Isaac Roubine
Essais sur la théorie
de la valeur de Marx
- 2 -
Avant-propos du traducteur
Eléments biographiques
Isaak Illich Roubine est né en Russie en 18861. Dès 1905, il participe
activement au mouvement révolutionnaire russe. D’abord membre du
Bund (le parti socialiste juif), il se rallie ensuite aux mencheviks.
La répression contre les mencheviks l’amène à abandonner toute
activité politique en 1924. Il se consacre alors entièrement à la recherche
économique. En 1926, il est nommé chargé de recherche à l’Institut Marx-
Engels, fondé et dirigé par le célèbre marxologue bolchevik David
Riazanov dont il devient l’ami et le proche collaborateur. C’est de 1924 à
1930 qu’il publie tous ses livres et articles (cf. ci-dessous).
Avec les années trente vient pour l’U.R.S.S. la période des grands
procès et de la consolidation de l’ordre stalinien. Roubine sera l’un des
premiers frappés. En mars 1931 s’ouvre le procès dit du bureau fédéral du
comité central du parti menchevik, organisation fantôme créée pour les
besoins de la cause. Parmi les principaux accusés, des économistes de
premier plan (Ser, Guinzburg), des professeurs (Roubine), des hauts
fonctionnaires des services de planification (en particulier Groman, ancien
membre du présidium du Gosplan), des écrivains (Sukhanov), etc. Tous
sont accusés de sabotage dans l’élaboration des plans de développement
économique ou, en langage clair, d’avoir adressé des critiques aux rythmes
d’industrialisation qu’ils jugeaient trop élevés.
Selon sa sœur B.I.Roubina, Roubine fut amalgamé à ce procès parce
que Staline voulait atteindre et compromettre Riazanov, qui fut d’ailleurs
privé de son travail à l’Institut dès l’ouverture du procès. Quoi qu’il en soit,
Roubine fut arrêté le 23 décembre 1930, enfermé dans une cellule
disciplinaire, puis mis au secret. L’isolement et les épreuves finirent par
venir à bout de sa résistance. Roubine consentit à négocier la teneur de ses
« aveux ». La négociation dura du 2 au 21 février 1931 ; il lutta pied à pied
et obtint l’abandon de l’accusation initiale de sabotage, remplacée par celle
d’avoir transmis et laissé en dépôt à Riazanov (sous pli cacheté, précisa
Roubine) des documents sur le mouvement social-démocrate. L’» aveu »
fut alors évalué à trois ans de prison.
Roubine comparut le 1er mars 1931, portant dans sa poche ses
« aveux » soigneusement corrigés par le magistrat instructeur. Mais, au
cours des audiences, il fit tout son possible pour mettre Riazanov hors de
1 Nous n'avons trouvé que bien peu de sources concernant I.I.Roubine. Nous avons
suivi de très près, pour ces éléments de biographie, le mémoire rédigé par
B.I.Roubina et consacré à la défense de son frère. Nous citons ce mémoire d'après le
livre de Roy Medvedev, Le Stalinisme, Le Seuil, Paris, 1972, p.180-184. On peut
aussi consulter un livre plus général de Naum Jasny, Soviet Economics of the
Twenties (Names to be remembered), Cambridge University Press, 1972.
- 3 -
cause, refusant en particulier d’» avouer » avoir eu des contacts de nature
politique. Cette résistance lui valut cinq ans de prison, qu’il purgea en
partie dans un isolement total. La Guépéou lui ayant proposé, en 1933, une
amélioration de ses conditions de détention, et même la possibilité de re-
prendre ses recherches, il refusa.
Il fut relâché en 1934, après commutation de sa peine, et exilé dans le
petit village de Tourgaï, dans une contrée désertique. Plus tard, il reçut
l’autorisation de s’installer dans une ville plus importante, Aktioulinsk, où
il travailla dans une coopérative de consommation. Mais il refusa toujours
obstinément de retourner à Moscou et de reprendre son ancien travail
parmi ses anciens collègues.
En 1937, lors de la vague des arrestations de masse, il fut de nouveau
arrêté et incarcéré dans la prison surpeuplée d’Aktioulinsk. C’est là qu’on
le vit pour la dernière fois.
Dès son arrestation, un silence total fut fait sur son oeuvre. Un article
de la Pravda du 7 mars 1931, « Arrachons la rubinščina et ses racines »,
interdit la poursuite des discussions sur ses thèses. L’interdit dure encore.
On peut citer ce jugement relativement récent, porté par un philosophe
soviétique officiel : « Les disciples de Roubine et les idéalistes menchevisants, qui
sévissaient pendant les années vingt et trente dans les domaines de l’économie
politique et de la philosophie, ont écrit une foule de choses sur la ‘dialectique du
Capital’, mais ils traitaient la méthode révolutionnaire de Marx dans l’esprit de
l’hégélianisme, ils la transformaient en un jeu scolastique de concepts, en un
système compliqué d’arguties et de subtilités alambiquées fort éloignées de la
science […]. Le parti communiste a écrasé ces courants étrangers au marxisme et
aidé les philosophes et économistes soviétiques à démasquer leurs agissements. »1
On sait de quelle manière !
II. Eléments bibliographiques
Roubine a publié de 1924 à 1930 :
A. LIVRES
Očerki po teorii stojmosti Marksa (Essais sur la théorie de la valeur de
Marx) ; la troisième édition est de 1928 (Gosudarstvennoe
Izdatel’stvo, Moscou-Leningrad). Ce livre ne fut bien sûr plus
réédité en Union soviétique après 1928, et c’est seulement en 1972
qu’il fut traduit pour la première fois par Miloš Samardžija et
Freddy Perlman pour la maison d’édition américaine Black & Red
(Detroit). C’est cette traduction américaine, malheureusement
amputée de l’appendice à la troisième édition, « Otvet kritikam »
(Réponse aux critiques), qui a servi de base à l’édition allemande
(qui n’a pas repris les neuf premiers chapitres) et à la présente
édition française.
1 M.Rosenthal, La dialectique dans « Le Capital » de Marx, cité d'après la traduction
est-allemande de 1957 par Roman Rosdolsky, Zur Entstehungsgeschichte des
Marxschen « Kapitals », Europäische Verlagsanstalt, Francfort-sur-le-Main -
Cologne, 1968, p. 675, note 54.
- 4 -
Istorija ekonomičeskoj mysli (Histoire de la pensée économique).
Sovremennie ekonomisty na zapade (Economistes occidentaux
contemporains).
Klassiki političeskoj ekonomii ot XVII do serediny XIX veka (Anthologie
des économistes classiques du XVIIe siècle à la mi-XIXe siècle).
La théorie marxienne de la production et de la consommation (en russe),
ouvrage signalé par Roman Rosdolsky, op. cit. (premier tome
traduit en français sous le titre La Genèse du « Capital » chez Karl
Marx, Critiques de l’économie politique, Maspero, Paris, 1976, p.
112, note 2).
B. ARTICLES ET TEXTES DIVERS
« Abstraktny trud i stojmost’ v sisteme Marksa » (Travail abstrait et
valeur dans le système de Marx), publié dans la revue Pod znamenem
marksizma (Sous la bannière du marxisme), vol. 6, Moscou, 1927, p. 88-
119. Ce texte est traduit en allemand dans Rubin-Bessonov, Dialektik
der Kategorien, Verlag für das Studium der Arbeiterbewegung,
Berlin-Ouest, 1975, p. 7-53.
« Dialektičeskoe razvitje kategorii v ekonomičeskoj sisteme
Marksa » (Le Développement dialectique des catégories dans le
système économique de Marx), dans Problemy ekonomikii (Problèmes
économiques), n° 4-5, 1929, p. 203-238. Ce texte est traduit en
allemand dans Dialektik der Kategorien, op. cit., p. 55-135. Il s’agit
d’une discussion qui eut lieu à l’institut des professeurs rouges lors
de séances tenues les 30 mars, 6, 13 et 20 avril, 4 et 6 mai 1929. On y
trouve en particulier le compte rendu d’un exposé introductif de
Roubine, d’une discussion sur ses thèses et des remarques
conclusives du même Roubine.
Introduction à la traduction russe du livre de Wilhelm Liebknecht,
Zur Geschichte der Werttheorie in England.
« Rapports de production et catégories matérielles » (en russe),
article publié dans la revue Pod znamenem marksizma (Sous la bannière
du marxisme), n° 10-11, Moscou, 1924.
« Caractéristiques fondamentales de la théorie de la valeur de Marx
et ses différences avec la théorie de Ricardo », texte publié dans
Rozenberg, Teorija stojmosti u Rikardo i Marksa (La Théorie de la valeur
chez Ricardo et Marx), Moskovskii Rabočii, Moscou, 1924.
Malheureusement, cette liste reste sans doute très complète.
Remarques sur la traduction
L’argumentation de Roubine s’appuie le plus souvent sur une
analyse minutieuse du texte de Marx, ce qui l’amène à recourir à de
nombreuses citations. Pour ne pas alourdir le texte, nous donnons ici une
fois pour toutes les références complètes des œuvres de Marx les plus sou-
vent citées. L’édition utilisée est celle des Éditions sociales.
En français
- 5 -
La Sainte Famille, Paris, 1972.
Misère de la philosophie, Paris, 1968.
Travail salarié et capital l Salaires, prix et profit, Paris, 1968.
Contribution à la critique de l’économie politique, Paris, 1957 ; référence
abrégée : Contribution.
Lettres à Kugelmann, Paris, 1971.
Lettres sur « Le Capital », Paris, 1964.
Le Capital, livre I (t. 1, 2, 3), Paris, 1946-1950 ; livre II (t. 4 et 5), Paris,
1950-1953 ; livre III (t. 6, 7 et 8), Paris, 1959-1960. Les nombreuses
références sont ainsi abrégées : Le Capital, suivi de l’indication du
livre, du tome et de la page.
Théories sur la plus-value, t. 1, Paris, 1974 ; t. 2, Paris, 1976 ; référence
abrégée : Théories, tome et page.
Citations traduites de l’allemand
Theorien über den Mehrwert, t. 3, traduit d’après Marx-Engels Werke,
t. 26, 3, Dietz Verlag, Berlin, 1972 ; référence abrégée : Theorien, t. 3.
Das Kapital, Dietz Verlag, Bd I, Berlin, 1973 ; Bd II, Berlin, 1971 ; Bd
III, Berlin, 1971.
Notons que, malheureusement, trois textes fondamentaux pour
l’étude de la pensée de Marx sont restés vraisemblablement inconnus de
Roubine. Il s’agit des Manuscrits de 1844 (Economie politique et philosophie),
publiés à Leipzig en 1932, de L’idéologie allemande, publiée presque
simultanément à Moscou et Leipzig, en 1932 égaIement, et surtout des
brouillons de 1857-1858, connus sous le nom de Grundrisse der Kritik der
politischen Ökonomie, publiés à Moscou en 1939 seulement (à l’exception
toutefois de la célèbre introduction de 1857, déjà publiée par Kautsky dans
Die Neue Zeit, et que Roubine utilise).
On sait d’autre part que la traduction française du livre I du Capital
n’est pas la traduction littérale du texte allemand correspondant. Marx
trouvait que Joseph Roy avait traduit « trop verbalement ». Il a donc été
amené à reprendre entièrement la traduction, à récrire certains passages, à
ajouter ou supprimer des phrases entières, en particulier dans la section 1,
celle qui est étudiée le plus minutieusement par Roubine1. Sans
l’intervention d’Engels (cf. en particulier sa lettre à Marx du 29 novembre
1873, dans Lettres sur « Le Capital », op. cit., p. 273), la version française
aurait même servi de base à l’établissement des traductions dans les autres
langues (en anglais par exemple).
Or Roubine cite Le Capital soit dans la traduction russe (fidèle reflet
de l’original allemand), soit dans le texte allemand de la 4e édition
allemande, qui ne reprend que quelques-unes des modifications introduites
dans le texte français pour les incorporer à la 2e édition allemande, elle-
1 Voir en particulier les lettres de Marx à Danielson du 28 mai 1872, à Sorge du 21
juin 1872 (reproduites dans Lettres sur « Le Capital » p. 267 et 269), l'« Avis au
lecteur » placé par Marx en tête de l'édition française (Le Capital, l. I, t. 1, p. 47) et la
« Note des éditeurs » (Ibid., p. 8 et 9) qui donne un historique détaillé de
l'établissement de la traduction française.
1 / 226 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !