent, la tragi-comédie serait donc le genre le plus vraisemblable, car elle représenterait tout homme dans une variété de situations, imitatrice des conditions de vie réelles. Il s’agit de la fidélité de l’imitation : une vraie imitation sans restrictions serait donc plus vraisemblable. Si le théâtre doit pouvoir tout représenter, la tragi-comédie devient un genre non seulement utile mais indispensable. Nous connaissons le Discours à Cliton ou Traité de la disposition du Poème Dramatique et de la prétendue Règle de vingt-quatre heures comme écrit polémique qui date de la querelle du Cid, mais le texte est en effet écrit vers 1631-1632, cinq ou six ans plus tôt que la querelle, en réponse directe à Chapelain. Selon l’auteur anonyme du texte, les limites imposées par les règles du théâtre classique nuiraient à la vraisemblance : Par l’unité d’action, ils n’accommodent le Theatre qu’a une sorte d’histoires, au lieu d’accomoder toutes sortes d’histoires au Theatre, par l’espace de vingt-quatre heures ils restraignent la puissance de l’imagination & de la memoire, au lieu de l’estendre & font les auditeurs d’un petit Esprit & par la Scene qu’ils assignent en un seul lieu, ils ostent tous les cas fortuits qui sont en la nature & imposent une necessité aux choses, de se rencontrer icy ou la, en quoy ils detruisent la vray-semblance regle fondamentale de la Poësie 218. La règle des trois unités et la règle de la vraisemblance seraient donc incompatibles. Un auteur ne pourrait pas satisfaire à la vraisemblance, règle fondamentale, en suivant les règles d’action, de temps et de lieu à la lettre. Dans le contexte des participants de la querelle du Cid, Pierre Corneille et Jean-Louis Guez de Balzac se rangent du côté des irréguliers. Georges de Scudéry, membre de l’équipe des irréguliers finit pas se convertir en régulier. Dans le même ordre d’idées, dans la préface de la Généreuse allemande, texte qui se veut réflexion personnelle et non discours théorique, Mareschal affirme transposer une vraie histoire sous des noms fictifs sans se soucier des règles dites sévères : « [c]’était affirmer que les règles ont pour conséquence de déformer la vérité, ou du moins, d’en supprimer les plus beaux effets. Le refus des règles, que certains considéreront comme une faute, est une faute qu[e Mareschal] “trouve raisonnable” »219. De ce fait, les irréguliers arrivent à la conclusion suivante : « [c]’est 218 Discours à Cliton ou Traité de la disposition du Poème Dramatique et de la prétendue Règle de vingt-quatre heures 40-41. 219 Forestier « Les enjeux du débat théorique tragi-comédie/tragédie » 1997 : 226. 74 l’imitation de la vérité qui compte, et non l’obéissance servile à la pratique des anciens, d’autant plus que bien souvent les tragédies antiques n’ont rien de vraisemblable […] »220. Les Anciens auraient-ils commis de graves erreurs ? Auraient-ils mieux fait de refuser les règles ? Le Cid : tragi-comédie ou tragédie ? Questions de « débaptême » En 1628, Jean de Schélandre221 réécrit sa tragédie de Tyr et Sidon en tragi-comédie. Ce courant s’inverse quand Corneille « débaptise » Le Cid (1637) en 1648 et Clitandre (1630) en 1660222. Est-ce une question de mode ? Dès 1635, lors de l’écriture de Médée la tragédie serait de retour. La tragi-comédie n’est-elle plus à la mode en 1637 ? C’est peut-être le cas, mais, comme nous le verrons plus tard, Corneille n’est pas le seul à continuer à composer des tragicomédies. Même les critiques modernes semblent hésiter entre les deux termes. Dans son édition de 1971 du Théâtre complet de Corneille, Georges Couton fait publier Le Cid avec le sous-titre « tragédie ». Dans son édition de 1980 des Œuvres Complètes, le même critique utilise le soustitre tragi-comédie. Dans le même ordre d’idées, en 1971 Couton fait publier Clitandre avec le sous-titre « tragédie ». Pourtant, en 1980, nous retrouvons « Clitandre ou l’Innocence délivrée, tragi-comédie ». Couton nous explique que « l’Innocence délivrée » est ajoutée en 1644 et que la pièce apparaît de manière remaniée en 1660. En ce qui concerne Le Cid, la pièce est réimprimée sans changement jusqu’en 1648 : C’est alors que Corneille donna ce que nous appellerions volontiers son édition “savante” du Cid, qui mérite grande attention. D’abord le sous-titre est modifié : la pièce s’appelle désormais “tragédie” et non plus “tragicomédie”. La modification s’explique : le genre de la tragi-comédie passait de mode. Elle a néanmoins causé des méprises assez regrettables, amené notamment des critiques à saluer hâtivement le Cid comme la 220 Ibid, 226. Poète et dramaturge français du début du XVIIe siècle. Il écrivit surtout des pièces lyriques et des poèmes épiques. 222 Baby, 2001, 35. 221 75 première des tragédies du XVIIe siècle ; le Cid est quelque chose de plus rare : la seule tragi-comédie qui se soit maintenue au répertoire223. Pourquoi ce débaptême ? Question de mode ? Peut-être. Corneille a certainement dû croire que sa pièce était une tragi-comédie en 1637 lors de sa publication. Lors de la querelle du Cid, la pièce est critiquée en tant que telle224. Cependant, selon les détracteurs, Corneille n’a pas su choisir entre la comédie et la tragédie. Est-ce que cette critique d’ordre dramatique a influencé Corneille en 1648 ? La seule chose que nous savons sans aucun doute est que Corneille appelle la pièce « tragédie » dans son examen de 1660. Certes Le Cid est tragique car l’amour n’est pas au premier rang. Corneille donne plus d’importance au grand péril qu’à l’amour (l’intrigue d’amour est un caractère important de la comédie). Pouvons-nous parler de fin heureuse ? Ou s’agit-il de fin presque heureuse, puisque le bonheur promis et espéré ne s’accomplit pas dans la pièce. Certainement, le dénouement de la pièce n’est pas tragique. De plus, les éléments de l’inventio225 se divisent en deux catégories : ceux du poème simple, les conflits intérieurs, et ceux du poème composé, les accidents226. Selon Hélène Baby, critique française, la conscience souffrante des personnages de Corneille rapprocherait Le Cid du genre tragique : C’est précisément le scrupule héroïque des personnages cornéliens qui empêche Le Cid d’être une tragicomédie, et donc, d’avoir été défendue comme telle. Voilà pourquoi le même Scudéry condamne Le Cid, et fait jouer, à la fin de l’année 1636, la très romanesque tragi-comédie de L’Amant libéral. Car cette dernière pièce, n’ayant aucune ambition psychologique, ne glisse pas vers le poème simple, mais demeure sagement (ou follement) dans l’esthétique du poème composé227. Ainsi, Scudéry peut condamner la tragi-comédie de Corneille et faire jouer sa propre tragicomédie, qui ne se rapprocherait donc pas du genre tragique. On peut se demander si Le Cid est une tragi-comédie trop tragique pour Scudéry. 223 Georges Couton [dans] Pierre Corneille. Théâtre complet de Corneille. Éd Georges Couton. Paris, Garnier, 1971 : 702. Note de Couton dans la notice du Cid. 224 Nous donnons ici, entre bien d’autres, l’exemple le plus célèbre : Les Sentiments de l’Académie françoise sur la tragi-comédie du Cid. Nous ajoutons les caractères gras. 225 Expression qui désigne, en termes simples, le choix du sujet. 226 Baby, 2001, 83. 227 Baby, 2001, 85. 76 L’Amant libéral (1636) n’est pas la seule tragi-comédie de Scudéry. Nous notons : Lydamon et Lydias (1631) ; Le Prince déguisé (1635) ; Orante (1635) ; L’amour tyrannique (1638) ; Eudoxe (1639) ; Andromire (1641) et Ibrahim ou l’illustre Bassa228 (1642), toutes tragicomédies, certaines mêmes écrites après la querelle du Cid. Scudéry participe-t-il simplement à une tendance littéraire ou veut-il créer un certain modèle « régulier » de la tragi-comédie ? De surcroît, Scudéry n’est pas le seul des querelleux à écrire des tragi-comédies. Membre de l’Académie française et favori de Richelieu, Boisrobert en écrit plusieurs229. Mairet va encore plus loin, en écrivant non seulement des tragi-comédies230, mais en combinant plusieurs termes pour désigner ses œuvres. Par conséquent, La Sylvie (1628) et La Silvanire (1631) sont des tragicomédies pastorales et La Sidonie (1637) est une tragi-comédie héroïque. Ces nouvelles appellations démontrent clairement la fluidité du genre composé. Sans aucun doute, ces trois dramaturges ne peuvent pas nier l’existence d’un troisième genre théâtral. En ce qui concerne la querelle du Cid, les défenseurs de Corneille n’avaient aucune référence tragi-comique pour appuyer leur argumentation. Cette justification de genre aurait-elle entraîné un débat trop difficile de définition de la tragi-comédie ? Quoi qu’il en soit, la pièce finit par être jugée en tant que telle, mais elle est tenue aux mêmes standards que la tragédie. Ainsi, les règles du théâtre classique devraient s’appliquer aux autres genres théâtraux, selon les querelleux. Si les défenseurs n’ont aucun véritable modèle, les détracteurs se retrouvent dans la même position : ils doivent pouvoir appliquer les règles du théâtre classique à la tragi-comédie. Ce rapprochement entre la tragédie et la tragi-comédie, ainsi que le rapprochement des notions du tragique et du comique, réalisé par la tragi-comédie elle-même menacent l’existence du genre composé. La tragi-comédie n’a que deux principales raisons qui justifient son existence : irrégularité et dénouement heureux. La tragi-comédie est irrégulière par définition, mais les critiques tentent de la rendre de plus en plus régulière. Si nous pouvons avoir une tragédie à fin heureuse, pourquoi avoir une tragi-comédie ? Il s’agirait d’un genre sans pertinence. 228 La pièce de théâtre est tirée d’un roman de Georges Scudéry qui porte le même nom et qui date de 1641. Dont : Pyrandre et Lisimène ou l’Heureuse tromperie (1633), Les Rivaux amis (1639), La Belle Palène (1642), Le Couronnement de Darie (1642) et Cassandre, comtesse de Barcelone (1654). 230 Dont : Chryséide et Arimand (1625), La Virginie (1632), L'Athenaïs, ou la Fille sage, docte et vertueuse (1636), L'Illustre Corsaire (1637) et Le Roland furieux (1638). 229 77 Imitation parfaite, vraisemblance absolue et Le Cid de Corneille Imitation parfaite ou vraisemblance absolue ? Le paradoxe classique est encore soulevé lors de la querelle du Cid : « […] Le Cid prétend être l’imitation d’une histoire vraie, mais, péchant contre les règles de la vraisemblance, il pèche contre les règles de la Nature et, partant, il n’est pas une parfaite imitation de la réalité […] »231. Certainement la pièce n’est pas une parfaite imitation de la réalité mais elle est une imitation absolue, une imitation d’une histoire vraie. L’histoire vraie n’est-elle donc pas vraisemblable ? Selon Forestier, il faut convaincre le spectateur de la vérité de la pièce, en lui faisant oublier qu’il est au théâtre. Par conséquent, l’action doit être vraisemblable, peu importe si l’action représentée est une transposition d’une histoire véritable232. Il est donc question d’imitation parfaite : corriger le vrai du représenté par le moyen de la vraisemblance absolue pour que la présentation ait l’illusion absolue du vrai. Ce n’est pas ce que fait Corneille. Face à ce paradoxe d’« imitation parfaite de l’ensemble de la représentation grâce à la vraisemblance absolue », Corneille finit par concéder un des deux principes : « imitation parfaite du détail sans référence à la vraisemblance »233. Corneille réussit donc sans la vraisemblance, ce qui va à l’encontre du travail de Chapelain. Comment cela est-il possible ? Ces détails ne devraient pas pouvoir exister sans vraisemblance. Voici ce qui incite les attaques de Chapelain. La comédie héroïque : tragi-comédie réinventée ? La comédie héroïque remplace-t-elle simplement la tragi-comédie ? En ce qui concerne Corneille, il nous semble que la réponse est non. Corneille a écrit trois comédies héroïques : Don Sanche (1650), Tite et Bérénice (1671) et Pulchérie (1673). Comme nous le savons, deux tragicomédies de Corneille deviennent tragédies : Le Cid est débaptisé en 1648 et Clitandre en 1660. 231 Georges Forestier. « Imitation parfaite et vraisemblance absolue. Réflexions sur un paradoxe classique ». Poétique, 82, 1990 : 191. 232 Ibid, 193. 233 Ibid, 200. 78 Si le terme « comédie héroïque » remplace le terme démodé « tragi-comédie », pourquoi ne pas désigner ces deux pièces comme des comédies héroïques ? Pourquoi appeler les deux pièces tragédies ? Ce nouveau nom désignerait donc un nouveau genre : En 1650, Corneille ne pouvait cautionner, même sous un nouveau nom, un genre déclinant dont la dramaturgie célèbre des principes esthétiques devenus obsolètes, découlant d’une mimesis relative dans laquelle les conditions de la représentation des actions n’imitent pas les conditions des actions représentées. On voit que Corneille, bien loin de renouveler la tragi-comédie, la condamne définitivement […]. Si l’on admet donc, à la rigueur, qu’un effet de mode puisse expliquer la désuétude de la tragi-comédie, cette désaffection concerne l’esthétique tragi-comique et pas seulement son nom234. La comédie héroïque ne reçoit pas son nom à cause de la qualité des personnages qu’elle met en scène mais à cause d’une certaine définition de l’action comique. Corneille nous explique que c’est le cas dans sa comédie héroïque Don Sanche d’Aragon : « J’ajoute à celle-ci l’épithète de héroïque, pour satisfaire aucunement à la dignité de ses personnages […] »235. À l’inverse, selon Couton, Don Sanche d’Aragon ne pourrait pas être une comédie à cause des personnages, mais le sujet de la pièce l’exclut du genre tragique. C’est pourquoi Corneille choisit de baptiser la pièce « comédie héroïque »236. De plus, Couton affirme que le terme « tragi-comédie » s’appliquerait parfaitement à la pièce237. Ainsi le débat « comédie héroïque » versus « tragi-comédie » se repose sur l’interprétation de Corneille. Ici, nous donnons gain de cause à Baby. Voici une définition moderne de la comédie héroïque : Genre intermédiaire entre la tragédie – en ce qu’elle met aux prises des personnages de haut rang, et la comédie – en ce que la pièce a un déroulement heureux et n’excite ni la pitié ni la crainte. “Lorsqu’on met sur la scène une simple intrigue d’amour entre des rois, et qu’ils ne courent aucun péril, ni de leur vie, ni de leur État, je ne crois pas que les personnages soient illustres, l’action le soit assez pour s’élever jusqu’à la 234 Hélène Baby. « Réflexions sur la comédie héroïque de Corneille à Molière ». Littératures Classiques, 27, 1996, 28. 235 Pierre Corneille « Lettre à Monsieur de Zuylichem » [dans] Pierre Corneille. Œuvres complètes, Tome II, 1984, 553. 236 « Il est d’un âge qui pense par catégories : or la dignité des personnages exclut Don Sanche d’Aragon de la catégorie comédie ; la nature du sujet rend impossible le sous-titre de tragédie. Il propose donc “comédie héroïque” […] » Georges Couton dans Corneille, Œuvres complètes, Tome II, 1980, 1429. 237 « C’eût été un néologisme. Mais « tragi-comédie » conviendrait parfaitement ; seulement l’appellation était démodée » Georges Couton dans Corneille, Œuvres complètes, Tome II, 1980, 1429. 79 tragédie.” (CORNEILLE, Discours du poème dramatique. 1660.) La comédie héroïque, importée d’Espagne (LOPE DE VEGA) par ROTROU et CORNEILLE, devient un genre avec Don Sanche d’Aragon (1650)238. Voici une des grandes différences entre la comédie héroïque et la tragi-comédie : tandis que les personnages de la comédie héroïque ne « courent aucun péril », le péril demeure élément central de la tragi-comédie, mais les personnages finissent par y échapper. De plus, la régularité du genre permettrait de différencier entre la tragi-comédie et la comédie héroïque : « [d]ire que la comédie héroïque est une tragi-comédie régulière, c’est bien dire qu’elle n’est pas tragi-comique. La différence d’appellation renvoie à deux esthétiques distinctes »239. Nous soutenons la thèse de Baby : la tragi-comédie et la comédie héroïque sont deux genres distincts. La comédie soumise aux notions tragiques La tragédie est simplement définie en tant que « pièce représentant une action humaine funeste souvent terminée par la mort »240. Au XVIIe siècle, la définition de la tragédie est toujours basée sur La Poétique d’Aristote241. Autre grand genre dramatique, la comédie242 se définit souvent par rapport à la tragédie. Les théories des Anciens, comme celles d’Aristote, s’appliquent à la tragédie mais on peut extrapoler certaines notions sur la tragédie pour les appliquer à la comédie. En particulier, Corneille souligne cette possibilité : Je dis au poème dramatique en général, bien qu’en traitant cette matière il [Aristote] ne parle que de la tragédie ; parce que tout ce qu’il en dit convient aussi à la comédie et que la différence de ces deux espèces de poèmes ne consiste qu’en la dignité des personnages et des actions qu’ils imitent, et non pas en la façon de les imiter, ni aux choses qui servent à cette imitation243. 238 Pavis, 71. Les caractères gras sont de nous. Baby, 1996, 27-28. 240 Pavis, 424. 241 « La tragédie est la représentation d’une action noble, menée jusqu'à son terme et ayant une certaine étendue, au moyen d’un langage relevé d’assaisonnements d’espèces variées, utilisées séparément selon les parties de l’œuvre ; la représentation est mise en œuvre par les personnages du drame et n’a pas de recours à la narration ; et en représentant la pitié et la frayeur, elle réalise une épuration de ce genre d’émotions » Aristote, 53. 242 « Pièce comique : C’est-à-dire qui cherche à faire rire ou sourire. Pour le classicisme français, la comédie par opposition à la tragédie et au drame (XVIIIe siècle), montre des personnages d’un milieu non aristocratique dans des situations quotidiennes qui finissent toujours par se tirer d’affaire. » Pavis, 70. 243 Corneille, Discours de la tragédie, Tome III, 122-123. 239 80 Malgré le fait qu’Aristote promette de parler de la comédie, il ne le fera peut-être jamais244. Tandis que certains passages245 d’Aristote insinuent un certain rapprochement théorique entre la tragédie et la comédie, rien n’est définitif. Selon Corneille, il est question d’accommoder les théories d’Aristote et non de les rejeter ou de les suivre à la lettre246. Tout comme pour Molière, le but de Corneille est de plaire, selon les règles si possible : Ainsi ce que j’ai avancé dès l’entrée de ce Discours, que la poésie dramatique a pour but le seul plaisir des spectateurs, n’est pas pour l’emporter opiniâtrement sur ceux qui pensent ennoblir l’art, en lui donnant pour objet, de profiter aussi bien que de plaire. Cette dispute même serait très-inutile, puisqu’il est impossible de plaire selon les règles, qu’il ne s’y rencontre beaucoup d’utilité247. S’il faut choisir entre le respect des règles et le divertissement du spectateur, le plaisir semble souvent l’emporter. Dans le même ordre d’idées, Corneille ne voit pas la distinction des genres d’une manière aussi rigide. Selon lui, les rois peuvent entrer dans la comédie s’ils ne courent aucun péril et qu’ils font partie de l’intrigue d’amour. La grande distinction entre les deux genres ne serait pas au niveau des personnages, mais au niveau de l’action : La comédie diffère donc en cela de la tragédie, que celle-ci veut pour son sujet, une action illustre, extraordinaire, sérieuse ; celle-là s’arrête à une action commune et enjouée : celle-ci demande de grands périls pour ses héros, celle-là se contente de l’inquiétude et des déplaisirs de ceux à qui elle donne le premier rang parmi ses acteurs248. Le péril serait donc propre à la tragédie, permettant de distinguer entre la tragi-comédie (qui se rapprocherait de la tragédie dont elle emprunte l’action), la tragédie à fin heureuse (qui emploie 244 « Nous parlerons plus tard de l'art de représenter en hexamètres et de la comédie. Traitons maintenant de la tragédie, après avoir isolé la définition de son essence telle qu’elle découle de ce que nous avons dit. » Aristote, 53. Un deuxième tome, traitant de la comédie, n’existe pas de nos jours. Certains le croient perdu. Selon Dupont-Roc et Lallot dans l’introduction de la version citée de la Poétique (pages 16-17), l’hypothèse serait plausible, mais rien ne permet de l’affirmer. 245 « Quoi qu’il en soit, elle est née, au début, de l’improvisation (la tragédie elle-même et tout aussi bien la comédie : l’une vient de ceux qui conduisaient le dithyrambe, l’autre de ceux qui conduisaient les chants phalliques qui sont encore en usage aujourd’hui dans nombre de cités) […] » Aristote, 45. 246 « Je tâche de suivre toujours le sentiment d’Aristote dans les matières qu’il a traitées ; et comme peut-être je l’entends à ma mode, je ne suis point jaloux qu’un autre l’entende à la sienne. Le commentaire dont je m’y sers le plus est l’expérience du théâtre et les réflexions sur ce que j’ai vu plaire ou déplaire » Corneille, Discours de la tragédie, Tome III, 141. 247 Corneille, Discours du poème dramatique, Tome III, 119. Les caractères italiques sont de Corneille mais les caractères gras sont de nous. 248 Ibid, 125. 81 le dénouement heureux de la comédie) et la comédie héroïque (plutôt comédie que tragédie). Ainsi, ni la tragédie à fin heureuse, ni la comédie héroïque ne se rapprochent assez du genre tragique pour être désignées en tant que tragi-comédies. Il est intéressant de noter que Corneille distingue entre un dénouement heureux et le mariage en insistant que le mariage n’est nécessaire ni pour la tragédie heureuse ni pour la comédie249. De la lettre à un certain Monsieur de Zuylichem qui accompagne Don Sanche, nous apprenons que c’est l’action qui permet de distinguer entre le genre tragique et le genre comique : (…) après avoir lu dans Aristote que la tragédie est une imitation des actions et non pas des hommes, je pense avoir quelque droit de dire la même chose de la comédie, et de prendre pour maxime, que c’est par la seule considération des actions, sans aucun égard aux personnages, qu’on doit déterminer de quelle espèce est un poème dramatique250. Comme toujours, Corneille s’appuie sur une interprétation, qui lui appartient, sur les théories d’Aristote. Dans l’Êpitre de La Suivante (1634), Corneille justifie la pratique de rejeter l’unité de lieu pour garantir le plaisir du spectateur : Ce n’est pas que je me sois assujetti depuis aux mêmes rigueurs : j’aime à suivre les règles, mais loin de me rendre leur esclave, je les élargis et resserre selon le besoin qu’en a mon sujet, et je romps même sans scrupule celle qui regarde la durée de l’action, quand sa sévérité me semble absolument incompatible avec les beautés des évènements que je décris. Savoir les règles et entendre le secret de les apprivoiser adroitement avec notre Théâtre, ce sont deux sciences bien différentes, et peut-être que pour faire maintenant réussir une pièce, ce n’est pas assez d’avoir étudié dans les livres d’Aristote et d’Horace 251. De ce fait, les dramaturges ne seraient pas soumis aux règles, les règles seraient soumises aux dramaturges. Molière et le développement du genre comique 249 « Je connais des gens d’esprit, et des plus savants en l’art poétique, qui m’imputent d’avoir négligé d’achever Le Cid, et quelques autres de mes poèmes, parce que je n’y conclus pas précisément le mariage des premiers acteurs, et que je ne les envoie point marier au sortir du théâtre. À quoi il est aisé de répondre, que le mariage n’est point un achèvement nécessaire pour la tragédie heureuse, ni même pour la comédie ». Corneille, Discours du poème dramatique, Tome III, 126. 250 Pierre Corneille « Lettre à Monsieur de Zuylichem » [dans] Pierre Corneille. Œuvres complètes, Tome II, 1984, 551. 251 Pierre Corneille, Êpitre de La Suivante [dans] Pierre Corneille, Œuvres complètes, Tome I, 1980, 387. Les caractères gras sont de nous. 82 Mal vue à cause de son public cible et l’importance qu’elle donne au rire, la comédie a longtemps été à l’arrière-plan face au grand genre dramatique : la tragédie. Elle était plus libre que la tragédie, genre soumis aux règles et à un rigide modèle ancien. Dans les années 1630, elle est encore marginalisée à cause de la popularité de la tragi-comédie et de la pastorale. De plus, elle imite des modèles historiques sans innover. Elle met en scène des personnages non ridicules et n’arrive pas à saisir le public. Cependant, au XVIIe siècle, nous notons du progrès : Sur le plan dramaturgique, les choses avancent cependant grâce à Corneille et à Scarron. Le premier élabore un langage neuf, stylisé en fonction de la scène comique et propre à accuser la présence des personnages. Le second, quelques années plus tard, confie une place centrale au personnage comique sur lequel il tend à concentrer les effets, il donne à ses œuvres une certaine portée satirique, et joue sur le caractère ludique des répliques vives et serrées252. Ainsi, la scène est mise pour le théâtre de Molière, dramaturge qualifié par Chapelain comme « Nostre Molière, le Térence et le Plaute de nostre siècle […] »253. Pourtant, la comédie demeure inférieure au genre tragique. Le rire est un outil de catharsis, un acte qui permet à l’être humain de s’alléger, de se libérer de toute émotion forte ou réprimée. À travers les siècles, le rire a toujours été inextricablement lié au genre comique. Le rire est l’élément central de la comédie de Molière, ce qui n’était pas toujours le cas dans celle de ses prédécesseurs, où le rire était souvent ornemental. Comme déjà mentionné, au XVIIe siècle, la comédie avait plusieurs fonctions : la première était le divertissement et la deuxième était une fonction critique. La comédie faisait rire du ridicule de la société ou des défauts humains. Ainsi, le rire, incité par la comédie, avait une capacité de libération : la comédie se chargeait de « dégonfler » les prétentions et les bêtises humaines. Autrement dit, la comédie libérait l’homme de ses préjugés et de ses peurs en les rendant ridicules. De surcroît, la comédie s’est donnée un rôle pédagogique ou moralisant : de corriger les mœurs de la société. D’après Molière, la comédie était bonne lorsqu’elle faisait rire les honnêtes gens : « [c]ette capacité de séduire le public par un rire fondé, pour une large part, sur la reconnaissance des valeurs partagées constitue la caractéristique majeure qui distingue le 252 Personnaz, Christine. toutmoliere.net : http://www.toutmoliere.net/comedie.html Jean Chapelain. Lettre à M. Ottavio Ferrari, le 4 juin 1673, Lettre DLXXIV [dans] Lettres de Jean Chapelain (2 vols.) Éd. P. Tamizey de Larroque. Paris : Imprimerie nationale, 1880-1883, II, 820. 253 83 théâtre de Molière de celui de ses contemporains, ainsi que la principale raison de son succès »254. Ainsi, le rire crée une atmosphère qui permet l’adhésion du spectateur et le succès de la pièce. Qui est le spectateur de Molière ? Du parterre aux galeries, tous sont visés par Molière. Comédie ancrée dans la réalité sociale de son époque, son œuvre accommode des destinataires multiples à travers les classes sociales255. Il mélange plusieurs tons comiques pour inciter le rire de tout le monde. Il s’agit du comique moliéresque : une certaine tension entre le comique haut, comique sérieux de la grande comédie, et le comique bas, celui de la farce. En conséquence il peut donner à la cour des spectacles dramatiques convenant aux fêtes royales et ensuite les adapter en ville. En ce qui concerne la comédie de Molière, pouvons-nous parler d’une véritable thèse ? La réponse est probablement non. Avant tout, Molière était comédien et chef de troupe et non écrivain ou théoricien. Le théâtre de Molière est révolutionnaire à cause de l’importance qu’il donne au rire. En effet, cette seule règle, de plaire, est aussi le seul souci de Molière. De ce fait, Molière écrit pour divertir et pour plaire à son spectateur : « dans le temps des règles, le génie de Molière est le génie de la liberté. Ce comédien ne reconnut qu’un seul maître : le public »256. La création théâtrale devient alors pratique : elle accomplit la fonction de divertir. De plus, l’œuvre de Molière répond au goût du XVIIe siècle, celle du grand spectacle. Pour cela, il crée notamment du nouveau quand il lie l’action dramatique à la musique : la comédie-ballet. En outre, Molière crée des formes variées : la farce, la satire sociale, la comédie de caractère et la comédie-ballet. Il crée aussi un modèle de la « grande comédie » avec ses pièces en cinq actes et en vers alexandrins. Avec la progression de L’École des maris à L’École des femmes et à Tartuffe, la régularité classique atteint la grande comédie. Mais, ce sont seulement trois des œuvres de Molière. Molière avait-il un modèle particulier dont il s’inspirait ? Il nous semble que la réponse est non : « […] le système dramatique moliéresque consiste en une synthèse de multiples héritages : des personnages et les thèmes de la farce française, le masque et le jeu de la commedia dell’arte, le réalisme de la comédie enjouée préconisée par Corneille, l’intrigue de la 254 Georges Forestier avec Claude Bourqui [dans] Molière, Œuvres complètes, Tome I, 2010, xli. Alain Viala. Le Théâtre en France. Paris : Presses universitaires de France, 2009, 198. 256 René Bray. Molière, homme de théâtre. Paris : Mercure de France, 1954, 263. 255 84 comédie latine, la complexité et le mouvement de la comédie italienne »257. De ses productions diverses et de son imagination féconde, la comédie de Molière est miroir de la société de son temps. Son théâtre réaliste consiste à peindre les mœurs pour critiquer les excès de l’être humain par le moyen du rire258. Pour ce faire, les comédies de Molière reflètent la culture et l’idéologie de son temps de manières diverses, tantôt fidèles, tantôt parodiques ou ridicules : « [p]ar rapport à celles de ses prédécesseurs et de ses concurrents, les comédies de Molière se singularisent donc par un degré absolument inédit d’intégration des valeurs du public, que celles-ci fussent déclarées, parodiées, ou bafouées par le bourgeois honni »259. De cette manière, Molière développe un certain modèle comique d’instruction morale plus profonde, basée sur des idées contemporaines. Par exemple, il s’interroge sur la grande question féminine, discutée dans les salons. L’amour et le mariage, préoccupations et sujets de conversation, sont reflétés dans le théâtre de Molière. Nous y trouvons les thèmes des sentiments, des mariages arrangés, de la moralité de l’amour et de l’émancipation féminine. Après la chute de la tragi-comédie, les deux grands genres ont vu un certain renouvellement. Mais c’est vraiment grâce à Molière que la comédie devient un genre moins dévalorisé. De son témoignage de la société qui souligne les luttes sociales de son temps, Molière élargit le genre comique avec ses pièces et contribue à faire un grand genre : En élaborant une poétique nouvelle du genre comique, Molière réussit une remarquable synthèse entre deux courants jusque là divergents, sinon contradictoires, de la vulgate comique : le premier, issu de Plaute et enrichi de l’ancienne farce, se caractérise par le seul désir de faire Rire en présentant une image caricaturale du monde ; le second, dans la lignée de Térence et du théâtre humaniste, nourrit la noble et séculaire ambition de la correction des mœurs, grâce à une peinture fidèle de l’homme 260. Ainsi, Chapelain aurait tout dit : Molière serait le Térence et le Plaute du XVIIe siècle. 257 Viala, 200. « Molière ne s’attaque pas à l’homme : il le secoue et le redresse. Pour l’éclairer, pour lui donner une conscience joyeuse de ses faiblesses, morales et sociales, il a choisi, tout uniment, les voies les plus efficaces : celles de la gaîté et de l’amour ». Jean Cazalbou et Denise Sevely. « Molière, précurseur de la comédie sérieuse et du drame bourgeois ». Europe 523-24, 1972, 91. 259 Georges Forestier et Claude Bourqui [dans] Molière, Œuvres complètes, Tome I, 2010, xxx. 260 Christine Personnaz. toutmoliere.net : http://www.toutmoliere.net/comique.html 258 85 Les « comédies » de Molière : évolution du genre comique Pièce sérieuse en cinq actes et en vers Don Garcie de Navarre (1661), comédie, ressemble beaucoup aux tragédies et aux tragi-comédies de l’époque : le ton est élevé, les personnages sont nobles, le sujet est ancré dans l’histoire, le dénouement basé sur un grand bouleversement politique lié à un tyrannicide et de l’importance est donné aux « intérêts publics »261. Cependant, sa structure n’est pas tragique. Elle est répétitive, ce qui ajoute au ridicule, et non pas « […] un enchainement de causes et d’effets menant au dénouement »262. De plus, la pièce se termine par un mariage, tout comme la comédie. Don Garcie de Navarre ne serait donc ni une tragédie ni une simple comédie : « De fait, Don Garcie relève de la “comédie héroïque”, au sens que Corneille avait donné à cette expression dans l’épître dédicatoire de Don Sanche puis dans le Discours de l’utilité et des parties de poème dramatique : des personnages nobles, mais “aucun péril, par qui nous puissions être portes à la pitié ou à la crainte” »263. La Princesse d’Élide (1664) est une comédie héroïque et galante qui est basée sur une Comédie héroïque et galante espagnole de Moreto « Dédain pour dédain » (1652) déplacée dans une province de la Grèce antique et jouée en plein air à Versailles. Elle est une « comédie espagnole à mode pastorale »264, dénomination due à l’usage du chant et de la danse dans la pièce. Dans le même ordre d’idées, Mélicerte est une « comédie pastorale héroïque ». Elle est pastorale en ce qui concerne l’intrigue et les personnages ; le motif souvent répété par Molière des bergers qui aiment des bergères y est présent. Sous-titre probablement choisi par l’éditeur car la pièce est publiée de façon posthume, c’est une pièce hybride : « Qu’elle date du milieu des années 1660 ou de 1672, Mélicerte est, on l’a dit, une parfaite illustration de cette veine galante goûtée à la Cour, et qui s’alimente à des sources romanesques autant que pastorales »265. Les œuvres relevant du théâtre parlé ou du théâtre en musique portaient souvent le nom de 261 Lise Michel [dans] Molière, Œuvres complètes, Tome II, 2010, 1586-1587. Ibid, 1587. 263 Ibid, 1587. 264 Alain Riffaud, Eric Caldicott et Anne Piéjus [dans] Molière, Œuvres complètes, Tome I, 2010, 1396. 265 Alain Riffaud [dans] Molière, Œuvres complètes, Tome II, 2010, 1670. 262 86 « pastorale héroïque » dans les années 1660. Mais la formule « comédie pastorale héroïque » ne désigne que Mélicerte266. Pour rédiger Le Festin de Pierre267 (1665), Molière s’est inspiré de deux tragi-comédies françaises toutes deux intitulées Le Festin de Pierre ou le Fils criminel de Dorimon et du sieur de Villiers268. Appelée comédie, la pièce met en scène un milieu bourgeois, des personnages nobles et des paysans qui ne sont pas toujours ridicules. Ainsi, « […] Dom Juan est chez les prédécesseurs français de Molière une tragi-comédie »269. Certes, la pièce mêle les registres, la farce, le sérieux et même le tragique : « […] Don Juan est une œuvre extraordinaire, unique dans le théâtre de Molière et dans tout notre théâtre classique. Cette tragi-comédie fantastique et bouffonne est une macédoine incroyable de tous les genres ; elle est étrange, elle est bizarre, elle est hybride, elle est obscure endiable »270. Le Festin de Pierre ne respecte certainement pas les règles et son dénouement le rapproche du genre tragi-comique. Molière aurait-il dû appeler sa pièce tragi-comédie ? Le dramaturge et comédien, connu en tant que mauvais tragédien, évite-t-il le tragique à cause de sa réputation ? Avec sa comédie Amphitryon (1668) Molière se tourne pour la première fois vers le théâtre antique. Son travail d’adaptation est exceptionnellement fidèle au modèle tragi-comique de Plaute271. Comment définir le genre de cette pièce ? Selon Forestier et Bourqui elle serait une « comédie à machines », adaptation moliéresque de la tragédie à machines. Selon ces deux derniers, les trois principaux constituants des pièces à machines se retrouveraient dans la pièce, mais traités de manière parodique : 266 Ibid, 1670. Pièce aussi connue sous le nom de Don Juan ou Le Festin de Pierre ou Don Juan. Forestier et Bourqui soutiennent le titre Le Festin de Pierre : « À notre connaissance, Molière n’a jamais écrit de pièce portant le nom de « Don Juan ». La comédie représentée au Palais-Royal du 15 février au 20 mars 1665 était intitulée Le Festin de Pierre. C’est aussi sous ce titre qu’elle fit l’objet d’un privilège d’impression au début du mois de mars […] C’est seulement en octobre 1682, neuf ans après la mort de Molière, quand elle fut imprimée pour la première fois au tome VII des Œuvres de M. de Molière, qu’elle reçut la dénomination – reproduite d’édition en édition jusqu’à nos jours – de Dom Juan ou Le Festin de Pierre » Georges Forestier et Claude Bourqui [dans] Molière, Œuvres complètes, Tome II, 2010, 1619. 268 Christine Personnaz. toutmoliere.net : http://www.toutmoliere.net/notice,405390.html 269 Georges Forestier. « Structure de la comédie française classique ». Littératures Classiques 27, 1996, 253. 270 Jules Lemaître. Impressions de théâtre. 1e sér. Paris : Société française d'impr. et de libr, 1888-1898, 57. 271 Georges Forestier et Claude Bourqui [dans] Molière, Œuvres complètes, Tome I, 2010, 1519. 267 87 […] [L]’ouverture solennelle sur un “Prologue” prononcé par des divinités ou des allégories […] ; l’association dans la même intrigue amoureuse de mortels et de dieux montre ici comment ces derniers cherchent à cocufier les hommes ; le recours à la machinerie pour assurer les apparitions et les envols des divinités est d’emblée présenté sur le mode de la dérision272. De surcroît, la versification de Molière s’approcherait de celle des tragédies à machines comme Andromède et La Conquête de la Toison d’or de Corneille : Molière écrit des vers irréguliers avec des rimes qui ne respectent aucun système de combinaison régulière. Tandis que le sujet de la pièce n’est pas sérieuse (Amphitryon, glorieux général est réduit au statut de cocu), Molière est protégé par la réputation de Plaute. Il est intéressant de noter que Molière joue avec les termes et les genres sans attirer trop de critiques. Les œuvres de Molière exemplifient l’élargissement du genre comique, dont le modèle a dorénavant de nombreuses possibilités qui poussent les anciennes limites. La querelle du Cid et de la querelle de l’École des femmes : controverses continuelles Comme nous l’avons dit, le XVIIe siècle est marqué par plusieurs débats littéraires. Une étude du climat théâtral de 1628-1640, de la querelle du Cid et de la querelle de l’École des femmes souligne le fait que les écrivains et les théoriciens du « Grand siècle » reprennent toujours des débats théâtraux similaires. Les querelles littéraires ne semblent jamais changer : il est toujours question des règles. Même la querelle plus tardive des Anciens et des Modernes continuera dans la même veine. Heureusement pour les dramaturges en question, les polémiques littéraires, en particulier le prétendu manque de respect des règles du théâtre classique, ne semble pas nuire au succès de la pièce. Effectivement, la controverse semble même attirer le public. De plus, les querelles littéraires jouent un certain rôle créatif : elles incitent la création de textes théoriques et littéraires. Dans le cas de polémiques dramatiques, les débats permettent la définition et l’évolution des genres théâtraux. Comme nous le savons, la querelle du Cid est la première grande querelle du XVIIe siècle. La pièce est critiquée sur tous les plans : la bienséance, la vraisemblance et les trois 272 Ibid, 1521. 88 unités. En revanche, la querelle de l’École des femmes, beaucoup moins étendue, est de nature très différente et beaucoup plus personnelle à plusieurs égards. Comme déjà mentionné, en composant sa première grande comédie, Molière s’ouvre à la critique. Ses adversaires l’attaquent surtout avec des pièces de théâtre qui reprennent, en partie, la vraisemblance et la bienséance avant de descendre dans des attaques personnelles violentes. Ces deux querelles, qui durent chacune environ une année, la première à l’aube du classicisme et la deuxième en pleine période classique, marquent le monde littéraire du XVIIe siècle et exemplifient une période dominée par l’ordre et l’absolutisme. Tandis que la querelle du Cid incite l’écriture de textes théoriques, la querelle de l’École des femmes est marquée par la création et, parfois, la mise en scène de pièces de théâtre d’où les règles se dégagent de façon parfois plus implicite. Dans les deux cas, les réponses sont rapides. Malgré le fait que certaines interventions étaient anonymes, plusieurs intervenants ont voulu signer leur nom. Qui étaient les querelleux ? Pour la majorité, ils étaient de grands noms littéraires, en particulier d’autres dramaturges. Certains interviennent plusieurs fois tandis que d’autres n’interviennent qu’une seule fois. De plus, certains semblent plus vouloir se quereller que d’autres. Il est aussi intéressant de noter que la querelle de l’École des femmes compte moins d’intervenants. Signe que L’École des femmes est moins transgressive sur le plan théorique ? Certainement, la pièce de Molière est moins sérieuse que celle de Corneille. Il faut aussi prendre en compte les genres théâtraux en question. Le Cid, en tant que « tragi-comédie », se rapproche du genre tragique, genre pour lequel les règles sont conçues. Que pouvons-nous dire des réponses de nos deux dramaturges ? Sans aucun doute, les pièces de Molière sont à son image, il est avant tout comédien et chef de troupe. Corneille finit par créer une nouvelle pièce mais écrit aussi d’autres textes théoriques plus tard. La querelle du Cid est-elle plus théorique ? Assurément, Corneille se prend beaucoup plus au sérieux que son contemporain Molière. Ce dernier prend-il la querelle un peu à la légère ? C’est peut-être le cas, en particulier car la querelle semble garantir son succès273. 273 « MOLIÈRE : […] Ils critiquent mes pièces, tant mieux, et Dieu me garde d’en faire jamais qui leur plaise, ce serait une mauvaise affaire pour moi » L’Impromptu de Versailles, Tome II, 2010, 840. 89 Auteur ou déclencheur ? Molière invente-t-il la querelle de l’École des femmes ? La majorité des études insistent sur le fait que Molière est victime d’une violente polémique ou qu’il est un créateur qui réussit dans l’adversité. En réalité, d’après Forestier et Bourqui, il exploite toute occasion possible pour attirer l’attention du public. Lors de la première de L’École des femmes, il n’y avait probablement pas beaucoup de critiques. La pièce est surtout bien reçue. La réaction de Molière serait peut-être donc trop vigoureuse ? En outre, lors de la publication de la pièce, le 17 mars 1663, Molière nous dit, dans la préface, qu’il fera une certaine critique de la pièce. La pièce serait-elle déjà en voie de composition ? En tenant compte du fait que l’on ne jouait plus L’École des femmes depuis Pâques, en proposant le 1er juin 1663 un spectacle provocateur intitulé La Critique de l’École des femmes, Molière a choisi de « raviver les braises presque éteintes » de la « fronde » que la pièce avait incitées274. Sans aucun doute, les écrits de Molière ont pour but de solliciter une réponse de la part des querelleux. Comme nous le savons, L’École des femmes est la première grande comédie de Molière. Elle marque la culmination d’une certaine évolution et la naissance d’une comédie plus sérieuse. La querelle est-elle née d’un désir de mettre Molière à sa place ? À l’inverse, Corneille ne semble pas avoir incité la querelle du Cid. Certainement, son Excuse à Ariste est le texte déclencheur de la querelle, mais Corneille affirme l’avoir écrit au moins trois ans avant Le Cid. Il choisit tout de même un moment opportun pour le faire paraître. Selon les détracteurs, le texte de Corneille démontre un excès de fierté ; il faut mettre le dramaturge à sa place. Il faut aussi noter que Corneille n’écrit pas de pièces en réponse aux critiques, il corrige les « fautes » indiquées lors de la querelle. Il semble ne pas vouloir alimenter le feu. Corneille s’étendra longuement sur la querelle plus tard dans son Examen du Cid (1660) et dans ses trois Discours (1660). 274 Claude Bourqui et Georges Forestier. « Comment Molière inventa la querelle de l’École des femmes », Littératures classiques, « Le temps des querelles », 81, 2013, 189. 90 Les relations entre Molière et Corneille Après avoir comparé nos deux dramaturges, leurs œuvres et deux des querelles incitées, que pouvons-nous dire des relations entre Molière et Corneille ? Sans aucun doute nos deux dramaturges se connaissaient, car le monde du spectacle est assez petit : il n’y a qu’un nombre restreint de salles et de troupes théâtrales. Avant tout, il est important de noter que Molière monte plusieurs pièces de Corneille. Comme nous le savons, dès qu’une pièce est publiée, elle entre dans le domaine public, ainsi elle peut être jouée par n’importe quelle troupe. Comme l’explique Forestier : « L’auteur n’était plus le maître du devenir de sa pièce une fois qu’il l’avait publiée ou laissé publier […] »275. De ce fait, il ne fallait pas l’autorisation de l’auteur pour jouer ses pièces. Il est intéressant de noter que Corneille publie toutes ses pièces peu importe leur succès. Certaines sont publiées plus rapidement que d’autres, par exemple Le Cid est publié seulement après trois mois. Molière pouvait donc reprendre les pièces de Corneille quand il voulait et ce, sans s’adresser à l’auteur. Pourtant, la troupe de Molière n’était pas la seule à jouer les pièces de ce dramaturge : toutes les troupes jouent les pièces du grand Corneille, mais elles jouent aussi des pièces d’autres dramaturges comme Mairet et Tristan l’Hermite. Finalement, les troupes théâtrales ont toutes les mêmes répertoires. Ainsi, rien de particulier n’est à signaler en ce qui concerne le répertoire de la troupe de Molière. La majorité des pièces de Corneille jouées par la troupe de Molière sont déjà imprimées et passées dans le domaine public. Voici le cas de Sertorius (1662) : Ce n’est que le 23 juin (4 mois plus tard) que la troupe de Molière reprend la pièce sur la scène du PalaisRoyal. C’est-à-dire quinze jours seulement avant la publication officielle de la pièce (Sertorius est achevé d’imprimer le 8 juillet 1662). Celle-ci était donc doublement tombée dans le domaine public: par la cessation des représentations sur le théâtre du Marais; par l’imminence de la mise en vente de l’édition alors sous presse276. 275 Georges Forestier. Molière, auteur des œuvres de Molière : http://www.moliere-corneille.parissorbonne.fr/index.php?La_question_des_pièces_de_Corneille_montées_par_Molière%2E 276 Ibid. 91 La troupe du théâtre du Marais avait créé la pièce le 25 février 1662. Comme première troupe à jouer la pièce, elle aurait pu continuer de la jouer de manière exclusive aussi longtemps qu’elle aurait voulu. Lorsque Molière a repris la pièce, le Marais avait cessé ses représentations depuis longtemps. Certainement, la troupe de Molière pouvait reprendre une telle pièce « doublement tombée dans le domaine public ». Allusions à Corneille dans l’œuvre de Molière Si Molière joue du Corneille, que pouvons-nous dire des relations entre les deux dramaturges ? Sans aucun doute, plusieurs textes de Molière ironisent sur les pratiques de Corneille. En ce qui concerne La Critique de l’École des femmes, les littéraires se demandent si Molière vise quelqu’un en particulier avec l’élaboration du personnage de M. Lysidas. Ce personnage est auteur dramatique prétentieux qui critique les pièces de Molière comme L’École des femmes. Il se repose sur les règles issues d'Aristote et d'Horace et invoque les grands noms de la théorie littéraire et des termes techniques. M. Lysidas fait-il allusion à Corneille ? C’est possible. Selon d'Aubignac, Corneille serait représenté par un autre personnage de Molière : J’avois creu, comme beaucoup d’autres, que vous estiez le Poëte de La Critique de l’Echolle des femmes, & que M. Lycidas estoit un nom déguisé, comme celuy de M. de Corneille, mais tout le monde est trompé, car vous estes sans doute le Marquis de Mascarille, qui parle tousjours, piaille tousjours, ricane tousjours, & ne dit jamais rien qui vaille ; […]277. Nul ne peut nier les allusions satiriques dans L’Impromptu de Versailles. Les déclamations en vers faites par la troupe dans cette pièce sont exclusivement des extraits de Corneille, tandis que toutes les troupes connaissaient d’autres pièces d’autres auteurs. De plus, Molière fait la satire du jeu des comédiens rivaux de l'Hôtel de Bourgogne, ce qui mettrait en valeur l’extraordinaire talent d'imitateur comique de la troupe. Voici un exemple : « MOLIÈRE, imitant Beauchâteau, aussi Comédien, dans les Stances du Cid. Percé jusques au fond du cœur, &c. »278. De son choix d’emprunt, Molière laisse entendre à son public que le poète en question pourrait bien être 277 François Hédelin, abbé d’Aubignac. « Troisième dissertation concernant le poème dramatique, en forme de remarques sur la tragédie de M. Corneille intitulée "l'Œdipe" ; Quatrième dissertation... servant de réponse aux calomnies de M. Corneille ». Paris : J. Du Breuil, 1663, 140-141. 278 Molière, Impromptu de Versailles, Acte I, scène i, 826. 92 Corneille lui-même. Pouvons-nous déduire qu’il y avait une certaine animosité entre Molière et Corneille ? Si la réponse est oui, cette animosité ne semble pas durer. À cause de leur mauvaise réputation dans le tragique, la troupe de Molière était à la recherche de mises en scène sérieuses. De ce fait, la Troupe du Roi a accepté de payer 2000 livres d’avance en 1667 pour jouer la première d’Attila de Corneille. Il est intéressant de noter que c’est la troupe de Molière qui joue aussi : Tite et Bérénice (1670) de Corneille. Molière peut ainsi proposer à Corneille d’achever la versification de Psyché à cause des bonnes relations professionnelles entre les deux dramaturges279 et pour satisfaire à l’impatience de Louis XIV qui attendait la nouvelle pièce. Molière, après avoir conçu la pièce entière, aurait eu seulement le temps de versifier l’acte I en entier, la première scène de l’acte II et la première scène de l’acte III : Corneille avait ainsi versifié le reste de la pièce. Malheureusement, nous n’avons pas de documents ou de témoignages sur le rapprochement entre les deux auteurs. Corneille = Molière ??? Nous entrons ici dans la petite histoire avec l’accusation bizarre que Corneille aurait participé à la rédaction de la plupart des pièces de Molière. Malgré les théories de certains, et Pierre Louÿs en tête de liste, Corneille n’est pas l’auteur des œuvres de Molière. En 1919, le poète et romancier français, admirateur de Corneille, Pierre Louÿs, reprend l’idée qu’un comédien ne pouvait être capable d’écrire des chefs-d’œuvre pour affirmer que Pierre Corneille aurait écrit les œuvres de Molière : « Le doute n'est pas possible : c'est Corneille, le grand homme. L'actif, l'intelligent, l'habile Molière n'a été que « l'arrangeur », un type que nous connaissons tous, qui a existé tout temps, l'auteur seulement soucieux de « faire rire le parterre » 279 Georges Forestier. Molière, auteur des œuvres de Molière : http://www.moliere-corneille.parissorbonne.fr/index.php?Attila_et_le_rapprochement_entre_Corneille_et_Molière_face_à_Racine%2E Notez que Corneille n’a jamais inclus Psyché dans ses Œuvres complètes. 93 et incapable de concevoir une œuvre haute »280. Louÿs contredit des preuves et des témoignages du XVIIe siècle en insistant que tout se serait passé dans le plus complet secret. Selon Forestier281, l’idée de Louÿs ne serait pas si audacieuse : quelques Anglais et Américains pensaient depuis quelques temps qu’un comédien ne pourrait pas écrire de chef-d’œuvre. Le Grand Shakespeare ne serait donc non plus l’auteur de ses pièces de théâtre. En effet, dans les années 1918-1919 parut un livre d'Abel Lefranc, professeur au Collège de France, intitulé Sous le masque de William Shakespeare: William Stanley, VIe comte de Derby. En août 1919 Louÿs fit paraître son premier article intitulé : « Corneille est-il l'auteur d'Amphitryon ? » où il introduit ses théories : « Molière ne fut rien moins que poète. Aucun art n’était à sa portée, hors celui de la mise en scène […]. Est-il permis de soutenir que la maîtrise verbale d’Amphitryon n’était pas même intelligible pour Molière et que cette écriture est celle de Corneille ? »282. La « théorie Corneille » inventée par Pierre Louÿs et soutenue par ses disciples se repose sur les principales affirmations suivantes : les contemporains de Molière qui pensaient que ce dernier était auteur seraient victimes d’un complot organisé par Corneille, Molière et probablement Louis XIV ; les témoignages et preuves de Molière en tant qu’auteur seraient non fiables ; les relations entre Molière et Corneille n’auraient jamais été hostiles. Malheureusement, nous n’avons conservé aucun manuscrit de Molière écrit à la main. Pour Louÿs, il s’agit d’une disparition suspicieuse. De plus, il y aurait certaines ressemblances entre Corneille et Molière en ce qui concerne la versification, ressemblances que l’on trouve aussi chez leurs confrères, selon Forestier. Comme déjà mentionné, la troupe de Molière joue du Corneille, mais elle n’est pas la seule à mettre en scène des pièces du grand dramaturge. De surcroît, la versification d’Amphitryon ressemblerait à du Corneille. Louÿs mentionne la collaboration officielle entre les deux sur Psyché et affirme à tort que Corneille aurait écrit l'essentiel de Psyché. Voici un résumé 280 Pierre Louÿs. « Don Juan, Tartufe, Le Misanthrope sont des pièces de Corneille que Molière n'a fait que signer ». Comœdia, 19 octobre 1919, 1. 281 Voir le site de Georges Forestier. Molière, auteur des œuvres de Molière : http://www.moliere-corneille.parissorbonne.fr/index.php?A_l%27origine_de_la_théorie 282 Pierre Louÿs. « Corneille est-il l'auteur d'Amphitryon ? ». L'Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux, 1505. LXXX août 1919, 52. Ce premier article est suivi de plusieurs autres publiés dans deux autres revues françaises : Le Temps et Comœdia. Voici un passage de l’article : « L’auteur d’Amphitryon » publié dans Le Temps le 16 octobre 1919, à la page 3 : « Molière est un chef-d’œuvre de Corneille. Il ne lui ressemble guère, ni de style, ni d’âme. Il n’est pas de son sang, mais il est de son pouce ». 94 de la « théorie Corneille » faite par Forestier : « […] 1) une collaboration entre Molière et Corneille est officiellement attestée en 1671 à propos de Psyché; 2) il faudrait donc en déduire qu’elle cache une collaboration secrète antérieure; 3) il reste à faire feu de tout bois pour «prouver» cette déduction... »283. Certes, Forestier réfute vivement ces accusations. Il nous semble qu’il a raison : Louÿs et ses disciples semblent manipuler les faits pour soutenir leur thèse. En fin de compte, Corneille n’est certainement pas l’auteur des œuvres de Molière ; il participe seulement à la versification de Psyché. Esthétique théâtral et pouvoir politique : la définition du théâtre Certainement, au XVIIe siècle, le genre théâtral est considéré en tant qu’art, dont le but ultime est de plaire. Ce grand siècle, fécond et créateur, est marqué par l’évolution de la tendance baroque à la tendance classique. Le genre théâtral passe ainsi de l’irrégularité baroque à la régularité classique, mouvement exemplifié par les nombreuses querelles littéraires de cette époque. L’importance de la régularité, de la définition et du respect des règles du théâtre classique sont tous des exemples de ce classicisme. Même le genre tragi-comique atteint une certaine régularité, si l’on considère que la tragi-comédie peut être régulière. C’est le temps des préfaces qui prennent position dans un débat théorique et qui démontrent une poétique théâtrale, tout en justifiant la valeur dramatique de la pièce en question. Dans une société qui se repose sur la culture orale, ce nouveau théâtre joue un rôle à la fois social et littéraire. Les tendances littéraires du XVIIe siècle reflètent l’orientation politique du pays, grâce aux efforts du Cardinal Richelieu : Nommé ministre de Louis XIII en 1629, Richelieu souhaite assurer sa grandeur par un mécénat artistique et littéraire. Il entreprend d’institutionnaliser le théâtre pour en faire un divertissement de portée politique : une action qui touche tout autant à la promotion du théâtre en tant que genre dramatique (comédie, tragédie et 283 Georges Forestier. Molière, auteur des œuvres de Molière : http://www.moliere-corneille.parissorbonne.fr/index.php?La_théorie%2E 95 tragi-comédie), à la reconnaissance du statut d’auteur dramatique, à la réorganisation des troupes parisiennes, ou encore à la réhabilitation du métier de comédien284. Pour ce faire, le Cardinal protège dès 1629 plusieurs écrivains, dont Boisrobert et Rotrou, ainsi que la troupe du Marais. Passionné de théâtre, il réunit les « Cinq Auteurs » (Rotrou, L’Estoille, Corneille, Boisrobert, Colletet) qui feront partie de sa future Académie Française285. De plus, il prend part au débat théâtral qui a lieu entre les auteurs dont il s’entoure. D’autres auteurs, comme Scudéry, Guez de Balzac et Chapelain et des théoriciens comme d’Aubignac contribuent aussi à la revalorisation du théâtre286. Sous Richelieu, le théâtre doit accomplir une certaine fonction sociale et politique : « célébrer la monarchie en représentant la juste autorité des princes, divertir en temps de guerre contre l’Espagne, diffuser des hiérarchies sociales et des modèles de comportement… »287. Nous voyons ainsi le mauvais choix de Corneille de reprendre un sujet espagnol. Nous notons aussi que bien après les morts de Richelieu en 1642 et Louis XIII en 1643, Molière ridiculise la société, mais se soumet au pouvoir politique de la monarchie absolue. Finalement, sous Richelieu, l’écrivain est connu sous le titre de « poète dramatique », une certaine promotion sociale. Il écrit « en vue d’une publication officialisée qui doit savoir plaire, instruire et émouvoir »288. C’est-à-dire en suivant le parcours établi par les réguliers. En tant que réformateur du théâtre, Richelieu crée une nouvelle vie intellectuelle, qu’il oriente et contrôle289. Dans sa Pratique du théâtre, d’Aubignac rend hommage au Cardinal et souligne l’évolution du genre : […] La Scène a repris un nouveau visage, et les rides que sa vieillesse lui avait imprimées sur le front, ont perdu beaucoup de leur difformité. Heureuse de n’avoir pas été désagréable au plus merveilleux Esprit du monde; je veux dire au Grand Cardinal de Richelieu et d’avoir encore eu assez d’agrément pour mériter ses grâces. Car ce fut par ses libéralités qu’elle reçut de nouvelles forces, et qu’elle commença de rentrer dans ses anciens droits, sa première beauté, sa noblesse et sa splendeur. Et ce fut par ses soins que tout ce que 284 Catherine Guillot. « Richelieu et le théâtre ». Transversalités, 1.117, 2011, 87. Christine Personnaz. toutmoliere.net : http://www.toutmoliere.net/richelieu.html 286 Guillot, 87. 287 Ibid, 90. 288 Ibid, 92. 289 Ibid, 90. 285 96 l’Antiquité vit jamais de savant, d’ingénieux et de magnifique revint peu à peu sur notre Théâtre290. D’Aubignac n’est pas le seul à souligner l’importante contribution de Richelieu : plusieurs pièces, dont Horace de Corneille, sont dédiées au Cardinal. En fin de compte, Richelieu a réussi à promouvoir l’établissement d’un modèle théorique qui exemplifie le classicisme et qui fut conforme à l’Académie Française. Souvent appelé le grand siècle du théâtre, le XVIIe siècle est marqué par la codification du genre dramatique : « […] ce théâtre c’est celui des règles et de la rigueur dramaturgique – le théâtre doit en ce sens être régulier au nom de la vraisemblance, car c’est la condition essentielle pour ne pas faire douter le spectateur de la véracité des faits et donc de la leçon à suivre »291. Le théâtre classique n’est pas seulement un art qui représente une série d’événements devant un public, mais un genre qui suit des règles strictes : une seule intrigue, un lieu unique et une action qui ne dépasse pas les vingt-quatre heures. Ce sont les règles, leur importance et leur interprétation qui opposent les écrivains et les théoriciens de la période. 290 291 D’Aubignac, 51-52. Guillot, 92. 97 Conclusion Sans aucun doute, la tragédie accomplit une fonction moralisante en récompensant les bons et en punissant les mauvais. De même, la tragi-comédie expose le bonheur des aimables. La comédie accomplit aussi une certaine fonction : elle corrige les mœurs qu’elle expose. Ainsi, le théâtre a une importante utilité sociale, peu importe sa forme. Les règles du théâtre classique permettent de définir l’art théâtral et de codifier le travail d’éducateur du dramaturge. Selon les théoriciens, pour accomplir sa mission moralisante et pour contribuer à l’art dramatique tout dramaturge doit suivre les règles. Corneille et Molière ont-ils pu réussir sans les suivre à la lettre ? Selon certains la réponse est oui, selon d’autres la réponse est non. Les querelles en question naissent de ces désaccords. Certains se mettent à défendre les règles à tout prix, tandis que d’autres apprécient le charme et la nature divertissante des pièces en question. Deux pièces, deux auteurs et deux querelles très différentes. Que pouvons-nous dire des critiques posées lors de la querelle du Cid et celle de L’École des femmes ? Voici quelques exemples, certaines justifiées et d’autres infondées. En ce qui concerne les critiques morales et religieuses de L’École des femmes, la critique des maximes, du sermon d’Arnolphe et des chaudières bouillantes de l’enfer est justifiée. Sans aucun doute, Molière choque son public et pousse les limites de la bienséance. D’après nous, on ne peut pas prendre la religion à la légère au XVIIe siècle. Parallèlement, le ruban et le « le » choquent-ils véritablement la bienséance ou seulement certains spectateurs plus délicats ? De plus, L’École des femmes n’est strictement pas une pièce contre les femmes. Elle ne vise pas à garder la femme dans l’ignorance et la servitude. Sans aucun doute, la pièce peut même être considérée féministe, selon des critères plus modernes. Pourtant, une telle comédie de mœurs demeure choquante au XVIIe siècle. Dans le cas du Cid, certaines critiques dramatiques sont plus justifiées que d’autres. La première accusation est celle que le caractère de Chimène serait contre la nature. Il est intéressant de noter que la majorité des critiques de Scudéry sont contre Chimène. Selon nous, Scudéry va trop loin et nous donnons gain de cause à Corneille : comme les dames de la Cour ont assisté à la pièce, elle ne choquerait pas tant que ça. Tout comme celles du Cid, les critiques dramatiques de 98 L’École des femmes se reposent en particulier sur des accusations d’invraisemblance. Selon la notion de caractère d’Aristote, seul le personnage d’Horace ne mérite pas les reproches. D’après nous, le caractère honnête, confiant et presque naïf d’Horace justifie ses actions. En ce qui concerne les questions de genre, de la distinction entre la tragédie et la comédie, Corneille respecte-t-il finalement les préceptes de la tragi-comédie, genre intermédiaire déniée par les réguliers ? La réponse n’est pas claire, mais nous soutenons qu’elle dépend de l’idéologie du critique en question, de son statut de « régulier » ou d’« irrégulier ». Comme pour Corneille, la critique d’invraisemblance de L’École des femmes dans sa totalité se repose sur l’interprétation des règles. Certainement Molière ne respecte pas strictement les règles du théâtre classique, mais il finit par créer une pièce qui plaît, ce qui est, selon lui, la première règle du théâtre. En ce qui a trait à l’unité d’action, nous affirmons que le grand nombre de péripéties dans Le Cid serait dû à la nature du genre tragi-comique et ainsi acceptable. Ensuite, nous donnons gain de cause à Chapelain et à Corneille en ce qui concerne l’unité de temps : en voulant respecter cette unité Corneille n’aurait pas pu faire autrement. Corneille aurait encore raison en ce qui concerne l’unité de lieu, qui est respectée si l’on la considère au sens le plus large. C’est certainement pourquoi les critiques n’ont pas grand-chose à dire à ce sujet. Molière est aussi accusé de ne pas avoir respecté l’unité de lieu : tout se passe dans la rue ; est-ce vraisemblable ? Selon nous, ainsi que les critiques historiques et modernes, la réponse est non. La grande critique littéraire du Cid est celle du plagiat. Sa validité dépend de la définition du plagiat au XVIIe siècle. Il nous semble que si Corneille était coupable de plagiat, un grand nombre de ses contemporains seraient eux aussi coupables. Au sujet des critiques littéraires imposés à L’École des femmes, les détracteurs de Molière ont largement contesté son originalité. Comme nous le savons, la traduction et l’imitation étaient pratiques courantes au XVIIe siècle, justifiées par l’obligation de se reposer sur des sources antiques et historiques, ce qui veut dire que le simple plagiat n’est jamais très loin. Il nous semble que la réponse de La Croix est bien fondée : si la tragédie peut faire des emprunts, la comédie devrait pouvoir en faire aussi. 99 En ce qui concerne la bienséance du Cid, nous notons la logique de Chapelain. De plus, l’épée de Rodrigue encore couverte de sang chaud est certainement choquante, comme le suggère Scudéry. De même, les critiques de L’École des femmes insistent sur de nombreux détails qui choqueraient la bienséance. À notre avis « les enfants par l’oreille », tandis qu’elle n’est qu’une remarque comique, ne respecte pas la bienséance. Toutefois, « le potage » et la « tarte à la crème » sont plus innocents. Les détracteurs continuent avec la « chicane ridicule » de la taille du grès. C’est un reproche qui exemplifie le fait que les critiques de Molière semblent vouloir tout critiquer, peu importe l’importance du reproche. Les critiques d’ordre personnels de la querelle du Cid se reposent en particulier sur la vanité de Corneille. Nous estimons que l’Excuse à Ariste est un exemple de cette vanité. Avec un tel écrit, Corneille incite des reproches et des critiques. Les détracteurs et les défenseurs tous deux dépassent de simples observations sur la pièce et se livrent à des attaques personnelles. D’après ses ennemis, Corneille serait vaniteux, avare, mauvais traducteur, ignorant et vantard, poète sans aucun mérite. Corneille est simplement défendu par Camus : sa pièce aurait dépassé l’original. Nous nous rangeons du côté de Camus : il nous semble que le succès de Corneille, dramaturge parfois vaniteux, soulignerait son talent et que ses critiques sont simplement motivés par la jalousie et la haine. Comme déjà mentionné les critiques personnelles avancées contre Molière sont parmi les plus déplorables, impolies et même vulgaires. Le reproche concernant la représentation scandaleuse des véritables personnes semble aller à l’encontre de celui des clefs « imprimées ». Certes, certains de ses personnages sont basés sur des membres spécifiques de la société, mais nous soutenons l’argument de Molière que comme il vise un défaut particulier, il ne faut pas essayer de se retrouver dans ses pièces. De plus, ce reproche semble s’opposer à celui de Molière en tant que mauvais peintre de ses semblables. S’il n’arrive pas à représenter ses sujets dans ses pièces, comment pourrait-on se retrouver représentés ? À notre avis, les critiques personnelles avancées contre Molière qui suivent sont impardonnables et n’ont aucun mérite. Les détracteurs ne critiquent plus la pièce de Molière mais l’auteur lui-même. La querelle se veut centrée sur des 100 questions littéraires et non des attaques personnelles. Les ennemis de Molière attaquent même Madeleine et Armande Béjart. Pour notre part, ce genre d’attaque ad hominem n’a aucune place dans une telle polémique : elles n’ont rien à voir avec L’École des Femmes. En comparant les critiques posées lors des deux querelles nous notons de nombreux parallèles entre les reproches. Comme déjà mentionné, la pièce de Molière est beaucoup plus critiquée sur le plan moral et religieux. Certes, au niveau de la bienséance on critique Chimène d’immoralité, mais nous soutenons que les critiques d’ordre moral et religieux sont beaucoup plus nombreuses dans L’École des femmes. Pourtant, il est intéressant de noter que Le Festin de Pierre et le Tartuffe de Molière sont beaucoup plus osés sur le plan religieux. En ce qui concerne les reproches d’ordre dramatique, Le Cid et L’École des femmes sont critiquées d’invraisemblance et de manque de respect des trois unités. De plus, on critique les personnages principaux et les personnages secondaires, voire superflus, des deux dramaturges. Finalement, tous deux sont accusés de ne pas avoir distingué entre les deux genres théâtraux. Sur le plan littéraire, il est intéressant de noter que Corneille et Molière sont tous deux accusés de plagiat. De plus, Le Cid et L’École des femmes choqueraient tous deux la bienséance. Selon ses détracteurs, le triomphe du « tyran littéraire » Corneille n’est pas mérité alors que Molière veut plaire avant tout. Dans les deux cas, les critiques d’ordre personnel seraient-elles incitées par Corneille et Molière eux-mêmes ? Certes, il nous semble que les écrits des deux dramaturges n’améliorent pas la situation. Corneille serait vaniteux alors que Molière aurait les mêmes défauts que ceux qu’il représente. En fin de compte, nous pouvons noter plusieurs critiques identiques. Certaines comme celles des unités, de la bienséance et de l’invraisemblance ne sont pas surprenantes. D’autres, en particulier les attaques personnelles, qui varient dans les deux cas, dépassent le questionnement théorique et démontrent une certaine jalousie. Ainsi, les injures personnelles alternent avec une discussion littéraire. En fin de compte la majorité des critiques avancées se reposent sur les règles de bienséance et de vraisemblance. Tandis que certains reproches sont plus mérités que d’autres, il est presque toujours question de l’interprétation des règles du théâtre classique. 101 Tout comme Le Cid, pièce innovatrice de Corneille, avait incité la « querelle du Cid » (1637), polémique indispensable à l’élaboration des règles qui dominent et qui gèrent la création tragique, la « querelle de l’École des femmes », marque la création de la comédie classique, telle qu’elle est conçue par Molière. Ainsi, l’importance des deux querelles étudiées se repose sur la conception dramatique apportée par la pièce au théâtre. Quelle que soit la querelle littéraire, tout revient à l’esthétique, à la question de goût et de perception. Après tout, une controverse peut parfois inciter la création littéraire et théorique. Comme nous le savons, le XVIIe siècle est marqué non seulement par l’absolutisme politique, mais aussi par la règlementation de la littérature et de la langue française, notamment exemplifiée par la création de l’Académie française (1635). Malgré l’insistance et les efforts de certains, le fait de ne pas adhérer aux règles ne dicte pas le succès d’un auteur. Certainement, une évolution importante de la conception dramatique a eu lieu dans la période qui entoure nos deux querelles. L’instabilité politique et sociale du début du XVIIe siècle est reflétée dans la tendance littéraire baroque. Cette liberté totale de l’inspiration est traduite dans une nouvelle mode théâtrale : la tragi-comédie. Ce genre mêlé combine la tension dramatique avec un dénouement heureux et une intrigue souvent romanesque. En particulier, les tragi-comédies pastorales sont en vogue. Les anciens genres, la tragédie et la comédie, se retrouvent au second plan. De 1628 à 1640, l’opposition des réguliers et des irréguliers souligne un certain écart dans la conception dramatique. Le débat fondé sur les notions du plaisir et de la vraisemblance, ainsi que du rapport à l’Antiquité peignent les règles soit de façon tyrannique, soit de façon raisonnable. Cette controverse incite la montée de la régularité et de l’unité, un retour vers l’Antiquité. Les règles sont désormais à identifier et à suivre. Cependant, c’est un mouvement progressif, étonnamment à partir de l’unité de temps, qui reçoit peu d’attention pendant l’Antiquité, et les irréguliers veulent toujours imposer leurs vues. De ce fait, nous pouvons parler d’une certaine période de transition pour des auteurs comme Mairet et Corneille. Comme nous le savons, le théâtre régulier rejetterait les genres intermédiaires, comme la tragicomédie. Ainsi le nombre de tragédies augmente avec la codification du genre. Le théâtre classique représente une certaine aspiration, un idéal auquel les grands auteurs, y compris 102 Molière et Corneille, n’ont pas adhéré complètement. Tout revient à la grande question : comment plaire selon les règles ? La fin du règne de Louis XIV est marquée par la crise et le renouvellement : un important débat théorique, la Querelle des Anciens et des Modernes (1687-1694) et la montée de la conception romanesque et de l’esprit bourgeois. La Querelle des Anciens et des Modernes est vraiment un débat de longue durée, les questions qui y sont posées ne sont rien de nouveau en 1687. La polémique naît de l’évolution de la langue française, devenue la langue riche de la création littéraire. Pourquoi alors retourner vers le grec et le latin, vers l’Antiquité ? Certes, nous voyons ce thème débattu dans la période de 1628 à 1640, lors de la querelle du Cid et dans tout débat concernant les règles du théâtre classique. Les « réguliers » seraient donc de futurs Anciens, tandis que les « irréguliers » seraient des Modernes. Cependant, la controverse n’a jamais été réglée, avant que Charles Perrault ne lise à l’Académie française son poème Le Siècle de Louis le Grand, texte déclencheur de la Querelle des Anciens et des Modernes, et ne suscite le scandale : les Modernes soutenant le progrès, réflexion du monde des sciences, et les Anciens convaincus de l’importance du modèle antique. D’année en année les convictions des Modernes, leur rejet de la tradition et de l’autorité gagnaient du terrain. Les remises en question résonnent et reviennent au fur et à mesure des siècles qui suivent, mais se déplacent vers d’autres sujets, notamment vers le roman, genre moins contraint. En fin de compte, peu importe le genre littéraire, il est toujours question de plaire au public visé. 103 Bibliographie Textes de l’époque Anonyme, Advertissement au Besançonnois Mairet [dans] Civardi, Jean-Marc. 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Ordre des libelles de la querelle du Cid292 Auteur Pierre Corneille Texte Date Le Cid jouée en début janvier 1637 et publiée le 23 mars 1637 Pierre Corneille Excuse à Ariste date inconnue, peut-être même avant Le Cid293 Jean de Mairet L’autheur du vray Cid Espagnol, fin mars début avril 1637 à son Traducteur François… Pierre Corneille Rondeau fin mars début avril 1637 Georges de Scudéry Observations sur le Cid début avril294 1637 Jean-Pierre Camus La Deffense du Cid avril ou mai 1637 Pierre Corneille Lettre apologitique du Sr mi-mai 1637 Corneille Anonyme La Voix publique à Monsieur de mai 1637 Scudéry sur les Observations du Cid Anonyme L’Acomodement du Cid & de mai 1637 son censeur Jean Claveret Lettre du Sr Claveret au Sr 292 D’après Civardi, 2004. Voir Civardi, 2004, 26-27. 294 Premièrement paru de manière anonyme. 293 113 mai 1637 Corneille, soy disant autheur du Cid Anonyme La Victoire du sieur Corneille, 1637 Scudery et Claveret avec une remonstance pas laquelle on les prie amablement de n’exposer ainsi leur renomee à la risee public Anonyme295 L’Incognu et Veritable Amy de 1637 Messieurs de Scudery et Corneille Georges de Scudéry Lettre de Mr de Scudéry a mi-juin 1637 l’illustre Academie Jean-Gilbert Durval Discours à Cliton sur les juin 1637 Observations du Cid avec un traicté de la disposition du Poëme Dramatique & de la pretendüe Regle de vingt-quatre heures Anonyme Paraphrase de la devise de juin 1637 l’observateur et le poete et guerrier il aura du laurier Anonyme Epitre aux poetes du temps sur juin 1637 leur querelle du Cid Anonyme Le Souhait du Cid en faveur de juin 1637 Scuderi 295 De nombreux textes, surtout les anonymes, sont de datation incertaine. Nous les présentons dans l’ordre probable de leur parution. 114 Georges de Scudéry La Preuve des passages alleguez mi-juin 1637 dans les observations sur le Cid Anonyme L’Amy du Cid a Claveret 1637 Anonyme Lettre à *** sous le nom 1637 d’Ariste Anonyme Lettre pour Monsieur de 1637 Corneille, contre les mots de la Lettre sous le nom d’Ariste Anonyme Response de *** a *** sous le 1637 nom d’Ariste Anonyme Pour le Sieur Corneille contre mi-juin 1637 les ennemis du Cid Charles Sorel Le Jugement du Cid, Composé mi-juin 1637 par un Bourgeois de Paris, Marguillier de sa Paroisse Jean de Mairet Epistre familiere du Sr Mairet au le 4 juillet 1637 Sr Corneille sur la tragi-comedie du Cid Anonyme Lettre du Sieur Claveret a juillet ou août 1637 Monsieur de Corneille Anonyme Lettre du des-intéressé au Sieur juillet ou août 1637 Mairet Anonyme Advertissement au Besançonnois Mairet 115 juillet ou août 1637 Paul Scarron Apologie pour Monsieur Mairet octobre 1637 contre les calomnies du Sieur Corneille de Roüen Paul Scarron La Suitte du Cid en abrege ou le début novembre 1637 triomphe de son autheur, en despit des envieux François le Métel ou Lettre de M. l’abbé de Boisrobert Boisrobert a M. Mairet Jean Chapelain Les Sentiments de l’Académie 1637 début ou mi-décembre 1637 Françoise sur la tragi-comedie du Cid Anonyme Observations sur les Sentiments fin décembre 1637 ? de l’Académie Françoise Jean-Louis Guez de Lettre de Mr de Balzac à Mr de Balzac Scudéry, sur ses observations du 1638 ? Cid Georges de Scudéry Réponse de Mr de Scudéry a Mr 1638 ? de Balzac Georges de Scudéry Lettre de Mr de Scudéry à 1638 ? Messieurs de l’Académie françoise sur le jugement qu’ils ont fait du Cid, & de ses Observations Anonyme L’Innocence et le veritable 1638 ? amour de Chymene Anonyme L’Anatomie du Cid 1638 ? 116 ii. Les principaux participants de la querelle du Cid Camus, Jean-Pierre (1582-1652) : « Évêque de Bellay (démissionnaire en 1629), puis abbé d’Aunay. Secrétaire et ami de François de Sales, il fut un prélat réformateur. Auteur d’ouvrages de controverse contre les protestants et de romans édifiants […] »296. Lors de la querelle du Cid il composa La Deffense du Cid. Chapelain, Jean (1595-1674) : Critique et poète français auteur d’Odes et d’un poème épique de 24 chants (1656), La Pucelle ou la France délivrée, qui fut raillé par Boileau. Il prôna la création de l’Académie française, rédigea, en 1637, les Sentiments de l’Académie française sur le Cid et contribua à fixer les principes de la doctrine classique »297. Claveret, Jean : « Nous ne savons pas grand-chose de ce Jean Claveret, avocat de formation. […] À la date de la querelle du Cid, Claveret s’est fait connaître par une comédie, L’Esprit fort […]. Il est donc évident qu’il profite de son altercation avec Corneille pour espérer mieux vendre sa pièce »298. En ce qui concerne Le Cid, il écrivit la Lettre du Sr Claveret au Sr Corneille, soy disant autheur du Cid. Corneille, Pierre (1606-1684) : Poète dramatique français. […] Distingué par Richelieu, il reçut une pension et entra dans le groupe des cinq auteurs qui travaillaient sous la protection du cardinal. Il publia alors sa première tragédie, Médée (1635), puis fit représenter L’Illusion comique, la plus féerique de ses œuvres (1636), qui développe une merveilleuse apologie du théâtre. Ce fut enfin le triomphe du Cid (déc. 1636) bientôt suivi d’une querelle où intervient, sur l’ordre de Richelieu, l’Académie française, récemment constituée (Sentiments de l’Académie française sur le Cid où sont relevées avec exactitude les discordances entre la doctrine classique 296 Ibid, 397. Ibid, 462. 298 Civardi, 2004, 533. 297 117 des trois unités et la pièce de Corneille, 163[7]8). Dans les années suivantes, il fit représenter Horace (1640), Cinna (1642), Polyeucte (1643), trois chefs-d’œuvre inspirés d’un plus grand souci des règles […]. Corneille a le génie de l’intrigue aux rebondissements nombreux et imprévus, et son goût de la liberté qui peut, sans péril, se satisfaire dans le genre comique se trouve fortement contraint par les exigences de la tragédie. Soucieux d’une vérité humaine, capable de créer des personnages d’une médiocre qualité morale […]. Enfin, la puissance et la rigueur de son style, au rythme parfois insistant ou au lyrisme retenu, et la magnificence de sa métrique en font un des tout premiers poètes de son temps »299. Lors de la querelle du Cid, il fit apparaître trois libelles : Excuse à Ariste, Rondeau et Lettre apologitique du Sr Corneille. Durval, Jean-Gilbert : « Poète dramatique français du XVIIe s. Adversaire de la tragédie régulière, il a protesté contre la victoire de ses partisans dans la préface de Penthée (1639) »300. Au cours de la querelle du Cid, il écrivit le Discours à Cliton sur les Observations du Cid avec un traicté de la disposition du Poëme Dramatique & de la pretendüe Regle de vingt-quatre heures. Guez de Balzac, Jean-Louis (1597-1654) : « Écrivain français. […] Choyé par Richelieu (qui en fit l’un des premiers membres de l’Académie), […] Considéré comme « le plus éloquent homme » du temps, il donnait tous ses soins à ses Lettres (publ. de 1624 à 1654), attendues par les milieux littéraires et mondains de la capitale (ses correspondants préférés restant Chapelain et Conrart) et qui manifestent un jugement littéraire très sûr (sur Le Cid et Cinna, entre autres) […] »301. En ce qui concerne Le Cid, il écrivit la Lettre de Mr de Balzac à Mr de Scudéry, sur ses observations du Cid. Le Métel, François, seigneur de Boisrobert (1592-1662) : « Poète et abbé de cour français. « Plus célèbre par sa faveur auprès du cardinal de Richelieu et par sa fortune que par son 299 Ibid, 563. Paul Robert. Dictionnaire universel des noms propres alphabétique et analogique (4 vols.) Éd. Alain Rey et Josette Rey-Debove. Paris : Société du Nouveau Littré, 1975, 143. 301 Paul Robert. Le Petit Robert des noms propres : dictionnaire illustré. Éd. Alain Rey. Paris : Le Robert, 2010, 201. 300 118 mérite » (Voltaire), il écrivit des pièces de théâtre et composa Les Nouvelles héroïques et amoureuses (1667). Il contribua à la création de l’Académie française dont il fut un des premiers membres (1634). À ce titre il prit part à la querelle du Cid […] »302. Au cours de la querelle du Cid, il écrivit la Lettre de M. l’abbé de Boisrobert a M. Mairet. Mairet, Jean de (1604-1686) : « Poète dramatique français. Auteur d’une comédie tirée de L’Astrée, Chryséide et Arimant (1625), il fait précéder sa [tragi-comedie] Silvanire (1631) d’une préface qui lui vaut d’être nommé « inventeur » des règles du théâtre classique. Avec Snobisme (1634), il composa la première tragédie régulière. Cependant, dans l’Illustre Corsaire (1637), Roland furieux (1638) et Sidonie (1640), il s’abandonne bientôt à la tragicomédie, où l’extravagance de l’intrigue le dispute à la multiplication des lieux, dans le souci d’enrichir la mise en scène et de séduire un public devenu sensible, en ce domaine, aux inventions des Italiens »303. Mairet composa L’autheur du vray Cid Espagnol, à son Traducteur François… lors de la querelle du Cid. Richelieu, Armand Jean du Plessis de (1585-1642) : « Prélat et homme politique français. […] Homme d’État pragmatique plus que réformateur, il devait rester ministre jusqu'à sa mort, poursuivant un double but : la restauration de l’autorité royale, et l’établissement de la prépondérance française en Europe. […] Il intervint dans le domaine des lettres par la fondation de l’Académie française (1635), agrandit la Sorbonne, bâtit le Palais-Cardinal, futur Palais-Royal […] »304. Il participe à la querelle du Cid dans son rôle de au sein de l’Académie française. C’est aussi lui qui donne l’ordre pour mettre fin à la polémique. Scarron, Paul (1610-1660) : « Écrivain français. Bohème, puis chanoine et attaché à l’évêque de Mans, devenu infirme mais continuant à fréquenter les salons littéraires, il avait épousé Françoise d’Aubigné, qui devait devenir Mme de Maintenon. Il est l’auteur de comédies qui furent très prisées pour leurs intrigues bouffonnes et leur comique verbal, Jodelet ou le Maître 302 Ibid, 298. Robert, 2010, 1408. 304 Ibid, 1928. 303 119 valet (1645) et Don Japhet d’Arménie (1653) […]. On lui doit aussi une parodie burlesque, en octosyllabes, le Virgile travesti (1648-1652) et, surtout, Le Roman comique (1651-1657) »305. Au cours de la querelle du Cid, il composa l’Apologie pour Monsieur Mairet contre les calomnies du Sieur Corneille de Roüen et La Suitte du Cid en abrege ou le triomphe de son autheur, en despit des envieux. Scudéry, Georges de (1601-1667) : « Auteur dramatique français. Il composa un poème épique, des pièces de théâtre et attaqua Corneille dans ses Observations sur « le Cid » (1637). Il collabora aussi aux roman de sa sœur, Madeleine de Scudéry »306. À part ses Observations, écrivit aussi la Lettre de Mr de Scudéry a l’illustre Academie, La Preuve des passages alleguez dans les observations sur le Cid, la Réponse de Mr de Scudéry a Mr de Balzac et la Lettre de Mr de Scudéry à Messieurs de l’Académie françoise sur le jugement qu’ils ont fait du Cid, & de ses Observations. Irrégulier qui devient régulier lors de la querelle du Cid. Sorel, Charles, seigneur de Souvigny (1600-1674) : « Romancier et polygraphe français. Il manifeste un jugement critique perspicace dans la Bibliothèque française (1664) et, surtout, une étonnante verve réaliste dans son roman picaresque, La Vraye Histoire comique de Francion (1623) […], qui compte douze livres, scènes burlesques et colorées de la société sous Louis XIII, ainsi que dans son roman parodique Le Berger extravagant (1627) »307. Lors de la querelle du Cid il écrivit Le Jugement du Cid, Composé par un Bourgeois de Paris, Marguillier de sa Paroisse. 305 Ibid, 2060. Ibid, 2075. 307 Ibid, 2139. 306 120 iii. Œuvres de Corneille308 Les Comédies Titre Mélite ou les Fausses Première Publication la saison 1629-1630 le 12 février 1663 La Veuve ou le Traître trahi la saison 1631-1632 le 13 mars 1634 La Galerie du Palais ou la saison 1632-1633 le 20 février 1637 La Suivante la saison 1633-1634 le 9 septembre 1637 La Place royale ou la saison 1633-1634 le 20 février 1637 L’Illusion comique la saison 1635-1636 le 16 mars 1639 Le Menteur novembre ou décembre le 31 octobre 1644 Lettres l’Amie rivale l’Amoureux extravagant 1643 La Suite du Menteur la saison 1644-1645 le 30 septembre 1645 Comédies héroïques Titre Première Publication Don Sanche d’Aragon la saison 1649-1650 le 14 mai 1650 Tite et Bérénice le 28 novembre 1670 le 3 février 1671 Pulchérie le 25 novembre 1672 le 20 janvier 1673) 308 Les pièces sont toutes en cinq actes et en vers. 121 Tragi-comédies Titre Clitandre ou l’Innocence Première Publication la saison 1630-1631 le 20 mars 1632 début janvier 1637 le 23 mars 1637 délivrée Le Cid Tragédies Titre Première Publication Médée la saison 1634-1635) le 16 mars 1639 Horace 19 mai 1640 le 15 janvier 1641 Cinna ou la Clémence août ou septembre 1642 le 18 janvier 1643 (La Mort de) Pompée la saison 1643-1644 le 16 février 1664 Rodogune la saison 1644-1645 le 31 janvier 1647 Héraclius Empereur la saison 1646-1647 le 28 juin 1647 Andromède la saison 1649-1650 le 13 août 1651 Nicomède février 1651 le 21 novembre 1651 d'Auguste d’Orient Pertharite roi des Lombards la saison 1650-1651 le 30 avril 1653 Œdipe le 24 janvier 1659 le 26 mars 1659 La Toison d'or mi-février 1661 le 10 mai 1661 Sertorius le 25 février 1662 le 8 juillet 1662 Sophonisbe mi-janvier (le 12 ?) 1663 le 10 avril 1663 Othon le 31 juillet à Fontainebleau février 1665 le 5 novembre à l’Hôtel de Bourgogne, 1664 122 Agésilas le 26 février 1666 le 3 avril 1666 Attila Roi des Huns le 4 mars 1667 le 20 novembre 1667 Suréna Général des Parthes novembre ou décembre le 2 janvier 1675 1674 Tragédies chrétiennes Titre Première Publication Polyeucte Martyre les premiers mois de 1643 le 20 octobre 1643 Théodore Vierge et Martyre la saison 1645-1646 le 31 octobre 1646 Autres : La Comédie des Tuileries des Cinq Auteurs, jouée le 4 mars 1635 et publiée le 19 juin 1638, pièce en trois actes et en vers. L’Aveugle de Smyrne des Cinq Auteurs tragi-comédie, jouée le 22 février 1637 et publiée le 17 juin 1638. L’imitation de Jésus-Christ, traduction de Corneille, imprimée le 30 juin 1653. 123 Appendice II : Molière i. Chronologie de la querelle de l’École des femmes309 Œuvre Auteur Molière L’École des femmes Date première le 26 décembre 1662 ; publiée le 17 mars 1663 Nicholas Boileau Stances à M. de Molière sur janvier 1663 sa comédie de L’École des femmes que plusieurs gens frondaient310 Jean Donneau de Visé Nouvelles nouvelles le 9 février 1663 Molière La Critique de l’École des première le 1er juin 1663 ; femmes publiée le 7 août 1663 Zelinde comedie ou la achevé d’imprimer le 4 août Jean Donneau de Visé veritable critique de l’Escole des femmes et la critique de la critique Edme Boursault Jean Donneau de Visé Le Portrait du Peintre ou la jouée à l’Hôtel de Contre-critique de l’Escole Bourgogne en fin septembre des femmes 1663 Chanson à la coquille accompagne probablement Le Portrait du Peintre ou la Contre-critique de l’Escole des femmes311 309 D’après Mongrédien. Nous n’avons pas pu consulter une version intégrale du texte mais il est commenté dans Mongrédien et dans Dandrey 2014. 311 Le texte n’existe plus de nos jours. 310 124 Molière L’Impromptu de Versailles première le 14 octobre 1663 ; publiée en 1682 Charles Robinet Le Panegyrique de l’Ecole imprimé le 30 novembre des femmes ou conversation 1663 comique sur les œuvres de Mr de Molière Responce à l’Impromptu de apparus dans Les Diversitez Versailles ou la Vengeance galantes ensembles, achevé des Marquis et la Lettre sur d’imprimer le 7 décembre les Affaires du Theatre 1663 Antoine Jacob ou L’Impromptu de l’Hotel de probablement décembre Montfleury fils Condé 1663 Jean Simonin ou Chevalier Les Amours de Calotin fin 1663 ou janvier 1664 Jean Donneau de Visé imprimée le 7 février 1664 Philippe de la Croix La Guerre comique ou la achevé d’imprimer le 17 Defense de l’Escole des mars 1664 femmes 125 ii. Les principaux participants de la querelle de L’École des femmes Boileau, Nicolas ou Boileau-Despréaux (1636-1711) : « Écrivain français. […] Il se montra un combattant plein de fougue dans ses premières Satires (1660-1667), […] portant des attaques virulentes contre ceux qu’il estimait coupables de mauvais goût, donc de mauvais style (Chapelain, Cotin, Scudéry), il louait ses amis Chapelle et Molière, comme il soutiendra plus tard La Fontaine et Racine. […] Boileau allait se tourner vers le genre plus serein des Épitres (1669 à 1695), volontiers nourries de réflexions morales. Il donna parallèlement en 1674 une traduction du Traité du sublime de Longin, les premiers chants du Lutrin, et son Art poétique qui résume en formules vigoureuses la doctrine classique déjà illustrée par de nombreux chefs-d’œuvre. Historiographe du roi en 1677, entré à l’Académie française en 1684 […]. […] en littérature comme en morale ou en théologie, et cette passion de la vérité sont le fondement de la critique et de l’esthétique de Boileau : poète capable de réussites dans la peinture réaliste de la vie quotidienne, artiste exigeant au niveau de la forme, il fut un critique violent mais sincère […] »312. Lors de la querelle de l’École des femmes Boileau soutient Molière dans ses Stances à M. de Molière sur sa comédie de L’École des femmes que plusieurs gens frondaient. Boursault, Edme (1638-1701) : « Auteur dramatique français. Adversaire acharné de Molière, il est l’auteur de deux comédies : Le Portrait du peintre ou la Contre-Critique de « l’École des femmes » (1663) et Le Mercure galant (1683) »313. Donneau de Visé, Jean (1638-1710) : « Écrivain et auteur dramatique français. Critique, il a publié une Deffence de la Sophonisbe et une Deffence du Sertorius de Corneille (1663). La même année, sa comédie Zélinde ou le Portrait du peintre développa une réponse venimeuse à 312 Paul Robert. Dictionnaire universel des noms propres alphabétique et analogique (4 vols.) Éd. Alain Rey et Josette Rey-Debove. Paris : Société du Nouveau Littré, 1975, 375. 313 Paul Robert. Le Petit Robert des noms propres : dictionnaire illustré. Éd. Alain Rey. Paris : Le Robert, 2010, 329. 126 La Critique de l’École des femmes de Molière. Il composa de nombreuses pièces de théâtre dont une seule, La Devineresse (1679), connut un grand succès. Auteur des Nouvelles nouvelles (1663), de Mémoires sur Louis XIV (1697-1705), il fonda le fameux journal Le Mercure galant (1672), qui lui conféra une grande autorité et qu’il mit au service des Modernes dans la querelle des Anciens et des Modernes »314. Lors de la querelle de l’École des femmes il composa aussi la Chanson à la coquille, il fit représenter sa Responce à l’Impromptu de Versailles ou la Vengeance des Marquis et écrivit La Lettre sur les Affaires du Théâtre. De plus, ses Nouvelles nouvelles contiennent aussi des commentaires sur Molière. Jacob, Antoine ou Montfleury fils : Auteur français. Auteur « de L’Impromptu de l’Hôtel de Condé (1663), il composa une vingtaine de pièces, presque toutes comiques »315. Il s’introduit à la scène comique à l’âge de 21 ans : « […] il avait commencé de donner à l’Hôtel de Bourgogne quelques petites comédies fort proches de la farce. C’est l’époque où les Grands Comédiens essayaient de rivaliser avec Molière sur son propre terrain, la comédie »316. Jacob, Zacharie ou Montfleury : Comédien de l’Hôtel de Bourgogne et auteur français. Père d’Antoine Jacob. Il fut visé par Molière dans L’Impromptu de Versailles. Lors de la querelle de l’École des femmes il accusa Molière d’inceste auprès du roi Louis XIV. La Croix, Philippe de : Ecrivain français du XVIIe siècle. Il est le dernier à intervenir dans la querelle de l’École des femmes : « La querelle des deux troupes rivales était apaisée depuis quatre mois, lorsque parut chez le libraire Pierre Bienfait un petit livre intitulé La Guerre comique ou la défense de l’Escole des Femmes, par le sieur de La Croix. Sur ce dernier venu dans la bataille, nous ne savons rigoureusement rien, si ce n’est son prénom […]. Quoi qu’il en soit de l’identité de son auteur, La Guerre comique se présente comme une réplique dialoguée en quatre « disputes », qui sont de véritables petites scènes, réunies par un récit burlesque en 314 Robert, 2010, 669. Dandrey, 2014, 124. 316 Mongrédien, Vol II, 315. 315 127 vers »317. La Croix est un partisan de Molière : « Molière ayant décidé de ne plus répondre à ses détracteurs, il est satisfaisant que le dernier intervenant dans la querelle soit un sincère défenseur de son œuvre »318. Poquelin, Jean-Baptiste ou Molière (1622-1673) : « Auteur dramatique et comédien français. Fils de Jean Poquelin, marchand tapissier établi dans le quartier des Halles, il perdit prématurément sa mère (1632), suivit de solides études chez les jésuites du collège de Clermont puis se prépara à devenir avocat (1636). La rencontre de Tiberio Fiorelli, dit Scaramouche, et celle de Madeleine Béjart le déterminèrent à renoncer à cette carrière pour le théâtre. […] Marié à Armande Béjart, fille (ou sœur) de Madeleine, Molière connut un nouveau succès avec L’École des femmes (1662), succès qui eut pour effet immédiat de susciter la jalousie de ses rivaux de l’hôtel de Bourgogne et l’hostilité de certains dévots. Aux menaces et aux insultes de ses adversaires, Molière répondit par La Critique de l’École des femmes et L’Impromptu de Versailles (1663) […] Auteur, acteur, directeur de troupe, Molière n’a vécu que pour le théâtre. Utilisant la totalité des ressources de la scène, il y apparaît comme un créateur dans tous les domaines. Metteur en scène soucieux de précision, il a enseigné aux comédiens les vertus du naturel et de la simplicité. Cette même passion de la vérité se retrouve dans l’observation qu’il fait des caractères humains, de leurs contradictions, de leurs ridicules. Avec une liberté et une hardiesse impitoyables, il arrache sur le visage du bourgeois, du marquis, du dévot, du pédant, du parvenu, le masque sous lequel celui-ci dissimule son imposture. Avec lui, la grandeur comique atteint la dimension tragique. Vivant désormais hors du temps, ses personnages, devenus des archétypes, s’élèvent à l’universel »319. Robinet, Charles : Ecrivain français du XVIIe siècle : « Il s’agit de Charles Robinet, qui se faisait parfois appeler Robinet de Saint-Jean. Ce nouveau venu dans la querelle n’était pas, comme ses prédécesseurs, un jeune homme en mal de se faire une réputation. Il était né vers 317 Mongrédien, Vol II, 393. Mongrédien, Vol II, 394. 319 Robert, 2010, 1534-1535. 318 128 1608. C’était un bel esprit […]. Robinet avait aussi publié quelques pièces de circonstances »320. En ce qui concerne la querelle de l’École des femmes, Robinet composa Le Panégyrique de l’Ecole des femmes ou conversation comique sur les œuvres de Mr. Molière. Premièrement apparue de manière anonyme, ce texte semble être écrit par un partisan de Molière, mais une analyse plus attentive révèle les sentiments hostiles de son auteur. Pourtant, comme plusieurs de ses confrères, il finit par changer d’avis : « Comme Donneau de Visé et Boursault, la querelle passée et vite oubliée, il s’était réconcilié avec Molière et avait, de son mieux, soutenu les efforts du grand poète comique »321. Simonin, Jean dit Chevalier : Comédien et auteur français. Il entraine le théâtre du Marais dans la querelle de l’École des femmes avec son écrit Les Amours de Calotin, pour « […] lui donner un attrait supplémentaire, à utiliser l’actualité théâtrale en parlant, à son tour, de Molière et en présentant un partisan et un adversaire de L’École des femmes »322. Pourtant son impact est de nature globale : « […] Chevalier apportait à la querelle sa conclusion appropriée, en même temps qu’il revendiquait pour la génération des contemporains et contempteurs de l’homme illustre ce qu’après tout chacun d’eux réclamait peut-être avant toute autre chose et qu’on devine en filigrane de leur guerre sans merci contre lui : leur droit à exister »323. 320 Mongrédien, Vol I, 163-164. Mongrédien, Vol I, 166. 322 Mongrédien, Vol II, 361. 323 Dandrey, 2014, 133. 321 129 iii. Les œuvres de Molière324 Comédies en un acte et en prose Titre Première Publication La Jalousie du Barbouillé325 Inconnue ✞1819 et 1845 Le Médecin volant326 Inconnue ✞1819 et 1845 La Critique de l’École des le 1er juin 1663 le 7 août 1663 L’Impromptu de Versailles octobre 1663 ✞1682 Les Fourberies de Scapin le 24 mai 1671 le 18 août 1671 femmes Comédies en un acte et en vers Titre Première Publication Les Précieuses ridicules le 18 novembre 1659 le 29 janvier 1660 Sganarelle ou le Cocu le 28 mai 1660 nouvelle édition 1662 imaginaire 324 D’après : Molière. Molière, œuvres complètes (2 vols). Éd. Georges Forestier et Claude Bourqui. Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade : 2010. Imprimé. 325 Publiée en 1819 par Emmanuel Louis Nicolas Viollet-le-Duc sous le titre de Deux pièces inédites de J.-B.P. Molière puis publiée en 1845 dans la troisième édition des Œuvres de Molière de Louis-Aimé Martin. Voir : http://www.toutmoliere.net/note,405461.html 326 Publiée en même temps que la Jalousie du Barbouillé. 130 Comédies en trois actes et en prose rythmée Titre George Dandin ou le Mari Première le 18 juillet 1668 confondu327 Publication date inconnue probablement février 1669 Comédies en trois actes et en vers Titre Première Publication L’École des maris le 24 juin 1661 le 20 août 1661 Le Médecin malgré lui le 6 août 1666 le 24 décembre 1666 Amphitryon le 13 janvier 1668 le 5 mars 1668 Comédies en cinq actes et en prose Titre L’Avare Première le 9 septembre 1668 Le Festin de Pierre (Don Juan le 15 février 1665 Publication le 18 février 1669 ✞1682 ou Le Festin de Pierre) Comédies en cinq actes et en vers Titre Première Publication L’Étourdi ou les Contretemps fin 1658 le 21 novembre 1662 Le Dépit amoureux décembre 1656 le 24 novembre 1662 327 Comédie jouée à Versailles avec de la music, des danses et des chants. 131 le 4 février 1661 ✞1682 L’École des femmes le 26 décembre 1662 le 17 mars 1663 Le Tartuffe ou l’Imposteur le 12 mai 1664 le 23 mars 1669328 Le Misanthrope le 4 juin 1666 le 24 décembre 1666 Les Femmes savantes le 11 mars 1672 le 10 décembre 1672 Dom Garcie de Navarre ou le Prince jaloux Comédie pastorale héroïque Titre Mélicerte329 Première le 2 décembre 1666 Publication ✞1682 « Comédies330 » un acte et en prose, danse, musique, chants Titre Première Publication Le Mariage forcé le 29 janvier 1664 le 9 mars 1668331 La Comtesse d’Escarbagnas le 2 décembre 1671 ✞1682 « Comédie » en trois actes et en prose rythmée Tire L’Amour Médecin Première le 14 septembre 1665 328 Publication le 15 janvier 1666 La pièce est ensuite interdite. C’est la seule pièce inachevée de Molière. 330 Les guillemets sont de nous. Molière désigne les pièces en question « comédies ». 331 La Pièce réduite à seuls les scènes parlés en 1668. 329 132 « Comédie » en trois actes et en vers Titre Les Fâcheux Première le 17 août 1661 Publication le 18 février 1662 Comédies mêlées de musique et de danse en trois actes et en vers Titre Première Publication Monsieur de Pourceaugnac le 6 octobre 1669 le 3 mars 1670 Le Malade imaginaire le 10 février 1673 ✞1675 Comédie mêlée de musique et de danse en cinq actes et en prose Titre Les Amants magnifiques Première le 4 février 1670 Publication ✞1682 Comédie-ballet en cinq actes et en prose Titre Le Bourgeois gentilhomme Première le 14 octobre 1670 Publication le 18 mars 1671 Tragédie-ballet Titre Psyché332 332 Première le 17 janvier 1671 Versification en partie faite par Pierre Corneille. 133 Publication le 6 octobre 1671 Autres : Les Plaisirs de l’ile enchantée, course de bague, collation ornée de machines. Une des intermèdes est une comédie intitulée La Princesse d’Élide (jouée le 7 mai 1664 et publiée le 31 janvier 1665) mêlée de danse et de musique ; « comédie-ballet » en cinq actes et en prose et en vers. Ballet des muses (le 2 décembre 1666) ballet et comédie composée de plusieurs entrées en vers et en prose, dont la Pastorale comique (le 5 janvier 1667) un acte et en vers, une « comédie-ballet », et la comédie Le Sicilien ou l’Amour peintre (jouée le 14 février 1667 et publiée le 9 novembre 1667) « comédie-ballet » en un acte et en prose rythmée. 134