Poursuivre Lyon, 18/20 du 30 avril 2016 L`économie souterraine

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Poursuivre Lyon, 18/20 du 30 avril 2016
L’économie souterraine dans un quartier : Mr Vincent Biloa
Vincent Biloa est un homme d’environ 35 ans, ouvert, souriant et chaleureux. Après une
introduction d’une vingtaine de minutes, il a répondu aux très nombreuses questions de la salle
(32 adhérents de Poursuivre et 23 invités extérieurs, tous repartis passionnés). Ce compterendu est une synthèse non exhaustive de son introduction et des réponses aux questions,
restructurée par thèmes. Elle ne traduit pas le caractère très vivant des échanges.
Vincent Biloa est Educateur en Prévention Spécialisée dans une zone urbaine sensible (zus) de
la Métropole lyonnaise. Son travail consiste à accompagner des jeunes de 12 à 21 ans et leurs
familles afin de favoriser leur insertion économique et sociale. Son association travaille sur
délégation de l’état et de la Métropole lyonnaise. Il consacre une partie de son temps à une
recherche macro-économique et micro-économique afin d'améliorer sa pratique éducative.
Vincent Biloa a été invité par la précédente garde des sceaux Christiane Taubira pour des
journées d'étude sur la réforme pénale et la justice des mineurs et il participe à de nombreux
comités et colloques sur le même sujet1.
L'économie souterraine est un défi auquel il est confronté comme de nombreux travailleurs
sociaux. Globalement cette économie représente environ 10% du PIB français ; elle comprend
aussi bien les activités licites non déclarées que la prostitution et le trafic de drogues2. M. Biloa,
quant à lui, est confronté à la drogue principalement.
La zone urbaine sensible et le jeunes de 12 à 21 ans.
Le chômage touche 40% des jeunes en âge de travailler. Un certain nombre de jeunes d’âge
scolaire sont en rupture d’école. La drogue est très présente, et des jeunes sont utilisés dans le
trafic par d’autres jeunes ou par des adultes qui ont un grand train de vie. C’est le cannabis qui
est le plus répandu, mais M. Biloa le suspecte d’être de plus en plus coupé avec des produits
plus durs entraînant une dépendance croissante. Le trafic de drogue rend le quartier
potentiellement dangereux pour les éducateurs ; les menaces sont parfois précises. Ils ne sont
pas spontanément les bienvenus.
Les éducateurs doivent rencontrer les jeunes là où ils sont. Pour pénétrer dans un nouveau
quartier, il faut l’étudier attentivement, comprendre son fonctionnement, connaître les lieux de
rassemblement des jeunes et les lieux de trafic avant d’établir des contacts avec des jeunes.
L’éducateur est d’abord toléré avant d’être accepté. C’est un travail qui peut prendre des mois,
voire un an ou plus.
Des jeunes fragiles
Les jeunes dans les rues sont très majoritairement des garçons. Les filles sont bien présentes
dans l'organisation sociale qui structure le quartier mais elles ne sont quasiment pas visibles
dehors. On observe une tendance qui veut que, plus on avance en âge, moins les filles sont
visibles dans le quartier.
Ces jeunes sont soumis à des tentations fortes : publicités, biens de consommation, exemples
de vie facile, etc. Comment résister ? Ils vivent les fragilités de leurs environnement familial,
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En particulier, il a participé à une table ronde aux JNE 2015 de Poursuivre à Vogüé.
Prostitution et drogues représentent chacune environ 3 Milliards €/an en France. Source INSEE 2014. Une
grande partie du cannabis provient du Maroc qui s’est spécialisé dans la culture pour le marché français.
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du chômage, de la pauvreté et souvent de leurs insuffisances culturelles. Beaucoup tombent, en
particulier sous l’influence de leur fratrie.
L’adolescence est une période particulièrement difficile à vivre où on est mal dans sa peau, où
on ne sait ce qu’on va devenir, où le besoin de transgression est très élevé. On vit dans l’instant,
sans savoir se projeter à plus d’un an. Par ailleurs M. Biloa constate une augmentation du
nombre de jeunes qui traînent dans la rue après les horaires scolaires aménagés parce que leur
famille n’a pas les moyens de payer les activités extra scolaires.
Une autre caractéristique, qui n’est pas spécifique des jeunes de ces quartiers, est le temps très
excessif passé devant des écrans (en moyenne 3heures par jour). Pour M. Biloa, les jeux sur
Internet ne sont pas nocifs en eux-mêmes car, par exemple, ils stimulent la créativité et
l’attention. En revanche, les moteurs de recherche sur Internet peuvent présenter un danger car
ils opèrent un choix pour des raisons commerciales, et ce choix est parfois très dangereux : par
exemple sur des thèmes de société Google présente en premier des références tendancieuses et
non des sites officiels. Internet présente un boulevard à la propagande communautariste, voire
à la radicalisation religieuse qui commence comme un bras d’honneur à la société et peut aller
jusqu’au jihad. YouTube est très regardé, et 1h30 de vision par jour suffit à retourner un jeune
de 12 à 19 ans. Le port du voile en forte augmentation est une manifestation de cette
radicalisation.
Etablir la confiance pour construire un avenir à court et moyen terme
L’éducateur de rue doit gagner la confiance des jeunes afin d’avoir une influence sur eux. Son
action suppose bienveillance, éthique et humanisme. elles s’appuie sur le secret professionnel :
l’éducateur n’est pas un indicateur de police3 et il doit parfois trouver un compromis avec ceux
qui contrôlent le trafic pour ne pas gêner leur activité. Un jeune doit pouvoir tout dire à un
éducateur spécialisé sans craindre la transmission de l’information à des tiers, ou que la
confiance placée se retourne contre lui. Cette confiance se gagne au jour le jour et ne doit pas
être rompue.
Le but de M. Biloa est de leur faire découvrir que la vie n’est pas que l’argent et la vie facile,
qu’on peut chercher autre chose, avoir une vision un peu moins immédiate, les sortir d’euxmêmes. Il cherche à les aider à bâtir un projet personnel qui n’est souvent pas à très long terme
car les adolescents ont une vision à court terme.
Il fait ressortir la nécessité d’aider les jeunes à reconnaître l’utilité d’un cadre, à savoir s’y plier ;
il souligne aussi le rôle positif d’une sanction adaptée en cas de déviance. Il a donné de
nombreux exemples d’actions menées dans ce sens, aussi bien en milieu scolaire (rescolarisation, intermédiation avec les professeurs ou CPE), en milieu familial, ou encore dans
les relations avec la police et la justice : Il se propose par exemple d’accompagner tel jeune
dans ses problèmes de justice4, et même parfois rendre visite aux jeunes incarcérés quand ils le
souhaitent. La confiance se gagne et permet de déplacer l’attention du jeune vers un avenir
moins immédiat.
L’organisation d’activités collectives, en particulier sportives ou éventuellement bénévoles, est
un moyen très efficace de détourner les jeunes de la recherche de leur seul intérêt immédiat.
Une expérience récente est assez démonstrative. La banque LCL s’est engagée il y a plus d’un
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Cela fait partie de l’éthique du métier. Elle place parfois l’éducateur dans des positions très difficiles. Mais elle
peut être transgressée dans des situations particulièrement graves.
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Il lui arrive de discuter une peine de substitution avec un juge et d’éviter ainsi une peine de prison plus dure.
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an dans une action de soutien à 50 jeunes de zone urbaine sensible. A Lyon, M. Biloa a lancé
dans ce cadre une activité avec 20 jeunes en difficulté soigneusement sélectionnés ; les résultats
sont très positifs avec l’obtention de contrat de travail de LCL pour une bonne proportion
d’entre eux. Les jobs d’été sont en général très positifs.
Un travail évalué
L’association qui emploie M. Biloa agit sur contrat de la Métropole, par délégation. Les
éducateurs rendent donc compte régulièrement de leur activité, en particulier en remplissant des
tableaux d’indicateurs très précis. Leurs rapports sont évalués. Mais, par-delà ces rapports
officiels, M. Biloa ressent le besoin d’évaluer lui-même mensuellement son activité pour
déceler les progrès, les échecs, les approches qui marchent …
Problèmes, perspectives
Limiter le trafic de drogue - Il existe ; les pouvoirs publics ne sont pas toujours très actifs pour
lutter contre. A titre personnel M. Biloa pense que la légalisation des salles de shoot serait très
utile pour éviter les problèmes de santé posés par la consommation de drogue dans des
conditions très dangereuses ; il pense aussi que plus généralement le cannabis pourrait être
légalisé et son commerce organisé et contrôlé pour couper les bénéfices du trafic. Il n’ignore
pas la difficulté de mise en œuvre et de contour de telles mesures.
Les peines alternatives à la prison devraient être développées et appliquées. Elles
remplaceraient avantageusement des peines non appliquées ou des incarcérations sources de
mauvaises rencontres. Les bracelets électroniques ont certainement leur place, ainsi que les
chantiers éducatifs.
Philippe de Montgolfier
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