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Fiche n°33
ESPACE DE LIBERTE DECISIONNELLE
Face à un même problème de santé on observe une variabilité des décisions entre deux
médecins ou, pour un même médecin, face à des patients différents. C’est notamment le cas
concernant la prescription d’antibiotiques au cours des rhinopharyngites [103].
Penser que les décisions ne se prennent qu'en fonction du diagnostic et de ses risques
graves est une illusion. En effet, l'efficience des décisions médicales dépend aussi d'autres
éléments, liés au patient, au médecin et à leur environnement [104].
Ces autres facteurs peuvent être résumés comme suit :
Les caractéristiques du patient : son histoire médicale : pathologies associées et facteurs de
risque généraux (âge, sexe, comportements à risque… ) - ses déterminants socioculturels :
niveau d'éducation, communauté culturelle, niveau de revenu, type d'emploi…
- sa
biographie et structure de personnalité : rapport à la maladie, situation familiale...
Les caractéristiques du médecin : sa formation initiale et continue, son expérience, ses
domaines de compétence, son mode et ses conditions d'exercice, sa résistance aux
pressions de l'industrie pharmaceutique, sa personnalité, son aversion au risque, sa norme
culturelle…
Les éléments conjoncturels : l'épidémiologie, le contexte épidémique, les effets de la mode
médicale, les éléments législatifs et réglementaires (lois, conventions, recommandations
médicales… ), les conditions d'exercice (équipement médical, isolement...).
Après avoir dénommé la situation clinique qu'il prend en charge, le praticien évalue les
diagnostics potentiellement graves à éliminer rapidement et tient compte des éléments
environnementaux (patient, médecin, conjoncture) pour négocier les décisions. Le médecin
énonce alors ce qui lui semble souhaitable, alors que le patient exprime ce qu'il lui semble
possible de faire. La négociation s'installe entre le "souhaitable" du médecin et le "possible"
du patient, pour s'accorder sur un "acceptable" commun. Cette marge de négociation est
appelée espace de liberté. Ce dernier est directement lié aux caractéristiques de la situation
clinique, du patient, du médecin et des éléments conjoncturels. En fonction des cas, chaque
caractéristique prend plus ou moins d'importance. Par exemple, le poids de la situation
clinique, ou les caractéristiques du patient, peuvent limiter très fortement l'espace de liberté
(figure n°12) [95].
Figure n°12 : Schéma de l’espace de liberté décisionnelle
Selon la prégnance du diagnostic et l’importance des déterminants (par exemple la fiabilité
des parents dans la surveillance d’un nourrisson atteint de gastro-entérite), l’espace de
liberté sera plus ou moins grand. En voici quelques exemples (figures n°13 et n°14) :
Devant une sciatique paralysante, une hospitalisation s'impose. Ici, l’espace de liberté du
médecin se réduit à une peau de chagrin, la caractéristique clinique étant trop prégnante.
Figure n°13 : espace de liberté face à une sciatique paralysante
Devant une épigastralgie qui récidive, le médecin propose de réaliser des examens
complémentaires (fibroscopie, électrocardiogramme… ). Les caractéristiques du patient
prennent ici de l'importance. Certains patients refuseront la fibroscopie, d'autres
l'accepteront, d'autres encore la réclameront.
Figure n°14 : espace de liberté face à une épigastralgie
Discussion
Le processus de décision médicale est complexe. L’enseignement par pathologie lors des
deux premiers cycles universitaires conduit à croire que les décisions ne sont mues que par
le seul diagnostic, ce qui n’est pas la réalité. Cet enseignement oublie, en se limitant à la
thérapeutique, que le patient est un partenaire incontournable de la stratégie de soin et que
l'environnement des deux protagonistes, médecin et patient, influence consciemment et
inconsciemment leur action.
Ainsi selon les situations cliniques, le médecin dispose d’un espace de liberté décisionnelle
plus ou moins grand. Il doit savoir qu'il aura à discerner entre le possible, le souhaitable et le
réalisable, s'il veut améliorer le niveau d'observance de ses prescriptions. Le sociologue
Cicourel, qui a passé une bonne partie de sa vie à étudier les interactions médecin - patient,
soulignait que le plus grand progrès médical à venir ne serait pas nécessairement dans le
domaine pharmaceutique, mais bien dans une relation partenariale avec les patients.
Afin d’améliorer sa prise en charge, il peut être bon pour chaque médecin de s’interroger,
lors de groupes de pairs par exemple, sur son mécanisme de décision : Quels éléments
interviennent dans la décision ? Quels peuvent être les parasites de cette décision,
autrement dit, les facteurs non choisis qui influencent inconsciemment les choix effectués ?
(voir fiche n°32 : Eléments de la démarche décisionnelle) Comment est utilisé l’espace de
liberté décisionnelle ? Comment le médecin implique t’il son patient dans le processus de
décision ? (voir fiche n°34 : Décision médicale partagée)
Illustration
Un enfant de 11 mois est amené en consultation par sa maman car il a de la diarrhée depuis
48 heures avec une fièvre à 38°2 et a vomi la veille au soir. Deux autres bambins
accompagnent cette mère. L'enfant ne montre aucun signe d'inquiétude à l'instant de la
consultation même s'il semble un peu abattu. Le médecin conclut à une gastroentérite,
d'autant qu'il existe un contexte épidémique dans la famille. A l'issue de la consultation il
décide d'hospitaliser l'enfant. Le tableau clinique devrait faire discuter cette décision, l'enfant
ne montrant pas de signe d'alerte immédiat. D'autres éléments ont emporté sa décision. Il ne
connaît pas cette famille, gens du voyage arrivés il y a une semaine et vivant en caravane
sur l'aire de stationnement qui leur est réservée. La discussion avec la maman est
constamment interrompue par ses autres enfants qui déambulent dans le bureau. Elle
semble être peu intéressée par les conseils de surveillance et de réhydratation et demande
seulement des médicaments.
Plus tard dans la journée, une situation voisine se présente. L'enfant a 9 mois, le tableau
n'est pas moins inquiétant, mais le médecin n'hospitalise pas l'enfant. Il faut dire qu'il connaît
les parents depuis 19 ans. Il les a même connus étudiants, alors qu'ils n'étaient pas encore
mariés. Il sait que les consignes de surveillance et de réhydratation ont bien été comprises,
et que les parents sauront reprendre un avis médical à temps en cas d’aggravation du
tableau. La compagnie d’investissement mutuel, comme dirait Balint, entre le médecin et
cette famille, rapproche le souhaitable du médecin (surveillance, conseils… ) du possible des
parents.
Pour aller plus loin
SFMG. La démarche médicale en médecine générale. [en ligne]. Disponible sur :
http://www.sfmg.org/data/generateur/generateur_home/3/fichier_demarche-medicale-enmgd28c9.pdf
Junod AF. Décision médicale ou la quête de l’explicite. Genève : Médecine & Hygiène, 2003 :
333 p.
Concepts en médecine générale, tentative de rédaction d’un corpus théorique propre à la discipline. Thèse de médecine - 2013
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