ENTRETIEN PATRICE MARTINET
ATHéNéE – THéâTRE LOUIS-JOUVET / ÜBÜ KIRÁLY (UBU ROI)
D’ALFRED JARRY / MES ALAIN TIMAR
UN UBU DÉCOIFFANT
Ubu roi en hongrois, par la troupe du Théâtre magyar de Cluj, en
Roumanie ! Patrice Martinet, le directeur de l’Athénée, invite à Paris la
meilleure version qu’il ait jamais vue de la pièce de Jarry.
Une économie de moyens absolue, dites-
vous à propos de ce spectacle, qui compte
pourtant six Pères et Mères Ubu ? Étrange
paradoxe !
Patrice Martinet : Non, puisque les moyens
vont à ce qui importe vraiment. Les six comé-
diens et six comédiennes sont tous, à tour de
rôle, Père Ubu et Mère Ubu. Chaque scène
présente un couple différent. Ubu est comme
un mythe, or un archétype peut s’imaginer de
mille façons, sans aucun problème de com-
préhension. L’économie de moyens ressemble
à celle que revendique Christian Benedetti ;
elle est comme un écho à ces préoccupations,
venu de l’autre côté de l’ancien Rideau de fer :
Übü király, par le Théâtre hongrois de Cluj : événement à l’Athénée !
“CE SPECTACLE EST
COMME UNE VARIANTE
OPTIMISTE DE LA
DÉPRESSION AMBIANTE.”
Patrice Martinet
sans décor, sans costume, sans argent, on fait
du théâtre quand même !
Comment avez-vous connu ces artistes ?
P. M. : Au temps de Ceausescu, j’ai vécu
quatre ans dans la capitale de la Transylva-
nie, Cluj, où j’ai naturellement fréquenté le
théâtre magyar, aujourd’hui dirigé par Gábor
Tompa. C’est une ville où on parle hongrois,
roumain, allemand, tzigane, et où quatre
nationalités vivent ensemble. Le Théâtre
de Cluj travaille en hongrois. Son directeur,
Gábor Tompa est un metteur en scène talen-
tueux. Il était venu à l’Athénée il y a quelques
années avec une Cantatrice chauve remar-
quable. En même temps, c’est un homme
généreux, qui prête son théâtre à d’autres
metteurs en scène.
Comment définiriez-vous les comédiens
hongrois de Cluj ?
P. M. : Ce sont des virtuoses du plateau. Ils
savent chanter, tous, et bien ; ils savent danser ;
ils jouent d’un ou de plusieurs instruments. Ils
ont un jeu très physique, qui fait que ce spec-
tacle est un peu un coup de poing. Sans rien
d’autre qu’un dévidoir à papier, ils fabriquent
les accessoires, ils inventent les costumes. Ils
font preuve d’une énergie incroyable, splendide
quand ils sont au plateau, qui est constitutive
de leur rapport au monde, comme s’ils vou-
© István Biró
© D. R.© D. R.
© Jean-Baptiste Millot
PROPOS RECUEILLIS SERGE MAGGIANI
L’APOSTROPHE
DE DANTE ALIGHIERI / COLLABORATION ARTISTIQUE VALÉRIE DRÉVILLE
NOUS N’IRONS PAS
CE SOIR AU PARADIS
Seul sur scène, Serge Maggiani revient à l’œuvre de Dante. Une création
dédiée au comédien Philippe Avron.
« Il y a eu ce moment de la cour d’honneur en
2008. Valérie Dréville (nous avons joué dans
cette même cour cette autre Divine Comédie
qu’était Le soulier de satin) me demande de
participer à une lecture “divine” de la “Com-
media”. Un goût m’est resté, comme dans la
bouche, de cette langue, de ce vent qui souf-
flait si fort dans la cour, de ce long et passion-
nant travail en amont. Alors j’ai rêvé d’empor-
ter avec moi, de voler le poème et le vent de la
cour, de dire des chants de Dante en racon-
tant, en expliquant aussi. Peut-être ce spec-
tacle est-il une didascalie de la vie du poète.
Antoine Vitez, d’ailleurs, nous faisait dire tou-
tes les didascalies du Soulier de satin. Nous
les mêlions au poème et c’était très beau. J’ai
demandé à Valérie Dréville de m’accompa-
gner dans ce nouveau projet, de me guider,
comme Virgile accompagne le poète dans sa
traversée des royaumes des morts. Un met-
teur en scène est toujours Virgile et un acteur
toujours un fantôme qui revient et raconte. Je
commence par le premier chant, le plus diffi-
cile, il contient certaines clés de l’œuvre. Cela
m’a donné l’idée du titre : Nous n’irons pas ce
soir au Paradis. Parce que c’est loin, trop loin.
Mais nous y faisons quelques incursions (on
pourrait dire quelques excursions.) Mais c’est
pour mieux retourner en enfer.
UNE LANGUE DE RÉSISTANCE,
UNE LANGUE D’EXIL
Je ne sais pas si ce spectacle est ou sera
un spectacle. C’est un moment. C’est un
peu comme si un acteur, faisant partie d’un
groupe, se détache, vient s’assoir au devant
de la scène, les pieds dans le vide et raconte
au public des histoires et des poèmes. C’est
toujours sa part d’enfance qu’un acteur joue
sur la scène. Ma part d’enfance est l’Italie et
sa langue. Et Dante est la langue de l’Italie.
Et être italien, c’est croire que Dante a vrai-
ment été en Enfer. Être Italien, c’est être ou
avoir été un petit enfant qui joue par terre
dans la cuisine, quand un adulte se penche
sur lui, grand, très grand, grand comme la tour
de Pise et lui dit, sans que l’enfant n’ait rien
demandé, que le plus grand des poètes était
italien et qu’il est revenu du voyage d’où l’on
ne revient pas, qu’il a traversé la mort.
Alors une peur panique saisit l’enfant,
mais après il se rendra compte qu’il aura, sa
vie durant, et à cause de cela, peut-être un
peu moins peur, pas de la mort mais de la vie.
J’ai dit “sa vie durant”. Il s’appelait Durant,
d’ailleurs, Dante. Durante. Dante. Sa langue
est une langue de résistance, d’exil. On m’a
raconté d’un détenu, dans un camp, qu’il sur-
vivait jour après jour en scandant des chants
de Dante. La vie du poète a été un long che-
min malheureux. Peut-être n’a-t-il survécu
que grâce à elle, à la langue, aux mots, aux
vers. Son œuvre est une cathédrale, parfaite,
savante. Il y a du Proust aussi chez Dante,
ou le contraire. Comme Proust, Dante est un
poète sans imagination. Son imagination, c’est
sa mémoire. C’est ce qui fait son génie. »
Propos recueillis par Manuel Piolat Soleymat
L’Apostrophe – Théâtre des Arts,
place des Arts, 95000 Cergy-Pontoise.
Les 12, 19 et 26 novembre 2012 ainsi que les
3 et 10 décembre, à 20h30. Tél. 01 34 20 14 14.
www.lapostrophe.net
ENTRETIEN GUILLAUME HASSON
DIRECTEUR ARTISTIQUE DES THÉÂTRALES CHARLES DULLIN
SIX SEMAINES DE
CRÉATION CONTEMPORAINE
Rendez-vous dédié aux écritures contemporaines, les Théâtrales Charles
Dullin offrent un choix éclectique d’œuvres récentes ou nouvelles.
Guillaume Hasson revient sur l’identité de cette biennale qui favorise
« l’esprit de découverte et la prise de risque ».
Depuis votre nomination à la direction artis-
tique des Théâtrales Charles Dullin, en 2003,
quelle orientation avez-vous cherché à don-
ner à cette manifestation ?
Guillaume Hasson : Les Théâtrales est un fes-
tival déployé sur le périmètre départemental.
Nous travaillons en partenariat avec les prin-
cipales structures de diffusion de ce territoire :
théâtres de ville, scène nationale, Centre Dra-
matique National. Durant ces 10 années, nous
cet alliage que des liens ont pu s’établir dans la
durée entre les théâtres et les artistes promus
dans le festival. Cette mission fédératrice s’est
appuyée sur une dynamique des publics. Nous
avons construit un réseau de spectateurs, « les
colporteurs », qui a vocation de créer des ponts
entre les pratiques culturelles propres à chaque
ville en multipliant les réunions et les sorties
au spectacle, les rencontres avec les artistes
et les directeurs de salle. Nous avons encou-
“C’EST TOUT LE CHAMP
DU THÉÂTRE CONTEM-
PORAIN QUE NOUS
ESSAYONS DE COUVRIR.”
GuillauMe Hasson
ragé leur intérêt pour un théâtre contemporain
considéré parfois comme abscons ou élitiste,
en leur ouvrant les portes des répétitions, en les
conviant à des chantiers ouverts, à des lectures
d’œuvres en gestation, ou à des master-class
dirigés par des personnalités ayant marqué
l’histoire du théâtre.
A travers ce festival, quel paysage théâtral
souhaitez-vous éclairer ?
G. H. : C’est tout le champ du théâtre contem-
porain que nous essayons de couvrir. Notre
programmation cherche l’équilibre en s’arti-
culant d’une façon volontariste, rigoureuse,
autour de plusieurs volets : jeune public
contemporain, écritures de plateau, nouvel-
les écritures textuelles, spectacles étrangers,
petits et moyens formats.
Quelles sont les grandes orientations de
cette édition 2012 ?
G. H. : Parmi les 26 spectacles présentés, un
thème général semble se dégager : recherche
d’équité et de justice dans la gestion de l’État,
partage du bien commun, critique du pouvoir
établi. C’est une sorte de réappropriation des
modèles de lutte des années 60, mais qui
s’opère d’une manière ludique et iconoclaste,
tendanciellement plus libre, individuelle et
pacifique. Cette préhension du discours scé-
nique fait écho aux Printemps Arabes, aux
Occupy Wall Street, aux Anonymous, aux étu-
diants du Printemps Érable.
En quoi la défense des écritures contempo-
raines vous semble-t-elle aujourd’hui fon-
damentale ?
G. H. : Les écritures contemporaines jouent de
cette porosité qu’offre le théâtre, entre le rêve
et le réel, la mort et le vivant, l’Histoire et l’ac-
tualité. Elles confèrent à la notion du Temps
une signification concrète, un mouvement
sensible que l’être humain éprouve difficile-
ment. Elles lui permettent de s’incarner dans
sa globalité et dans un rapport de proximité,
de parallélisme et d’identification. En cela,
aussi sombres qu’elles puissent parfois l’être,
elles sont profondément consolatrices.
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat
Les Théâtrales Charles Dullin. Du 9 novembre
au 16 décembre 2012. Horaires et programme
complet sur www.lestheatrales.com.
Tél. 01 48 84 40 53.
laient que les gens sachent qu’ils existent. La
mise en scène est très peu conventionnelle. On
a souvent l’impression que le théâtre des pays
de l’Est est confit dans l’académisme. Certes,
ils ont la technique de l’académisme, mais elle
est transcendée par l’énergie : c’est avant tout
un théâtre vivant. Alain Timar, le directeur du
Théâtre des Halles, lui-même d’origine hon-
groise, a monté avec eux ce spectacle qui est
comme une variante optimiste de la dépres-
sion ambiante. C’est un Ubu positif, rigolard,
décontracté, un peu malpoli, certes, mais
absolument décoiffant !
Propos recueillis par Catherine Robert
Athénée – Théâtre Louis-Jouvet, square
de l’Opéra Louis-Jouvet, 7 rue Boudreau,
75009 Paris. Du 13 au 18 novembre 2012.
Mardi à 19h ; du mercredi au samedi à 20h ;
dimanche à 16h. Tél. 01 53 05 19 19.
Spectacle en hongrois surtitré.
Réagissez et blogguez sur www.journal-laterrasse.fr