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© Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 19/04/2017
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être fondés sur le consensus de tous parce que tous ont accès à la raison. Cicéron l'affirmera haut et
clair dans son traité Sur la République. Mettre ainsi la raison commune à la source du droit est l'un des
fondements du républicanisme, en général, à ceci près, qu'à Rome, le républicanisme est religieux. La
raison est divine en son origine ; elle est ce qui permet aux citoyens de se considérer « en société avec les
dieux ».
Août 410 : Rome est mise à sac et pillée pendant trois jours par les troupes du roi wisigoth Alaric. Cet
événement, qui n'était qu'un raid audacieux, eut un retentissement symbolique et psychologique immense
dans tout l'Empire. Rome n'était plus invincible. La capitale éternelle, la ville qui avait conquis l'univers était
à son tour conquise. Or, depuis un siècle, l'empire était chrétien. Quel dilemme ! L'opinion publique répétait :
« c'est sous des princes chrétiens, pratiquant de leur mieux la religion chrétienne que de si grands malheurs
sont arrivés à Rome ». Ce qu'il restait de païens dans l'Empire y vit le signe que la « paix des dieux »* était
rompue et que les invasions barbares étaient le signe de leur colère.
Pour un penseur chrétien comme Augustin, contemporain du sac de Rome, il devenait urgent de répondre
à la critique et d'expliquer la décadence romaine par les valeurs romaines elles-mêmes, et par la nature
de sa pensée religieuse, plutôt que par la faute des chrétiens refusant d'honorer les dieux anciens. Le titre
même du traité « De la cité de Dieu » (De civitate Dei), par l'emploi du terme typiquement romainde « cité »,
civitas, signale qu'un débat est ouvert avec Cicéron. L'enjeu de l'ouvrage est de ramener les hauts faits
(politiques) de l'histoire dont les Romains se glorifiaient à un orgueil démesuré et à un insatiable besoin de
gloire ayant précisément conduit à la catastrophe. Il s'agit de dénigrer les passions civiques causes de la
prise de Rome par un barbare chrétien et d'opposer à cette citoyenneté fière des Romains ce qu'Augustin
appelle la citoyenneté humble du pèlerin, une citoyenneté non politique, seule véritablement religieuse. Les
champs de la religion et de la politique commencent ainsi à être distingués.
À la suite de Cicéron, Augustin introduit dans la Cité de Dieu une réflexion sur ce qu'est une république et il
souligne, comme Cicéron, que quand le gouvernement est injuste, il n'y a pas de res publica. L'enjeu porte
alors sur la définition de la justice : « Je prétends montrer que Rome ne fut jamais une vraie république
parce qu'elle n'eut jamais une vraie justice ». La définition de la justice a changé d'un auteur à l'autre, et
d'un monde (romain) à l'autre (chrétien). Pour Augustin, la justice vient de la foi. La justice de la foi, c'est
la justice de Dieu, par opposition à celle de la Loi. C'est une justice supérieure qui ne demande pas de
capacité rationnelle, mais plutôt l'obéissance et donc l'humilité de celui qui croit.
Rationalité et foi
La foi est en réalité l'invention d'un rapport inédit à un dieu. Elle implique une fondation du politique qui est
toujours transcendante, comme dans le droit naturel romain, mais d'une transcendance non rationnelle qui
appelle l'obéissance. Dans la pensée grecque et romaine, on considérait communément que l'univers était
traversé par un logos créateur et ordonnateur, c'est-à-dire un principe de raison. Les dieux des philosophes
restent soumis aux lois de ce logos et ne peuvent créer qu'un univers harmonieux. Et c'est parce que
l'homme est une créature raisonnable comme le monde qu'il peut le comprendre. Il n'a donc nul besoin de
connaître la volonté du créateur ; sa raison lui suffit. Quant aux dieux de la cité, ils se tiennent à l'écart de ce
type de réflexion philosophique et ne sont pas créateurs du monde.