Ce philosophe qui rase les romans… « L’être est effort et sculpture d’acquis ». L’auteur de cet aphorisme nous a quitté le 16 décembre 2004 à l’âge de 93 ans. Son départ met fin à une admirable lutte littéraire et philosophique. Mahmoud Messaadi naquit le 23 janvier 1911 à Tazarka (ou cap bon). Il poursuivra ses études à Tunis entre 1926 et 1933 avant de partir étudier, pendant trois ans, les lettres françaises à la Sorbonne. Plus tard, en 1947, il obtiendra l’agrégation en langue littérature et civilisation arabes. L’essentiel de son œuvre sera écrit aux années 1940. Il faudra pourtant attendre 1955 pour voir éditer le premier ouvrage intitulé As-sod (le barrage). Cette pièce dramatique intriguera la critique et donnera même du fil à retordre à l’autorité littéraire de l’époque : Taha Husseïn. L’éminent écrivain et critique égyptien avoua devoir lire et relire As-sod nombre de fois avant d’en subodorer « la philosophie ». De longs dialogues entre Gaïlane et Maïmouna, déploient les catégories existentielles, nées du désarroi de l’homme face à un monde qu’il n’a pas choisi : résignation et volonté. « Non, Maïmouna, c’est plutôt au déni des normes et des obstacles, au refus de l’impotence et de la soumission que je t’appelle! » répondra Gaïlane à sa bien aimée. La condition tragique de l’homme qui tend désespérément vers l’éternité formera la trame de toute l’œuvre messadéenne. « Les forces implacables » du monde et les limites objectives de la vie humaine finiront toujours par avoir raison de l’entreprise existentielle : être artisan de ses jours. Cela, bien que connu des héros de Messaadi, ne les désenchante pas. Leur but n’est jamais atteint, il est toujours poursuivi. C’est aux limites mêmes du possible qu’ils réaliseront ce que peut -donc doitêtre une existence. Jamais en deçà. Jamais en amont. La vie ne se donne pas d’emblée, à leur naissance, ils découvriront une à une ses réalités en allant chaque fois plus loin, jusqu’au bout de ce qu’elle peut être : ce après quoi elle ne peut continuer… Dans un monde arabo musulman dont le système symbolique le plus complet, le plus robuste et le plus efficace est la religion, ce nœud gordien de l’existentialisme revêt un caractère plus controversé. Entreprendre tout ce qui est possible pour «exister », se heurtera au butoir des interdits ; ce que la religion rejette hors du champ du possible. La réponse de Messaadi est livrée par le héros de son deuxième roman Haddatha Abou Houraïra Qal « ainsi parlait abou Houraïra ». Le héros se conduit en pur païen, il boit et aime les femmes. Il finira cependant dans le soufisme. La religion est aussi un parcours existentiel. On n’en hérite pas, elle commence plus loin dans la vie, quand la débauche tombe en contradiction interne : elle ne procure plus de nouvelles jouissances. Ainsi le possible devientil une répétition, un « boulevard » de lassitudes et d’envies antonymes. Il ne peut aller que vers sa fin et la ruine de son artisan. C’est là que la religion viendra à la rescousse du héros. En déplaçant le champ du possible de la débauche au domaine de l’absolu, elle lui donne un caractère infini et trouve une issue aux contradictions de l’existentialisme !! « La foi en l’absolu permet de le quérir et la quête de l’absolu est le but d’une existence » semble enseigner en définitive Abou Houraïra. Ces deux œuvres majeures de Mahmoud Messaadi seront suivies par d’autres qui enrichiront la réflexion sur la condition humaine. Toumma ala infirad 1972, Maouled An-nîsîan 1974, Tâasïlan Li Kyân 1979. En 1981 , il publiera sa thèse de doctorat intitulée « l’esthétique et la syntaxe dans la langue arabe ». Par ses idées, Mahmoud Messaadi est existentialiste. Il est Nitchéen par sa méthode : la littérature est un mode de production philosophique. Enfin utilise-t-il des idées et une méthode pour répondre aux questions de la métaphysique musulmane dans une langue arabe à la pureté du sacré. Bien qu’il ne s’en soit aucunement revendiqué, la philosophie arabo musulmane le revendiquera longtemps ; toujours. Khaled Ben Mohamed