BIOFUTUR 265 • AVRIL 200642
Dossier
Les atouts de la génomique végétale
O
n compte à l’heure actuelle 370 000 insertions ADN-T
cartographiées chez Arabidopsis, soit une saturation
théorique de plus de 99,9 %. Cependant, plusieurs mil-
liers de gènes prédits ne possèdent toujours pas d'in-
sertion identifiée. Parmi ceux-ci, il est probable qu'une
bonne partie représente des gènes essentiels ne pou-
vant être atteints par ce type de mutation qui engendre
le plus souvent une perte totale d'activité, incompatible
avec la viabilité des gamètes.
Tilling
L
e tilling (
t
argeted
i
nduced
l
ocal
l
esions
in g
enome,
criblage de mutations induites localement dans le
génome) est une technique de génétique inverse aux
nombreux avantages
(encadré)
. Même si elle a d’abord
été mise en œuvre chez Arabidopsis thaliana
(5, 6)
,
elle est adaptée aux plantes cultivées. En effet, le
génome des plantes cultivées est souvent de grande
taille, complexe et récalcitrant aux méthodes clas-
siques de transgenèse, ce qui le rend inapproprié aux
techniques de mutagenèse d’insertion à grande échelle.
L
e principe du tilling est d’introduire au hasard des
mutations dans le génome de milliers de plantes (grâce
à un produit chimique mutagène) et ensuite de repérer
par une approche moléculaire les plantes renfermant
les mutations recherchées dans un gène d’intérêt.
• Développement de plates-formes
E
n exploitant la technologie du tilling, des plates-formes
de criblage ont donc été mises au point pour les plantes
cultivées telles que le pois, le colza et la tomate, au sein
de l’URGV d’Évry, et pour le soja aux États-Unis. Le
pois et le colza sont deux espèces cultivées de grande
importance en France. Le colza est appelé à un grand
développement pour la production de biocarburants.
Le pois est un substitut direct du soja, massivement
importé des États-Unis pour la nourriture du bétail
(l'Europe importe 68 % de ses besoins en protéines
pour l'alimentation animale).
C
ependant, les outils de génétique inverse basés sur la
mutagenèse insertionnelle ne sont pas applicables à ces
deux plantes cultivées en raison de leur génome de très
grande taille (plus de 40 fois celui d’Arabidopsis thaliana
pour le pois et 10 fois pour le colza) ce qui nécessite-
rait des collections de mutants d’insertion gigantesques
pour effectuer des travaux de génétique inverse. Il était
donc crucial de développer et d’exploiter le tilling pour
ces deux espèces cultivées.
L
es gènes étudiés dans un premier temps chez le pois
sont issus des programmes de recherche de gènes can-
didats. On s’intéresse plus particulièrement aux gènes
impliqués dans le remplissage de la graine chez le
pois protéagineux et à des mutants de pois à florai-
son tardive. Ces mutants sont recherchés chez les
orthologues
*4
des gènes très bien caractérisés dans
l’initiation florale chez Arabidopsis thaliana, tels que
ceux impliqués dans la photopériode (Constans,
Gigantea…) ou dans la vernalisation
*5
comme
Luminidependens, FCA ou FLC
(7, 8)
.
P
our le colza, compte tenu de sa parenté évolutive
avec Arabidopsis thaliana chez qui un grand nombre
de gènes a déjà été caractérisé par knock-out, on s’in-
téresse aux gènes présentant un intérêt agronomique
potentiel. On cible notamment les gènes impliqués
dans la déhiscence des siliques
(9)
. En effet, l’ouver-
ture des siliques chez le colza est à l’origine d’une perte
de rendement annuel de 20 à 50 %. D’autres phé-
notypes d’intérêt, concernant par exemple la teneur
en huile, en glucosinolates
(10)
ou en flavonoïdes, sont
recherchés. La technologie du tilling peut s’appliquer
à des génomes de plantes encore beaucoup plus com-
plexes, par exemple sur des plantes polyploïdes,
puisque des mutants de la production d’amidon dans
les graines de blé qui sont hexaploïdes ont pu être
caractérisés grâce à cette technique
(11)
.
• Une technologie pour tous les organismes
U
ne variante du tilling a été développée pour analyser
le polymorphisme allélique : l’ecotilling. Le criblage
ne se fait plus sur des populations mutagénisées à l’EMS
mais sur des populations naturelles de plantes. Ainsi,
on a directement accès à la variation allélique natu-
relle au sein d’un gène. Cette technologie a été mise en
œuvre chez Arabidopsis thaliana, le pois, la tomate et
le blé. Elle est beaucoup moins onéreuse à mettre en
Principe du
tilling
L’ADN génomique est muté par application sur les graines d’éthylméthane sulfonate (EMS), qui
provoque des mutations ponctuelles au hasard. L’avantage de l’EMS par rapport aux mutations
insertionnelles est que l’on a alors accès à l’analyse de gènes dans lesquels une insertion dans la
séquence codante aurait provoqué un phénotype létal et donc difficile à caractériser. On peut donc
identifier des mutants dont le phénotype est diversement altéré et donc plus susceptibles d’avoir
un intérêt agronomique potentiel. De plus, l’EMS pouvant induire aux doses usuelles plusieurs
mutations par génome, une collection de plusieurs milliers de plantes offre tout un panel de muta-
tions différentes pour un gène étudié, et l’opportunité d’évaluer les conséquences de chacune de
ces mutations au niveau de ce même gène. On peut ainsi mettre en évidence un phénotype plus
ou moins marqué en fonction des mutations et constituer des séries alléliques.
On utilise pour le criblage les plantes M2, issues d’autofécondations des plantes mutagénisées
(M1) : les plantes M1 présentant des mutations sont hétérozygotes, donc une partie des
plantes M2 (1/4 selon les lois de Mendel) sont homozygotes, avec un génome stable. L’ADN
est isolé à partir de chaque famille M2*1et réparti en
pools
(ce qui permet de réaliser moins
de PCR que si les plantes étaient testées individuellement), chacun contenant
a priori
des
plantes mutées et non mutées pour le gène d’intérêt.
On procède ensuite à des PCR sur ces
pools
, en utilisant des oligonucléotides marqués par des
fluorophores. Après l’étape de renaturation, deux types de molécules seront obtenues, les
homoduplexes (deux brins sauvages ou deux brins mutants) et les hétéroduplexes (un brin
sauvage + un brin mutant, donc avec un mésappariement). Une endonucléase reconnaissant
les mésappariements*2(1, 2) clive les hétéroduplexes uniquement, conduisant à l’apparition de
deux fragments de digestion sur gel d’acrylamide (qui sépare les fragments d’ADN selon leur
taille). On peut ainsi localiser le site de coupure au sein du gène d’intérêt sur la base de la lon-
gueur des fragments générés.
Lorsqu’un
pool
contient une mutation d’intérêt, l’expérience est répétée mais uniquement au
sein du
pool
concerné, avec à terme l’identification du plant présentant la mutation.
*1Une famille se compose de
quatre plantes, pour optimiser
les chances d’y trouver un
mutant pour le gène considéré.
*2Même si l’endonucléase
préférentiellement utilisée
jusqu’à présent est CEL1
(purifiée à partir du céleri),
une nouvelle enzyme
plus performante, ENDO1,
a récemment été purifiée
et caractérisée à l’URGV d’Évry.
Elle est d’ailleurs commer-
cialisée par une start-up privée
(www.serialgenetics.com).
(1) Oleykowski
et al.
(1998)
Nucleic Acid Res
26,
4597-602
(2) Till
et al.
(2004)
Nucleic Acid Res
32, 2632-41
© D.R.